Intervention de Jean François-Poncet

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 12 avril 2006 : 1ère réunion
Audition de Mme Hind Khoury déléguée générale de palestine en france

Photo de Jean François-PoncetJean François-Poncet :

a décrit, en premier lieu, le programme de la délégation qu'il conduisait et qui était également composée de MM. André Trillard et André Vantomme. Après avoir séjourné à Islamabad, pour de nombreuses entrevues avec des officiels pakistanais, la délégation s'est rendue une journée à Lahore pour y rencontrer des entrepreneurs français et visiter l'Alliance française.

a rappelé que l'image du Pakistan en Occident était mauvaise, du fait d'une instabilité politique chronique, de la montée de l'islamisme qu'on y observe et des tensions régionales qui l'opposent notamment à l'Inde et à l'Afghanistan. A ces éléments négatifs s'ajoute le rôle inquiétant joué par ce pays en matière de prolifération nucléaire, alors qu'il possède lui-même une capacité dans ce domaine, attestée par les essais de 1998. Au total, le Pakistan évoque des facteurs d'instabilité et de radicalisme perçus comme préoccupants.

a cependant souligné qu'il s'agissait d'un pays avec qui il fallait compter : son importance découle d'abord de sa situation géopolitique, au contact entre l'Asie du Sud, l'Asie centrale et les pays du Golfe persique, même si c'est à ses frontières orientales et occidentales avec l'Inde et l'Afghanistan que surviennent des tensions récurrentes. Le Pakistan est ensuite le deuxième pays musulman le plus peuplé au monde, après l'Indonésie, et compte, aujourd'hui, 160 millions d'habitants, avec des perspectives de croissance démographique rapide, puisqu'on estime qu'il en comptera 250 millions dans vingt ans. Ce pays, bâti sur la religion musulmane après la partition de l'empire britannique des Indes en 1947, dispose d'une armée disciplinée, formée sur le modèle britannique. Le pays a également une tradition d'élections démocratiques, héritée du colonisateur britannique, même si cette tradition a été souvent interrompue par des régimes militaires. La presse y est libre, animée par des journalistes de haut niveau et parfois très critiques envers le gouvernement, mais contrainte de ménager l'armée.

Ce pays-clef, a poursuivi M. Jean François-Poncet, est un régime militaire relativement éclairé ; un régime militaire, en effet, où l'armée est présente dans l'ensemble de la vie sociale, dans les domaines politique, économique ou religieux, qui dispose de quatre fondations caritatives, et constitue le deuxième propriétaire foncier du pays. Elle contrôle environ 20 % de l'économie du pays et les généraux retraités sont présents à la tête de nombreuses entreprises privées. Cette situation a été fortement encouragée par le général Pervez Musharraf, car elle a conduit les hauts cadres militaires à privilégier la stabilité du pays. Par ailleurs, le budget militaire, stricto sensu, s'élève à près de 20 % du budget, mais est en réalité plus proche de 40 %, si l'on y inclut le montant des pensions militaires et les crédits affectés à l'armement nucléaire.

Mais il s'agit aussi d'un régime relativement éclairé : le général Pervez Musharraf a ainsi mis en oeuvre une politique économique et financière stricte, saluée par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, qui a permis de redresser les finances publiques. L'endettement du pays a été réduit d'un tiers, les déficits intérieurs et extérieurs sont revenus globalement à l'équilibre, les réserves financières représentent environ 6 mois d'exportations, le tout conduisant à un taux de croissance de 8,4 % en 2005, soit le plus fort dans la zone après la Chine. Cette embellie économique est fondée sur le retour au pays d'importants capitaux de la diaspora, et l'importante augmentation des investissements étrangers, qui s'élevaient à 3 milliards de dollars en 2005, soit le même chiffre que les investissements étrangers destinés à l'Inde, dont la population est très supérieure.

Par ailleurs, a poursuivi M. Jean François-Poncet, le combat résolu engagé par le général Pervez Musharraf contre l'organisation terroriste Al Quaïda, après les attentats du 11 septembre 2001, a constitué un revirement au regard de sa politique antérieure d'appui aux taliban issus, pour beaucoup, des écoles coraniques (madrasas) pakistanaises. C'est un geste courageux qui doit être apprécié comme tel par l'Occident, et qui a permis l'arrestation, sur le sol pakistanais, de nombreux dirigeants d'Al Quaïda, à l'exception d'Oussama ben Laden et du mollah Omar ; les raisons de cette impunité restent difficiles à établir.

