Intervention de Jean-Claude Carle

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 12 juillet 2010 : 1ère réunion
Lutte contre l'absentéisme scolaire — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Claude CarleJean-Claude Carle, rapporteur :

L'un des principes fondamentaux de notre République, l'obligation scolaire, qui a été consacrée par la loi fondatrice du 28 mars 1882, présente aujourd'hui deux faces complémentaires, l'instruction obligatoire de 6 à 16 ans et l'assiduité obligatoire, ce devoir de l'élève qui s'impose aussi aux plus de 16 ans inscrits dans un établissement.

Rapporteur en 2002 d'une commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, j'avais acquis la conviction que la prévention précoce de l'absentéisme et de l'échec scolaire était cruciale pour briser la spirale de la violence. Si l'on ne peut affirmer que l'absentéisme fabrique la délinquance, on ne peut nier son rôle dans le basculement : tous les jeunes en échec scolaire ne sont pas des délinquants, mais une immense majorité de ces derniers n'a pas réussi à l'école. Une enquête menée par l'Inserm en 1993 a montré que les jeunes absentéistes présentent plus que les autres un comportement délinquant et sont souvent eux-mêmes victimes de violences et en souffrance, voire suicidaires. Il faut coûte que coûte les ramener en classe, les maintenir dans un univers socialisé, structuré, plutôt que de les laisser dériver sans repère car, entre l'école et la rue, il n'y a pas photo ! Nous devons regarder avec lucidité le danger que représente l'absentéisme et la souffrance qu'il reflète.

On ne saurait traiter ce phénomène complexe par une seule mesure. Il peut être régulier et confiner au décrochage scolaire, mais aussi se manifester de manière perlée ou prendre la forme du zapping en visant certains cours ou professeurs. Parfois, les élèves sont présents dans l'établissement mais manquent les cours. Faible au collège (3 %), il peut atteindre 30 % en lycée professionnel. Cependant, les absentéistes réguliers au collège sont déjà en situation extrêmement difficile et il convient d'agir en amont, dès la charnière entre le primaire et la sixième.

Parce que ses causes sont très diverses, l'absentéisme scolaire appelle une politique cohérente et globale : nulle mesure isolée ne sera la panacée. Il est capital d'agir simultanément sur les parents, l'école et l'environnement urbain en conjuguant les instruments de la politique familiale, de l'éducation nationale et de la politique de la ville.

Cette proposition de loi insiste sur la politique familiale et fait de la responsabilisation et de l'accompagnement des parents un élément clef de la lutte contre l'absentéisme. Son article 1er, qui en constitue le coeur, prévoit un régime gradué de suspension partielle des allocations familiales aux parents des élèves absentéistes. Une large liberté d'appréciation est laissée aux chefs d'établissement et aux inspecteurs d'académie pour faire face à la complexité des situations individuelles et éviter une application mécanique, pour ne pas dire désincarnée, du texte.

Après quatre demi-journées d'absence non justifiée sur un mois, l'inspecteur d'académie, saisi par le chef d'établissement, adresse un avertissement aux parents ; dans un souci pédagogique et pour aider les familles, cet avertissement comporte une information sur les dispositifs d'accompagnement parental. Parallèlement, l'inspecteur saisit le président du conseil général qui pourra proposer aux familles un contrat de responsabilité parentale ou toute autre mesure d'accompagnement pertinente.

La suspension partielle des allocations ne peut être engagée que lorsque l'inspecteur a constaté que son avertissement est resté sans effet. Si l'élève manque de nouveau quatre demi-journées sur un mois, l'inspecteur d'académie donne l'occasion aux personnes responsables de présenter leurs observations et, si elles n'avancent aucun motif légitime, ni aucune excuse valable, l'inspecteur d'académie saisit la caisse d'allocations familiales en vue de la suspension des allocations familiales dues au titre de l'enfant en cause. La CAF a compétence liée, elle doit suspendre les versements. Elle est en outre dans l'obligation d'informer les parents des dispositions d'accompagnement parental auxquels ils peuvent recourir - cette information complète utilement celle qu'a fournie l'inspecteur d'académie parce que les caisses connaissent mieux les réseaux et les personnes susceptibles d'aider les parents. Si l'élève redevient assidu, le versement des allocations est rétabli pleinement et rétroactivement ; s'il demeure absent sans justification quatre demi-journées supplémentaires sur le mois, les allocations suspendues sont supprimées, la suppression intervenant après que les familles ont eu l'occasion de présenter leurs observations à l'inspecteur d'académie.

