Intervention de Bernard Seillier

Commission des affaires sociales — Réunion du 25 janvier 2007 : 1ère réunion
Logement — Droit au logement opposable - examen du rapport

Photo de Bernard SeillierBernard Seillier, rapporteur :

a indiqué que ce projet de loi comporte deux volets : le premier concerne la création d'un droit au logement opposable, le second regroupe diverses mesures destinées à promouvoir la cohésion sociale.

La mise en oeuvre du droit au logement opposable suscite paradoxalement à la fois des inquiétudes et des espoirs.

Les inquiétudes ont pour origine la situation actuelle du logement en France, qui est caractérisée par une conjonction de facteurs défavorables, à commencer par une offre insuffisante. Les besoins s'élèvent à 800.000 logements en raison de l'accroissement rapide du nombre de ménages, au rythme de 320.000 par an et du retard pris dans les programmes de construction durant les années quatre-vingt et quatre vingt-dix. Dans ces circonstances, il faudrait construire près de 400.000 logements par an jusqu'en 2010, pour parvenir à résorber ce déficit. De plus, l'offre ne répond pas à la demande des ménages à faibles revenus, car ces personnes ont besoin de logements à loyers accessibles. Or, les prix de l'immobilier ont beaucoup augmenté au cours des dernières années, tandis que la revalorisation des aides au logement a été insuffisante. Ainsi, l'obtention d'un logement HLM dans le parc social ou conventionné du secteur privé requiert des délais d'attente de plus en plus longs, environ dix ans à Paris.

a rappelé par ailleurs le nombre élevé d'habitations vacantes : près de 100.000 logements seraient désaffectés ou laissés volontairement vides par leurs propriétaires.

Selon les chiffres publiés dans le rapport 2006 de la Fondation Abbé Pierre, le nombre de ceux qui sont dépourvus de logements ou en situation de « mal-logement » continue d'augmenter : 86.000 personnes seraient sans abri, plus de 120.000 seraient accueillies dans des structures d'hébergement d'urgence et au moins 200.000 habiteraient chez des amis ou parents. Enfin, plus de 2 millions de personnes seraient logées dans un habitat indécent ou suroccupé.

Face à ce constat édifiant, le projet de loi suscite un formidable espoir et ce sentiment apparaît justifié, dans la mesure où un effort sans précédent a été engagé par l'Etat depuis 2002.

A ce titre, M. Bernard Seillier, rapporteur, a tout d'abord rappelé l'importance des politiques du logement stricto sensu, avec la mise en oeuvre du programme national de rénovation urbaine, du plan de cohésion sociale et de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement. Toutes ces actions commencent à produire leurs effets aujourd'hui. A terme, plus de 500.000 logements devraient être construits dans le parc social, tandis que 200.000 seraient mis sur le marché locatif privé à loyers maîtrisés, et 100.000 logements vacants réhabilités grâce au travail réalisé par l'Agence nationale de l'habitat, auxquels s'ajouteront 250.000 logements démolis, puis reconstruits, et 400.000 habitations réhabilitées.

Ces résultats seront amplifiés grâce aux 17.000 logements supplémentaires à loyers accessibles récemment annoncés par le Gouvernement, d'une part, ainsi que par la mise en place d'une garantie des risques locatifs (la GRL), dont le bénéfice sera élargi à un plus grand nombre de personnes en situation précaire pour rassurer les propriétaires hésitant à louer leur bien, d'autre part.

En matière d'hébergement, les efforts réalisés par l'Etat sont tout aussi remarquables : l'objectif de 100.000 places, fixé par le plan de cohésion sociale, devrait être atteint en 2007 et plus de 20.000 places ont été créées pour accueillir les personnes sans domicile fixe.

Dans ce contexte, l'institution d'un droit au logement opposable apparaît en quelque sorte comme le couronnement de la politique volontariste menée par le Gouvernement. M. Bernard Seillier, rapporteur, a considéré que l'affirmation de ce droit constitue, à son sens, une première étape vers la création d'un service public de l'habitat qui préserverait chacun du risque de perdre son toit. La dimension historique de cette avancée ne doit pas être sous-estimée : le droit au logement sera placé au même rang que le droit aux soins ou le droit à l'éducation et il consacrera la France comme l'un des pays les plus avancés en matière de droits sociaux. Pour autant, il convient de faire preuve de réalisme et de prudence.

Le mécanisme juridique proposé par le texte organise l'opposabilité du droit au logement par la possibilité de le faire valoir dans le cadre d'un recours gracieux ou contentieux. Ce droit sera garanti par l'Etat aux personnes qui résident sur le territoire français de façon régulière et stable et qui ne sont pas en mesure d'accéder par leurs propres moyens à un logement indépendant et décent.

La procédure se décomposera en deux temps : d'abord, un recours gracieux devant une commission de médiation, ensuite une phase contentieuse si la démarche n'aboutit pas à l'obtention d'un logement.

