La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. François Nicoullaud, ancien Ambassadeur de France en Iran.
Evoquant dans un premier temps la question du programme nucléaire iranien, M. François Nicoullaud a exposé son analyse de l'échec des négociations entreprises depuis trois ans par les Européens et évalué les possibilités de trouver une issue à la crise.
Il a rappelé que lorsque la nature et l'ampleur du programme nucléaire iranien avaient été révélées à l'opinion internationale, les Etats-Unis penchaient pour une saisine immédiate du Conseil de sécurité des Nations unies, alors que les Européens privilégiaient la recherche d'une solution négociée. L'initiative prise par la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne à l'automne 2003 s'est avérée, dans les mois qui ont suivi, comme largement positive. Elle a prouvé la capacité des Européens à influer sur le cours d'une crise, en obtenant des Iraniens la suspension de leurs activités liées à l'enrichissement d'uranium durant plus de deux ans et en amenant les Américains à renoncer, au moins provisoirement, à la logique des sanctions. Malheureusement, cette négociation n'a pas abouti et son échec est en partie imputable aux Européens, qui ont commis deux types d'erreurs d'appréciation.
Les Européens ont surestimé l'état d'avancement technique du programme nucléaire iranien et la capacité de ce dernier à déboucher rapidement sur la mise au point d'une arme nucléaire. La communauté internationale a certes été impressionnée par la large gamme des activités nucléaires menées clandestinement par l'Iran, mais il est finalement apparu que beaucoup d'entre elles n'étaient pas parvenues à maturité. Ainsi, l'Iran ne semble pas encore maîtriser parfaitement la technologie de l'enrichissement d'uranium par centrifugation, les informations recueillies par les experts internationaux faisant notamment état de dysfonctionnement sur les deux batteries de 130 centrifugeuses actuellement en service. Si l'Iran parvenait à faire fonctionner la « cascade » de 3 000 centrifugeuses dont le Président Ahmadinejad a annoncé la construction, il serait alors possible de produire en une année environ les 25 kg d'uranium hautement enrichi nécessaires à la réalisation d'une arme nucléaire, cette réalisation nécessitant elle-même un ou deux ans de travaux supplémentaires. Ce seuil décisif ne paraît pas encore en mesure d'être atteint dans les mois qui viennent, compte tenu de la complexité des paramètres dont cette technologie impose la maîtrise. Il est probable que les Européens ont mal évalué l'échelle de temps des différents jalons techniques du programme nucléaire iranien et que cela a affecté la conduite des négociations.
Dans le même temps, les Européens paraissent avoir sous-estimé les enjeux politiques liés, pour l'Iran, à ces négociations. Les Européens se sont ouvertement placés dans une logique de « la carotte et du bâton », peu appréciée de leurs interlocuteurs, et ils n'ont pas suffisamment distingué le temps de la négociation et celui de l'invocation de la menace. Ils se sont vite heurtés à l'impossibilité pratique d'offrir des contreparties substantielles aux Iraniens. Ces derniers souhaitaient en effet voir levés les différents obstacles leur interdisant l'accès à la haute technologie, par exemple dans le domaine aéronautique, mais les Européens étaient, en ce domaine, totalement dépendants de la bonne volonté des Etats-Unis, peu enclins à lever ou à atténuer leurs sanctions unilatérales. Dans ces conditions, les Européens ont eu tendance à laisser traîner les négociations, avant de formaliser des propositions qui ont été jugées décevantes, puis rejetées par les Iraniens. Il était par ailleurs illusoire de penser que les Iraniens accepteraient de renoncer définitivement à la technologie de la centrifugation, alors qu'ils ont toujours très clairement écarté cette éventualité, quelle que soit l'issue des négociations, et qu'ils ont insisté sur le caractère temporaire de la suspension des activités liées à l'enrichissement.
a précisé que s'il soulignait particulièrement la part européenne dans l'échec des négociations, l'Iran portait aussi de lourdes responsabilités. En présentant à l'opinion publique le programme nucléaire comme un enjeu de souveraineté essentiel, les autorités iraniennes lui ont notamment donné une dimension symbolique aussi forte que la nationalisation des compagnies pétrolières par Mossadegh dans les années 1950. Elles ont de ce fait réduit leur marge de manoeuvre.
