Nous recevons les responsables du Leem (Les entreprises du médicament) : MM. Christian Lajoux, président, Philippe Lamoureux, directeur général, Mme Catherine Lassale, directeur des affaires scientifiques, et M. Jean de Roquette-Buisson, chargé de mission. Je précise que cette audition est ouverte à la presse sera enregistrée en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat.
L'industrie du médicament est une industrie de progrès et d'innovation. Grâce aux innovations thérapeutiques, nous avons amélioré la santé et le confort des patients.
Le Mediator est une histoire des années 70 qui s'est mal terminée en 2009. Depuis, les méthodes de recherche et de travail des industriels du médicament ainsi que les modes d'évaluation des agences sanitaires ont significativement évolué, particulièrement durant la dernière décennie. Pour autant, dès le début de cette affaire et prenant acte du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), nous nous sommes mis à l'entière disposition des autorités.
Conscients de la nécessité d'une vigilance renforcée à la mesure de la complexité grandissante des réponses thérapeutiques, nous sommes convaincus que le système français, s'il reste l'un des meilleurs en Europe, comporte des marges de progrès qui doivent s'inscrire dans un cadre européen. Pour nous, industriels de santé, la priorité est la sécurité sanitaire ; rien ne saurait nous en détourner. A l'invitation du ministre, le Leem, qui représente quelque 270 entreprises, participe aux Assises du médicament...
Conscients de nos responsabilités et de la nécessité de nous engager dans les travaux de reconstruction du système, nous avons suspendu le laboratoire Servier ; celui-ci a, ensuite, choisi de démissionner. D'autres entreprises pharmaceutiques n'adhèrent pas à notre groupement, mais elles sont rares.
Le Leem, disais-je, a formulé des propositions au sein des Assises du médicament ; d'autres sont à venir. L'idée est de fournir des contributions à mesure de l'évolution de la réflexion en restant à notre place, celle d'acteur du médicament. La semaine prochaine, nous remettrons probablement une synthèse sur les améliorations à apporter au système d'évaluation et à la gouvernance du médicament. Pour nous, l'essentiel est d'agir dans le cadre européen.
Pour reprendre vos termes, pourquoi cette histoire des années 1970, le Mediator, n'a-t-elle pas été détectée avant 2009 ? A votre avis, est-on à l'abri d'une nouvelle affaire ?
Peu probable ! A lire Le Figaro du 27 avril, c'est au tour de deux antidiabétiques d'être sur la sellette...
Existe-t-il des précédents à la suspension de Servier par le Leem ? Pourquoi cette décision ?
Un nouveau Mediator ? Notre souhait le plus cher, en tant qu'industriel, est que cette situation ne se reproduise pas. Peut-on parvenir au risque zéro ? Je ne le garantis pas. Notre devoir est de tout mettre en oeuvre pour un système garantissant une sécurité sanitaire maximale. Un médicament n'est jamais anodin ; plus il est complexe, plus l'évaluation du rapport entre bénéfices et risques est nécessaire. Si je ne peux pas m'engager sur le résultat, je m'engage, en tant qu'industriel, sur les moyens.
Ces dernières années, on note d'importantes évolutions dans le système européen d'évaluation du médicament. Tout d'abord, depuis 2002-2003, les études post-AMM.
Avec des résultats modestes ! Il y aurait, entend-on dire, beaucoup de résistances de la part des laboratoires...
Pas moins de 40 études sont terminées sur 180. Elles prennent, au bas mot, trois à quatre ans.
Sans compter les deux ans durant lesquels le laboratoire résiste à la demande d'étude...
Ce type d'études est récent et les protocoles ont été difficiles à mettre en place tant pour les industriels que pour les investigateurs. Aujourd'hui, les délais ne sont plus les mêmes qu'en 2002-2003. Il faut noter que les résultats de certaines études sont quelque peu décevants ; on ne peut pas en tirer de conclusions. Des progrès restent à faire en ce domaine...
D'après la Haute autorité de santé (la HAS), plus de la moitié de ces études post-AMM n'auraient pas reçu un début de commencement de réalisation. C'est d'autant plus inquiétant qu'elles ont débuté, avez-vous dit, en 2002, et non en 2004 comme je le pensais. Le président de la Commission de la transparence nous a indiqué, hier, qu'il peinait à obtenir la mise en place de ces protocoles.
La position du Leem est constante : lorsqu'une étude est demandée, les industriels doivent la réaliser. Quelques problèmes techniques, en particulier de méthodologie, subsistent ; d'où des difficultés, parfois, à trouver un accord entre industriels et investigateurs.
L'important, pour notre système d'évaluation du médicament, est l'existence de ces études post-AMM, de même que la transparence des essais cliniques, la publication des dons aux associations depuis 2009 - quatre-vingts de nos entreprises s'y plient déjà -, l'application de la « loi anti-cadeaux » et la charte de la visite médicale. Le Leem soutient ces initiatives.
Le diagnostic de la HAS sur la Charte de la visite médicale n'est guère positif...
Il n'est pas partagé... La Charte existe, la certification est en cours, on améliore l'information des visiteurs médicaux. Tout est parfait ? Cela n'est pas mon propos. En revanche, si chacun des acteurs du médicament s'engage à respecter le nouveau cadre législatif et réglementaire, nous avancerons.
A ma connaissance, la suspension de Servier n'a jamais eu de précédents, au moins formellement. Notre collectif n'est ni l'avocat ni le procureur de ce laboratoire. Nous ne pouvions pas placer celui-ci dans la position de participer à nos travaux quand il doit répondre, indépendamment de notre collectif, aux multiples questions qui lui sont posées sur le Mediator.
Le Leem peut-il s'engager à inviter ses membres à donner suite aux demandes d'études post-AMM ? Ensuite, concernant le post-AMM, faut-il privilégier les études comparatives contre médicament ou l'observationnel ?
Toute entreprise adhérant au Leem s'engage à respecter la législation. Ces études post-AMM, je le répète, posent essentiellement un problème méthodologique.
Nous travaillons avec les industriels et la HAS pour améliorer la faisabilité de ces études. Le protocole, la formation des investigateurs et la valorisation des résultats pourraient être améliorés.
C'est une question de temps. Pensez que les essais cliniques ont été encadrés par la loi Huriet de 1988. Le Leem, avec la volonté de favoriser ces études, participe aux réflexions sur une nouvelle méthodologie. Ces études sont variées : elles portent sur le suivi de prescription, l'impact sur la santé publique ou encore l'impact sur le système de soins. L'idéal est de comparer l'usage quotidien du médicament par rapport aux stratégies thérapeutiques en général. C'est donc un problème de méthodologie, et peut-être de coût. Les industriels doivent-ils prendre en charge cette comparaison des stratégies thérapeutiques ? Dans les années à venir, peut-être en viendrons-nous au système anglo-saxon de l'évaluation des technologies de santé. Ce serait une bonne chose.
Le financement de ces études par les laboratoires représenterait-il un obstacle ? Tout au moins, cette cause peut-elle expliquer le retard avec lequel les études sont réalisées ?
