La commission a procédé à l'audition de Mme Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France.
Après avoir souhaité la bienvenue à Mme Hind Khoury et rappelé qu'avant d'assurer, depuis quelques semaines, les fonctions de déléguée générale de Palestine en France, elle avait participé, en 2005, au gouvernement de l'Autorité palestinienne comme ministre chargée de Jérusalem, M. Serge Vinçon, président, a évoqué la situation en Palestine depuis la victoire du Hamas aux dernières élections législatives. Il a indiqué que la communauté internationale attendait du Hamas le respect de trois principes essentiels : la reconnaissance d'Israël, la renonciation à la violence et le respect des engagements internationaux souscrits par l'Autorité palestinienne. Il a estimé que la suspension de l'aide directe de l'Union européenne ne devait pas remettre en cause le nécessaire soutien financier aux fins humanitaires, dont le peuple palestinien a un urgent besoin. Il a également considéré qu'Israël devait impérativement respecter les principes de la feuille de route, ce qui implique le gel de la colonisation. Il s'est interrogé sur les perspectives d'évolution des positions du Hamas en appelant de ses voeux la reprise d'un dialogue constructif sur les conditions d'une coexistence pacifique entre Israël et un futur Etat palestinien.
s'est réjouie de pouvoir s'exprimer devant la commission, pour la première fois depuis sa nomination, sur la question de la Palestine. Rappelant que les accords d'Oslo dataient aujourd'hui de 12 ans, la Conférence de Madrid de 15 ans, la résolution 242 des Nations unies de 39 ans, et la résolution 181 de 59 ans, elle a souligné le contraste entre la lenteur caractérisant le règlement international de la question palestinienne et la rapidité avec laquelle, en moins d'un mois, et alors que le Président Abbas avait demandé un répit supplémentaire, la suspension de l'aide communautaire à l'Autorité palestinienne a été décidée. Elle a également rappelé que le Conseil législatif palestinien avait été élu à l'issue d'un processus démocratique et transparent, en dépit d'un contexte difficile marqué par l'absence de toutes perspectives de paix, une colonisation à grande vitesse, la construction du mur de séparation et de routes qui morcellent les territoires palestiniens, ainsi que par un étranglement économique dévastateur.
La déléguée générale de Palestine en France a indiqué que les trois conditions énoncées par la communauté internationale étaient totalement acceptées par l'OLP depuis 1988, le Hamas ayant, quant à lui, respecté une trêve de plus d'une année et donné, ces derniers jours, des signes très positifs au regard desdites conditions. Convenant qu'il appartenait à l'Union européenne, et à elle seule, de décider des conditions d'attribution de son aide, elle a observé que l'aide internationale ne serait plus nécessaire si les libertés élémentaires des Palestiniens étaient respectées. Elle a rappelé qu'en créant l'UNRWA, l'ONU n'avait pas alors cherché à faire respecter les résolutions 181 et 242 du Conseil de sécurité, mais qu'il s'agissait simplement de pourvoir aux besoins humanitaires d'une population confinée dans une condition de réfugiés permanents. Elle a considéré qu'en l'absence de processus de paix, l'aide internationale contribuait à perpétuer l'occupation indéfiniment, mais également que son retrait brutal mettait en danger les jeunes institutions démocratiques de l'Autorité palestinienne, en privant notamment de financement le fonctionnement des services de sécurité. Souhaitant qu'une visite du Président Abbas en Europe puisse rapidement se matérialiser, elle a souligné le risque d'un effondrement de l'Autorité palestinienne, alors même que la France et l'Europe l'ont fortement soutenue depuis 1993.
a évoqué la situation intenable de la population palestinienne, qui subit depuis des mois les bouclages de la bande de Gaza et des villes de Cisjordanie, la violence et les bombardements quotidiens de l'armée d'occupation. Elle a ainsi indiqué qu'à Gaza, quelque 300 obus étaient tirés, chaque jour, sur la population civile et les habitations, terrorisant, blessant ou tuant des enfants.