En conclusion sur ce point, M. François Nicoullaud a considéré qu'en dépit de ce constat d'échec, dont la résolution du Conseil de sécurité tirait la conséquence, la perspective d'une « négociation de la dernière chance » ne devait pas être définitivement écartée. Une telle négociation devrait mettre entre parenthèses l'application des sanctions internationales, être menée, comme du côté iranien, par une personnalité s'y consacrant à plein temps et se fixer une échéance précise, de l'ordre de 6 mois. Elle mériterait d'être tentée avant tout renforcement des sanctions ou recours à la force, étant précisé qu'en tout état de cause, l'objectif de la communauté internationale doit rester d'empêcher l'Iran d'accéder à l'arme nucléaire.
A la suite de cet exposé, M. Jean François-Poncet s'est demandé si le contexte politique intérieur, et notamment un affaiblissement du Président Ahmadinejad, voire sa démission, pourrait influer sur le cours du dossier nucléaire. Il a également évoqué l'impact des sanctions internationales, notamment des mesures d'ordre bancaire prises par les Etats-Unis, et l'inquiétude qu'elles semblent susciter au sein même du Parlement iranien. Il s'est montré perplexe sur la nature des propositions occidentales susceptibles d'amener les Iraniens à assouplir leurs positions, que ce soit en matière d'accès aux technologies nucléaires ou sur le plan de la politique régionale. Enfin, il s'est interrogé sur la possibilité et l'opportunité de procéder à des frappes aériennes pour détruire les sites nucléaires iraniens.
a observé que la presse occidentale imputait aux Iraniens, et non aux Européens, la responsabilité de la prolongation des négociations sur le dossier nucléaire. Il a marqué son scepticisme sur la possibilité, pour l'Iran et les Etats-Unis, de trouver un terrain d'entente. Il a souhaité savoir si l'hypothèse d'une action militaire israélienne pouvait être retenue.
a demandé si la proposition de la Russie de réaliser sur son territoire l'enrichissement de l'uranium iranien était toujours d'actualité. Elle a évoqué les récentes déclarations à Paris du directeur général de l'Agence internationale de l'énergie nucléaire (AIEA), M. El Baradei, insistant sur les risques liés à la prolifération nucléaire et sur la nécessité de trouver un compromis tenant compte des préoccupations régionales de l'Iran, ce dernier pouvant d'ailleurs être facilité par des progrès sur les autres dossiers de la région, comme le Liban et le conflit israélo-palestinien.
s'est inquiété des informations témoignant de la préparation d'une action militaire contre l'Iran, tant aux Etats-Unis qu'en Israël. Il a regretté l'absence de tout signe de reprise du dialogue et a estimé à ce sujet que l'envoi d'un émissaire, envisagé par la France, aurait peut-être pu constituer un geste positif.
En réponse à ces interventions, M. François Nicoullaud a apporté les précisions suivantes :
- l'Iran n'a jusqu'à présent pas cédé aux différentes pressions de la communauté internationale ; la perspective de sanctions plus dures inquiète incontestablement la population et l'on ne peut exclure, de ce fait, un assouplissement de la position des autorités gouvernementales ; pour autant, il est vraisemblable que le président actuel ira jusqu'au bout de son mandat, en 2009, et que le retour au pouvoir des « pragmatiques » n'est pas encore d'actualité ;
- sur le plan technique, les concessions éventuelles pourraient porter sur l'accès à la technologie de la centrifugation ; il serait imaginable que l'Iran soit autorisé à mener des activités de recherche et de développement dans ce domaine et à disposer d'une capacité limitée, de l'ordre de 500 centrifugeuses par exemple ; il importerait bien entendu que le territoire iranien soit pleinement soumis aux contrôles de l'AIEA, que l'enrichissement de l'uranium n'aille pas au-delà de 5 %, niveau requis pour le combustible utilisé par les installations nucléaires civiles, enfin que l'uranium enrichi soit transféré dans un autre pays, par exemple en Russie, puisque cette dernière doit fournir le combustible pour la centrale iranienne de Bushehr ; le cumul de ces différentes garanties permettrait de déceler immédiatement toute tentative iranienne d'utiliser les capacités de centrifugation pour s'orienter vers un programme de nature militaire ; les risques d'une telle solution ne sont pas plus grands que ceux d'une renonciation officielle de l'Iran à l'enrichissement d'uranium ; même dans ce second cas en effet, les Iraniens pourraient tenter de développer un programme clandestin. Mais les contrôles de l'AIEA ont fait de grands progrès et ce programme clandestin, s'il prenait de l'ampleur, serait rapidement détecté ;
- les Iraniens s'étaient initialement fixé une échéance de l'ordre de 6 mois à un an pour la durée des négociations, car ils ne souhaitaient pas prolonger outre mesure la suspension de leurs activités ; ce sont les Européens qui les ont amenés à prolonger ces négociations sur une durée d'environ deux ans ;
- il n'est pas aujourd'hui démontré que les dirigeants iraniens veulent absolument réaliser une arme nucléaire, car pour au moins une partie d'entre eux, une telle politique créerait beaucoup plus de difficultés au pays qu'elle ne lui apporterait d'avantages ; en revanche, l'intérêt du régime pour un programme pacifique évolué s'explique au moins partiellement par les possibilités qu'un tel programme offrirait d'accéder rapidement à une capacité nucléaire militaire en cas de menace vitale ;
- les Iraniens n'ont jamais été séduits par la proposition d'effectuer l'enrichissement de l'uranium en Russie, dans la mesure où cette solution privait leurs ingénieurs et techniciens de toute possibilité d'accéder à la technologie de la centrifugation ;
- il ne serait pas réaliste de vouloir lier le dossier nucléaire à une négociation plus globale portant sur les questions régionales, comme l'Irak, le Liban ou la Palestine ; le dossier nucléaire touche à des questions suffisamment circonscrites pour continuer de faire l'objet d'une négociation spécifique ;
- il est logique que l'armée israélienne procède à des travaux de planification incluant des frappes aériennes sur l'Iran ; il est toutefois probable qu'Israël préfèrerait de beaucoup que les Etats-Unis se chargent d'une telle mission, tant pour des raisons politiques que pour des raisons militaires, la multiplicité des sites et leur éloignement rendant une telle opération très complexe pour l'aviation ou la marine israélienne ; l'administration américaine, pour sa part, semble mettre actuellement en place les mesures préparatoires lui permettant d'agir si elle en prenait la décision ;
- tant que l'Iran accepte les contrôles de l'AIEA sur ses activités nucléaires, l'option du recours à la force n'apparaît pas légitime ; il en irait autrement si l'Iran parvenait effectivement à faire fonctionner le nombre de centrifugeuses nécessaire à la production de matière fissile pour des armes nucléaires, hors de tout contrôle de l'AIEA ou, à plus forte raison, après un retrait du traité de non-prolifération (TNP) ;
- l'envoi éventuel d'un émissaire français n'aurait rien de choquant ; les Etats-Unis discutent quant à eux avec la Corée du Nord, qui est allée très au-delà de l'Iran, puisqu'elle a déjà procédé à un essai nucléaire.
a ensuite évoqué le rôle de l'Iran sur le plan régional. Il a précisé que le regain d'activisme fréquemment souligné, que ce soit au Liban, en Irak ou dans l'ouest de l'Afghanistan, était surtout le fait des pasdarans, dont les initiatives échappaient au contrôle du gouvernement et qui se sentaient investis d'une mission sacrée au service de l'expansion de la révolution islamique. Il a toutefois souligné que le Hezbollah, comme la communauté chiite d'Irak, constituaient des acteurs autonomes et ne pouvaient aucunement être considérés comme de simples instruments aux mains de l'Iran. De ce point de vue, la notion d'arc chiite au travers du Moyen-Orient lui a paru aller très au-delà de la réalité.