De manière exceptionnelle, seulement lorsque l'étude demandée est colossale au vu d'un faible chiffre d'affaires. La HAS vous l'a sûrement signalé. Point important, ces études sont réalisées par les cliniciens. Les industriels acceptent le financement des études pré-AMM, pourquoi en irait-il différemment pour les études post-AMM ? Ne les condamnons pas.
Ce n'était pas mon intention... Je cherchais seulement une explication au retard. Si la puissance publique finançait ces études, peut-être cela irait-il plus vite... Au reste, elle le fait parfois.
Le coût de l'étude n'est pas le facteur principal de retard, quoi qu'en disent les entreprises. Il entre en jeu seulement lorsque la méthodologie et l'objectif de l'étude n'ont pas été clarifiés. Au cours de ces dernières années, on a noté une réalisation accélérée de ces études. Quarante sont déjà réalisées !
Est-ce souhaitable de revenir à une réévaluation régulière des AMM ? D'après le professeur Alexandre, un changement d'indication d'un médicament par la commission d'AMM peut s'accompagner d'une dérogation pour 18 mois, période durant laquelle notices et conditionnements devenus inexacts sont écoulés. Est-ce encore exact ? Autrefois, une évaluation régulière tous les cinq ans était prévue. Faut-il y revenir ? Dans ce cas, nous devrions modifier la directive - si ma mémoire est bonne - de 2004. Comment faudrait-il s'y prendre à Bruxelles ?
La nouvelle législation pharmaceutique européenne, qui s'appliquera en juillet 2012, répond en partie à cette préoccupation. Certes, il n'existe plus de revue systématique des AMM. Celle-ci, pour les industriels, était fastidieuse et plutôt réglementaire. La nouvelle législation prévoit une réévaluation permanente centrée sur le rapport entre bénéfice et risque. Cette législation européenne résoudra les difficultés décrites dans Le Figaro. Souhaitons qu'elle soit transposée le plus tôt possible.
Apparemment, je n'ai pas la même lecture de la directive de 2010 sur la pharmacovigilance. A quelle partie de ce texte pensez-vous ? Celle sur les AMM conditionnelles ?
Je pense aux notifications des patients. Au reste, la France a un peu d'avance sur ce terrain...
peut-être, mais pas celle de l'industrie. Je pense également au traitement du signal avec une base européenne, ce qui a été anticipé avec la liste des 77 médicaments -tout médicament posant un problème de pharmacovigilance sera signalé comme tel sur la notice- et, enfin, la réévaluation permanente du rapport entre bénéfices et risques du médicament.
La précédente directive prévoyait une évaluation unique cinq ans après la mise sur le marché, ce qui constituait un retrait par rapport au système antérieur de réévaluation quinquennale. De ce point de vue, la nouvelle législation n'apporte pas d'améliorations notables. Selon moi, le seul changement qu'elle introduit concerne les AMM conditionnelles dont le seul but est d'autoriser une mise sur le marché plus rapide au terme d'une évaluation incomplète, sous réserve d'une éventuelle étude post-AMM. Je suis inquiet : n'est-ce pas ouvrir la boîte de Pandore ?
Il existe depuis 2004 un plan européen de gestion des risques. Lors de l'autorisation de mise sur le marché, on continue donc d'évaluer le rapport entre bénéfices et risques.
Faut-il conserver ce concept de rapport entre bénéfices et risques ou retenir celui de progrès thérapeutique ?
Les deux, l'un n'allant pas sans l'autre, surtout lorsqu'il est question de sécurité sanitaire.
La notion du rapport entre bénéfices et risques est indispensable. La difficulté réside dans le fait que ce rapport est aujourd'hui mal évalué. Qu'appelle-t-on bénéfice ? Il faudrait également se pencher sur l'acceptabilité sociale de ce rapport. Quant aux AMM conditionnelles, elles sont réservées à des situations particulières. Leur but est de répondre à un besoin thérapeutique spécifique. Seule l'Agence européenne les délivrera, elle réévaluera le produit tous les ans, demandera une étude en fonction de laquelle elle prendra une décision de suspension ou non. Ce système fast track fonctionne bien aux États-Unis. Pour preuve, une première décision de suspension a été prise. Il est plus sûr pour le patient que le système des autorisations temporaires d'utilisation (ATU).
Les AMM conditionnelles comme le système ATU sous le contrôle de l'Afssaps poursuivent le même but : répondre rapidement aux besoins des patients avec, toujours, le souci de limiter le risque. Dans ce cas, l'urgence est le soin.
Permettez-moi une question directe : que signifie la présence du Leem au sein de la Commission de la transparence ?
Elle participe de la transparence au sein de la Commission de la transparence.
Mme Lassale y représente, non un industriel, mais un collectif d'industriels, ce qui oblige à la neutralité. En outre, elle y joue un simple rôle d'observateur ; elle n'a jamais voté. D'ailleurs, on réfléchit actuellement à ouvrir ces réunions à un public plus large.
Votre présence au sein des commissions et des groupes de travail de l'Afssaps n'est, elle, prévue par aucune réglementation ; on comprend qu'elle ait suscité la critique. L'affaire du Mediator a clarifié cette situation. Comment s'est déroulé ce départ ? Êtes-vous partis de votre propre chef ou avez-vous répondu à la demande que la directrice-adjointe de l'Afssaps vous a adressée par courrier ?
Nous avons pris acte de la demande de la directrice-adjointe. L'affaire Mediator comporte plusieurs étapes : le temps de l'émotion, pour les patients et leurs familles, le temps de la réflexion, qui vise l'intérêt collectif ; enfin, le temps de l'expertise. Touchés par cette déflagration, nous n'avons pas voulu envenimer la situation et prendre des décisions qui n'auraient pas été audibles par l'opinion publique. Nous avons donc mis fin à cet usage, nous ne participons donc plus aux commissions auxquelles nous ne sommes pas invités.
Auparavant, vous alliez aux réunions auxquelles vous n'étiez pas invités. Autrement dit, vous étiez chez vous ! Cet usage faisait l'objet de critiques depuis 2001. J'en veux pour preuve le rapport commun de l'Inspection des finances et de l'Igas. A deux reprises, le directeur de l'Afssaps a été alerté et a dû rendre des comptes. La situation n'était pas claire.
Les industriels ne souhaitent pas une guerre de religions. Ils ne veulent pas de mettre de l'huile sur le feu. En revanche, permettez-moi d'insister : notre présence n'influençait en aucun cas les décisions de l'agence, nous y oeuvrions pour la transparence : notre représentant informait les industriels sur le fonctionnement de l'agence, faisait des remarques méthodologiques et donnait des informations sur les pratiques à l'étranger. Aucun membre permanent ne s'est jamais plaint de notre présence.
Quelle surprise !
Lorsque j'ai eu vent de cette information, j'ai mieux compris le rapport de l'Igas. L'Afssaps est effectivement « culturellement et structurellement en conflit d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique ». Votre présence au sein de cette agence est un symptôme, il y en a sans doute d'autres...