Elle a estimé qu'Israël était en passe d'annexer une grande partie de la Cisjordanie, ne laissant aux Palestiniens aucune perspective d'un Etat viable après l'annexion de Jérusalem et de la vallée du Jourdain, la construction du mur et de routes réservées aux colons. La politique unilatérale décrétée par Israël, a-t-elle indiqué, ne sert que le projet israélien, sans aucune considération pour la partie palestinienne, bien que le Président Abu Mazen ait la volonté et le mandat clair pour négocier immédiatement et définitivement avec Israël le statut final du futur Etat palestinien. Elle a rappelé la détermination des Palestiniens à voir aboutir la paix.
a estimé que la formation du nouveau gouvernement de M. Ehud Olmert ouvrait une petite fenêtre d'opportunité avec l'entrée des travaillistes et peut-être du Meretz, deux formations politiques ayant montré une certaine flexibilité vis-à-vis des Palestiniens dans le passé. Elle en a appelé aux membres du Sénat afin qu'ils entrent en contact avec les parlementaires israéliens de gauche, en vue de les encourager à revenir sur le chemin de la raison, c'est-à-dire à la négociation avec Abu Mazen. Elle a souligné que seul Israël, en raison du rapport de force disproportionné en sa faveur, avait la possibilité d'infléchir le destin du peuple palestinien, et qu'au regard du droit international et des valeurs humaines, il avait le devoir de laisser ce dernier s'organiser librement sur les 22 % de la Palestine historique que sont Gaza et la Cisjordanie (incluant Jérusalem Est), et dont la moitié est aujourd'hui menacée d'annexion. Elle a ajouté que si cette politique se poursuivait, les Palestiniens seraient confinés dans des bantoustans, propres à un régime d'apartheid et dépourvus de viabilité.
a rappelé que le principe d'une paix juste en échange de la terre était à la base du processus d'Oslo, mais que les Israéliens avaient malheureusement choisi d'occuper la terre des Palestiniens sans proposer la paix. Elle a estimé que toute alternative au compromis historique serait catastrophique et qu'il fallait chercher à engager le Hamas positivement au lieu de l'exclure. Une telle exclusion, a-t-elle poursuivi, provoquerait la radicalisation du mouvement, mais aussi de toute la société palestinienne, qui se sentirait rapidement, elle aussi, stigmatisée. Elle a cité l'exemple de la Turquie, qui montre à quel point le destin des mouvements politiques religieux n'est pas figé. Elle a enfin souligné que la politique du pire face aux Palestiniens aurait des conséquences dramatiques, non seulement pour ces derniers, mais bien au-delà, pour la région et, par conséquent, pour la paix et la stabilité dans le monde.
s'est dit inquiet de la conjonction entre, d'une part, le refus du Hamas de renoncer officiellement à son objectif ultime de destruction d'Israël et, d'autre part, le fait qu'Israël trouvait là un prétexte idéal pour ne pas négocier, renforçant sa tentation d'une politique multilatérale, qui se traduisait notamment par l'achèvement du mur de séparation et l'imposition des frontières. Or, a-t-il estimé, seul le règlement du problème palestinien permettrait d'enrayer le « clash des civilisations » qui se dessine.
a rappelé que l'Autorité palestinienne avait toujours été prête à négocier, mais que, comme Yasser Arafat dans le passé, le Président Abu Mazen n'était toujours pas reconnu comme partenaire par Israël. Elle a insisté sur le fait que c'est l'OLP qui est en charge des négociations, comme elle l'avait été pour les accords conclus précédemment, et que M. Abu Mazen, Président de l'Autorité palestinienne est aussi Président de l'OLP. Elle a, par ailleurs, relevé que les sondages révélaient que de 60 à 70 % des Palestiniens étaient favorables à une coexistence pacifique entre les deux Etats, Israël et la Palestine, en dépit de leur vote récent qui avait porté le Hamas au gouvernement. Il était donc essentiel, a-t-elle estimé, de soutenir M. Abu Mazen, alors même qu'Israël s'attachait à le discréditer.