a souligné le caractère souvent schématique des visions occidentales sur l'Iran. Elle a demandé si l'Iran souhaitait réellement exercer un leadership sur le monde musulman et considérait les pays arabes comme des puissances hostiles.
a estimé qu'il importait de sortir l'Iran de la logique de l'affrontement pour l'inclure dans un processus politique reconnaissant son rôle régional.
s'est interrogé sur les causes de l'échec des partisans du Président Ahmadinejad lors des dernières élections locales.
a estimé qu'au plan régional, tout renforcement excessif de l'influence iranienne susciterait immédiatement, et de manière naturelle, l'apparition de contrepoids, ce qui rend le régime prudent vis-à-vis de toute affirmation trop prononcée de ses ambitions régionales. Il a également précisé que la population iranienne était relativement peu sensible à la situation au Liban ou en Palestine. Il a souligné l'intérêt de ramener l'Iran au sein de la communauté internationale.
S'agissant des résultats des dernières élections locales, il a considéré qu'ils s'expliquaient largement par le mécontentement de la population face à la dégradation de la situation économique et aux promesses non tenues. Il a également estimé que la population désapprouvait les rhétoriques de l'invective et de l'imprécation pratiquée par le Président Ahmadinejad.
La commission a procédé à l'audition de M. Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS, sur l'Iran.
a tout d'abord souligné que l'opposition entre tradition et modernité, souvent invoquée à propos de l'Iran, ne saurait être considérée comme une clé de lecture pertinente. Il a proposé une grille d'analyse reposant sur les trois « i », que sont l'Iran et le nationalisme iranien, l'Islam dans un pays géré par les mollahs depuis 25 ans et l'international.
Il a évoqué plusieurs personnalités politiques iraniennes au travers de cette grille d'analyse, aucun interlocuteur iranien ne pouvant, par exemple, être vu selon le seul prisme de son « occidentalisation » supposée mais comprenant toujours une part de nationalisme et de relation avec les dignitaires religieux du régime. Il a considéré que la question nucléaire pouvait être perçue à 60 % comme une question internationale et un enjeu de recherche et de technologie, à 25 % comme un enjeu de nationalisme et, pour le reste, seulement comme un enjeu lié à l'Islam. Il convient de ne pas se laisser aveugler par une lecture de cette question qui serait seulement religieuse.
Il a estimé que l'Iran se trouvait en situation de faiblesse, qu'il s'agisse de sa position internationale, de ses capacités techniques ou de sa situation interne.
Sur le plan international, si les sanctions économiques jusqu'alors imposées par la communauté internationale étaient relativement inefficaces, elles n'en étaient pas moins ressenties par l'Iran comme une condamnation morale et une atteinte à l'honneur du pays.
Sur le plan technique, les échéances annoncées pour la mise en oeuvre de 3 000 centrifugeuses dans le cadre du programme nucléaire ont été régulièrement repoussées, ce qui montre que l'Iran n'est pas en mesure d'acquérir une capacité d'enrichissement autonome avant deux ans. Cette situation pourrait conduire l'Iran à réviser sa tactique sur le dossier nucléaire.
Enfin, sur le plan intérieur, le pays rencontre de grandes difficultés. Le président actuel, élu sur un programme de réformes économiques, n'a obtenu aucun résultat et, à l'heure actuelle, n'est pas capable de présenter le budget de l'Etat devant le Parlement, dans un contexte de baisse des prix du pétrole. Les investissements nécessaires au développement du secteur pétrolier n'ont pas été réalisés depuis 25 ans. La production baisse de 300 000 barils/jour par an, ce qui situe la production iranienne à moins de quatre millions de barils par jour (ce qui était l'objectif de 1990) et ce, dans un contexte de forte croissance de la demande intérieure de pétrole. Faute de raffineries, l'essence consommée par l'Iran provient, pour 40 %, d'importations. A l'horizon de 2010-2012, la baisse des revenus pétroliers, conjuguée à la hausse de la demande intérieure, devrait placer le pays devant des échéances financières catastrophiques. L'industrie locale est quasi inexistante et les entreprises internationales sont faiblement implantées. Les expatriés occidentaux et leurs familles ne représentent pas plus de 3 000 personnes.
Parallèlement, la société iranienne est en pleine expansion. Le recul des populations illettrées et rurales fait place à une progression constante de la population éduquée et urbaine, tendance que la révolution khomeiniste de 1979 n'a pas remis en cause.
La proportion des femmes dans les universités est aujourd'hui supérieure à celle des hommes et le taux de fécondité, en baisse depuis 1986, s'élève aujourd'hui à 1,98 enfant par femme. Les Iraniens éduqués, parfaitement au fait des ressorts du développement économique et de la culture internationale, n'en ont cependant qu'une expérience limitée, seuls 2 % de la population ayant des contacts avec la diaspora. Un fossé s'est creusé entre les attentes sur le terrain économique et les résultats obtenus par le régime.
a ensuite évoqué la géographie électorale de l'Iran. Il a indiqué que le vote en faveur de l'actuel président se concentrait dans le centre du pays, alors que les régions périphériques sunnites ou non persanophones avaient voté contre M. Ahmadinejad, contrairement à la localisation du vote pour et contre M. Khatami en 2001. Dans ce contexte, l'élection de M. Ahmadinejad en 2005, peut être considérée comme un « accident électoral », dans un pays dont la constitution, calquée sur celle de la France, permet malgré tout un débat politique. Le président Ahmadinejad avait bénéficié d'une grande dispersion des voix et du rejet de l'ancien président Rafsandjani, considéré comme le symbole de la corruption et de la « mollahcratie ». Lors des élections locales de décembre 2006, plus de 50 % des votants ont soutenu le courant mené par l'actuel maire de Téhéran, M. Qalibaf, militaire entré tardivement en politique et qui fut un des héros de la guerre contre l'Irak. La nouvelle génération des « Gardiens de la révolution » qui arrivent aujourd'hui au pouvoir est très hétérogène. Elle n'est pas, par principe, anti-occidentale. Les anciens preneurs d'otages de l'ambassade américaine en 1979 peuvent ainsi être considérés comme des interlocuteurs valables, dans la mesure où ceux-ci, ayant été des étudiants tiers-mondistes formés aux Etats-Unis, se réclamaient d'un Iran certes islamiste, mais moderne. Ils représentent aujourd'hui un courant modéré et pragmatique. Nombre d'entre eux ont été, par la suite, des partisans du président Khatami. M. Bernard Hourcade a souligné l'antagonisme opposant les combattants du front de la guerre Iran-Irak, au nombre desquels figure M. Qalibaf, à ceux qui, à l'instar de M. Ahmadinejad, avaient fait une carrière dans les services de renseignements intérieurs.
Evoquant le dossier nucléaire, M. Bernard Hourcade a considéré que le caractère de puissance nucléaire de l'Iran était désormais un fait, le pays disposant de la capacité technique et scientifique d'enrichir l'uranium. La destruction totale du programme nucléaire iranien par des moyens militaires est illusoire. L'application du protocole additionnel au Traité de non-prolifération de 2003 et 2005 a permis que ce programme se déroule sous le contrôle des inspecteurs de l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA), ce qui n'est plus le cas actuellement. En l'absence de toute avancée dans les négociations, ce programme se poursuit hors de tout contrôle international. Une action militaire serait une erreur majeure conduisant à une « bunkerisation » de l'Iran susceptible de vivre sur ses réserves et avec le risque que le pays développe, en dix ans, une capacité atomique militaire.
Devant l'impossibilité technique de parvenir à un résultat dans des délais brefs, la majorité de l'opposition iranienne considère l'objectif d'acquisition d'une capacité nucléaire militaire comme un suicide économique. Au contraire, l'annonce, pour le Nouvel an iranien (le 21 mars 2007), d'une avancée technologique symbolique, comme celle de la mise en service opérationnelle d'une capacité de centrifugation limitée (500 centrifugeuses), permettrait peut-être de contenter le pôle nationaliste et de sauver la face en cachant ainsi l'échec technologique. Dans cette hypothèse, les négociations pourraient reprendre en acceptant le programme dans son état d'avancement actuel mais en le plaçant immédiatement sous contrôle de l'AIEA, ce qui permettrait de satisfaire l'exigence d'un arrêt vérifiable et durable du programme militaire et d'éviter sa poursuite clandestine. L'Iran devrait alors appliquer totalement le protocole additionnel du Traité de non-prolifération.
a observé que cette option faisait débat entre les Etats-Unis et l'Europe. Il a estimé que l'Iran ne contrôlait plus directement le Hezbollah, dont les capacités militaires sont affaiblies au Liban, et que la préférence de Téhéran allait à une situation sous contrôle en Irak et non au désordre qui risquerait de se propager. L'Iran, conscient de ses faiblesses internationales, économiques et politiques, pourrait accepter une négociation, permettant le maintien de la République islamique.
Il a souligné, en conclusion, que le débat était ouvert en Iran mais aussi à l'échelle internationale. En France, le dossier suscite des clivages qui traversent les partis politiques et en rendent la gestion difficile. Il a ainsi regretté que la reprise d'initiative de la France ait été compromise par une évocation prématurée dans la presse de l'envoi d'un émissaire.
Un débat s'est instauré avec les commissaires.
a souhaité des précisions sur l'état d'avancement du projet d'implantation de l'entreprise Renault en Iran. Il a souligné la contradiction entre les déclarations des religieux, selon lesquelles « le nucléaire militaire serait contraire à l'Islam » et la poursuite du programme nucléaire sur le terrain. Il s'est interrogé sur les relations entre la Turquie et l'Iran, ainsi que sur l'effectif des différentes forces de sécurité.
a souligné que le cas de Renault illustrait moins l'embargo américain appliqué à l'Iran, que « l'auto embargo » que s'inflige le pays, les Iraniens nationalistes étant hostiles aux implantations étrangères qui tireraient profit de leurs activités dans le pays. Pour ce qui concerne Renault, le projet a été soutenu par les partenaires iraniens qui avaient réalisé des investissements importants, notamment à Tabriz. S'agissant de la licéité de l'arme atomique au regard de l'Islam, de nombreux islamistes considèrent que le rapport entre le coût et les bénéfices du programme nucléaire militaire est trop élevé et que la priorité doit être donnée aux échéances énergétiques civiles à l'horizon 2020. Le pays, qui compte 70 millions d'habitants, est un géant dans la région et n'a pas besoin de la bombe atomique pour s'affirmer comme tel. La feuille de route annoncée en 2005 par Téhéran sur le programme nucléaire consiste à se doter de capacités d'enrichissement, puis à signer le protocole additionnel au TNP. Cette décision pourrait faire l'objet d'une annonce d'ici la fin du mois de mars. Ce scénario est considéré comme crédible par le directeur général de l'AIEA, M. El Baradei. Par ailleurs, l'Iran et la Turquie entretiennent des rivalités, mais s'accordent sur la question du Kurdistan. Cependant, a souligné M. Bernard Hourcade, la grille ethnique, trop utilisée, en particulier aux Etats-Unis, n'est pas pertinente pour l'analyse du pays. Les Kurdes font certes primer leur nationalité, mais le clivage entre Sunnites et Chiites est devenu plus important. Il faut surtout tenir compte de l'évolution « moderne » de la population et de la nouvelle classe moyenne qui domine le pays. Les effectifs des Pasdarans s'élèvent à environ 150 000, ceux de l'armée à environ 300 000 personnes, quant aux Bassidjis, ils constituent une force populaire de volontaires et non de combattants dont l'effectif, variable, ne peut être précisément évalué.