Notre présence était discrète, limitée à un simple rôle d'observation. Laisser penser que nous aurions joui du pouvoir d'orienter les décisions est fort mal connaître cette agence et l'engagement des membres permanents de ces commissions à accomplir leur tâche.
Notre mission est de contrôler et d'évaluer la politique du médicament. Nous voulons comprendre le mécanisme et proposer des solutions. Selon vous, faut-il réformer le système de financement des agences sanitaires par l'industrie pharmaceutique ? Si oui, comment faire en sorte que la France ne soit pas pénalisée par rapport aux autres pays européens ?
Le ministre a fait récemment des déclarations à ce sujet. Vous-a-t-il consulté ?
Non, ce qui était légitime. La proposition du ministre ne nous a pas heurtés. Que les taxes et impôts de l'industrie pharmaceutique financent d'autres budgets que celui de l'Afssaps ne pose aucune difficulté. Ces dernières années, elles constituaient la principale source financière de l'agence, tant la subvention de l'Etat avait diminué.
Exact ! Dans le dernier budget, soit au moment où l'on annonçait des réformes, elles représentaient même la totalité des ressources de l'agence.
La présence du Leem au sein de l'Afssaps s'explique par un souci de transparence, dont acte. La réciproque existait-elle : les représentants de l'Afssaps participaient-ils aux travaux du Leem ?
Les travaux de l'Alliance pour la recherche et l'innovation des industries de santé (l'Ariis) sont ouverts aux représentants de l'Afssaps...
Précisons que le Leem est, aux termes du décret de 1982, légalement membre de la commission de pharmacovigilance.
L'Ariis réunit les entreprises de santé et leurs syndicats. Son but est de promouvoir l'attractivité de notre territoire. Présidée par le professeur Teillac, elle est située à Boulogne.
Quelle part consacre l'industrie pharmaceutique française, d'une part, à la promotion, d'autre part, à la recherche ?
Question difficile : le cadre français est peu pertinent ; nos entreprises travaillent toutes à l'international. Ensuite, où s'arrête la promotion ? Cela dit, on considère que ces dépenses s'équivalaient ; aujourd'hui, les investissements dans la recherche augmentent. Jadis, les dépenses de promotion étaient plus importantes, cela n'est plus le cas aujourd'hui.
Pourtant, un certain laboratoire anglais ferme un centre de recherches...
Il faut envisager la situation de manière globale. Les investissements de recherche augmentent tandis que les dépenses de promotion baissent. Nous sommes confrontés à un phénomène de générification. Or les génériques sont proposés par les pharmaciens, non par les médecins. En France, le nombre de visiteurs médicaux est passé de 24 000 il y a trois ans à 18 000 aujourd'hui. Ce sont des chiffres tangibles, qui correspondent à des suppressions d'emplois.
D'après les statistiques de la HAS, le nombre de produits à ASMR 1 et ASMR 2 décroît. Tout le monde s'accorde à dire que la recherche s'essouffle. Dans le même temps, les laboratoires investissent moins. Je faisais allusion à Pfizer qui ferme son centre de recherches de Sandwich. « Pfizer n'a pas le choix », peut-on lire dans la revue Pharmaceutiques, « car il va falloir réaliser des économies pour satisfaire la communauté financière. » Peut-être y verrez-vous la marque de mon mauvais esprit et Pfizer est-il l'exception qui confirme la règle...
Mon rôle n'est pas de commenter la politique d'une entreprise. Le Leem est un collectif. Les investissements dans la recherche sont extrêmement lourds. Pour qu'un nouveau médicament apparaisse sur le marché, il faut huit, dix, voire douze ans. Entre-temps, les exigences des évaluateurs changent. Le ralentissement, indéniable, est lié aux efforts des industries pour trouver de nouvelles méthodologies adaptées à l'évolution des connaissances scientifiques et aux nouvelles pathologies. En moyenne, les industries de santé investissent 4 milliards d'euros par an dans la recherche. En France, recherches publique et privée collaborent davantage ; le rôle des études cliniques devient fondamental. Si la France a longtemps été un grand pays pour les études cliniques, on observe aujourd'hui un léger décrochage. Les flux se déplacent aujourd'hui vers d'autres parties du monde, notamment l'Asie qui considère l'innovation comme une priorité stratégique.
Donc, mon interprétation des récentes décisions de Pfizer est erronée, n'est-ce pas ?
Je ne la partage pas et, surtout, il n'est pas de mon ressort de m'exprimer à ce sujet. La revue Pharmaceutiques est un journal destiné aux professionnels.
Vous êtes sans aucun doute un observateur vigilant de la société...
Pour en revenir aux autres industries, celles-ci consacrent des efforts importants pour les médicaments orphelins et les études cliniques. On a dénombré une trentaine d'innovations thérapeutiques en 2010. La recherche n'en est donc pas au point zéro. En outre, l'évaluation repose sur les avis de la commission de la transparence, lesquels ne sont pas sans poser quelques interrogations.
Non, mais il peut être invalidé par l'appréciation portée dans d'autres parties du monde sur d'autres thérapeutiques, notamment chez nos voisins.
Quel est le pourcentage exact des investissements consacrés à la promotion et à la recherche ?
Je ne peux pas vous répondre. Le but des auditions est justement d'en savoir plus. Les chiffres qui circulent sont consternants.
Environ 12 à 13% pour la promotion et 15% pour la recherche. Pour autant, ces chiffres globaux ne veulent rien dire ; il faudrait les examiner entreprise par entreprise.
Je précise que le médicament est l'un des secteurs où l'on investit le plus dans la recherche.
Les enjeux de concurrence entre pays et continents ont-ils une influence sur l'obtention des AMM ? Pour exemple, l'industrie américaine a-t-elle des velléités sur les entreprises européennes ?
La concurrence est forte sans ce que cela n'ait d'incidence sur l'obtention ou non d'une AMM, y compris avec les pays émergents.
Les processus d'autorisation de mise sur le marché se ressemblent désormais d'un pays à l'autre, ce qui diffère c'est la prise en charge collective des médicaments, par leur remboursement. Cependant, la concurrence internationale est rude sur les biotechnologies, qui sont partout perçues comme un secteur d'avenir, actuellement en phase de recherche mais qui passera prochainement dans sa phase d'industrialisation. Il y a ainsi des motifs économiques pour investir dans le secteur, du fait des emplois liés, mais aussi politiques, car la maîtrise de ces technologies nouvelles deviendra une condition de l'autonomie en matière de santé, voire un facteur stratégique dans la diplomatie.
Vous vous êtes prononcé pour un Sunshine Act français. Cette publication des conflits d'intérêts vous semble-t-elle suffisante, ou faut-il qu'on aille plus loin, en interdisant aux experts travaillant pour l'industrie de participer aux instances de régulation ? Quel encadrement pour les relations entre les services de l'Etat et l'industrie pharmaceutique ?
