Intervention de Jean-Pierre Puissochet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 février 2006 : 2ème réunion
Union européenne — Cour de justice des communautés européennes - Audition de Mm. Philippe Léger avocat général et jean-pierre puissochet juge à la cour de justice des communautés européennes

Jean-Pierre Puissochet, juge à la Cour de justice des communautés européennes :

En réponse à ces observations, M. Jean-Pierre Puissochet a estimé d'abord que si les critiques sur les arrêts rendus par la Cour étaient naturellement totalement libres, elles ne paraissaient pas toujours fondées. Il a indiqué que la jurisprudence de la Cour visait à assurer un bon équilibre entre les droits des Etats membres et ceux des institutions communautaires. Ainsi, dans l'un des arrêts auxquels le chancelier autrichien avait fait allusion, la Cour avait rappelé que le principe de non-discrimination imposait à l'Autriche de s'assurer que les titulaires de diplômes d'enseignement secondaire obtenus dans les autres Etats membres puissent accéder à l'enseignement universitaire autrichien dans les mêmes conditions que les titulaires des diplômes autrichiens d'enseignement secondaire.

Revenant alors sur l'arrêt du 13 septembre 2005, M. Jean-Pierre Puissochet a souligné que cette décision n'exigeait pas une harmonisation pénale, mais reconnaissait la compétence de la Communauté européenne pour obliger les Etats membres à prévoir des sanctions pénales liées à la protection de l'environnement. Il a noté que dans ce litige classique portant sur le choix de la base légale, il s'agissait de déterminer si la décision-cadre devait être prise sur le fondement du traité sur l'Union européenne ou du traité instituant la Communauté européenne avec les conséquences importantes que ce choix emportait sur le processus décisionnel (respectivement, selon que le premier ou le troisième « pilier » était retenu : majorité qualifiée ou unanimité, exclusivité de l'initiative de la commission ou initiative partagée avec les Etats membres ...). La Cour de justice, a-t-il rappelé, a estimé que la décision-cadre ne constituait pas l'acte juridique approprié et qu'il convenait de passer par une directive adoptée sur le fondement de l'article 175 du traité instituant la Communauté européenne (compétences communautaires en matière de défense de l'environnement). L'arrêt doit être entendu, selon M. Jean-Pierre Puissochet, comme posant le principe de la compétence communautaire pour obliger les Etats membres à prévoir des sanctions pénales en matière de protection de l'environnement lorsque, selon les termes de l'arrêt, « l'application de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives par les autorités nationales compétentes constitue une mesure indispensable pour lutter contre les atteintes graves à l'environnement ». Il a souligné que le caractère nécessaire du recours à l'instrument pénal emportait par lui-même la compétence communautaire.

Il a indiqué néanmoins que l'arrêt était strictement cantonné à la protection de l'environnement et se fondait sur la spécificité de cette matière, qui constituait un objectif essentiel, transversal et fondamental de la Communauté. Il a ajouté que la Communauté ne pouvait pas déterminer ces sanctions elle-même et qu'il appartenait aux Etats de les définir à condition qu'elles présentent un caractère effectif, proportionné et dissuasif. Il n'était pas possible ainsi, d'après M. Jean-Pierre Puissochet, de déduire de cet arrêt une communautarisation du droit pénal. Il a reconnu néanmoins que cet arrêt avait donné lieu à une interprétation différente, notamment de la part de M. Christian Philip, qui, dans un rapport élaboré au nom de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, avait craint que le principe ainsi posé par la Cour ne soit étendu à d'autres matières importantes que le traité avait dévolues à la communauté. Ces craintes, a-t-il ajouté, s'étaient nourries de l'interprétation systématique faite par la Commission européenne de cet arrêt en lui donnant une portée générale. La Commission avait en effet estimé confirmée la position qu'elle avait prise à l'occasion de l'adoption de la décision-cadre du 27 janvier 2003 censurée par l'arrêt du 13 septembre 2005 selon laquelle la Communauté était compétente pour édicter des sanctions pénales nécessaires pour atteindre un objectif communautaire et, a ajouté M. Jean-Pierre Puissochet, elle a d'ailleurs décidé d'engager un recours contre une autre décision-cadre relative à la lutte contre la pollution par les navires.