Pour Mme Hind Khoury, le problème principal n'est pas tant le Hamas que la pérennisation de l'occupation israélienne. C'est la fin de cette occupation qui permettra une paix réelle au Moyen-Orient. Le Hamas a d'ailleurs fait des ouvertures vers le programme du Président Abu Mazen en faveur d'une coexistence pacifique de deux Etats. Ces avancées ne sont certes pas encore suffisantes, mais le Hamas y parviendra progressivement. L'épisode de l'assaut sur la prison de Jéricho, conduit par les forces israéliennes, au moment même de la formation du gouvernement palestinien, montre bien les effets négatifs de l'occupation.
La stratégie unilatérale d'Israël serait moins négative si Israël construisait le mur de séparation sur la base du tracé des frontières de 1967, mais tel n'est pas le cas, et le tracé actuel aboutit à constituer des ghettos qui rendent extrêmement difficile la vie des Palestiniens.
a relevé que la nouvelle déléguée générale de Palestine en France prenait son poste à un moment difficile pour son pays. Il s'est dit inquiet du risque de radicalisation de la population palestinienne elle-même, après la décision de l'Union européenne de suspendre son aide directe à l'Autorité palestinienne et le refus d'Israël de lui reverser les taxes qui lui sont dues. Il a considéré que la Palestine n'étant pas un Etat à part entière, il revenait à la communauté internationale de prendre ses responsabilités afin d'aider la population palestinienne à vivre, voire à survivre. Il s'est interrogé sur les initiatives que les parlementaires français pourraient prendre pour encourager les forces politiques qui, de part et d'autre, sont ouvertes au dialogue, pour inciter l'Europe à reprendre le versement des aides promises dans le cadre des engagements pris : à défaut, la situation ne ferait que s'aggraver. Il a enfin souhaité savoir la date de la visite en France du Président Abu Mazen.
a indiqué que, dans la crise que traverse la Palestine, le Président Abu Mazen devait être soutenu dans son rôle. Le véritable « leadership » palestinien demeure l'OLP et sa commission exécutive, en charge de la politique extérieure et de la sécurité. Le gouvernement palestinien, pour sa part, est une administration chargée de gérer les services publics au bénéfice des Palestiniens.
Le Président Abu Mazen se rendra le 27 avril en France, où il sera reçu par le Président de la République. Il est regrettable que la presque totalité du gouvernement israélien tende à discréditer le président de l'Autorité palestinienne, qui est pourtant le véritable partenaire pour les questions internationales. Mme Hind Khoury a précisé que, si le Hamas était aujourd'hui majoritaire au Conseil législatif, il n'avait bénéficié que de 42,9 % des voix, le Fatah ayant, pour sa part, mal géré sa campagne électorale. Par ailleurs, le gouvernement, contrôlé par le Hamas, ne s'opposait pas à une reprise des négociations par le Président Abu Mazen, à la condition qu'Israël, de son côté, reconnaisse le droit, pour la Palestine, de s'établir dans les frontières de 1967.
a dit souscrire à l'analyse de la déléguée générale de Palestine sur les effets contreproductifs et dangereux de la décision européenne de suspendre son aide financière directe. Considérant que c'est la question de la reconnaissance d'Israël qui constituait la clé du conflit, elle s'est demandée quelle était l'attitude de la société civile sur ce sujet. Une reconnaissance officielle ne permettait-elle pas de lever ce préalable à tout évolution ?
a répondu que l'Autorité palestinienne était menacée d'effondrement si les fonds nécessaires n'étaient pas versés. Elle a indiqué que le Président Abu Mazen avait décidé un nouveau mécanisme financier destiné à convaincre et rassurer les Européens quant à l'affectation finale de l'aide.
La colonisation reste un problème majeur : elle est à l'origine de multiples expropriations et la construction du mur de séparation a encore aggravé la situation. Elle a déploré que ce processus n'ait jamais été interrompu, même après les accords d'Oslo de 1993. L'OLP, a poursuivi Mme Hind Khoury, avait reconnu Israël lors des accords d'Oslo et les sociétés civiles israélienne et palestinienne s'étaient progressivement rapprochées. A l'heure actuelle, cependant, la crise et la misère compliquent les contacts entre les sociétés civiles. Elle a estimé que, ces dernières années, la gauche israélienne avait été très affaiblie. Il existe, en Israël, une société civile qui se préoccupe de la situation des Palestiniens, mais une majorité d'Israéliens reste tentée par la stratégie unilatérale et demeure indifférente au sort des Palestiniens.