Les liens d'intérêts sont un sujet important, la réglementation dont ils font l'objet est précise, mais elle n'a manifestement pas été bien appliquée. Notre position est très claire : toute personne travaillant pour l'industrie pharmaceutique ne doit pas être en position d'évaluer ni d'autoriser la mise sur le marché de ce médicament ou d'un médicament concurrent pour le compte d'une autorité de régulation. Nos règles suffisent-elles ? Nous le saurions mieux si elles étaient mieux appliquées. Lors des Assises du médicament, les industriels annonceront les mesures qu'ils entendent prendre pour améliorer la publicité des liens d'intérêts.
On imagine que la publication des liens d'intérêts suffit à empêcher les conflits d'intérêts, mais on découvre que c'est plus complexe.
Comme industriel, je suis favorable à ce que toute la transparence soit faite sur les liens d'intérêts. Cependant, la cloison ne saurait être complètement étanche entre l'industrie du médicament et les médecins. Ce qui compte, c'est de savoir en quelle qualité on s'exprime, et de l'énoncer clairement.
Nous demandons seulement que la cloison soit étanche entre l'industrie pharmaceutique et les autorités de santé.
Mais il faut qu'il y ait un dialogue entre les deux, c'est la démocratie.
Lors des auditions sur l'épisode de grippe H1N1, les représentants des laboratoires s'étaient déclarés favorables à l'instauration d'un mécanisme inspiré du Sunshine Act. Nous avons proposé d'aller plus loin, en incluant les autres professions médicales dans l'obligation de publier les liens d'intérêts, je pense en particulier aux infirmières, aux assistants médicaux. Il faudrait regarder aussi du côté des associations de patients, des sociétés savantes, qui doivent parfois leur existence et leur pérennité aux subsides des laboratoires. Quelle est votre position personnelle, à défaut de nous faire connaître celle du Leem ?
Le Leem est favorable à la mise en place d'un dispositif inspiré du Sunshine Act, qui ne saurait s'appliquer tel quel, en raison des différences avec la situation américaine.
Elles ne sont effectivement pas minces : les laboratoires, aux Etats-Unis, peuvent financer même les campagnes électorales, nous n'en sommes pas là...
Les industriels doivent aussi déclarer à la HAS leurs liens avec les associations de patients. Cette obligation est nouvelle, les entreprises ne l'ont pas toutes appliquée, mais le Leem les y incite et nous leur demandons aussi de veiller à ce que les associations de patients ou les sociétés savantes ne dépendent pas de leurs subventions.
Le seuil de dépendance est difficile à établir, surtout que les formes d'aides évoluent et que la loi n'est pas suffisamment claire en n'incluant pas toutes les aides indirectes que les industriels peuvent fournir, qu'il s'agisse de la mise à disposition de locaux, de prestations diverses...
Je vous l'accorde volontiers et c'est pourquoi nous sommes favorables à ce que les règles soient plus claires et à ce qu'elles garantissent qu'on sache en quelle qualité les acteurs s'expriment.
A peine 81 entreprises ont fait leur déclaration d'intérêts avec des associations de patients. C'est peu. Pensez-vous que des sanctions seraient utiles ? Vous pourriez me dire, cependant, que la menace de sanction ne représente pas toujours grand-chose, comme on l'a vu en cas de défaut d'études post-AMM...
Je crois que le dialogue est une vertu et que nous devons d'abord chercher à convaincre.
Le système allemand, différent du nôtre, fait reposer la politique de prix des médicaments sur les équivalents thérapeutiques : qu'en pensez-vous ?
Effectivement, le système allemand est différent, nous avons fait d'autres choix que les leurs et les industriels ont besoin de règles suffisamment stables pour investir. Nous avons fait le choix de promouvoir les génériques, en incitant les pharmaciens à les substituer aux princeps, tandis que la notion d'équivalent thérapeutique n'est pas bien définie. Ne compliquons donc pas les choses, alors que notre système fonctionne plutôt bien, puisque le médicament ne participe plus à la dégradation des comptes sociaux. Le médicament contribue même pour 1 milliard aux économies de la sécurité sociale, par an, alors même que l'activité ne progresse que très peu.
Le chiffre d'affaire progresse de 0,5 % pour les médicaments remboursables. C'est si faible, qu'on en vient à s'inquiéter pour l'attractivité économique de notre territoire.
Pour être tout comme vous, soucieux de l'accès des Français au progrès médical et de l'avenir des entreprises implantées en France, je regarde surtout vers l'avenir.
La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) s'est alarmée de pratiques visant à contourner la loi « anti-cadeaux », qui a interdit aux laboratoires d'offrir des « petits cadeaux » aux médecins sous quelque forme que ce soit. Les frais de séjour des épouses et des assistants des médecins seraient pris en charge pendant des congrès, certains symposiums ne serviraient que de prétextes à des séjours touristiques, des médecins seraient invités à des rencontres gastronomiques ou à des événements sportifs sous couvert de réunions de travail... Avez-vous eu connaissance de telles pratiques frauduleuses, et si oui, qu'envisagez-vous pour les faire cesser ?
Je n'ai pas connaissance de telles pratiques, que je condamne et que la DGCCRF doit poursuivre, si elles sont avérées. Ces pratiques ont pu exister par le passé, mais elles sont révolues depuis bien longtemps déjà et le Leem appelle au strict respect des lois.
Nous ne parlons pas des dispositifs médicaux ni des produits thérapeutiques annexes (PTA), alors que, dans notre rapport sur le Vioxx, nous avions déjà noté leur importance pour la sécurité sanitaire. Qu'en pensez-vous ?
Les laboratoires se soucient au premier chef de la sécurité sanitaire des patients. Un projet d'accord est en cours, sur l'évaluation de ces dispositifs et nous ne partons pas de rien puisque la réglementation est déjà conséquente.
Nous avons cherché à la renforcer dans le cadre de la loi Fourcade, en particulier les règles de transparence et celles relatives à la provenance des dispositifs médicaux, mais l'impression demeure d'un déséquilibre entre une politique du médicament très réglementée, et un certain vide sur le reste.
Les douze organisations professionnelles regroupées dans la fédération française des industries de santé (Fefis), dont je me trouve être aussi le président, se soucient éminemment de la sécurité sanitaire des dispositifs médicaux et de la fiabilité des produits mis sur le marché.
Avec l'usage des biotechnologies, les dispositifs médicaux et les PTA seront appelés à prendre toujours plus d'importance dans les traitements médicaux. C'est pourquoi, en amont, nous recherchons déjà des biomarqueurs communs et des modes d'évaluation, qui puissent s'intégrer à un dispositif d'évaluation élargi. Cependant, il est vrai que les standards diffèrent encore, y compris à l'échelon européen, entre le médicament, les dispositifs médicaux et les PTA.
Vous vous étiez engagés à faire la transparence sur les études pré-AMM, la loi de 2004 en a fait une obligation. Comment les choses se passent-elles concrètement ? Les résultats des études sont-ils publiés ? A quel moment précis, par rapport à l'AMM ?
