Intervention de Irène Frachon

Mission commune d'information sur le Mediator — Réunion du 28 avril 2011 : 1ère réunion
Audition d'irène frachon praticien hospitalier au département de pneumologie du centre hospitalier universitaire de brest

Irène Frachon :

J'ai un lien d'intérêt comme investigateur pour les entreprises GSK, Bayer et United Therapeutics, un autre lien d'intérêt en participant bénévolement à des journées de formation auprès des entreprises GSK, Phaser et Actelion, et un troisième lien d'intérêt avec ces entreprises puisqu'elles prennent en charge mes frais pour la participation aux congrès et symposiums qu'elles organisent. J'ai aussi des liens d'intérêt avec l'éditeur de mon livre Mediator 150 mg. Combien de morts ? - je rétablis le sous-titre -, même si l'ensemble des droits d'auteur vont à des causes sociales. Mais les liens d'intérêts les plus forts que j'entretiens, c'est d'abord, comme médecin hospitalier, ceux que je noue avec tous mes patients, en particulier avec les victimes du Mediator et de l'Isoméride. Je pense en particulier - je dirai des prénoms - à Joëlle, à Nicole, à Yvon, à Monique, à Jacqueline, à Marcel, à Maurice et à tant d'autres, je pense aux cinq d'entre mes patients victimes qui y ont laissé leur vie, aux onze qui ont subi une opération à coeur ouvert, je pense à Josiane, cette patiente qui vient tout juste de m'envoyer un SMS pour me dire qu'elle était de nouveau hospitalisée pour une hémorragie et qui termine son message par ces mots : « Je suis à l'hôpital, un roman de souffrances ». J'ai entendu le président du Leem parler du temps de l'émotion - je crois effectivement que le temps de l'émotion et de l'empathie compte encore.

Je voudrais vous présenter deux courts extraits de documents édifiants. Le premier date de 1986, c'est un document intitulé : « Le médicament français ». On y lit Jacques Servier déplorer la « liquidation » d'une industrie de pointe, s'insurger contre la volonté, nouvelle à l'époque, de contrôler la qualité des médicaments déjà présents sur le marché, on l'y entend qualifier de « délire dirigiste » les projets de contrôler l'information médicale, au moment où, selon lui, la concurrence internationale a les mains libres pour agir par des « moyens variés » Ce genre de propos, je crois, nous fait deviner les pressions qui se sont exercées pour empêcher le contrôle des médicaments déjà présents, et mis sur le marché. Deuxième document, un documentaire audiovisuel de Mireille Dumas, de mars 1997, sur les risques des médicaments. A cette période, on sait déjà que l'exposition à l'Isoméride, qui connaît un grand essor aux Etats-Unis, fait courir un risque d'hypertension artérielle pulmonaire, mais pas encore qu'elle peut provoquer des valvulopathies, et Jacques Servier cherche à limiter l'impact des résultats des recherches américaines sur les ventes européennes d'Isoméride. Dans ce documentaire, on voit le Professeur Gérald Simonneau, à l'hôpital Antoine-Béclère, parler du lien entre les coupe-faim, l'hypertension artérielle pulmonaire et l'Isoméride. La veille de la diffusion, la chaîne de télévision a reçu la visite d'huissiers, venus par le service juridique de Servier pour une procédure de référé heure par heure afin d'empêcher la diffusion ; celle-ci a finalement eu lieu mais, comme on le voit sur l'extrait que je vous propose, chaque fois que le terme d'Isoméride est prononcé, il est gommé par un « bip » : en faisant pression, Servier est parvenu à empêcher la divulgation télévisée de faits pourtant établis.

Cet épisode m'évoque celui que j'ai connu lors de la diffusion de mon livre. La pression était telle que le juge a cru devoir raisonnable de faire effacer mon sous-titre « Combien de morts », craignant que ces termes n'emportent un risque de dénigrement d'un médicament qui était pourtant retiré du marché !

La crainte des procédures est un moyen important pour empêcher des signaux de pharmacovigilance. On peut censurer la parole d'un médecin à la télévision. J'ai également reçu des témoignages de victimes de l'Isoméride. Trois d'entre elles ont obtenu des dédommagements au bout de dix ans de procédure. Pour une maladie qui peut tuer en deux ans ...

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