Le général Pervez Musharraf a également entrepris de normaliser ses relations avec l'Inde, en acceptant de nombreuses concessions depuis deux ans. Celles-ci se traduisent notamment par l'ouverture d'un « dialogue composite » avec l'Inde, qui ne considère plus comme une priorité les élections au Cachemire, promises par les résolutions des Nations unies adoptées dans les années 1950. Cette inflexion a permis l'adoption de mesures de confiance entre les deux pays, qui ont facilité un rapprochement des populations séparées de part et d'autre de la « ligne de contrôle » ; l'appui aux mouvements de guérilla indépendantiste cachemirie a, par ailleurs, été réduit, ce qui constitue un élément stabilisateur pour la région.

A ces éléments positifs, M. Jean François-Poncet a ensuite apporté des contrepoints qui esquissent un avenir incertain pour le Pakistan. La première source d'inquiétude vient du développement de l'extrémisme religieux, que les gouvernements pakistanais ont favorisé sans discontinuer, depuis le général Zia-ul-Haq, dans les années 1970, pour asseoir leur crédibilité face aux partis politiques. L'armée ne risque-t-elle pas d'être pénétrée par cet extrémisme, même si la haute hiérarchie militaire appuie le chef de l'Etat ?

Ces éléments d'instabilité sont accrus par les troubles qui affectent les régions du Baloutchistan et du Waziristan. Cette dernière région, située à la frontière avec l'Afghanistan, n'a jamais été vraiment contrôlée par le pouvoir central, même lors de la colonisation britannique ; elle est en effet peuplée, de part et d'autre de la frontière, d'une quarantaine de millions de Pachtounes qui contestent l'existence même de la « ligne Durand », tracée sous l'Empire britannique pour séparer les deux pays. Les Etats-Unis pressent vivement le général Pervez Musharraf de remettre de l'ordre dans une zone qui a toujours été laissée à elle-même, et les Afghans rejettent sur le Pakistan la responsabilité des difficultés croissantes créées par les talibans. Or, l'armée pakistanaise a envoyé 80.000 hommes dans cette zone et y a perdu 700 d'entre eux, sans parvenir à réduire une instabilité notoire.

Le Baloutchistan, ensuite, vaste province faiblement peuplée représentant un tiers du territoire pakistanais, est animé, depuis son rattachement à Islamabad en 1947, d'une forte volonté d'autonomie, aiguisée par les nombreuses richesses naturelles qu'elle recèle, notamment le cuivre et le gaz, dont les Baloutches ne profitent guère.

Enfin, M. Jean François-Poncet a relevé le sentiment général de mécontentement qui croît dans la population pakistanaise : celle-ci ne profite pas de la croissance mais est, au contraire, touchée par une inflation d' environ 7 % en rythme annuel, qui renchérit le coût de la vie et conduit à un dénuement croissant. On estime que près de 35 % de la population pakistanaise vit en dessous du seuil de pauvreté, soit un dollar par jour. Ces éléments portent atteinte à l'autorité et de la popularité du général Musharraf, ce qui inquiète le gouvernement à un an d'élections présidentielles et législatives. En effet, la base électorale du Président Musharraf est essentiellement constituée d'hommes politiques issus d'autres partis, et les militaires cherchent aujourd'hui à étendre cette base, notamment au travers d'une éventuelle coalition avec le parti de Mme Benazir Bhutto. Des contacts en ce sens ont été pris, mais cette personnalité, toujours sous le coup d'une action en justice pour corruption, ne peut regagner son pays.

En conclusion, M. Jean François-Poncet a estimé que l'Occident aurait tout à craindre d'une crise du régime pakistanais, qui favoriserait l'arrivée des islamistes au pouvoir ; il convient donc de soutenir le Président Musharraf pour lui permettre de poursuivre ses efforts de démocratisation et d'amorcer un meilleur partage des richesses, qui sont les meilleurs gages d'une stabilisation du pays.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion