Intervention de Jean-Pierre Bel

Réunion du 3 octobre 2006 à 16h15
Adhésion de la bulgarie et de la roumanie à l'union européenne — Adoption d'un projet de loi

Photo de Jean-Pierre BelJean-Pierre Bel :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chacun ici s'accorde à souligner la proximité de la France avec les deux pays concernés par ce traité d'adhésion. Je veux à mon tour me féliciter de voir des liens autrefois si étroits se resserrer avec des pays, notamment la Roumanie, dont l'histoire a croisé souvent la nôtre.

Trente millions de nouveaux citoyens rejoignent l'Union européenne, qui achève ainsi un processus né de la chute du mur de Berlin en 1989, celui de la réunification de notre continent, processus mis en oeuvre par le Conseil européen de Copenhague en 1993.

La sévérité des appréciations portées par la Commission européenne dans son rapport du 26 septembre 2006 et le feu vert qui a néanmoins été donné sous haute surveillance nous imposent ainsi des devoirs particuliers : celui de réussir cet élargissement et l'intégration de ces nouveaux membres, tout en dénonçant les problèmes que rencontrent ces pays. En effet, malgré des progrès significatifs, la corruption, le crime organisé et le blanchiment d'argent constituent le talon d'Achille de ces États, notamment de la Bulgarie.

Dans le même temps, les clauses de sauvegarde seront les mêmes que celles qui avaient été prévues pour les dix nouveaux États membres. La Commission européenne estime toutefois que l'Union doit se réserver le droit de suspendre l'application de certaines politiques européennes aux deux pays si, après leur entrée dans l'Union, ceux-ci ne prennent pas les mesures nécessaires dans les domaines où de graves défaillances auront été constatées. Un mécanisme inédit de surveillance des réformes est même instauré dans trois domaines essentiels : la justice, la gestion des fonds européens et la sécurité agroalimentaire.

La Commission annonce qu'elle n'hésitera pas à prendre des mesures restrictives contre les deux pays au cas où certaines défaillances n'auront pas été résolues d'ici à l'adhésion ou peu après. Elle propose aux États membres de mettre en place des mesures d'accompagnement combinant assistance et menace de sanction. De telles clauses permettront de répondre aux diverses inquiétudes qui pourraient subsister sur certains points spécifiques. Notre amitié pour la Bulgarie et la Roumanie et notre soutien à leur adhésion doivent aller de pair avec ces exigences.

Pourtant, le calendrier a été respecté et l'engagement pris a été tenu. Alors qu'elles n'avaient pas été retenues dans un premier temps avec les dix pays qui nous ont rejoints le 1er mai 2004, la Roumanie et la Bulgarie pourront ainsi intégrer l'Union européenne dès le 1er janvier 2007.

De mon point de vue, il ne fallait plus différer ce nouvel élargissement, et ce pour deux raisons.

D'une part, les deux pays concernés ont intensifié leurs efforts pour intégrer l'acquis communautaire et pour adapter leur économie aux contraintes du marché unique, au prix parfois de durs sacrifices et de souffrances sociales.

D'autre part, cette intégration permet de stabiliser le flanc sud-est de l'Europe dans un environnement toujours plus incertain. En effet, ces deux pays se situent à la confluence de l'Occident et de l'Orient et peuvent jouer un rôle pivot en matière de sécurité régionale. Ainsi, leur adhésion à l'OTAN, qui est effective depuis le printemps dernier, a été menée selon un rythme parallèle.

La « paix par l'OTAN » et la « prospérité par l'Union européenne » constituent les deux axes de la politique étrangère de la Roumanie et de la Bulgarie, ce qui contribue à stabiliser ces deux pays. Bien entendu, une telle stabilité aux frontières de l'Union européenne revêt une grande importance, d'autant que les États voisins dans la région sont loin de tous connaître la même situation.

L'entrée de deux nouveaux États dans l'Union dès 1er janvier 2007 nous confère une responsabilité importante : aider ces deux pays à s'intégrer dans les meilleures conditions.

