Intervention de Claude Domeizel

Commission des affaires sociales — Réunion du 22 mai 2007 : 1ère réunion
Pensions de réversion — Examen du rapport

Photo de Claude DomeizelClaude Domeizel, rapporteur :

Puis M. Claude Domeizel, rapporteur, a fait valoir que le montant des dépenses annuelles engagées au titre de la réversion par l'ensemble des régimes de retraite entrant dans le champ couvert par la commission des comptes de la sécurité sociale excède 17,7 milliards d'euros, soit plus de 10 % du total des charges de prestations légales de vieillesse. Les droits dérivés constituent une part déterminante des ressources des conjoints survivants, notamment pour les femmes, qui représentent 92 % des bénéficiaires, soit 3,45 millions de personnes, contre seulement 304 000 hommes.

Le droit français de la réversion présente un caractère hybride : dans le régime général et les régimes alignés et assimilés, la pension de droit dérivé correspond à un droit contributif réservé aux plus modestes, puisque l'ouverture des droits des assurés sociaux est subordonnée au respect d'une condition de ressources ; à l'inverse, les régimes de retraite des trois fonctions publiques, ainsi que les régimes spéciaux et les deux grands régimes complémentaires obligatoires (Agirc et Arrco) partagent une approche contributive et patrimoniale, fondée sur l'idée que la réversion est un droit acquis.

En outre, chacun des régimes sociaux fonctionne selon des mécanismes spécifiques et complexes, ce qui entraîne un traitement inégalitaire, et parfois inéquitable, des pensionnés.

a considéré que, rétrospectivement, la réforme des pensions de réversion, intervenue en 2003/2004, peut être jugée comme une maladresse, voire un fiasco, car elle a été largement menée sous le signe de l'improvisation. Cette réforme avait été inspirée par le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, dont les préconisations ont été traduites, trois ans plus tard, par l'article 31 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites. Celui-ci a modifié l'accès à la réversion dans le régime général et les régimes alignés : la détermination du plafond de ressources devait être rationalisée ultérieurement par voie réglementaire, tandis qu'était supprimée progressivement toute condition d'âge, de durée du mariage et de non-remariage du conjoint survivant. Or, ces nouvelles dispositions ne correspondaient à l'époque à aucune demande des partenaires sociaux ou des représentants des veufs et veuves et n'avaient pas fait l'objet d'une analyse approfondie de leur portée économique pour les publics intéressés.

La réforme n'avait pas suscité, sur le coup, de réactions notables. Il n'en a pas été de même, un an plus tard, lorsque sont parus les deux décrets d'application du 24 août 2004 tendant, d'une part, à élargir les ressources prises en compte dans le calcul du plafond, d'autre part, à introduire un contrôle annuel du niveau des revenus des conjoints survivants. Ces modifications importantes ont alors suscité un vif émoi dans l'opinion publique. En conséquence, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait décidé la suspension de ces décrets, tout en sollicitant, de façon inédite, l'avis du Conseil d'orientation des retraites (Cor) pour sortir de la crise. De nouvelles dispositions réglementaires ont été prises ensuite, en décembre 2004, et elles ont adapté la nouvelle législation des pensions de réversion sur trois points importants : la suppression de la condition d'âge a été étalée sur cinq ans et ne sera donc effective qu'au 1er janvier 2011 ; les réversions complémentaires ont été exclues des ressources prises en compte pour le calcul du plafond du régime général ; le contrôle annuel des ressources ne s'appliquera qu'en deçà de l'âge de soixante ans, le montant de la pension étant cristallisé lorsque le pensionné atteint cet âge ou part à la retraite.

a noté que contrairement à ce que pouvaient laisser croire les analyses initiales de la Cour des comptes et du Gouvernement, ces mesures présenteront un coût net réel, évalué par la Cnav à 500 millions d'euros par an à l'horizon 2020 pour le régime général. Mais l'impact positif de ces dépenses supplémentaires n'est guère perceptible par les assurés sociaux, car elles ont été « saupoudrées » sur de nombreux bénéficiaires.

Par ailleurs, il a considéré que la réforme de 2003/2004 n'est pas parvenue à corriger le caractère globalement incohérent et inégalitaire de la réversion en France : si un quart des veuves perçoit une pension de réversion mensuelle d'un montant inférieur à 277 euros et si les trois quarts d'entre elles bénéficient de moins de 708 euros, une femme sur dix dispose de plus de 1 000 euros mensuels d'avantage principal de droit dérivé. Entre les 10 % de conjoints survivants les plus pauvres et les 10 % les plus aisés, l'écart s'inscrirait même dans une proportion de 1 à 20 !

Puis M. Dominique Leclerc, rapporteur, a indiqué qu'il partage avec M. Claude Domeizel l'idée que la réversion demeurera encore longtemps indispensable, ne serait-ce que pour assurer la subsistance des veuves dépourvues de droits directs. Deux raisons majeures expliquent que, contrairement aux pays d'Europe du Nord, il ne saurait être question en France, même à long terme, de supprimer la réversion. En premier lieu, la différence de salaire entre les hommes et les femmes demeure importante, de 10 % à 20 % selon les secteurs. En second lieu, si le taux d'activité des femmes a progressé régulièrement depuis l'après-guerre, on constate que le nombre d'heures de travail effectuées au cours de la vie active stagne à partir des générations 1955-1960, en raison notamment de l'activité à temps partiel. En conséquence, les femmes nées au début des années 70 auront certainement, en moyenne sur leur cycle de vie, le même taux d'emploi que la génération précédente, soit 57 % ou 58 %.

Ceci étant, le droit social doit aussi savoir évoluer et s'adapter à de nouveaux comportements : l'augmentation du nombre des divorces, la baisse du taux de nuptialité, l'augmentation de l'activité féminine ainsi que le développement de formes différentes de vie en couple, comme le Pacs.

Les pistes de réforme proposées par la Mecss ont pour objectifs :

- de cibler l'effort de la collectivité nationale sur les trois populations qui en ont le plus besoin en termes de maintien du niveau de vie du conjoint survivant : les veuves qui n'ont pas ou peu travaillé et se trouvent donc dépourvues de droits propres ; certains salariés du secteur privé qui ont peu de droits propres mais dont la pension de réversion est cependant écrêtée par le plafond de ressources ; les jeunes veuves ou veufs ayant plusieurs enfants à charge ;

- de reconsidérer l'équilibre des mesures prises en 2003/2004, en revenant sur certaines extensions et simplifications, qui ont exagérément ouvert le champ de la réversion, sans qu'il n'en résulte une amélioration perceptible des pensions, et avec le risque de voir se développer des comportements opportunistes, qui dénaturent la réversion ;

- de traiter en priorité le régime général et les régimes alignés dont le traitement est moins favorable globalement ;

- d'écarter à court terme, par souci de réalisme, l'idée d'un alignement des règles des régimes sociaux en matière de réversion, tout en souhaitant à plus long terme leur harmonisation progressive.

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