C'est l'Afssaps qui en est responsable, le Leem n'a qu'une faculté d'accompagnement et nous nous y employons pleinement. La loi date effectivement de 2004, mais c'est un arrêté de décembre 2009 qui a défini les modalités de publication de ces études, dans le cadre d'un registre géré par l'Afssaps. La France est ainsi devenue le premier pays européen à publier ces études pré-AMM, les institutions européennes suivent. L'Afssaps reçoit des industriels les résultats des études et les publie sans délai. Echappent à cette obligation les études de première administration à l'homme et de phase 1, essentielles au secret de fabrication, et, pour les études dont la publication est prévue dans une revue scientifique, l'Afssaps procède à l'inscription au registre seulement dans l'année qui suit la publication scientifique.
La publication intervient dès la phase 2, c'est un grand progrès que l'on doit aux actionnaires, les institutions européennes prennent notre dispositif en exemple.
Tous les essais sont-ils publiés ? Quid de ceux qui ne sont pas favorables au médicament ?
L'Afssaps se contente de publier, sans intervenir sur les contenus. Et la mise sur le marché dépendant de l'autorisation que l'Afssaps délivre, le processus relie nécessairement l'étude et l'AMM.
En particulier des taxes sur l'emploi : l'Etat dit encourager à la création d'emplois, mais nous taxe davantage quand nous en créons...
Ce n'est pas la taxe sur l'emploi, cependant, qui a désarmé les laboratoires pour leur promotion commerciale !
Le nombre de visiteurs médicaux est passé de 24 000 en 2008 à 18 000 aujourd'hui, et nous nous orientons vers 14 000, et ce repli est dû à la promotion des génériques, plutôt qu'à la taxe sur l'emploi.
Quelle réforme pensez-vous qu'il serait utile de faire sur les visites médicales ?
Les visites médicales ont été profondément réformées depuis 2004, avec la certification, une charte et un bien meilleur encadrement. De fait, le métier de visiteur médical a considérablement changé et, s'ils ont été désignés par la vindicte populaire, ils exercent leur métier dans des conditions désormais très encadré. La mission du visiteur médical, du reste, n'est pas seulement de promotion, mais aussi d'information. Les deux tiers des effets de pharmacovigilance remontent par les visiteurs médicaux, il faut en tenir compte. Le contenu de la relation avec le médecin a profondément changé : les visiteurs informent davantage, des médecins sont devenus plus exigeants et plus sensibles qu'avant aux aspects économiques.
Êtes-vous d'accord pour dire qu'une entreprise ne saurait informer sur ses produits sans en faire la promotion ?
Je crois qu'on gagnerait à bien identifier les deux fonctions, que les visiteurs médicaux assument dans les faits. Les professionnels de santé manquent d'information, les visiteurs médicaux leur sont utiles.
Vous avez qualifié l'affaire du Mediator de crise médiatique, alors que nous y voyons plutôt la crise d'un système censé contrôler la mise sur le marché des médicaments. J'observe que la presse médicale a mis plus de temps que la presse généraliste à informer sur le Mediator, comme cela s'était passé pour l'affaire du sang contaminé. Le Leem a signé une charte de bonnes pratiques avec le syndicat national de la presse médicale : cette charte est-elle appliquée ? Comment vous en assurez-vous ?
Le Leem n'a pas pratiqué une politique d'évitement sur l'affaire du Mediator, nous nous sommes mobilisés avant même que l'Igas ne rende son rapport. Nous n'avons pas été audibles, parce que les médias, dans cette crise, n'étaient pas enclins à entendre le point de vue de l'industrie pharmaceutique : nous ne pouvons que le constater.
Je compte d'autant plus assurer l'application de cette charte, que je l'ai signée moi-même. La presse médicale est confrontée à des difficultés financières, liée notamment à la diffusion des génériques. La presse de formation est dans une situation meilleure, semble-t-il, que la presse d'information. La charte est utile et les industriels ont d'autant plus intérêt à adopter des positions cohérentes, qu'ils sont peu audibles dans les crises telles que celle que nous traversons.
Nous avons pourtant de quoi douter que cette charte soit appliquée ! Elle précise en particulier que les entreprises du médicament développent avec la presse des relations toujours distinctes des relations commerciales, que leurs échanges ne doivent jamais donner lieu à des échanges commerciaux susceptibles de peser sur l'indépendance éditoriale de la presse. Des cas nous ont été cités, en particulier par Mme Virginie Bagouet, où la réalité est encore très différente ! Un rappel à l'ordre s'impose...
Dès avant l'affaire du Mediator, la réflexion avait été lancée d'une autorégulation.
Avant de finir, je tiens à vous dire combien je déplore le faible engagement, pour ne pas dire le désengagement des laboratoires privés vis-à-vis des recherches sur les cellules souches autres qu'embryonnaires, en particulier les cellules issues du cordon ombilical. La France était pionnière en la matière, nous avions de l'avance avec le professeur Éliane Gluckman et le professeur Gorin, mais lorsque les industriels organisent un colloque sur les cellules souches, on ne nous parle que des cellules souches embryonnaires ! C'est incompréhensible.
Nous avons mis l'accent sur les cellules souches embryonnaires, parce que c'est là que la réglementation française freine la recherche, avec un risque pour la compétitivité de notre industrie : pour les autres cellules souches, la recherche est moins contrainte.
Nous auditionnons Mme Irène Frachon, pneumologue médecin hospitalier dont les recherches ont été déterminantes pour le retrait du Mediator. Cette audition, madame, est enregistrée et pourra être diffusée sur la chaîne Public Sénat. En application de la réglementation, je vous prie de bien vouloir faire connaître à la mission les liens d'intérêts que vous avez avec l'industrie pharmaceutique.
J'ai un lien d'intérêt comme investigateur pour les entreprises GSK, Bayer et United Therapeutics, un autre lien d'intérêt en participant bénévolement à des journées de formation auprès des entreprises GSK, Phaser et Actelion, et un troisième lien d'intérêt avec ces entreprises puisqu'elles prennent en charge mes frais pour la participation aux congrès et symposiums qu'elles organisent. J'ai aussi des liens d'intérêt avec l'éditeur de mon livre Mediator 150 mg. Combien de morts ? - je rétablis le sous-titre -, même si l'ensemble des droits d'auteur vont à des causes sociales. Mais les liens d'intérêts les plus forts que j'entretiens, c'est d'abord, comme médecin hospitalier, ceux que je noue avec tous mes patients, en particulier avec les victimes du Mediator et de l'Isoméride. Je pense en particulier - je dirai des prénoms - à Joëlle, à Nicole, à Yvon, à Monique, à Jacqueline, à Marcel, à Maurice et à tant d'autres, je pense aux cinq d'entre mes patients victimes qui y ont laissé leur vie, aux onze qui ont subi une opération à coeur ouvert, je pense à Josiane, cette patiente qui vient tout juste de m'envoyer un SMS pour me dire qu'elle était de nouveau hospitalisée pour une hémorragie et qui termine son message par ces mots : « Je suis à l'hôpital, un roman de souffrances ». J'ai entendu le président du Leem parler du temps de l'émotion - je crois effectivement que le temps de l'émotion et de l'empathie compte encore.