En effet, si la Bulgarie et la Roumanie ont vocation à nous rejoindre, leur adhésion ne doit pas s'effectuer selon des modalités susceptibles d'affaiblir leur position parmi les États membres et de discréditer l'Union européenne.

Jusqu'à présent, la prudence était de mise et justifiée. Mais nous devrons désormais soutenir la Bulgarie et la Roumanie pendant leurs premières années au sein de l'Union européenne.

Cependant, et il ne faut pas le nier, le processus continu d'élargissement participe aux interrogations croissantes de nos concitoyens sur le sens et le contenu même du projet européen. Avec un PIB inférieur à 40 % de la moyenne des vingt-cinq États membres, mais avec un dynamisme économique qui contribuera à la prospérité de l'Union européenne, la Roumanie et la Bulgarie alimentent la peur des délocalisations.

J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'en prendre la mesure lors de notre déplacement dans ces deux pays au mois d'avril 2004, dans le cadre des travaux de la commission des affaires économiques. Grâce à leurs avantages comparatifs, notamment une main-d'oeuvre très compétitive - cela tient évidemment à des salaires inférieurs à la moyenne européenne - et bien formée, la Roumanie et la Bulgarie attirent les investissements européens.

Même si l'ampleur réelle du phénomène est limitée, les délocalisations sont toujours choquantes quand elles s'accompagnent de destructions d'emplois en France. Cela motive donc l'intégration rapide des deux nouveaux États dans l'espace économique européen.

En effet, les avantages comparatifs de ces deux pays seront réduits du fait de leur adhésion à l'Union européenne, qui suppose le respect de certaines contraintes réglementaires, sociales et environnementales.

Par ailleurs, l'élévation du niveau de vie des Roumains et des Bulgares créera de nouveaux débouchés pour nos entreprises, notamment pour celles qui produisent des biens à haute valeur ajoutée. À cet égard, permettez-moi de rappeler quelques chiffres. Le taux de chômage de la Roumanie a été divisé par deux en six ans et ne sera bientôt plus que de 5 %.

Dans ces conditions, faut-il craindre un exode massif de travailleurs en direction de nos pays ? Je ne le crois absolument pas. En effet, la Roumanie et la Bulgarie ont besoin de main-d'oeuvre : il manque 100 000 personnes en Roumanie dans le secteur du bâtiment et des milliers d'infirmières dans les hôpitaux. Par conséquent, pour retenir leurs salariés, les entreprises roumaines et bulgares devront augmenter les salaires, ce qui créera du pouvoir d'achat, donc des possibilités d'importations, et nos entreprises pourront à leur tour en profiter.

Il reste que les salariés bulgares et roumains qui travaillent déjà dans l'Union européenne ramènent des devises indispensables au décollage économique de leur pays. Cet apport représente 5 % du PIB de ces deux pays.

De surcroît, lors de notre déplacement du mois d'avril 2004, outre le phénomène des délocalisations, nous avions également constaté l'implantation de nouveaux sites de production destinés à conquérir de nouveaux marchés et de nouveaux consommateurs. C'est notamment les cas des entreprises Renault et Michelin.

L'élargissement doit être profitable pour chacune des parties. En effet, la France dispose d'atouts dans ces deux pays, qui sont francophones et francophiles. Ainsi le onzième sommet de la francophonie, qui a été le premier à être organisé dans un pays d'Europe de l'Est, s'est-il tenu à Bucarest la semaine dernière.

Les liens politiques entre la France et la Roumanie sont anciens et prennent racine dans le rôle joué par la France, notamment par Napoléon III, en faveur de la création du jeune État roumain au XIXe siècle, puis dans l'aide apportée par notre pays à l'édification et au développement de ce nouvel État.

Réelle pendant la Première Guerre mondiale, cette fraternité s'est maintenue sous le régime communiste, notamment à travers une visite du général de Gaulle au mois de mai 1968. La chute du bloc communiste a plus largement ouvert la voie aux « retrouvailles » entre les deux peuples.

Par conséquent, la France peut concrétiser l'appui qu'elle apporte à l'adhésion de ces pays en y renforçant sa présence, dont le niveau actuel n'est pas suffisant. En effet, les marges de progrès sont considérables. La demande existe ; il appartient à nos entreprises de ne pas la décevoir.

Ainsi, les échanges franco-roumains sont inférieurs à leur potentiel et nous n'occupons que le sixième rang des partenaires commerciaux de la Bulgarie. S'agissant plus spécifiquement de l'agriculture, notre pays dispose de compétences reconnues. Il lui serait donc relativement aisé de les valoriser dans des pays où le potentiel est extrêmement important, notamment en fournissant un support technique aux processus de remembrement et de mise aux normes des industries agroalimentaires.

Comme le soulignait le rapport d'information du mois de juin 2004 de la commission des affaires économiques, intitulé Roumanie - Bulgarie, aux marches de l'Europe, « le très important capital de sympathie dont y dispose notre pays constitue un atout incomparable que l'on se rendrait coupable de ne pas exploiter ».

Il nous appartient de relever ce défi. Les clés d'une bonne intégration de ces deux pays au sein de l'Union européenne sont autant entre leurs mains qu'entre les nôtres.

Mes chers collègues, ce nouvel élargissement clôt un cycle, celui des bouleversements et de la recomposition du paysage géopolitique de l'Europe depuis une quinzaine d'années. Il a été décidé, lors du sommet de Copenhague du mois de juin 1993, sur l'initiative de François Mitterrand, alors Président de la République. En outre, je le rappelle, c'est le gouvernement de Lionel Jospin qui a insisté lors du sommet d'Helsinki, au mois de décembre 1999, pour que l'ouverture des négociations comprenne également la Roumanie et la Bulgarie, alors que d'aucuns auraient préféré au mieux différer cette démarche. C'est lors de ce même conseil que le préalable institutionnel, c'est-à-dire la nécessité d'une mise en ordre des institutions communautaires avant l'élargissement, a été posé. On sait ce qu'il est advenu depuis.

Sauvegarder les politiques communes et la cohésion implique également d'assurer le financement des actions de l'Union. À cet égard, l'évaluation à mi-parcours, en 2008-2009, du budget européen sera indispensable.

Certes, l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie a d'ores et déjà été prévue tant d'un point de vue institutionnel, avec le traité de Nice, que d'un point de vue budgétaire, avec les perspectives financières pour la période 2007-2013. Pour autant, nous ne pourrons faire l'économie ni d'une réforme institutionnelle majeure ni d'une révision à la hausse des perspectives financières en 2009.

En effet, avant de prendre une décision finale quant à l'adhésion de tout nouvel État membre au sein de l'Union européenne, le Conseil doit s'assurer que des ressources budgétaires suffisantes sont disponibles pour financer les politiques.

En tout état de cause, la plupart des gouvernements et des citoyens européens estiment que l'Union européenne doit désormais faire une pause et consacrer du temps à sa consolidation.

Le débat qui doit désormais s'engager porte sur l'identité de l'Union européenne, en particulier sur son organisation institutionnelle, sur ses frontières, sur ses objectifs et sur ses valeurs.

Le moins que l'on puisse dire est qu'il existe une certaine lassitude à l'égard des élargissements successifs de l'Union européenne. En effet, l'opinion publique estime que ceux-ci ont été mal préparés. L'Union européenne doit résoudre le problème des frontières de l'Europe avant tout nouvel élargissement.

La question qui se pose désormais est la suivante : l'Europe des vingt-sept sera-t-elle véritablement de même nature que lorsqu'elle ne comptait que six, neuf, douze ou quinze membres ? Les citoyens ressentent confusément que le changement d'échelle a profondément modifié le sens même de la construction européenne.

Certes, l'évolution a été progressive, mais une étape décisive a sans doute été franchie voilà deux ans lors de l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux États membres. D'une certaine manière, cela a dilué et affaibli le dessein français de l'Europe-puissance au profit de l'Europe du marché.

Dans ces conditions, l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie au sein de l'Union européenne nous impose plus que jamais d'engager une véritable réforme des institutions communautaires. C'est d'ailleurs ce qu'exige le traité de Nice. Nous devons nous atteler à cette tâche, qui sera le grand dessein de la présidence française au second semestre de l'année 2008.