a fait observer que le terrorisme restait un problème majeur et qu'il avait un impact terrible sur les opinions publiques. Il s'est interrogé sur ce que l'Autorité palestinienne pouvait faire pour changer cette perception et donner une autre image d'elle-même. Il a par ailleurs interrogé la déléguée générale de Palestine sur les liens de l'Autorité palestinienne avec le Hezbollah.
a reconnu que le terrorisme avait des conséquences dramatiques, mais qu'il était, pour une large part, une conséquence de l'occupation subie par les Palestiniens. Il était par ailleurs difficile, a-t-elle poursuivi, pour l'Autorité palestinienne, d'élaborer une stratégie de communication dans une situation où il lui faut gérer, au jour le jour, les conflits et problèmes de toute nature qui affectent la population.
S'agissant des liens avec le Hezbollah ou l'Iran, Mme Hind Khoury a insisté sur le pragmatisme du Hamas, qui est un mouvement proprement palestinien, avec un programme et une politique tournés vers les Palestiniens. Ceci doit être préservé afin de l'attirer et le maintenir dans la modération. Il est donc nécessaire, a poursuivi Mme Hind Khoury, de tout faire pour que le Hamas se tourne de plus en plus vers l'action politique, ce qui suppose, précisément, le dialogue, et non la fermeture.
A M. André Vantomme qui l'interrogeait sur la situation des réfugiés palestiniens au Liban, Mme Hind Khoury a reconnu que ce sujet demeurait un problème très difficile et que la question du droit au retour restait l'un des principaux points du statut final. Elle a indiqué que l'acceptation, par les Palestiniens, d'un Etat juif, excluait l'idée d'un retour de tous les réfugiés en Israël même, perspective que bien des réfugiés ne souhaitaient d'ailleurs pas. En revanche, il était important, pour ces réfugiés, de pouvoir revenir au moins dans les territoires palestiniens.
a relevé que, quoi que l'on puisse penser du Hamas, sa victoire électorale était le résultat d'élections libres et qu'il convenait d'en prendre acte. Il était essentiel que les dirigeants du Hamas prennent leurs responsabilités à l'égard des Palestiniens, personne n'ayant intérêt à voir perdurer une situation de crise grave.
Il a estimé que, si une action de résistance contre un occupant pouvait être comprise, l'histoire française en témoignait, il en allait différemment lorsque le terrorisme s'attaquait délibérément à des civils, de même lorsque les actions militaires israéliennes, du fait des « dommages collatéraux », conduisaient parfois à atteindre des civils palestiniens.
a indiqué qu'un dialogue, interne aux Palestiniens, avait lieu sur les conséquences des attentats : ceux-ci étant bien plus une solution de désespoir qu'une solution stratégique. Le problème principal reste l'occupation et le cercle vicieux de violence qui en résulte et qu'il est difficile d'enrayer sans l'intervention d'une partie tierce.
a rappelé que le Hamas avait respecté une trêve depuis plus d'un an, sachant qu'il avait été élu pour servir les intérêts du peuple palestinien et que celui-ci voulait la paix pour mener une vie normale.
En réponse à M. Serge Vinçon, président, Mme Hind Khoury a précisé que le Président de l'Autorité palestinienne était compétent pour toute question relevant des affaires étrangères, de la sécurité ou des frontières, cette responsabilité étant inscrite dans les textes depuis les accords d'Oslo.
a souhaité recueillir l'appréciation de la déléguée générale de Palestine sur la participation de deux groupes français, Alsthom et Connex, à la construction d'un tramway à Jérusalem.
a indiqué que les mesures d'occupation à Jérusalem étaient particulièrement sévères, et tendaient à imposer des réalités à la population palestinienne, la ville étant aujourd'hui totalement entourée de colonies israéliennes. Le tramway relie les colonies à l'Est de Jérusalem à Israël (dans les frontières de 1967). C'est un exemple qui démontre que la communauté internationale ne s'engage pas dans l'application du droit international. Les démarches de l'Autorité Palestinienne avec le gouvernement et les entreprises françaises n'avancent pas sur ce dossier. Dans ce contexte, le projet de construction de ce tramway ne pouvait que susciter, côté palestinien, une forte préoccupation.