a indiqué que l'arrêt du 12 juillet 2005, Commission contre France dit « Poisson sous taille », marquait la volonté de la Cour de justice des Communautés européennes d'obliger les Etats membres à mettre à exécution ses décisions. Il a expliqué qu'avant l'entrée en vigueur du traité de Maastricht (1992), il n'existait pas de procédure contraignante à l'égard des Etats qui n'exécutaient pas les arrêts en manquement de la Cour. La nouvelle procédure judiciaire dite de « manquement sur manquement » introduite par le traité de Maastricht (article 228 du Traité CE) consiste à permettre à la Commission qui constate l'inertie d'un Etat condamné par la Cour pour manquement à ses obligations communautaires de saisir une deuxième fois cette juridiction pour lui demander une nouvelle condamnation de cet Etat a-t-il expliqué, ajoutant qu'il appartenait à la Commission européenne de suggérer la mesure susceptible d'être prononcée, à savoir, une amende forfaitaire ou une astreinte périodique.

a signalé que le recours à ce dispositif, après avoir été peu utilisé au départ, s'était accru au cours des quatre dernières années. Il a indiqué que, dans un premier temps, la Cour avait jugé que la condamnation à une astreinte constituait le moyen le plus efficace pour conduire un Etat récalcitrant à respecter les obligations découlant du droit communautaire, ainsi que l'avaient illustré les premiers arrêts rendus -l'un concernant la Grèce en juillet 2000 et l'autre, l'Espagne, en novembre 2003. Il a observé que la sanction prononcée par la Cour dans ces deux affaires avait été très proche de celle demandée par la Commission.

a indiqué que le durcissement notable des sanctions pécuniaires infligées aux Etats membre qui refusent de tirer les conséquences d'une décision de justice introduit par l'arrêt du 12 juillet 2005 s'expliquait notamment par la persistance, pendant une longue période, du manquement de l'Etat récalcitrant, en l'espèce la France, à ses obligations communautaires. Il a précisé que l'évolution de la jurisprudence de la Cour n'était pas imputable à la Commission européenne qui, conformément à la pratique naissante, s'était bornée à demander la condamnation de l'Etat en cause à une astreinte. Il a ajouté que les juges s'étaient ralliés aux conclusions de l'avocat général, lequel avait proposé d'aller au-delà de la proposition de la Commission en prononçant à la fois une astreinte et une amende d'un montant financier très élevé (respectivement près de 58 millions d'euros par semestre de retard et 20 millions d'euros). Il a indiqué que la Cour de justice des Communautés européennes avait reconnu avoir interprété les sanctions financières prévues à l'article 228 du traité CE de manière extensive, considérant possible de cumuler astreinte et amende au regard de la finalité poursuivie, à savoir inciter les Etats membres défaillants à exécuter un arrêt en manquement et, ainsi, assurer l'application effective du droit communautaire.

s'est déclaré conscient de l'émoi suscité par cet arrêt eu égard aux montants très élevés des sanctions pécuniaires prononcées et à l'infléchissement de la jurisprudence antérieure de la Cour. Il a signalé qu'en outre, la position des juges de la CJCE avait eu des répercussions sur la mise en oeuvre par la Commission européenne de l'article 228 du Traité CE, rappelant que cette dernière avait adopté une communication le 13 décembre 2005 annonçant son intention :

- de demander systématiquement à la Cour la condamnation de l'Etat membre défaillant au paiement d'une astreinte et d'une amende dans toutes les affaires et dans toutes les hypothèses ;

- de ne plus se désister d'une procédure en manquement sur manquement lorsque l'Etat défaillant exécute tardivement la décision de la Cour avant le prononcé du second arrêt, contrairement à sa pratique antérieure.

a jugé prématuré de tirer des conclusions définitives sur l'évolution de la jurisprudence de la Cour de justice en matière de sanctions financières à l'égard des Etats qui ne respectent pas leurs obligations communautaires, après avoir néanmoins noté la détermination de la Commission européenne à assurer l'application la plus complète possible de recours formés devant la CJCE. Il a indiqué qu'on distinguait deux périodes distinctes dans la politique de la Commission, une première période allant jusqu'en 1975 caractérisée par un régime apaisé durant laquelle la Commission ne poursuivait les Etats qu'en cas de violations très graves aux obligations communautaires, étant précisé qu'on dénombrait peu de manquements et une seconde période à partir de la présidence Jenkins (1977-1981), qui a modifié cette pratique dans le sens d'une plus grande sévérité à l'égard des Etats récalcitrants. La poursuite systématique des Etats défaillants peut paraître rude, a-t-il constaté, mais lui a paru nécessaire pour éviter que certains membres de l'Union européenne n'aient un sentiment d'impunité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion