Intervention de Dominique Mortemousque

Commission des affaires économiques — Réunion du 29 mars 2006 : 1ère réunion
Sécurité sanitaire — Grippe aviaire - communication

Photo de Dominique MortemousqueDominique Mortemousque :

Présentant la situation de la filière comme « grave, mais loin d'être désespérée », M. Dominique Mortemousque a tout d'abord souligné que l'épidémie de grippe aviaire fragilisait un peu plus encore un secteur connaissant déjà de graves difficultés structurelles depuis plusieurs années.

S'agissant des contraintes conjoncturelles liées au virus H5N1, il les a présentées comme consistant tout à la fois en :

- une baisse sensible de la consommation, partout en Europe et donc aussi en France, depuis 6 mois environ, dont l'intensité a varié. Observant qu'elle était de l'ordre de 20 à 25 % fin octobre, avant de se redresser en décembre, avec la commercialisation des volailles festives, puis de se rétracter à nouveau au début de l'année avec la découverte de cas en Turquie, pour reprendre peu à peu, avant de choir à nouveau en février suite à la découverte de nouvelles infections dans les pays frontaliers, puis en France, il s'est félicité de ce qu'elle ait remonté dernièrement, les pertes n'étant actuellement « plus » que de 12 % environ par rapport à mars 2005 ;

- une réduction des quantités commercialisées, du fait de la baisse de la consommation intérieure, mais aussi de la diminution des commandes étrangères, une cinquantaine de pays ayant mis en place des mesures d'embargo sur les exportations hexagonales. Cette réduction, a-t-il poursuivi, a contraint les industriels à congeler une partie importante de leur production, les stocks étant supérieurs de 30.000 tonnes par rapport à la même période en 2005 ;

- une diminution des quantités produites, qui s'est traduite par une réduction des mises en place au niveau des éleveurs et des couvoirs, par un allongement des vides sanitaires, ainsi que par une réduction de l'activité des entreprises d'abattage et de transformation ;

- des pertes de chiffre d'affaires très importantes, estimées par le Comité de liaison de la volaille à 40 millions d'euros par mois pour l'ensemble de la filière, auxquelles se sont ajoutées des conséquences sociales lourdes puisque, même s'il est extrêmement difficile d'avoir des chiffres précis sur le sujet, les industriels et les syndicats estiment que 8.000 à 10.000 emplois, soit 15 % de la totalité des emplois de la filière, seraient menacés en France.

Il a ensuite insisté sur le fait que les conséquences de cette crise conjoncturelle se trouvaient aggravées par la fragilité structurelle du secteur, résultant de :

- la montée en puissance des producteurs concurrents, illustrée par la tendance à la baisse continue des exportations depuis 7 ans, dans un marché mondial ayant quadruplé depuis 1990, précisant qu'étaient touchées les ventes aux pays tiers, notamment du Proche et Moyen Orient et de l'Afrique Subsaharienne, du fait de la faiblesse du dollar et de la mise en place de quotas d'importation, tout comme l'export à destination de nos partenaires européens, nos clients traditionnels, l'Allemagne et le Royaume-Uni, ayant développé leur propre production et s'étant tournés vers d'autres sources d'importation. Du point de vue des importations, il a mis en exergue la hausse massive des approvisionnements communautaires en provenance du Brésil, de la Thaïlande et des pays d'Europe centrale et orientale (PECO), au premier rang desquels la Pologne, l'expliquant par la perte de compétitivité des productions nationales du fait de lourdes contraintes sanitaires, environnementales et sociales ;

- la fin programmée, en 2013, des restitutions à l'exportation, en raison des exigences de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Craignant que certaines exportations vers des pays tiers, qui ne reposaient que sur ces restitutions, soient touchées de plein fouet par cette mesure, il a indiqué que 3.000 à 4.000 éleveurs pourraient être à terme condamnés ;

- une baisse de la consommation en volume. Tout en observant que les Français, avec 23 kg par personne et par an, consommaient deux fois plus de volailles que la moyenne mondiale, il a souligné que la tendance était à la baisse et que notre pays voyait s'accroître l'écart avec un pays comme les Etats-Unis, dont les habitants consomment chacun plus de 53 kg de volaille chaque année. Estimant que le niveau souvent élevé des prix n'était sans doute pas étranger à cette tendance, il a noté que les distributeurs se ménageaient souvent d'importantes marges sur les volailles pour compenser les manques à gagner sur d'autres productions animales ;

- l'augmentation des contraintes liées au bien-être animal. Convenant qu'il importait naturellement que les volailles d'élevage soient traitées convenablement, autant pour des raisons morales que dans l'intérêt des producteurs et des consommateurs du fait de la meilleure qualité en résultant pour les produits, il a fait observer que notre pays possédait un haut degré d'exigence en ce domaine. Indiquant que les institutions européennes souhaitaient renforcer encore ces contraintes, à travers l'augmentation substantielle de la taille des cages d'élevage des poulets prévue par le plan d'action 2006-2010 de la Commission européenne pour la protection et le bien-être animal, et la proposition de directive sur la viande de volaille, il s'est inquiété de ce qu'une telle exigence n'augmente les coûts de production, et donc les distorsions de concurrence avec les pays tiers ;

- des efforts insuffisants en termes d'innovation, de recherche et de développement. Rappelant que la France avait été longtemps volontariste en la matière, notamment dans son travail sur les souches aviaires, il a déploré que notre pays se soit laissé progressivement distancer jusqu'à connaître un important retard par rapport à ses plus proches concurrents, regrettant notamment l'absence de spécialisation dans les segments de marché porteurs comme la volaille à la découpe, servant de base pour des produits cuits ou transformés, à plus forte valeur ajoutée.