s'est demandé si le Hamas avait conscience que sa victoire électorale était aussi liée à une désaffection des Palestiniens à l'égard du Fatah pour sa gestion passée.
s'est inquiété des conséquences négatives que la suspension des aides financières internationales à l'Autorité palestinienne pouvaient avoir sur l'évolution politique rapide du Hamas.
a indiqué que les causes de la victoire électorale du Hamas avaient été bien analysées et que les erreurs de gestion du Fatah apparaissaient comme l'une de ces raisons. Elle a cependant précisé qu'à partir de 2002 de nombreuses réformes avaient été menées à bien, en particulier sur le plan de la gestion budgétaire. Elle a fait valoir que le Hamas était conscient d'avoir été élu sur un programme de paix, que les erreurs de gestion du Fatah avaient aussi pesé dans cette élection et qu'élu pour servir les intérêts du peuple palestinien, il serait jugé sur cette base. Il n'en était que plus nécessaire de lui donner cette indispensable capacité de gestion. C'est le maintien des institutions et la pratique démocratique qui, seuls, permettraient une évolution du Hamas.
Puis la commission a entendu le compte rendu de M. Jean François-Poncet sur le déplacement d'une délégation de la commission au Pakistan, du 30 mars au 4 avril 2006.
a décrit, en premier lieu, le programme de la délégation qu'il conduisait et qui était également composée de MM. André Trillard et André Vantomme. Après avoir séjourné à Islamabad, pour de nombreuses entrevues avec des officiels pakistanais, la délégation s'est rendue une journée à Lahore pour y rencontrer des entrepreneurs français et visiter l'Alliance française.
a rappelé que l'image du Pakistan en Occident était mauvaise, du fait d'une instabilité politique chronique, de la montée de l'islamisme qu'on y observe et des tensions régionales qui l'opposent notamment à l'Inde et à l'Afghanistan. A ces éléments négatifs s'ajoute le rôle inquiétant joué par ce pays en matière de prolifération nucléaire, alors qu'il possède lui-même une capacité dans ce domaine, attestée par les essais de 1998. Au total, le Pakistan évoque des facteurs d'instabilité et de radicalisme perçus comme préoccupants.
a cependant souligné qu'il s'agissait d'un pays avec qui il fallait compter : son importance découle d'abord de sa situation géopolitique, au contact entre l'Asie du Sud, l'Asie centrale et les pays du Golfe persique, même si c'est à ses frontières orientales et occidentales avec l'Inde et l'Afghanistan que surviennent des tensions récurrentes. Le Pakistan est ensuite le deuxième pays musulman le plus peuplé au monde, après l'Indonésie, et compte, aujourd'hui, 160 millions d'habitants, avec des perspectives de croissance démographique rapide, puisqu'on estime qu'il en comptera 250 millions dans vingt ans. Ce pays, bâti sur la religion musulmane après la partition de l'empire britannique des Indes en 1947, dispose d'une armée disciplinée, formée sur le modèle britannique. Le pays a également une tradition d'élections démocratiques, héritée du colonisateur britannique, même si cette tradition a été souvent interrompue par des régimes militaires. La presse y est libre, animée par des journalistes de haut niveau et parfois très critiques envers le gouvernement, mais contrainte de ménager l'armée.
Ce pays-clef, a poursuivi M. Jean François-Poncet, est un régime militaire relativement éclairé ; un régime militaire, en effet, où l'armée est présente dans l'ensemble de la vie sociale, dans les domaines politique, économique ou religieux, qui dispose de quatre fondations caritatives, et constitue le deuxième propriétaire foncier du pays. Elle contrôle environ 20 % de l'économie du pays et les généraux retraités sont présents à la tête de nombreuses entreprises privées. Cette situation a été fortement encouragée par le général Pervez Musharraf, car elle a conduit les hauts cadres militaires à privilégier la stabilité du pays. Par ailleurs, le budget militaire, stricto sensu, s'élève à près de 20 % du budget, mais est en réalité plus proche de 40 %, si l'on y inclut le montant des pensions militaires et les crédits affectés à l'armement nucléaire.
