Chacun d'entre vous a sûrement fait la désagréable expérience de se retrouver privé de réseau mobile dans des endroits du territoire national, d'ailleurs pas forcément très reculés, où il aurait été censé capter un signal. Et de déplorer que les opérateurs mobiles communiquent volontiers sur des taux de couverture plus que flatteurs et qui ne tiennent apparemment pas leurs promesses.
C'est ce constat qui m'a conduit à faire adopter dans la proposition de loi de notre collègue Daniel Marsin un article additionnel portant une mesure très lourde, il est vrai, pour les opérateurs : une obligation de couverture des zones dites « grises » et « blanches » de téléphonie mobile 2G par une prestation d'itinérance locale. A cet article s'en est ajouté un autre, dans le même esprit, initié par notre collègue Hervé Maurey, consistant à ne considérer comme couvertes par le réseau mobile que les communes dont l'intégralité du territoire est desservie. Amendement qui aurait pour conséquence de réviser sérieusement à la baisse les chiffres de couverture avancés par les opérateurs.
Si ces deux amendements ont été adoptés à l'unanimité au Sénat, ils n'ont bien sûr pas rencontré l'assentiment des opérateurs, ni même du Gouvernement, et freinent désormais la navette du texte. Nous sommes convenus avec ce dernier de la nécessité d'étudier de manière plus approfondie la portée de ces mesures, les problématiques sous-jacentes et les pistes permettant de les résoudre de façon plus consensuelle.
C'est à cette fin que la commission m'a confié la mission d'information dont je vous présente aujourd'hui un premier compte-rendu, le rapport final étant publié début avril. Je souhaite dresser un constat de la situation actuelle en termes de couverture mobile, avant d'identifier les problèmes que cela soulève et les solutions -certes étroites- envisageables pour y remédier.
Dans son dernier bilan de couverture, publié le 1er janvier 2009, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) fait état de 97,8 % de la population métropolitaine couverte par les trois opérateurs mobiles à la fois en technologie 2G, soit 86 % de la surface du territoire, et 99,8 % couverte par au moins un opérateur, soit 97,7 % de cette même surface. Ces chiffres satisfont formellement les engagements qui avaient été pris par les opérateurs dans leurs licences.
Ce bilan se fonde sur des cartes de couverture élaborées par les opérateurs mobiles et faisant l'objet de contrôles de terrain par l'Arcep, qui les croise avec les données démographiques et d'habitat de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) pour obtenir un taux de couverture réel de la population. Les dernières enquêtes menées par l'Arcep ont montré un taux de fiabilité des cartes des opérateurs assez bon, de l'ordre de 97 %.
Au-delà des 99,8 % de la population en principe couverte par au moins un opérateur, il reste donc 0,2 % des Français -100 000 personnes environ- qui ne sont pas couverts, et qui habitent donc dans les 2,3 % du territoire métropolitain qualifiés de « zones blanches ».
Pour ces zones, rapidement identifiées, des programmes d'amélioration de la couverture ont été mis en place : le programme dit « zones blanches », lancé en 2003, visait à la couverture du « centre-bourg » de près de 3 000 communes non couvertes, mais aussi d'axes de transport prioritaires et de zones touristiques à forte affluence. Mis en oeuvre en deux phases - l'une par cofinancement Etat, collectivités et opérateurs, l'autre par les seuls opérateurs -, il recourt à l'itinérance et, surtout, à la mutualisation des infrastructures. Une nouvelle tranche de 364 communes y a été adjointe en 2008, tandis qu'une circulaire de juillet 2010 vise à identifier les communes qui resteraient encore non couvertes au terme de ces deux programmes.
Le bilan de ces derniers est le suivant. Pour le premier, étaient couvertes au 31 janvier 2 907 communes sur les 2 944 identifiées à l'origine, soit 99 %. Pour le second en revanche, seules 54 des 364 communes identifiées étaient couvertes, soit 15 %. Ce retard est imputable à des difficultés à la fois techniques, administratives et financières. Au total, entre 560 et 650 millions d'euros d'argent public et privé auront été mobilisés pour ces programmes.
