Intervention de Anne-Marie Payet

Commission des affaires sociales — Réunion du 19 janvier 2011 : 1ère réunion
Organisation de la médecine du travail — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Anne-Marie PayetAnne-Marie Payet, rapporteur :

Cette proposition de loi reprend les dispositions relatives à la médecine du travail adoptées dans le cadre du projet de loi portant réforme des retraites et annulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 novembre 2010, au motif qu'elles n'avaient « pas de lien, même indirect » avec ce texte.

L'organisation de la médecine du travail en France découle de la loi du 11 octobre 1946. Les principes en sont le caractère obligatoire et la mise à la charge des employeurs ; l'orientation exclusivement préventive ; l'indépendance technique et le respect de la déontologie médicale ; enfin, la spécialisation des médecins du travail. Un décret de 1969 prévoit que le médecin du travail passe un tiers de son temps sur les lieux de travail.

La directive européenne du 12 juin 1989 sur la santé et la sécurité au travail a introduit une approche de prévention primaire, en imposant l'évaluation a priori des risques, et a souligné l'importance de disposer de compétences diversifiées. La loi de modernisation sociale de 2002 a donc renforcé la protection statutaire des médecins du travail, remplacé la dénomination de « services médicaux du travail » par celle de « services de santé au travail » et prévu le recours à des ressources spécialisées non médicales. Un décret de 2003 a rendu obligatoire la pluridisciplinarité dans les services de santé au travail. Enfin, un décret du 28 juillet 2004 a renforcé l'activité de prévention dans le milieu du travail et redéfini la charge de travail des médecins du travail. Il a modifié en outre les règles de constitution des services de santé au travail et porté de douze à vingt-quatre mois la périodicité des examens médicaux.

Malgré ces améliorations, une nouvelle réforme est apparue nécessaire. Il s'agit notamment de faire des services de santé au travail les acteurs principaux d'un dispositif de traçabilité des risques professionnels, pour stimuler la prévention et les actions correctrices.

Le rapport Conso-Frimat en 2007, puis le rapport Dellacherie ont plaidé pour un approfondissement des réformes, pour la réorganisation des services de santé au travail, et pour des actions visant à enrayer la crise démographique que connaît la médecine du travail. Plus de 55 % des 6 800 médecins du travail ont plus de cinquante-cinq ans ; 4 000 médecins auront atteint l'âge légal de départ à la retraite d'ici cinq ans, et plus de 5 600 - soit 80 % - d'ici dix ans. La France compte toutefois la moitié des médecins du travail d'Europe, ce qui signifie que nos partenaires ont retenu des organisations différentes.

En 2008, le ministre du travail a adressé un document d'orientation aux partenaires sociaux, qui ont négocié de janvier à septembre 2009. Le protocole d'accord établi n'ayant pu recueillir l'assentiment des syndicats, le Gouvernement a engagé lui-même la réforme, sur la base du résultat des négociations, par amendement au projet de loi portant réforme des retraites, suscitant d'importants débats tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Cette réforme a fait l'objet d'un accord au sein de la commission mixte paritaire, avant que le Conseil constitutionnel n'annule ses dispositions pour des raisons formelles.

L'article 1er de la proposition de loi énonce les missions confiées aux services de santé au travail, qui « ont pour mission exclusive d'éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ». Le texte conforte la pluridisciplinarité dans les services de santé au travail interentreprises, en précisant que les médecins du travail « animent l'équipe pluridisciplinaire ». En outre, les services de santé au travail interentreprises devront élaborer un projet de service pluriannuel qui définira leurs priorités.

Actuellement, l'employeur n'est tenu à répondre que sur les mesures individuelles proposées par les médecins du travail ; l'article 2 l'oblige à prendre en considération les mesures proposées par le médecin qui constaterait la présence d'un risque collectif pour la santé des travailleurs et à motiver par écrit un éventuel refus d'y donner suite. Cet échange sera tenu à la disposition de l'inspection du travail et des caisses de sécurité sociale.

La gouvernance des services de santé au travail interentreprises, qui fait l'objet de l'article 3, a donné lieu à un large débat lors de la réforme des retraites. Aujourd'hui, les représentants des salariés composent le tiers du conseil d'administration des services interentreprises ; désormais, ce conseil sera composé à parts égales de représentants des employeurs et des salariés. Le président sera élu parmi les représentants des employeurs et aura une voix prépondérante en cas de partage. Le vice-président du conseil sera élu parmi les représentants des salariés. Le directeur du service interentreprises sera chargé de mettre en oeuvre, en lien avec l'équipe pluridisciplinaire et sous l'autorité du président, les actions approuvées par le conseil d'administration dans le cadre du projet pluriannuel.

En réponse à la crise démographique que traverse la médecine du travail, l'article 8 permet aux services interentreprises de recruter à titre temporaire un interne de la spécialité. D'autres dispositions prévoient des dérogations, soit par accord collectif de branche, soit par voie réglementaire, pour certaines professions spécifiques. Enfin, deux articles visent à adapter la gouvernance des services interentreprises dans le secteur agricole.

Ce texte comporte des avancées importantes, même s'il ne satisfait pas complètement les organisations syndicales, plusieurs syndicats souhaitant une présidence alternée entre représentants des employeurs et représentants des salariés. La définition des missions des services de santé au travail, la meilleure prise en compte des observations du médecin du travail ou le caractère désormais paritaire des conseils d'administration sont toutefois des progrès incontestables.

Je vous propose donc d'approuver ce texte, qui a déjà reçu l'accord du Parlement, en l'améliorant quelque peu. Outre plusieurs amendements rédactionnels, je proposerai, pour renforcer les garanties d'indépendance du médecin du travail, d'assimiler celui-ci à un salarié protégé en cas de rupture conventionnelle, de rupture anticipée ou d'arrivée à terme du CDD, et de transfert. La décision sera alors soumise à l'autorisation de l'inspecteur du travail.

Un autre amendement donne une base législative à la commission médico-technique des services de santé au travail interentreprises, tout en la chargeant d'élaborer le projet de service pluriannuel pour éviter de créer une nouvelle commission de projet.

De même, je vous propose de donner valeur législative au comité interentreprises et à la commission de contrôle chargés de surveiller l'organisation et la gestion du service de santé au travail. Cette dernière est composée pour deux tiers de représentants des salariés.

Enfin, il me semble nécessaire de faire figurer explicitement parmi les missions des services de santé au travail la prévention de la consommation d'alcool et de drogue sur le lieu de travail, question trop souvent taboue.

Il y a désormais urgence à adopter ce texte, qui sera suivi d'importantes dispositions réglementaires. Compte tenu de la pénurie de médecins du travail, les services de santé au travail et les employeurs sont confrontés à la « formalité impossible », c'est-à-dire qu'ils ne sont pas en mesure de respecter les obligations qui leur sont imposées. Cette proposition de loi ne résoudra pas toutes les difficultés mais contribuera à moderniser le système de santé au travail et à renforcer la prévention des risques dans les entreprises.

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