Je voudrais vous présenter deux courts extraits de documents édifiants. Le premier date de 1986, c'est un document intitulé : « Le médicament français ». On y lit Jacques Servier déplorer la « liquidation » d'une industrie de pointe, s'insurger contre la volonté, nouvelle à l'époque, de contrôler la qualité des médicaments déjà présents sur le marché, on l'y entend qualifier de « délire dirigiste » les projets de contrôler l'information médicale, au moment où, selon lui, la concurrence internationale a les mains libres pour agir par des « moyens variés » Ce genre de propos, je crois, nous fait deviner les pressions qui se sont exercées pour empêcher le contrôle des médicaments déjà présents, et mis sur le marché. Deuxième document, un documentaire audiovisuel de Mireille Dumas, de mars 1997, sur les risques des médicaments. A cette période, on sait déjà que l'exposition à l'Isoméride, qui connaît un grand essor aux Etats-Unis, fait courir un risque d'hypertension artérielle pulmonaire, mais pas encore qu'elle peut provoquer des valvulopathies, et Jacques Servier cherche à limiter l'impact des résultats des recherches américaines sur les ventes européennes d'Isoméride. Dans ce documentaire, on voit le Professeur Gérald Simonneau, à l'hôpital Antoine-Béclère, parler du lien entre les coupe-faim, l'hypertension artérielle pulmonaire et l'Isoméride. La veille de la diffusion, la chaîne de télévision a reçu la visite d'huissiers, venus par le service juridique de Servier pour une procédure de référé heure par heure afin d'empêcher la diffusion ; celle-ci a finalement eu lieu mais, comme on le voit sur l'extrait que je vous propose, chaque fois que le terme d'Isoméride est prononcé, il est gommé par un « bip » : en faisant pression, Servier est parvenu à empêcher la divulgation télévisée de faits pourtant établis.
Cet épisode m'évoque celui que j'ai connu lors de la diffusion de mon livre. La pression était telle que le juge a cru devoir raisonnable de faire effacer mon sous-titre « Combien de morts », craignant que ces termes n'emportent un risque de dénigrement d'un médicament qui était pourtant retiré du marché !
La crainte des procédures est un moyen important pour empêcher des signaux de pharmacovigilance. On peut censurer la parole d'un médecin à la télévision. J'ai également reçu des témoignages de victimes de l'Isoméride. Trois d'entre elles ont obtenu des dédommagements au bout de dix ans de procédure. Pour une maladie qui peut tuer en deux ans ...
Certaines ont préféré un mauvais arrangement à un mauvais procès et ont échangé leur liberté de parole contre un dédommagement. C'est aussi le docteur Georges Chiche, constatant en 1999 une insuffisance aortique évocatrice d'un lien avec le Mediator, faisant une déclaration de pharmacovigilance et qui est appelé par des représentants du laboratoire, un élu local, un médecin...
J'ai été frappée de ce qu'a dit le docteur Jean-Philippe Seta sur le lien entre valvulopathie et Mediator : selon lui, le cas marseillais n'était pas imputable au médicament mais à un infarctus. Ce cas ne figurerait pas dans sa base. J'ai pourtant la fiche.
On nous a dit en Italie qu'il y avait des doutes sur le cas de Marseille, et pour le professeur Alexandre, que nous avons entendu avant-hier, c'était plausible.
La valve n'étant pas mitrale mais aortique, ce ne pouvait être lié à un infarctus. A l'époque, cela avait été considéré comme plausible. Le médecin de la pharmacovigilance a rencontré le cardiologue avec un représentant des laboratoires Servier, qui avait tous les documents : le médecin déclarant était sûr de son fait.
Le professeur Derumeaux conteste l'imputabilité de cette insuffisance aortique au Mediator.
Mme Derumeaux dont j'ai lu l'audition n'a peut-être pas eu le détail des constats. Nous n'avons pas écrit dans l'European Journal of Respiratory Deseases qu'il n'y avait pas de signal significatif sur le Mediator. Le professeur Seta a commenté l'étude de cas-témoins de Brest en disant que le résultat était bizarre alors que les 4,5 % de cas inexpliqués que nous identifions se situent dans la moyenne. Son interprétation est inexacte.
Les pressions sont importantes pour notre sujet. Elles peuvent conduire à une censure, voire une autocensure des médecins. Un cardiologue m'a dit avoir rédigé en 2004 un mémoire de fin de spécialisation sur le Mediator, qui n'a pas été publié parce que son patron estimait qu'il ne pouvait pas lancer un tel pavé dans la mare sans plus de preuve. Un spécialiste de l'Afssaps m'a fait part des difficultés considérables d'un collège qui dénonçait les effets indésirables d'un médicament des laboratoires Servier. La crainte d'un recours procédurier peut bel et bien constituer un obstacle : on l'a vu avec le Ketum, et cela explique la frilosité des autorités de santé.
Quand nous signalons des effets indésirables, les firmes insistent pour que nous leur donnions des précisions. Or, dans le cas du Mediator, je n'ai pas eu de nouvelles ni de retours des laboratoires Servier. Ce n'est que cinq mois après le retrait du médicament que j'ai reçu un mail du laboratoire me demandant les comptes rendus d'hospitalisation, que le secret médical m'interdisait de transmettre tels quels. S'agissait-il de préparer un futur procès ?
Quand notre sous-titre a été censuré, l'avocat du laboratoire a expliqué qu'avec le Mediator il ne s'agissait ni d'un anorexique ni d'une amphétamine, que la molécule, le benfluorex, était différente de la fenfluramine. J'avais montré la nature de la molécule à partir d'un document issu des laboratoires Servier, que l'avocat a écarté comme de provenance inconnue avant d'expliquer qu'il n'y avait pas d'étude d'imputabilité pour des atteintes vasculaires. On peut gagner des procès avec des affirmations inexactes...
En juin 2010, Jean Marimbert a déclaré dans Metro que si l'on avait suspendu le Mediator en 2007 ou 2008, les laboratoires Servier auraient contre-attaqué et obtenu gain de cause. Certaines décisions négatives de l'Afssaps ont été contestées et désavouées ...
Ces décisions négatives sont peu nombreuses : c'est l'exception qui confirme la règle... les responsables de l'Afssaps l'ont confirmé.
La suspension du Ketum, un gel qui brûle en cas d'exposition au soleil, a été tardive, et le Conseil d'Etat a estimé que la décision de retrait comportait un risque pour le chiffre d'affaires du laboratoire, et cela sur la base d'informations fausses. Le directeur général du laboratoire l'a reconnu dans le Télégramme de Brest, « le Ketum ne représente que 3 % de notre chiffre d'affaires, mais il a fallu user de cet artifice pour avoir accès au référé, sinon le produit était mort ». L'un des vice-présidents de la commission d'autorisation de mise sur le marché nous avait prévenus des difficultés suscitées par les recours. Cela m'effraie car pour l'Isomeride, les laboratoires Servier ont exercé des recours jusqu'en 2004...
Je m'interroge sur l'impact de ces recours sur la sérénité des décisions.