Mais il s'agit aussi d'un régime relativement éclairé : le général Pervez Musharraf a ainsi mis en oeuvre une politique économique et financière stricte, saluée par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, qui a permis de redresser les finances publiques. L'endettement du pays a été réduit d'un tiers, les déficits intérieurs et extérieurs sont revenus globalement à l'équilibre, les réserves financières représentent environ 6 mois d'exportations, le tout conduisant à un taux de croissance de 8,4 % en 2005, soit le plus fort dans la zone après la Chine. Cette embellie économique est fondée sur le retour au pays d'importants capitaux de la diaspora, et l'importante augmentation des investissements étrangers, qui s'élevaient à 3 milliards de dollars en 2005, soit le même chiffre que les investissements étrangers destinés à l'Inde, dont la population est très supérieure.
Par ailleurs, a poursuivi M. Jean François-Poncet, le combat résolu engagé par le général Pervez Musharraf contre l'organisation terroriste Al Quaïda, après les attentats du 11 septembre 2001, a constitué un revirement au regard de sa politique antérieure d'appui aux taliban issus, pour beaucoup, des écoles coraniques (madrasas) pakistanaises. C'est un geste courageux qui doit être apprécié comme tel par l'Occident, et qui a permis l'arrestation, sur le sol pakistanais, de nombreux dirigeants d'Al Quaïda, à l'exception d'Oussama ben Laden et du mollah Omar ; les raisons de cette impunité restent difficiles à établir.
Le général Pervez Musharraf a également entrepris de normaliser ses relations avec l'Inde, en acceptant de nombreuses concessions depuis deux ans. Celles-ci se traduisent notamment par l'ouverture d'un « dialogue composite » avec l'Inde, qui ne considère plus comme une priorité les élections au Cachemire, promises par les résolutions des Nations unies adoptées dans les années 1950. Cette inflexion a permis l'adoption de mesures de confiance entre les deux pays, qui ont facilité un rapprochement des populations séparées de part et d'autre de la « ligne de contrôle » ; l'appui aux mouvements de guérilla indépendantiste cachemirie a, par ailleurs, été réduit, ce qui constitue un élément stabilisateur pour la région.
A ces éléments positifs, M. Jean François-Poncet a ensuite apporté des contrepoints qui esquissent un avenir incertain pour le Pakistan. La première source d'inquiétude vient du développement de l'extrémisme religieux, que les gouvernements pakistanais ont favorisé sans discontinuer, depuis le général Zia-ul-Haq, dans les années 1970, pour asseoir leur crédibilité face aux partis politiques. L'armée ne risque-t-elle pas d'être pénétrée par cet extrémisme, même si la haute hiérarchie militaire appuie le chef de l'Etat ?
Ces éléments d'instabilité sont accrus par les troubles qui affectent les régions du Baloutchistan et du Waziristan. Cette dernière région, située à la frontière avec l'Afghanistan, n'a jamais été vraiment contrôlée par le pouvoir central, même lors de la colonisation britannique ; elle est en effet peuplée, de part et d'autre de la frontière, d'une quarantaine de millions de Pachtounes qui contestent l'existence même de la « ligne Durand », tracée sous l'Empire britannique pour séparer les deux pays. Les Etats-Unis pressent vivement le général Pervez Musharraf de remettre de l'ordre dans une zone qui a toujours été laissée à elle-même, et les Afghans rejettent sur le Pakistan la responsabilité des difficultés croissantes créées par les talibans. Or, l'armée pakistanaise a envoyé 80.000 hommes dans cette zone et y a perdu 700 d'entre eux, sans parvenir à réduire une instabilité notoire.
Le Baloutchistan, ensuite, vaste province faiblement peuplée représentant un tiers du territoire pakistanais, est animé, depuis son rattachement à Islamabad en 1947, d'une forte volonté d'autonomie, aiguisée par les nombreuses richesses naturelles qu'elle recèle, notamment le cuivre et le gaz, dont les Baloutches ne profitent guère.