Mais le réseau 2G est en passe d'être rattrapé et, à terme, remplacé par le réseau 3G, qui assure des débits bien plus importants et dont la couverture devrait bientôt être identique. Après avoir été mis en demeure par l'Arcep en 2009 de tenir leurs engagements échelonnés de déploiement, qu'ils n'avaient pas atteints, Orange, SFR et Bouygues Telecom ont signé, en février 2010, un accord tripartite en ce sens. Ils se sont ainsi engagés à poursuivre leur déploiement en 3G au-delà de leurs obligations, en atteignant une couverture équivalente à celle de la 2G d'ici la fin 2013, soit 99,8 % de la population. Etendu depuis à Free Mobile, cet accord fait appel au « ran sharing », solution de mutualisation qui consiste en l'utilisation commune par les opérateurs d'équipements actifs et de leurs fréquences assignées.
Abordons maintenant les problèmes identifiés dans ce constat. Certes, les opérateurs ont tenu les engagements qui figuraient dans les licences 2G et 3G, et vont même au-delà avec les programmes d'extension de couverture. Il paraîtrait donc aujourd'hui difficile, sans remettre en cause l'équilibre économique de ces licences - ce qui serait illégal, voire inconstitutionnel - de leur imposer des exigences de couverture supplémentaires. Surtout au vu des importants investissements qu'ils doivent réaliser dans leurs différents champs d'activité (extension des réseaux 2G et 3G, achat de licences 4G, montée en débit, déploiement du très haut débit ...), et ce dans un contexte international très concurrentiel.
Cependant, à y regarder de plus près, plusieurs difficultés se font jour.
Tout d'abord, les zones réputées couvertes au regard des cartes de couverture, même vérifiées par l'Arcep, ne le sont pas toujours en réalité. Ce distinguo entre couverture théorique et expérience de terrain nous est couramment rapporté par nos administrés, voire par notre propre expérience. Il tient à plusieurs facteurs. Les premiers sont techniques et donc « acceptables » : les calculs théoriques de propagation des ondes, qui servent à calculer les cartes, peuvent ne pas représenter de manière parfaite l'environnement réel, lui-même livré aux aléas climatiques et aux activités humaines. Il est possible de remédier à ces problèmes de mesure, en menant des « contre-mesures » : l'Arcep accepte et encourage les collectivités à réaliser elles-mêmes des tests de terrain - certaines s'y emploient - et à transmettre tout écart avec la couverture théorique, afin qu'il soit analysé et traité. Les départements des Ardennes et la région Franche-Comté ont ainsi mis en évidence des incohérences, qui nous ont par ailleurs été soulignées par l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca). On ne peut donc qu'inciter les collectivités, mais aussi les particuliers, à procéder à ces contre-mesures et à signaler toute anomalie à l'Arcep, qui en informera les opérateurs et leur demandera d'y remédier.
En revanche, la seconde série de facteurs expliquant l'écart entre couverture théorique et couverture réelle tient à des insuffisances du réseau : le problème se pose notamment lorsqu'un seul pylône émetteur dessert plusieurs communes, qui ne reçoivent alors qu'un signal dégradé. En outre, l'UFC Que choisir, qui nous a également fait part de ce problème, l'explique par l'insuffisante densité des antennes, qui ne permet pas une qualité de réception satisfaisante. Ainsi, c'est tout autant la « qualité de service » que la seule réception d'un signal qu'il faudrait contrôler, ce que commence à faire l'Arcep.
S'agissant des communes situées en zone blanche, le critère de couverture retenu est très discutable. On considérera en effet que la commune est « traitée » par le programme d'extension de couverture si son « centre bourg » est couvert, c'est-à-dire en pratique s'il y a du réseau devant la mairie ! Les villageois qui habitent quelques mètres plus loin, ou dans un hameau voisin ou une « commune associée », et qui ne recevront rien, ne pourront s'en plaindre puisque leur commune sera couverte d'un point de vue statistique ...
Par ailleurs, l'étalon de mesure choisi il y a plus d'une quinzaine d'années et appliqué par l'Arcep n'est plus adapté aux besoins actuels, qui ont évolué depuis les débuts du mobile : comment se satisfaire d'une réception uniquement en zone habitée, à l'extérieur des bâtiments et en situation fixe ? On veut désormais une couverture en termes de territoire d'intérêt, et non plus strictement de zone habitée : l'Association des maires de France (AMF), arguant du risque pour les maires de voir leur responsabilité engagée, demande par exemple une couverture des sentiers de randonnée, tandis que l'Association des départements de France (ADF) a évoqué la couverture des parcs naturels pour des expériences de « réalité augmentée » qui apporteront une réelle plus-value à ces territoires. Mais l'on peut penser également aux routes, plages, zones économiques ...