En résumé, en cas d'absences continues sur plusieurs mois consécutifs, le premier mois donne lieu à un avertissement, le deuxième à une suspension et le troisième à une suppression, mais tout retour à l'assiduité peut déclencher le rétablissement des allocations suspendues, à l'exclusion des allocations supprimées dont le paiement n'est plus dû. Un temps d'écoute des parents est prévu à chaque étape et une aide leur est proposée.

La possibilité de sanctionner les manquements à l'obligation scolaire n'est pas nouvelle en droit français : l'ordonnance du 6 janvier 1959 prévoyait déjà un double mécanisme de sanctions pénales et administratives aux manquements à l'obligation scolaire. L'article R. 624-7 du Code pénal punit d'une amende pouvant aller jusqu'à 750 euros le fait de ne pas imposer à un enfant l'obligation d'assiduité scolaire ; deux années d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende peuvent être requis en application de l'article 227-17 en cas d'atteinte à la santé, à la moralité ou à l'éducation de l'enfant due à la négligence des parents. Cependant, ces sanctions pénales sont d'emploi difficile car disproportionnées dans les cas légers, et trop tardives dans les cas lourds. En outre, il n'est pas prévu d'accompagner les parents.

Peu de familles sont dans la négligence, mais beaucoup sont dans la souffrance et la résignation. Un choc salutaire doit les aider à sortir du fatalisme, pour peu que les parents soient accompagnés. C'est ce que prévoit ce texte, qui rétablit un échelon de sanction administrative intermédiaire, tout en renforçant les voies du dialogue entre l'école et la famille. Les phases d'avertissement et de dialogue avec l'institution sont cruciales : c'est là que se jouera le succès de la mesure. Les représentants de l'académie de Créteil, que j'ai rencontrés, estime que la moitié des familles rencontrées règle le problème après l'entretien à l'inspection académique. C'est le plus souvent quand la famille a négligé de s'y rendre que rien ne change.

Si ce texte est adopté, un choix clair pourra être proposé aux parents, entre suspension des allocations et suivi obligatoire de modules d'aide à la parentalité, prenant idéalement la forme de groupes de parole, démarche pragmatique qui ouvre la voie à l'acclimatation en France de dispositifs d'aide sous contrainte, déjà expérimentés à l'étranger à la satisfaction des parents, comme les parenting orders de l'Angleterre et du Pays de Galles.

C'est le versant éducatif de ce texte qu'il faut considérer. La suspension des allocations, arme de dissuasion, est de dernier ressort, destinée à faire prendre conscience aux parents de la situation de leur enfant, et à les contraindre à accepter de l'aide. Mes auditions m'ont convaincu que l'implication des parents est essentielle dans la lutte contre l'absentéisme et l'échec scolaire. Pour qu'ils veillent à l'assiduité de leurs enfants, il faut leur expliquer ce qu'est l'école, que beaucoup n'ont pas connue, ou n'ont connue que dans l'échec. L'expérience de la Mallette des parents, menée dans l'académie de Créteil, permet de leur donner les mots et les clefs de l'école pour relayer le message de l'équipe enseignante au sein de la famille. L'annonce récente de sa généralisation est une excellente nouvelle.

L'article 1er bis est significatif de cet esprit : il prévoit la présentation aux parents du projet d'établissement et du règlement intérieur lors de la première inscription de l'enfant, premier contact avec l'école qui doit permettre de mieux les intégrer à la communauté éducative. Ce rendez-vous devra se renouveler au long de l'année scolaire.

Ce texte apporte ainsi des solutions qui, sans être révolutionnaires, pourront se révéler utiles. Il faudra savoir en user avec pragmatisme et discernement, en tenant compte de la spécificité de chaque cas, en insistant sur la visée éducative de la sanction. Au regard de l'équilibre lucide auquel nous sommes parvenus - et j'insiste sur l'article 1er bis, fléau de la juste balance entre éducation et sanction - je vous invite à l'adopter.

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