Je ferai d'abord quelques observations sur le contexte dans lequel s'inscrit aujourd'hui notre aide publique au développement.
En 2009, et malgré la crise, les apports des pays développés à l'aide publique au développement se sont accrus, tous types d'aide confondus, de 0,7 % par rapport à 2008. Hors allègements de dettes, cette progression atteint 6,2 %. Quelque 119,6 milliards de dollars ont été ainsi versés par les pays riches aux pays en développement. Les Etats-Unis ont conservé leur premier rang parmi les donateurs, avec près de 29 milliards de dollars. La France, avec un effort de 9 milliards d'euros, soit 0,46 % du revenu national brut, s'est hissée au deuxième rang des donateurs en volume, devant l'Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon. Mais, dans le classement en valeur, c'est-à-dire en fonction de l'effort d'aide au développement rapporté à la richesse nationale, notre pays n'est qu'à la onzième place, juste derrière le Royaume-Uni et la Suisse, et devant l'Espagne et l'Allemagne. Les Etats-Unis ne sont que dix-neuvièmes, entre le Portugal et la Grèce.
L'année 2010 devrait donner lieu à une nouvelle progression de l'aide française, à hauteur de 9,7 milliards d'euros, soit 0,5 % du revenu national brut. Toutefois, pour 2011, un repli est anticipé, avec 9,5 milliards d'euros d'aide, soit 0,47 % de la richesse nationale, dont 7,1 milliards portés par le budget général de l'Etat.
En tout état de cause, la France semble encore loin de pouvoir traduire en actes son engagement, pourtant renouvelé en 2008, de consacrer à l'aide publique au développement, en 2015, 0,7 % de la richesse nationale. Pour 2010 déjà, notre pays n'honorera pas son engagement d'au moins 0,51 % du revenu national brut, alors que le Royaume-Uni devrait y parvenir. Il est vrai que nous ne serons pas seuls dans cette situation de défaut, que connaîtra également, entre autres, l'Allemagne.
La part bilatérale « programmable » de l'aide publique au développement française est minoritaire. En effet, l'aide multilatérale et européenne - environ 4 milliards d'euros - représente 45 % de notre aide globale, mais cette proportion dépasse la moitié si l'on ne tient pas compte des dépenses bilatérales dites « non programmables », c'est-à-dire constatées « ex post ». Cette répartition est préjudiciable à l'aide « de terrain » - aide aux projets, coopération technique, etc. Or il en va du rayonnement international de notre pays car, grâce à son aide bilatérale, la France est visible à l'étranger, et d'abord auprès des populations bénéficiaires ; dans la masse de l'aide multilatérale, son rôle passe souvent inaperçu. De ce point de vue, il est heureux que la France ait obtenu, pour la période 2011-2013, une baisse de sa clé de contribution au Fonds européen de développement (FED). En 2011, cette contribution représentera tout de même 804 millions d'euros.
En outre, la comptabilisation en « aide publique au développement » de certaines dépenses non programmables est sujette à caution, comme l'aide versée à Wallis-et-Futuna, de l'ordre de 85 millions d'euros par an, l'aide au développement visant normalement les Etats étrangers. En revanche, on note un progrès : du fait de la transformation de Mayotte en département en 2011, l'aide versée à cette île - environ 300 millions par an - ne sera plus comptée en aide au développement.
De même, on peut contester que soient considérés comme « aide au développement » les frais d'écolage des étudiants en France ressortissants des pays en développement et les aides accordées aux réfugiés originaires de ces pays - soit respectivement, en 2009, 670 millions et 270 millions d'euros. À l'inverse, certaines dépenses publiques, qui concourent pourtant de façon effective au développement, ne sont pas comptabilisables comme telles selon les normes de l'OCDE, notamment la dépense fiscale assise sur les dons aux organisations de solidarité internationale.
L'aide bilatérale française bénéficie principalement à l'Afrique subsaharienne - 49 % du total - et aux pays à revenu intermédiaire. Toutefois, en 2009, la Chine et la Turquie ont respectivement occupé le deuxième et le cinquième rangs des bénéficiaires. Là encore, on peut s'interroger sur la qualification d'« aide au développement »...
Cela dit, notre dispositif d'aide publique au développement se trouve, actuellement, dans une phase de rationalisation. Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), lors de sa réunion du 5 juin 2009, a resserré les priorités géographiques et clarifié les priorités sectorielles. À la suite, un document cadre, élaboré tout au long de 2010 et finalisé par le Gouvernement au début de ce mois-ci seulement, nourrit l'ambition de « refonder » la politique de coopération au développement, pour répondre aux défis du monde contemporain. Le Parlement a été invité à participer à la réflexion et le Sénat y a pris une large part. Au mois de mai dernier, conjointement avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, nous avons organisé une « table ronde », puis auditionné le ministre des affaires étrangères. En juin, je vous ai présenté une communication sur le projet de document cadre, et les recommandations auxquelles a donné lieu notre débat ont été adressées au ministre. Enfin, le 4 novembre dernier, le Sénat a tenu un débat sur la politique de coopération et de développement, qui s'est notamment appuyé sur le rapport d'information entre temps publié par nos collègues rapporteurs pour avis, et auquel j'ai pris part.
Le document cadre a le mérite de présenter la doctrine française d'aide publique au développement. Il considère que cette aide ne doit pas relever de la charité, ni de la seule compassion, mais d'une stratégie géopolitique, dans laquelle on considère non seulement la nécessité de soulager la pauvreté, mais également les intérêts de notre pays dans le monde. Néanmoins, il n'aborde que de façon très parcimonieuse les aspects financiers, le choix ayant été fait de dissocier l'exposé de la stratégie et la programmation des moyens budgétaires. Bien que compréhensible, cette organisation n'en nuit pas moins à la crédibilité des ambitions affichées.
En outre, le statut du document cadre reste indéterminé : ce texte n'a pas de valeur juridique, et le CICID n'a pas été convoqué pour son adoption formelle. Dans ces conditions, et à ce stade, on peut douter de l'autorité politique qu'il revêtira en pratique. Pour prévenir le risque du « voeu pieu », je pense qu'il faut inviter le Gouvernement, en séance, à donner à ce nouvel outil les formes appropriées d'adoption et de publicité officielle qu'il requiert.
J'en viens à la mission « Aide publique au développement », mission interministérielle qui se compose de trois programmes, dont les deux plus importants, par le volume de crédits, sont pilotés, l'un, par le ministère chargé de l'économie et, l'autre, par le ministère des affaires étrangères. Le troisième programme relève du ministère chargé de l'immigration, c'est-à-dire, à présent, du ministère de l'Intérieur.
Je m'en tiendrai ici à des observations de portée générale, renvoyant pour le détail à mon rapport écrit.
Une modification de périmètre clarifie la répartition des crédits gérés par le ministère des affaires étrangère entre la mission « Aide publique au développement » et la mission « Action extérieure de l'Etat », répartition jusqu'à présent peu lisible. En conséquence de ce changement, l'essentiel des crédits de la coopération culturelle - les bourses, ainsi que le fonctionnement des services de coopération et d'action culturelle et des établissements culturels - relèvera désormais du rapport de notre collègue Adrien Gouteyron.
Sur le fond, le projet de loi de finances prévoit, pour la mission « Aide publique au développement », 4,5 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 3,4 milliards en crédits de paiement (CP). Cette dotation représente 47 % des CP du budget général prévus pour 2011 qui seront comptabilisables en aide publique au développement - soit 7,1 milliards d'euros au total. La politique transversale de l'aide au développement, en effet, repose, à titre principal, sur quatorze programmes et sept missions du budget général. Ainsi, la mission « Recherche et enseignement supérieur » devrait contribuer à cette politique, l'année prochaine, à hauteur de 965 millions d'euros, dont 669 millions d'euros au titre de l'écolage des étudiants en France ressortissants des pays en développement.
Mais la mission « Aide publique au développement » ne représente, elle, que 35 % du total de l'aide publique au développement française estimée pour 2011. Le reste de l'effort national en la matière proviendra, outre les crédits du budget général, des crédits hors budget général, que va présenter Edmond Hervé ; d'opérations de traitement de dettes des pays pauvres qui n'ont pas directement d'impact budgétaire ; de la coopération décentralisée des collectivités territoriales - 70 millions d'euros en 2009 ; enfin, du produit de la contribution de solidarité sur les billets d'avion - 170 millions l'année dernière.
Par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale pour 2010, on constate une forte hausse des autorisations d'engagement (+ 59 %). Cette hausse tient au hasard du calendrier de la reconstitution des fonds multilatéraux auxquels la France contribue. En particulier, la reconstitution triennale du capital de l'Association internationale de développement, fonds de la Banque mondiale, justifie l'ouverture de 1,2 milliard d'euros.
Les crédits de paiement de la mission, en revanche, sont quasiment constants, d'un exercice à l'autre ; et la programmation pour 2011-2013 assure cette stabilité sur l'ensemble de la période, notamment en faveur du programme géré par le ministère des affaires étrangères. Ce dernier point est important, car ce programme concentre la part de l'aide la plus visible, pour les populations bénéficiaires, notamment les dons-projets mis en oeuvre par l'Agence française de développement (AFD). L'orientation budgétaire ainsi retenue témoigne de la priorité que le Gouvernement a choisi de donner à la politique d'aide au développement ; le rapporteur spécial ne peut que s'en réjouir.
Les dépenses de personnel de la mission, qui sont d'ailleurs exclusivement relatives au programme du ministère des affaires étrangères, s'élèvent pour 2011 à 221 millions d'euros. Le plafond d'autorisations d'emplois correspondant est fixé à 2 517 équivalents temps plein travaillé, soit par rapport au plafond autorisé pour 2010, à périmètre constant, une diminution de 1,75 %. Cette évolution confirme les efforts précédents de réduction des effectifs du programme mis en oeuvre par le ministère.
Enfin, deux catégories de dépenses fiscales se trouvent rattachées à la mission. Il s'agit d'une part, du prélèvement libératoire à taux réduit sur les produits de placement dans le cadre d'un mécanisme d'épargne solidaire et, d'autre part, de la réduction d'impôt sur le revenu au titre des sommes épargnées sur un compte épargne « co-développement ». Mais ces dépenses fiscales devraient être proches de zéro, l'année prochaine comme les années antérieures, faute de souscripteurs pour les dispositifs en cause. En effet, le compte épargne et le livret d'épargne « co-développement » ont été conçus pour un public « cible » qui, dans les faits, ne dispose pas de l'épargne nécessaire. L'utilité du maintien de ces instruments financiers est donc douteuse. Quant à l'abrogation de niches fiscales toutes théoriques, elle ne servirait pas à grand chose dans la perspective de réduire le déficit budgétaire.