J'en viens à la presse. Le quotidien du médecin a publié en juin 2010 un encart des laboratoires Servier disant qu'à ce jour, on n'avait établi aucun lien entre le Mediator et le valvulopathie cardiaque, et ce fut la seule information présentée aux généralistes... M. Marimbert nous a dit que le produit avait été suspendu, sans que les malades soient prévenus. Après mon livre, les experts de l'Afssaps étaient fâchés et leurs critiques ont circulé par mails, des salariés des laboratoires Servier en recevant copie.
Le président et le vice-président de la commission d'autorisation de mise sur le marché ont reconnu les faits. Mme Nancy Claude avait un lien avec un membre de cette commission...
qui est traversée de beaucoup de conflits d'intérêts. Grâce à la presse, puis à Gérard Bapt, l'affaire est allée à son terme. Cela m'a épargné des ennuis.
On a cherché à me punir. Le conseil de l'ordre a été interrogé, la direction de mon hôpital a été prévenue.
Bien sûr. Heureusement, je l'avais prévenue et elle m'a fait confiance.
Je le crois sincère... En réalité, de telles situations peuvent révéler des liens et des comportements dont on n'avait pas conscience, comme cela a été le cas lorsque certains envoyaient copie des mails me concernant, ce qui pose un problème de confidentialité.
Toutes ces pressions expliquent la difficulté que l'on rencontre à publier nos études. Le Journal de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique a refusé notre article.
Société dont le trésorier est M. Schiavi, un cadre des laboratoires Servier...
Si j'ignore qui en est président, j'ai relevé les liens d'intérêt de l'éditeur avec les laboratoires Servier. Je me suis également interrogée à l'occasion du congrès européen de cardiologie qui s'est tenu en août 2010...
Nous avions soumis plusieurs abstracts décrivant les lésions des fameuses valvulopathies au Mediator ; ils ont tous été refusés. Bien sûr, il existe un processus de validation scientifique de ces décisions, mais l'on ne voit peut-être pas d'un bon oeil nos critiques quand les laboratoires Servier apparaissent en tête de liste des sponsors. La Société française de cardiologie était présente au même congrès : sa newsletter affichait en toute transparence le soutien des laboratoires Servier. Nos critiques étaient-elles trop nombreuses ? L'article a été finalement publié en anglais dans une revue internationale de bon niveau, dont l'éditeur est canadien.
Il est vrai que, menée par les laboratoires Servier, l'étude Regulate sur les effets secondaires du Mediator a été saluée par les cardiologues.
Elle a mis dix ans pour sortir ! Les journaux s'adressant aux cardiologues ont souligné qu'il n'était pas question de mettre en cause le laboratoire qui l'a rendu publique.
Mme Derumeaux a bien raconté comment elle avait procédé à son étude échographique. Le médicament concurrent était la glitazone, et l'étude portait sur la fonction ventriculaire. Au courant du cas espagnol, Mme Derumeaux avait demandé qu'on étudie aussi les valvulopathies, à l'exception des triviales. En mars avril 2009, comme j'étais très préoccupée par la toxicité du Mediator, j'ai interrogé Gérald Simonneau, qui anime un réseau français sur hypertension artérielle pulmonaire. Jean-François Cordier, professeur de pneumologie à Lyon a communiqué le mail à tous ses collègues lyonnais, dont Philippe Moulin, investigateur principal de Regulate. Celui-ci a immédiatement écrit à Jean-François Cordier car il était d'autant plus intéressé que les laboratoires Servier considéraient en 2008 qu'à l'exception du cas espagnol, tout était très calme. Mme Derumeaux m'a adressé des responsables de cardiologie et a fait prendre en compte dans l'étude les valvulopathies triviales. L'Afssaps, mise au courant, a exigé le résultat en septembre - et il faudrait mettre sa publication au crédit des laboratoires Servier.
Sans se mettre à la place de la police ou de la justice, l'on doit constater qu'il y a eu des informations inexactes qui ont été diffusées, et que des pressions ont occulté des signaux de pharmacovigilance, ce qui choque le médecin que je suis.
Je vous en parlé et Virginie Bagouet les a décrites. J'en ai eu d'autres échos, qu'il s'agisse du Panorama du médecin ou d'un journaliste comme Eric Giacometti. Des amis grands reporters de la grande presse m'ont mise en garde sur les risques que me faisait courir le livre, même si les faits étaient parfaitement établis. Fallait-il parler ou se taire ? Outre la réaction des autorités, l'on constate que des acteurs très engagés ont du mal à prendre leurs distances par rapport à une industrie qui subventionne la recherche, les bourses accordées aux étudiants, les organisations, ainsi la Société française de pharmacologie a beaucoup hésité à refuser de participer à un symposium de Servier car la pharmacologie fondamentale a besoin de ses subventions pour les bourses des étudiants - le prix Servier attribué à un jeune pharmacologue clinicien atteint 3 500 euros.
Toutes les sociétés savantes ne sont donc pas indépendantes de l'industrie pharmaceutique ?
Elles le disent, tout le monde le sait très bien. Que faire ? Dans Le Cardiologue, un syndicat de cardiologie a publié en mars 2011 un éditorial annonçant que rien ne serait plus comme avant, que le « tsunami médiatique » provoqué par le Mediator avait modifié les approches. Mais comment modifier l'approche des conflits d'intérêts ? Une newsletter du même syndicat, publiée en 2010 à l'occasion d'un congrès aux États-Unis, consacrait un article à l'Ivabradine, des laboratoires Servier, dont il n'était pas question dans le congrès, et un mois après l'éditorial, à l'occasion d'un autre congrès américain, une autre newsletter faisait l'éloge de cette molécule.
Les institutions de recherche ne savent guère comment se passer des laboratoires. Il est cependant possible de résister. Une société savante de pathologie vasculaire a annulé sa participation à une journée organisée par Biogaran, une filiale des laboratoires Servier, qui avait refusé de séparer le message publicitaire du message scientifique.
Cela signifie qu'organiser une autre réunion sera difficile...
Nous sommes tous bouleversés par ces dossiers, de même que nous le sommes lorsqu'une employée du groupe Servier nous dit qu'un commerçant refuse de la servir en la traitant de « tueuse ». Nous ressentons beaucoup d'émotion. Notre mission, qui est explosive, est d'évaluation et de contrôle, nous ne sommes pas un tribunal.
J'observe qu'un laboratoire n'a aucun moyen légal pour s'opposer à un signalement de pharmacovigilance. Les pressions sont-elles exclusivement le fait des laboratoires Servier, ou bien d'autres laboratoires agissent-ils de la même manière ?
Je vous ai parlé du Ketum, ce gel pour lequel un autre laboratoire a exercé des pressions. Généralement, lorsqu'un effet secondaire est signalé, les laboratoires demandent des précisions et assurent un excellent travail de pharmacovigilance. J'ai mieux compris lorsque Jacques Servier a jugé saugrenu de revenir sur des médicaments sur le marché depuis trente ans.