Enfin, M. Jean François-Poncet a relevé le sentiment général de mécontentement qui croît dans la population pakistanaise : celle-ci ne profite pas de la croissance mais est, au contraire, touchée par une inflation d' environ 7 % en rythme annuel, qui renchérit le coût de la vie et conduit à un dénuement croissant. On estime que près de 35 % de la population pakistanaise vit en dessous du seuil de pauvreté, soit un dollar par jour. Ces éléments portent atteinte à l'autorité et de la popularité du général Musharraf, ce qui inquiète le gouvernement à un an d'élections présidentielles et législatives. En effet, la base électorale du Président Musharraf est essentiellement constituée d'hommes politiques issus d'autres partis, et les militaires cherchent aujourd'hui à étendre cette base, notamment au travers d'une éventuelle coalition avec le parti de Mme Benazir Bhutto. Des contacts en ce sens ont été pris, mais cette personnalité, toujours sous le coup d'une action en justice pour corruption, ne peut regagner son pays.
En conclusion, M. Jean François-Poncet a estimé que l'Occident aurait tout à craindre d'une crise du régime pakistanais, qui favoriserait l'arrivée des islamistes au pouvoir ; il convient donc de soutenir le Président Musharraf pour lui permettre de poursuivre ses efforts de démocratisation et d'amorcer un meilleur partage des richesses, qui sont les meilleurs gages d'une stabilisation du pays.
A la suite de cet exposé, M. André Trillard a regretté que l'éducation des jeunes pakistanais soit largement confiée au système religieux des madrasas, car les 72 % d'élèves fréquentant l'école publique reçoivent un enseignement de faible qualité : le pays compte ainsi 52 % d'illettrés dans la population masculine, et un taux sans doute bien supérieur dans la population féminine. Il a ensuite rappelé que le Pakistan avait été créé sur une base religieuse, conception qui ne facilitait pas sa compréhension par les pays occidentaux. Il a enfin souligné l'existence d'intérêts économiques français dans ce pays, notamment dans les domaines de l'assainissement ou des fournitures militaires.
a relevé que le Pakistan avait été créé pour rassembler tous les musulmans du sous-continent indien, et que le caractère religieux de cet Etat était porteur d'ambiguïtés. Il a rappelé la puissance économique de l'armée qui irrigue l'ensemble du pays, et a souligné que la tradition électorale, bien ancrée au Pakistan, n'excluait pas l'existence d'une forte corruption. Il a déploré que la croissance économique réelle n'aboutisse à aucune amélioration du sort des plus démunis, induisant ainsi des frustrations qui pourraient profiter aux extrémistes. Il a également regretté que le gouvernement ne consente qu'à de tardifs investissements en faveur de l'éducation, laissant aux madrasas un quasi-monopole de l'accueil des enfants issus des classes défavorisées, puisque non seulement elles instruisent les enfants, mais encore les nourrissent et les logent. S'agissant de l'Afghanistan, on pouvait déceler des différences entre les discours officiels et la réalité, du fait des solidarités géographiques ou ethniques.
a par ailleurs rappelé le rôle déterminant du scientifique pakistanais Abdul Qadeer Khan en matière de prolifération nucléaire dans la région. Il a enfin relevé que l'acuité du conflit israélo-palestinien conduisait certains officiels pakistanais à l'évoquer au nom de la solidarité islamique. Si la haute hiérarchie militaire était solidaire du président Musharraf, qu'en était-il des hommes du rang ou des sous-officiers ? En conclusion, il a souligné que le Pakistan méritait de retenir l'attention des pays occidentaux du fait de son rôle-clé dans une région instable, marquée en particulier par la difficile reconstruction de l'Afghanistan, et les revendications nucléaires de l'Iran.
a rappelé que lors d'une précédente mission effectuée par une délégation de la commission, en mars 2002, en Inde et au Pakistan, il avait relevé le discours fondateur prononcé quelques mois plus tôt par le général Musharraf, dans lequel il présentait un programme en faveur d'un Islam moderne et ouvert, et s'engageait à dissoudre les partis religieux extrémistes et à fermer les madrasas les plus radicales, ce qui avait été fait. Il a rappelé que celles-ci assuraient un rôle social incomparable auprès de très nombreux enfants pakistanais, et s'est préoccupé de leur réel contrôle par le pouvoir.
