Evoquant dans un premier temps la question du programme nucléaire iranien, M. François Nicoullaud a exposé son analyse de l'échec des négociations entreprises depuis trois ans par les Européens et évalué les possibilités de trouver une issue à la crise.
Il a rappelé que lorsque la nature et l'ampleur du programme nucléaire iranien avaient été révélées à l'opinion internationale, les Etats-Unis penchaient pour une saisine immédiate du Conseil de sécurité des Nations unies, alors que les Européens privilégiaient la recherche d'une solution négociée. L'initiative prise par la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne à l'automne 2003 s'est avérée, dans les mois qui ont suivi, comme largement positive. Elle a prouvé la capacité des Européens à influer sur le cours d'une crise, en obtenant des Iraniens la suspension de leurs activités liées à l'enrichissement d'uranium durant plus de deux ans et en amenant les Américains à renoncer, au moins provisoirement, à la logique des sanctions. Malheureusement, cette négociation n'a pas abouti et son échec est en partie imputable aux Européens, qui ont commis deux types d'erreurs d'appréciation.
Les Européens ont surestimé l'état d'avancement technique du programme nucléaire iranien et la capacité de ce dernier à déboucher rapidement sur la mise au point d'une arme nucléaire. La communauté internationale a certes été impressionnée par la large gamme des activités nucléaires menées clandestinement par l'Iran, mais il est finalement apparu que beaucoup d'entre elles n'étaient pas parvenues à maturité. Ainsi, l'Iran ne semble pas encore maîtriser parfaitement la technologie de l'enrichissement d'uranium par centrifugation, les informations recueillies par les experts internationaux faisant notamment état de dysfonctionnement sur les deux batteries de 130 centrifugeuses actuellement en service. Si l'Iran parvenait à faire fonctionner la « cascade » de 3 000 centrifugeuses dont le Président Ahmadinejad a annoncé la construction, il serait alors possible de produire en une année environ les 25 kg d'uranium hautement enrichi nécessaires à la réalisation d'une arme nucléaire, cette réalisation nécessitant elle-même un ou deux ans de travaux supplémentaires. Ce seuil décisif ne paraît pas encore en mesure d'être atteint dans les mois qui viennent, compte tenu de la complexité des paramètres dont cette technologie impose la maîtrise. Il est probable que les Européens ont mal évalué l'échelle de temps des différents jalons techniques du programme nucléaire iranien et que cela a affecté la conduite des négociations.
Dans le même temps, les Européens paraissent avoir sous-estimé les enjeux politiques liés, pour l'Iran, à ces négociations. Les Européens se sont ouvertement placés dans une logique de « la carotte et du bâton », peu appréciée de leurs interlocuteurs, et ils n'ont pas suffisamment distingué le temps de la négociation et celui de l'invocation de la menace. Ils se sont vite heurtés à l'impossibilité pratique d'offrir des contreparties substantielles aux Iraniens. Ces derniers souhaitaient en effet voir levés les différents obstacles leur interdisant l'accès à la haute technologie, par exemple dans le domaine aéronautique, mais les Européens étaient, en ce domaine, totalement dépendants de la bonne volonté des Etats-Unis, peu enclins à lever ou à atténuer leurs sanctions unilatérales. Dans ces conditions, les Européens ont eu tendance à laisser traîner les négociations, avant de formaliser des propositions qui ont été jugées décevantes, puis rejetées par les Iraniens. Il était par ailleurs illusoire de penser que les Iraniens accepteraient de renoncer définitivement à la technologie de la centrifugation, alors qu'ils ont toujours très clairement écarté cette éventualité, quelle que soit l'issue des négociations, et qu'ils ont insisté sur le caractère temporaire de la suspension des activités liées à l'enrichissement.
a précisé que s'il soulignait particulièrement la part européenne dans l'échec des négociations, l'Iran portait aussi de lourdes responsabilités. En présentant à l'opinion publique le programme nucléaire comme un enjeu de souveraineté essentiel, les autorités iraniennes lui ont notamment donné une dimension symbolique aussi forte que la nationalisation des compagnies pétrolières par Mossadegh dans les années 1950. Elles ont de ce fait réduit leur marge de manoeuvre.
En conclusion sur ce point, M. François Nicoullaud a considéré qu'en dépit de ce constat d'échec, dont la résolution du Conseil de sécurité tirait la conséquence, la perspective d'une « négociation de la dernière chance » ne devait pas être définitivement écartée. Une telle négociation devrait mettre entre parenthèses l'application des sanctions internationales, être menée, comme du côté iranien, par une personnalité s'y consacrant à plein temps et se fixer une échéance précise, de l'ordre de 6 mois. Elle mériterait d'être tentée avant tout renforcement des sanctions ou recours à la force, étant précisé qu'en tout état de cause, l'objectif de la communauté internationale doit rester d'empêcher l'Iran d'accéder à l'arme nucléaire.