La pression sur les victimes passe aussi par la durée de la procédure, sa violence pour des malades. Le distilbène a donné lieu à un combat sans fin face à un autre laboratoire. La méthode employée à l'égard des victimes était très proche. La victime d'un anti-parkinsonien de GSK provoquant une libido exacerbée...
et des comportements gênants a gagné en première instance, mais le laboratoire a fait appel : la procédure peut s'éterniser.
Quant aux praticiens, encore faudrait-il qu'ils puissent faire appel à un médiateur. M. Chiche aurait été content de pouvoir le faire.
D'un côté, une victime est confrontée à une interminable procédure, de l'autre, les autorités de santé sont intimidées, les professeurs Lucien Abenhaim et Didier Tabuteau ont fait état d'une ambiance stressante.
Pensez-vous que le Mediator aurait dû être interdit dans les années 90, comme l'a assuré l'Igas, ou en 2003, comme le dit le professeur Alexandre ?
En 1997, par précaution, en même temps que sa famille, les fenfluramines.
Le professeur Christophe Acar a mis en cause votre étude et relevé des biais méthodologiques importants ainsi qu'une analyse peu rigoureuse de la cohorte des patients décédés.
Il vise non mon étude de cas-témoins de Brest, mais celle de la Caisse nationale d'assurance maladie, qui a évalué un nombre de victimes. Les critiques du professeur Acar concernent seulement le décompte des décès.
Il s'agit de quelques mots dans un mail. Je n'en ai pas débattu avec elle. Notre pourcentage de valvulopathies inexpliquées dues à l'exposition au Mediator (70 %) la choque car le professeur Christophe Tribouilloy a trouvé un chiffre de 40 %. Notre résultat m'avait interpellée, puis j'ai pensé aux 80 % de cancers du poumon qu'on explique aujourd'hui par le tabac, alors que ce pourcentage avait été contesté en son temps. Je pense qu'il en est de même et que le Mediator explique une large part des valvulopathies inexpliquées. J'ai parlé dans mon livre d'un « éléphant rose dans un couloir » ; en fait, chaque cardiologue voit peu de cas et ils sont dispersés dans le temps. Quant aux biais, je me suis appuyée sur la méthodologie du professeur Le Gal. Les problèmes se posent quand les différences sont faibles mais, dans notre cas, les différences sont énormes, si bien que les biais ont moins d'importance.
La mission est appelée à formuler des propositions concernant la politique du médicament. Lesquelles lui suggèreriez-vous ?
Je n'ai pas de compétence sur l'organisation de l'Afssaps, en revanche, j'ai été choquée de constater que le Conseil d'Etat puisse invalider une décision de santé publique afin de préserver les intérêts d'un industriel. La protection de la santé publique est-elle sur le même pied, ne devrait-on pas lui donner la prééminence ?
C'est aussi notre interrogation. Peut-on retirer du marché un médicament qui a de graves effets indésirables ? Certains nous répondent que ce n'est pas possible, le professeur Bernard Bégaud pense le contraire. J'ignore si cela peut se traduire par une réglementation ; cela relève plutôt de la pratique des experts, qui doivent privilégier l'intérêt des patients.
Les études post-AMM, quand elles sont effectuées, donnent parfois des résultats scientifiques douteux. L'on pense aussi au Vioxx, et à l'inadaptation souvent constatée entre les normes pastoriennes qui décident de l'AMM et l'usage des médicaments contre des pathologies chroniques qui s'étalent dans le temps et touchent une large population.
L'Actos n'est pas de mon domaine de compétence ; j'ai pourtant été alerté par l'Afssaps par lettre et par mail des effets de la pioglitazone. Une telle démarche, si elle avait été engagée, aurait changé le cours de l'usage du Mediator. La transmission de l'information est-elle de nature à inquiéter ? Parlons aussi des bénéfices et des risques des médicaments sans infantiliser les patients. On peut prendre un risque raisonnable, en surveillant les effets d'un produit.
Ne trouvez-vous pas étonnant qu'on mette sous surveillance un médicament à SMR 5, donc sans intérêt, plutôt que le retirer du marché ?
Je comprends l'argument mais il y a des cas plus complexes.
L'hypertension artérielle pulmonaire est-elle si facile à soigner ? Les médecins varient, les prescriptions aussi : vous aussi, vous procédez à des essais.
Il faut pouvoir partager l'incertitude. Cela peut constituer un choc pour les patients de constater que les médecins doutent. Je parle de confiance éclairée par rapport à la confiance aveugle. Le médecin doit expliquer les effets d'un médicament.
Faut-il le dire aux gens ? Il y a là une carte à jouer en signalant les effets secondaires de médicaments, car les Français sont les plus grands consommateurs de médicaments au monde. Les laboratoires, qui ont intérêt à vendre, n'y sont pas favorables, naturellement.
C'est dès l'école qu'il faut former à la santé. On insiste beaucoup sur la nutrition, un regard critique sur les dangers éventuels des médicaments serait bienvenu.
Le remboursement des médicaments n'est pas indifférent. Le vétérinaire que j'ai été sait que les médicaments vétérinaires, n'étant pas remboursés, sont mieux surveillés... Quand une vache meurt, on regrette l'argent dépensé ... Le remboursement par la sécurité sociale peut gêner l'apprentissage du risque.
Il suffit de présenter sa carte Vitale pour repartir avec un sac plein de médicaments...
que le médecin a prescrits. Sa responsabilité est première, même si certains médicaments sont demandés par le patient et en quelque sorte coprescrits.
Ce fut le cas avec le Mediator. Des généralistes m'ont dit qu'ils avaient pensé aider des malades en surpoids en prescrivant un médicament sans risque.
Ma deuxième suggestion concerne les lanceurs d'alerte. Il faut une autorité.
Les victimes, enfin. Quel déséquilibre énorme entre la puissance des industriels et l'impossibilité pour les victimes de former un contrepoids ! L'Isoméride a eu un coût élevé aux États-Unis pour les laboratoires, pas en France. On agit dans l'urgence de l'événement, on improvise un comité de suivi sans fonds, sans budget. Il y a eu d'autres affaires que le Mediator et il y en aura encore. Ne pourrait-on accomplir quelques progrès en anticipant ?
Sans être juriste, je constate que le contrepoids est actuellement inexistant, et que le rapport de forces est très défavorable aux victimes.
J'ai, pour ma part, été soutenue par mon directeur d'hôpital. En revanche, des universitaires ont des engagements avec les industriels. Je ne voudrais pas que le professeur Grégoire Le Gal, qui est brillant, ait souffert dans cette affaire. Il a réuni des collègues pour présenter un projet à l'occasion du grand emprunt. Son projet a été refusé par un jury international composé d'universitaires - à l'exception des deux Français, l'un représentant les laboratoires Servier, l'autre Sanofi Aventis. Cela m'a troublé et Gérard Bapt s'en est ému mais Mme Pécresse nous a rassurés : « la composition du jury reflète la complémentarité des compétences ». Reste que les deux représentants français n'étaient pas présentés comme universitaires et que ce n'était le cas que d'une seule autre personne, un Américain.