Le recours gracieux pourra être introduit sans condition de délai pour cinq catégories prioritaires de personnes: celles dépourvues de logement, celles menacées d'expulsion sans relogement, celles placées dans une structure d'hébergement temporaire, celles logées dans un taudis ou une habitation insalubre, et enfin pour les ménages ayant des enfants mineurs logés dans des habitations indécentes ou suroccupées. En ce qui concerne toutes les autres demandes non satisfaites, le recours s'exercera au-delà d'un délai anormalement long défini localement par le préfet.

a indiqué que deux cas de figure sont alors envisageables : si la demande n'est pas reconnue comme prioritaire par la commission de médiation, le demandeur conservera la possibilité de faire appel de cette décision devant le tribunal administratif ; dans le cas contraire, le préfet, voire le délégataire de ses droits à réservation, désignera un organisme bailleur chargé de loger le demandeur ou, le cas échéant, l'orientera vers une structure d'hébergement adaptée.

Le recours contentieux n'est envisageable qu'ensuite, si le logement n'est pas effectivement accordé : le demandeur pourra alors, dans un délai fixé par voie réglementaire, saisir la juridiction administrative. Si le juge reconnaît le bien-fondé de la demande, il ordonnera le relogement, le logement ou l'accueil dans une structure adaptée et pourra assortir cette injonction d'une astreinte, dont le produit sera versé au fonds régional d'aménagement urbain.

Cette faculté d'exercer un recours contentieux sera ouverte dès le 1er décembre 2008 aux cinq catégories de demandeurs prioritaires puis, à compter du 1er janvier 2012, à tout demandeur.

a observé que le projet de loi autorise par ailleurs la mise en oeuvre anticipée de ce recours, avant le 1er décembre 2008, pour les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) volontaires, ayant conclu avec l'Etat une convention de délégation du contingent préfectoral, et qui souhaiteraient expérimenter le dispositif au profit des cinq catégories prioritaires. Dans cette hypothèse, tout recours devant la juridiction administrative s'exercerait automatiquement contre les communes ou EPCI délégataires, et non contre l'Etat.

En définitive, il a considéré que ce texte pose trois problèmes de fond. Tout d'abord celui du dispositif de transfert automatique de responsabilité du droit au logement aux collectivités délégataires du contingent préfectoral, qui suscite de vives réserves. Il est effectivement à craindre que, faute de disposer de moyens coercitifs, aucune collectivité territoriale ne manifeste l'intention d'exercer cette responsabilité. De ce fait, l'expérimentation proposée risque de n'être qu'une mesure d'affichage, à laquelle le rapporteur proposera de renoncer.

La deuxième difficulté tient au calendrier de mise en oeuvre de ce droit, dont la première échéance de 2008 peut paraître ambitieuse. M. Bernard Seillier, rapporteur, a toutefois estimé impossible, comme certains le réclament, de reporter l'application du dispositif pour les publics prioritaires, sauf à créer dans l'opinion publique une profonde émotion et une grande déception. Prenant acte des déclarations du ministre, qui a réaffirmé devant la commission sa conviction que la France a la capacité d'atteindre cet objectif, il a jugé que, plutôt que de reporter les échéances, il convient d'agir avec pragmatisme et d'organiser un suivi scrupuleux de ce processus. Dans cet objectif, il a proposé de confier au Conseil économique et social la mission de procéder à une évaluation avant le 1er octobre 2010, c'est-à-dire deux ans avant la généralisation prévue pour le 1er janvier 2012. Les données chiffrées précises sur l'activité des commissions de médiation et des tribunaux administratifs seront alors disponibles et permettront d'envisager d'éventuels aménagements du dispositif.

Le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées s'est d'ailleurs déclaré lui aussi favorable à cette approche pragmatique, en proposant notamment que l'on réfléchisse dès juillet 2007 à l'intérêt d'adapter le calendrier prévu, et ce en fonction de la cartographie des difficultés d'accès au logement que rencontrent les territoires.

De fait, la région parisienne constitue un cas particulier, comme d'ailleurs toutes les zones urbaines où la situation du logement est tendue, notamment outre-mer. Il conviendra donc de prévoir des modalités particulières d'application pour ces territoires, en chargeant le comité de suivi de faire des propositions dans ce domaine.

a indiqué qu'il présentera à la commission d'autres amendements consistant à apporter des aménagements techniques au projet de loi. Cette démarche vise notamment à mieux distinguer le droit à l'hébergement et le droit au logement, qui ne relèvent pas tout à fait de la même problématique. A cela s'ajoutent quatre catégories de mesures complémentaires :

- le relèvement des objectifs de réalisations de logements très sociaux financés à l'aide d'un PLUS ou d'un PLA-I pour les années 2007, 2008 et 2009 ;

- l'ouverture du bénéfice de la déduction fiscale aux associations ou organismes publics qui sous-louent, à un prix réduit, un logement privé à des personnes disposant de ressources modestes ;

- l'extension du système de garantie des revenus locatifs (GRL), notamment au bénéfice des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans qui se trouvent dans une situation précaire ;

- le renforcement de l'information et de la formation des travailleurs sociaux.