s'est interrogé sur la perception de la France au Pakistan et sur les opportunités économiques et commerciales qu'il représentait pour elle. Il a souligné l'indéniable rôle joué par le docteur Khan dans la prolifération de technologies nucléaires, notamment vers l'Iran, et a estimé que les services secrets pakistanais, qui avaient vraisemblablement favorisé cette action, avaient leur propre vision du monde, qui ne correspondait pas totalement avec celle du général Musharraf.
s'est interrogé sur les rapports entre le Pakistan et la Chine, notamment en matière de fournitures énergétiques.
a apporté les éléments suivants :
- le général Musharraf a peu de marge de manoeuvre à l'égard des madrasas, puisqu'elles scolarisent et nourrissent la majorité des enfants du pays : elles assurent ainsi le rôle d'école des pauvres. Les plus subversives ont été fermées, et seul un petit nombre d'entre elles, situées dans le Nord-Ouest du pays, ont formé des futurs taliban. Par ailleurs, leur enseignement s'est diversifié et porte désormais sur d'autres disciplines que la seule religion. Il est cependant indéniable qu'elles ont une influence « islamisante » sur l'ensemble de la société, alors que l'Islam du Sud-Est asiatique, qui prévalait jusqu'ici au Pakistan, était traditionnellement syncrétique et assez tolérant. Cette période semble désormais révolue, et l'ensemble de la société, notamment les élites étudiantes, sont touchées par une profonde islamisation qui peut produire des résultats inquiétants et compromettre l'aspiration du général Musharraf à voir le Pakistan être le vecteur d'un islam modéré. Cette évolution conduit aussi à un fossé croissant entre l'Occident et l'Orient, qui a le sentiment que tout est toujours pardonné à Israël, alors que l'Islam est l'objet d'humiliations répétées ;
- le Pakistan pratique indéniablement un double langage s'agissant de la prolifération nucléaire opérée par le Dr Khan. Le discours officiel le présente en effet comme un scientifique de haut niveau ayant agi de façon individuelle pour maintenir le secret sur ses travaux. Cette version est peu crédible, mais il faut relever que les Etats-Unis ont semblé l'accepter, soucieux qu'ils étaient d'obtenir l'appui du Pakistan dans leur lutte contre le terrorisme. En réalité, cette prolifération est au coeur d'un système d'échanges entre l'Iran, le Pakistan et la Chine, qui permet à chacun de ces pays de retirer des avantages spécifiques ;
- les services secrets ont été, après 2001, largement remaniés par le général Musharraf, et ils ne semblent plus constituer, comme auparavant, un « Etat dans l'Etat » ;
- en matière de répression du terrorisme dans les zones tribales, les Pakistanais déploient des efforts réels, mais se heurtent à la solidarité entre Pachtounes ;
- l'image politique de la France au Pakistan est positive, du fait de sa politique d'équilibre au Moyen-Orient et de son opposition à l'intervention américaine en Irak. Il semble cependant que les acteurs économiques français négligent le marché pakistanais, pourtant plus que jamais ouvert aux Européens après le désenchantement ressenti par Islamabad envers les Etats-Unis. La diplomatie française semble craindre qu'une relation plus suivie avec le Pakistan ne heurte l'Inde, alors que des opportunités raisonnables existent dans le domaine militaire, notamment pour la fourniture de sous-marins classiques de nouvelle génération, au moment où une vive concurrence allemande se fait jour ;
- le port de Gwadar, situé à l'ouest de Karachi et construit sur capitaux chinois, dispose d'un site naturel bien situé en face d'Oman et à l'entrée du Golfe persique. Le Pakistan est aujourd'hui à la recherche de capitaux privés qui permettraient de développer ces infrastructures de base réalisées par les Chinois. Ces derniers ont en effet des relations de qualité avec le Pakistan et fournissent des équipements à son armée de terre. Cependant, à l'occasion de la crise de Kargil, la Chine a clairement fait comprendre qu'elle ne soutiendrait pas le Pakistan contre l'Inde au-delà de certaines limites.
Puis la commission a autorisé la publication de la communication sous la forme d'un rapport d'information.