L'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie déclenchera, en principe, un débat sur la composition de la Commission européenne en 2009 selon une rotation égalitaire, en application d'un protocole du traité de Nice.

Cette adhésion nous fixe ainsi un rendez-vous. Nous devons dès aujourd'hui imaginer l'avenir institutionnel de l'Union européenne. Le Conseil européen du mois de juin 2006 nous y invite d'ailleurs : l'Union devra à l'avenir être « en mesure de fonctionner politiquement, financièrement et institutionnellement lorsqu'elle s'élargit, et d'approfondir encore le projet commun européen ». Que ce voeu ne s'est-il point déjà réalisé ! L'avenir de l'Union européenne dépend du passage d'une Europe diplomatique à une Europe démocratique.

Depuis l'échec du processus institutionnel, les dirigeants européens sont partagés entre ceux qui espèrent pouvoir sauver le traité constitutionnel européen et ceux qui - c'est le cas des socialistes français - ont constaté son décès.

Une telle incapacité à trancher entre deux options risque de faire durer l'incertitude actuelle. En effet, depuis plus de dix ans, toutes les attentes sont concentrées sur la seule question institutionnelle. Cela risque de monopoliser toutes les énergies et les imaginations, et ce sans résultats assurés.

Certes, il est indispensable de réfléchir à l'amélioration pragmatique des textes et des institutions actuelles, qui sont issues du traité de Nice. Nous devons rester disponibles pour d'éventuelles nouvelles réformes. En revanche, il serait stérilisant de tout en attendre et de tout miser sur cela.

La relance de l'Europe passe par de grands projets concrets, notamment des coopérations renforcées dans de nombreux domaines, ce qui évite une conception figée autour d'un noyau dur. Il peut s'agir d'une politique économique créatrice d'emplois dans la zone euro, de la mise en place d'« Erasmus » sur une plus grande échelle, d'un nouveau programme de type Airbus, de grandes infrastructures ou d'une nouvelle politique commune de coordination énergétique ou de soutien à la mutation écologique de nos systèmes économiques.

Au cours des dernières semaines, un certain nombre d'événements industriels européens et mondiaux ont également mis au premier plan la question des délocalisations, des OPA et du patriotisme économique, c'est-à-dire de l'avenir industriel de l'Europe. En résumé, il s'agit de revenir à la méthode de Jean Monnet, qui était celle de « l'Europe des réalisations concrètes ».

Mais le débat que nous devons désormais engager doit nécessairement comprendre un volet sur l'identité européenne et sur les objectifs de l'Europe. Les citoyens doivent mieux se retrouver dans les politiques définies et mobilisées par l'Union et s'approprier le projet européen. Le sentiment d'appartenir à un destin commun doit se renforcer. L'Europe de demain doit permettre de mieux vivre ensemble. Cela implique la reconnaissance de la valeur de l'autre et des avantages de tous les élargissements successifs.

À cet égard, permettez-moi de rappeler les propos du Premier ministre roumain, M. Calin Popescu-Tariceanu, qui déclarait ceci : « Nous entrons dans une ère de certitude. Dans moins de 100 jours, les Roumains seront des citoyens européens, au même titre que les Français, les Anglais et les Allemands, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. »

Pour ma part, j'invite tous les européens convaincus à imaginer ensemble la relance de ce grand dessein, autour de l'augmentation du budget européen, du plein emploi, d'un traité social, d'une meilleure protection de l'Union européenne face à la concurrence commerciale mondiale et d'un traité strictement institutionnel qui soit à même de faire fonctionner l'Europe à vingt-sept.

Dans cette attente, et pour ce qui nous concerne, nous devons accueillir aujourd'hui au sein de l'Union européenne la Roumanie et la Bulgarie, pays dont nous nous sentons proches. C'est pourquoi nous approuvons le texte qui nous est proposé, en souhaitant qu'il permette le renforcement des liens qui nous unissent à ces deux pays.

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