On souhaite également pouvoir téléphoner, non pas seulement dehors, mais depuis chez soi, où la téléphonie mobile remplace de plus en plus souvent la téléphonie fixe, ou bien depuis des bâtiments publics. Sachant en outre que les résidents secondaires ne prendront plus un nouvel abonnement de téléphonie fixe, mais s'installeront là où il y a du réseau mobile. Enfin, on veut pouvoir téléphoner en situation de mobilité (déplacement piétonnier, voiture, train ...), pour des besoins privés comme professionnels : comme son nom l'indique, la téléphonie « mobile » doit, pour être vraiment mobile, ne pas se réduire aux fonctions d'une cabine téléphonique.
Passons à présent aux préconisations pour améliorer la situation actuelle.
La première recommandation serait d'obtenir une meilleure vision des zones qui ne sont pas encore couvertes à ce jour, alors que le programme d'extension de la couverture en zone blanche devrait s'achever fin 2011. L'Arcep nous a proposé de mener un tel recensement, département par département, d'ici la fin de l'année, et il me semble que cela permettrait de clarifier utilement les choses, afin que l'on sache de quoi l'on parle ; quelles sont les zones non encore couvertes, lesquelles sont situées en zone d'habitation, combien d'habitants sont concernés ...
La deuxième recommandation est d'achever au plus vite le programme de résorption des zones blanches en 2G. Or, la fin en a été reportée à une date inconnue du fait du non achèvement du programme complémentaire et du début éventuel d'une phase supplémentaire. Il se chevauche de façon problématique avec les opérations de « ran sharing » menées par les opérateurs dans le cadre de la 3G. Mais il faut bien garder à l'esprit, comme le reconnaît d'ailleurs l'Arcep, que l'achèvement de ces programmes, en 2G comme en 3G, ne permettra pas d'obtenir une couverture intégrale des zones d'habitation, puisque le critère de mesure des communes en zone blanche est et demeure la couverture du « centre-bourg » : toutes les communes en zone blanche seront à terme considérées comme traitées, sans que l'intégralité de leur population ne le soit pour autant. Il nous faudra, à cet égard, interpeller le Gouvernement pour lui demander ce qu'il compte faire des zones blanches restantes.
Il conviendrait par ailleurs d'obtenir des informations précises sur le coût global de la couverture des zones blanches restantes. Cela nécessite de connaître le coût d'implantation et d'exploitation des pylônes émetteurs, ce que personne n'a été en mesure de me donner, mis à part une fourchette variant entre 50 000 et 200 000 euros ! Là encore, l'Arcep, qui est destinataire des programmes d'investissement et des comptes d'exploitation des différents opérateurs pour chacun de leur pylône, serait en mesure d'établir objectivement un tel chiffrage me semble t-il.
Il faut ensuite favoriser la concertation entre les différents acteurs, et inciter à la mise en oeuvre au cas par cas de solutions volontaires et adaptées. L'ADF s'est ainsi plainte de l'absence d'une telle instance de concertation pour la 2G, alors qu'elle existe pour la 3G sur le programme « zones blanches ». Résultat : les collectivités se retrouvent isolées et dépendantes des informations que veulent bien leur fournir les opérateurs qui acceptent de les rencontrer.
Ces rapprochements ne doivent pas avoir un caractère ponctuel, mais être pérennisés et s'inscrire dans une planification des besoins numériques locaux dans toutes leurs dimensions : à cet égard, il serait judicieux pour les collectivités d'intégrer la composante « téléphonie mobile » dans les schémas directeurs d'aménagement numérique des territoires dont la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, dite « loi Pintat », a prévu la rédaction. Le lien entre très haut débit et téléphonie mobile est en effet étroit, dès lors que le « fibrage » des pylônes émetteurs sera dans la plupart des cas nécessaire pour déployer la dernière génération de réseau mobile, la 4G.