Puis M. Bernard Seillier, rapporteur, a présenté la seconde partie du texte, qui traite de divers sujets liés à la cohésion sociale. La première mesure consiste à reprendre le mécanisme de « bouclier social », précédemment adopté par le Parlement en loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, mais invalidé par le Conseil constitutionnel pour des raisons de procédure. Il s'agit d'un dispositif en faveur des travailleurs indépendants soumis au régime fiscal de la micro-entreprise : ceux-ci pourront s'acquitter d'une cotisation sociale proportionnelle au chiffre d'affaires (dans une limite de 14 % ou 24 % selon la nature de l'activité), tout en se voyant garantir des droits sociaux équivalents en termes de retraite et de couverture maladie.

Le rapporteur a souligné, ainsi qu'il l'avait d'ailleurs lui-même préconisé dans son rapport au Premier ministre sur la mise en place d'un contrat d'accompagnement généralisé, que l'objectif consiste à lever un frein à l'initiative, parfois découragée par la complexité et le coût des procédures, et de permettre de légaliser un certain nombre de petites activités informelles.

La seconde mesure propose d'instituer un crédit d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile, destiné aux ménages qui ne peuvent bénéficier de la réduction d'impôt actuelle car ils sont non imposables. Pour l'instant, cette disposition n'existe que pour la garde d'enfant et le soutien scolaire à domicile. Le projet de loi propose donc de l'étendre à tous les métiers des services à la personne, en particulier l'aide aux personnes âgées ou handicapées, y compris lorsqu'il est fait appel à un organisme agréé comme un centre communal d'action sociale.

La troisième mesure opère la transposition, en droit interne, de l'article 24 de la directive européenne relative aux droits des citoyens de l'Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres. Cette disposition autorise les Etats d'accueil à ne pas accorder de droits à une prestation d'assistance sociale aux personnes entrées sur leur territoire pour y chercher un emploi. Le projet de loi propose d'appliquer cette mesure à trois types de prestation - le RMI, la CMU et les prestations familiales - afin d'éviter des mouvements de population liés à de simples effets d'aubaine. Les pays voisins de la France ont d'ailleurs tous adopté des mesures similaires.

Puis M. Bernard Seillier, rapporteur, a évoqué, en dernier lieu, l'article du texte créant l'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine. Ce dispositif s'adresse en priorité aux vieux travailleurs immigrés des foyers Adoma (ex Sonacotra) qui souhaitent séjourner durablement dans leur pays d'origine, en effectuant de simples allers et retours en France. Or, aujourd'hui, cette situation entraîne la perte du bénéfice du minimum vieillesse. En effet, si rien n'interdit de percevoir sa retraite en France ou à l'étranger, une prestation non contributive comme le minimum vieillesse est soumise à une condition de séjour régulier en France. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 a mis un terme, depuis le 1er janvier 2006, à l'exportation du minimum vieillesse à l'étranger.

Constatant la situation très défavorable qui en résulte pour les vieux migrants de l'Adoma, le Gouvernement propose une solution, avant tout pour des considérations humanitaires, mais également pour libérer des places dans ces foyers suroccupés : ces personnes pourront disposer d'une aide équivalant à la somme qu'elles auraient perçue si le minimum vieillesse était toujours exportable.

Après avoir déclaré qu'il comprend et partage l'esprit dans lequel cette mesure a été conçue, M. Bernard Seillier, rapporteur, a exposé les difficultés juridiques et financières que pose le dispositif envisagé : son coût potentiel pour l'Etat n'est pas connu avec exactitude ; les modalités de lutte contre la fraude méritent d'être précisées ; plus encore, le risque d'une requalification de cette aide en prestation de sécurité sociale par la Cour de justice des communautés européennes ne doit pas être négligé, ce qui pourrait obliger la France à rétablir le caractère exportable du minimum vieillesse.

En conséquence, il proposera à la commission plusieurs amendements destinés à mieux encadrer cette disposition, notamment en l'instaurant pour une période transitoire de trois ans, à l'issue de laquelle l'Inspection générale des finances et l'Inspection générale des affaires sociales en établiront le bilan.

Pour conclure, il s'est déclaré convaincu que ce projet de loi, qui a rencontré l'adhésion de tous les acteurs associatifs et institutionnels du logement et de l'insertion, aura un effet stimulant : la noblesse et la grandeur de l'objectif qu'il assigne à la collectivité obligeront en effet les pouvoirs publics à prendre les mesures nécessaires pour honorer l'engagement pris devant la représentation nationale.

Enfin, M. Bernard Seillier, rapporteur, a indiqué que le projet de loi a été examiné le matin même par le conseil national de lutte contre les exclusions (CNLE), qui a conclu au fait que ce texte ne réglera pas, à lui seul, le problème fondamental de l'accès au logement. La construction en plus grand nombre de logements très sociaux, ainsi que la limitation à 20 % du taux d'effort des ménages en faveur du logement, sont indispensables pour l'accompagner.

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