Le constat de cette crise dressé, il s'est félicité de ce que la filière se soit organisée :

- d'une part, en réduisant de façon progressive ses capacités de production, d'abord en s'abstenant de renouveler les contrats de travail temporaires ou intérimaires, puis en utilisant au maximum les possibilités de modulation des horaires de travail, et enfin en recourant à des mesures de chômage partiel ;

- d'autre part, en lançant auprès du grand public des campagnes d'information dans les médias, avec l'appui du Centre d'information des viandes (CIV), et de promotion chez les distributeurs, comme l'opération « un poulet gratuit pour un poulet acheté ».

Abordant ensuite le dispositif de soutien gouvernemental, il a fait référence, outre aux obligations sanitaires de confinement prises dès la découverte d'animaux infectés, aux diverses mesures d'aide financière ou de trésorerie :

- une première enveloppe de 25 millions d'euros destinée à financer l'allongement des vides sanitaires et la réduction d'activité des éleveurs, les conséquences éventuelles des mesures de confinement et les charges d'intérêts de prêts contractés ;

- une enveloppe de 3,4 millions d'euros affectée aux mesures d'allègement des charges et de chômage partiel ;

- la prise en charge annoncée des cotisations sociales ;

- une enveloppe de 30 millions d'euros pour les entreprises, à laquelle devrait s'ajouter une nouvelle enveloppe de 20 millions d'euros supplémentaires, en cours d'instruction ;

- une enveloppe de 2,5 millions d'euros pour des actions de communication et d'information, complétée à hauteur de 2 millions d'euros pour une nouvelle campagne nationale télévisée dans les jours à venir.

A cet égard, il a rapporté les regrets de la profession face à une stratégie de communication du Gouvernement perçue comme mélangeant des objectifs de sécurité alimentaire, de santé animale et de soutien à la consommation, et n'ayant pas de ce fait contribué à rassurer pleinement le consommateur.

Il a également évoqué la mobilisation des collectivités territoriales, ajoutant que certaines régions, notamment, s'étaient associées au financement de campagnes d'information au niveau local.

Jugeant de façon globale que la situation, certes grave, n'était pas pour autant sans espoir, il a fait état de différents motifs d'optimisme pour l'avenir de la filière, en évoquant successivement :

- le fait que la France occupe les tous premiers rangs mondiaux dans le secteur en demeurant, avec près de 2 millions de tonnes de volailles produites par an, le premier producteur européen et le cinquième exportateur mondial ;

- une baisse de la consommation demeurée modérée par rapport à d'autres pays européens, dont certains ont enregistré des baisses de 70 à 80 %, ainsi que de prévisions anticipant une nette hausse du marché de la volaille dans les années à venir ;

- l'excellence du réseau sanitaire français, qui a démontré sa capacité à dépister très rapidement les foyers d'infection et à les circonscrire efficacement, un seul élevage ayant été de ce fait contaminé. Il a cependant regretté que cet atout n'ait pas été davantage mis en avant dans la stratégie de communication concernant le virus, comme un élément propre à rassurer les consommateurs, mais aussi les partenaires commerciaux à l'export ;

- la volonté manifeste de la filière de s'organiser. Rappelant que le secteur avicole souffrait traditionnellement de l'absence d'interprofession générale, obligeant les syndicats représentatifs ou les interprofessions partielles à se mobiliser ponctuellement pour organiser des opérations n'ayant ni l'envergure, ni le soutien financier auxquels pourrait prétendre une véritable interprofession nationale, il a jugé que l'épidémie aviaire avait mis en lumière cette carence et semblait avoir incité les professionnels à tenter de se concerter ;

- l'expression en cours d'une solidarité communautaire. Convenant que l'Union européenne n'avait, pour l'instant, pris aucune mesure de soutien à la filière avicole, il a souligné qu'un assouplissement de sa position était vraisemblable suite au dernier Conseil agricole du 20 mars, sous la pression notamment de la France, laquelle avait appelé à des aides au stockage privé, à la réduction d'activité et à la destruction des stocks, ainsi qu'à un déplafonnement des aides nationales et à un cofinancement de l'étiquetage. Il a précisé que la commissaire européenne à l'agriculture, Mme Mariann Fischer-Boel, s'était engagée à présenter une proposition de règlement de gestion des crises conjoncturelles, ajoutant que la prochaine réunion du Conseil « agriculture et pêche », le 25 avril, serait sans doute l'objet d'annonces sur ces différents points ;

- les avantages comparatifs dont la filière française continue de bénéficier. Reconnaissant qu'il serait très difficile, voire impossible aux producteurs français de lutter sur la production de masse avec des concurrents dont les charges sont deux fois moindres, surtout après la suppression des restitutions à l'exportation, il a néanmoins jugé que notre pays pouvait s'imposer sur les marchés de gamme supérieure, en sachant valoriser des atouts tels que la qualité, le goût, l'origine, la traçabilité ou encore le respect de l'environnement et du bien-être animal, autant d'éléments pour lesquels les consommateurs, a-t-il estimé, seraient sans doute prêts à payer un peu plus cher.

Invitant ses collègues à engager la conversation sur le sujet, il a annoncé avoir déposé une question orale avec débat qui viendrait en séance le 12 avril.

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