Sur le fond, les solutions ne sont pas légion, il faut l'admettre. Il doit être encore possible, mais dans une faible mesure, d'optimiser le réseau existant en réglant au mieux la direction et le niveau d'émission des antennes. Les opérateurs, qui ont tout intérêt à tirer le maximum de chacun de leur site, m'ont en effet confié qu'un tel réazimutage ne permettrait pas de gagner des surfaces de couverture significatives.
Il faut également pousser autant que possible les opérateurs à « mutualiser » leurs équipements, ce qui réduit les coûts et augmente la qualité de service, comparativement aux solutions d'itinérance. La Manche, département en pointe sur les questions numériques, a fait procéder à une étude sur le réseau optimal de couverture mobile : il en résulte que la mutualisation aurait permis d'avoir aujourd'hui une couverture supérieure, de plus de 99 % de la population, pour un moindre coût !
Les autres solutions passeront nécessairement par un partage de l'effort financier entre collectivités et opérateurs pour l'équipement des dernières zones non encore desservies des communes, soit en émetteurs, soit en réémetteurs, dont l'efficacité devra être préalablement étudiée pour ces derniers. Toutefois, cette démarche se heurte à plusieurs obstacles. Le financement, tout d'abord : les opérateurs ne viendront pas si les collectivités ne financent pas une part substantielle de l'équipement ; or, les communes concernées, par définition petites et rurales, n'en n'ont pas les moyens, et les départements souvent pas davantage, beaucoup n'ayant pu participer à la phase 1 du programme d'extension de couverture.
Le deuxième obstacle est sociétal : les antennes ne sont plus aussi bien vues aujourd'hui qu'il y a quelques années, et il faut 36 mois pour en déployer une en moyenne contre 18 auparavant. L'idéal reste cependant de passer directement à la 3G, et demain à la 4G, en réutilisant les infrastructures conçues pour la 2G, qui peuvent tout à fait évoluer en ce sens.
Sur la 3G, malheureusement, nous n'avons guère non plus de levier d'action pour contraindre les opérateurs, puisque le renouvellement des licences, qui serait l'occasion de renforcer les exigences en matière de couverture, n'interviendra au plus tôt qu'en 2020, pour les licences accordées au tout début des années 2000.
Mais le vrai « combat » d'avenir qu'il faudra mener pour une meilleure couverture est celui de la prochaine génération de réseau mobile, la 4G, dont les cahiers des charges seront fixés cette année et dont la mise en service est attendue pour 2014/2015. Outre qu'elle permettra à terme des débits bien plus élevés, adaptés aux usages de demain, cette technologie a pour avantage d'utiliser notamment la gamme de fréquence des 800 Mhz, issue du « dividende numérique », qui a la propriété de se propager sur de longues distances. Nous avions pris l'initiative, vous vous en souvenez peut-être, de fixer à l'Arcep dans la « loi Pintat » un objectif d'aménagement du territoire dans l'allocation des licences 4G. C'est ainsi qu'il est prévu que la couverture soit au moins égale à celle de la 3G, donc de la 2G, accompagnée d'un double correctif : un minimum par département et des zones de déploiement prioritaire en fonction des besoins locaux. Il faudra donc veiller très minutieusement à la traduction de ces critères dans les cahiers des charges, qui ne sont pas encore connus, sans pour autant décourager les opérateurs de soumissionner. Cela d'autant plus que deux autres exigences encadrent l'attribution de ces fréquences : un niveau satisfaisant de concurrence et, surtout, une rentabilité économique importante pour le budget de l'Etat. Il faudra par ailleurs étudier très en amont l'architecture du réseau 4G, qui sera en partie seulement identique aux réseaux 2G et 3G, pour l'optimiser dans l'implantation des émetteurs en vue de couvrir une surface maximum. Bref, il nous faudra veiller à ce que le critère d'aménagement du territoire reste prééminent, faute de quoi l'attribution des licences 4G sera une nouvelle « occasion manquée » de réduire la fracture numérique existante.
Voilà, Monsieur le Président, mes chers collègues, les éléments que je souhaitais porter à votre attention. Il n'y a donc pas de « solution miracle » pour parvenir à une couverture parfaite en 2G et 3G, mais des « petits ajustements » à obtenir pour les collectivités en négociant au cas par cas avec les opérateurs. Mais la sortie du problème ne se fera durablement que « par le haut » avec la 4G, qui nous offre une chance rare d'obtenir enfin une couverture satisfaisante du territoire, et qui plus est à des débits très élevés.