s'est déclaré surpris par l'accent mis par l'orateur sur la faiblesse de l'Iran. Il a relevé que ce qualificatif n'était pas précisément celui qu'utilisaient les voisins de ce pays. Il a souhaité des précisions sur le clivage entre le chiisme et le sunnisme, tel que présenté dans le discours des autorités jordaniennes et saoudiennes sur le développement du « croissant chiite ». Il a considéré que, dans l'hypothèse d'un éclatement de l'Irak, ce clivage serait pertinent. Il a estimé que l'argument de la faiblesse de l'Iran pourrait contribuer à conforter les thèses des Etats-Unis en faveur d'une chute du régime.
a concédé que son propos pouvait apparaître comme paradoxal, mais que l'Iran était une grande puissance régionale par défaut et qu'il avait toujours suscité la crainte de ses voisins. Le fait chiite est un fait objectif et ancien en Iran, mais aussi dans d'autres pays du Moyen-Orient. Les évolutions actuelles portent sur l'arrivée au pouvoir de Chiites dans des pays gouvernés jusqu'à présent par une minorité sunnite. L'opposition entre arabes et persans s'est ainsi déplacée vers une opposition entre Chiites et Sunnites. L'Iran peut certes utiliser cette géographie culturelle, mais ses moyens d'action restent limités. Le Hezbollah n'est pas seulement un agent de l'Etat iranien. L'arc chiite existe, mais il n'est pas nouveau. L'approfondissement du clivage entre Sunnites et Chiites nuirait au premier chef à l'Iran. L'Iran est un pays fort « par nature », mais la République islamique est actuellement affaiblie malgré son discours.
Le régime est profondément enraciné et l'on ne peut espérer sa chute à brève échéance. Il est vraisemblable que le président Ahmedinejad, en dépit d'un affaiblissement très réel de sa position, ira jusqu'au terme de son mandat, en 2009. Mais une recomposition politique est envisageable autour d'hommes tels que Khatami et Qalibaf. Un effondrement de l'Iran reproduirait vraisemblablement la situation irakienne. Des pressions politiques, diplomatiques, économiques ou encore culturelles sont préférables à une attaque frontale. La politique américaine a le défaut de vouloir aller trop vite et de ne pas prendre suffisamment en compte les réalités.
s'est interrogé sur l'efficacité des sanctions économiques et financières, ainsi que sur l'évocation dans la presse de l'initiative du Président de la République d'envoyer un émissaire à Téhéran.
s'est interrogé sur les initiatives politiques envisageables face à une vision simpliste et réductrice de l'Iran.
a rappelé que l'Iran était sous embargo depuis 25 ans, ce qui montre que l'arme économique a une efficacité marginale. En tant que pays en développement, l'Iran peut supporter des pressions plus fortes. Certains Etats, à l'exemple du Venezuela, de la Chine et de la Russie, sont susceptibles d'offrir une aide économique, tandis que la population, bien que mécontente, s'est accoutumée à une certaine médiocrité de son niveau de vie. Les entreprises internationales connaissent le potentiel du pays, mais le dossier nucléaire bloque toutes les initiatives, alors que certains en Iran ne souhaitent pas la venue d'entreprises étrangères et craignent notamment les évolutions sociales que ne manquerait pas d'entraîner la venue d'un nombre important d'expatriés. La sortie de la crise nécessiterait d'accepter l'Iran tel qu'il est dans ses trois composantes islamiste, nationaliste et scientifique, ainsi que l'état d'avancement du nucléaire iranien, et de privilégier la négociation. En France, le débat traverse les partis, mais ne bénéficie pas du suivi politique nécessaire, qui avait prévalu en 2003. L'Iran souhaite vraisemblablement des discussions discrètes et informelles permettant d'étudier les scénarios possibles de sortie de crise et de proposer des solutions aux négociations officielles. En tout état de cause, le statu quo est la pire des situations.