Le débat d'orientation des finances publiques peut parfois donner l'impression d'un exercice rituel sans grande portée, mais il prend place cette année dans un contexte particulier.
En 2008 et 2009, la France a connu une récession économique particulièrement forte qui a dégradé considérablement les comptes publics, notamment les comptes sociaux. L'an dernier à la même époque, puis lors de l'examen du projet de loi de financement, le Gouvernement rendait la crise responsable de la plus grande partie des déficits et indiquait que la résorption de ceux-ci passerait d'abord par la reprise de la croissance. Un an plus tard, la reprise demeure très incertaine et on constate que les déficits conjoncturels provoqués par la crise sont en train de devenir structurels. A cet égard, le précédent du début des années 2000 est très éclairant. En 2002, le déficit du régime général de la sécurité sociale était limité à 3,5 milliards d'euros. La France a alors subi un ralentissement économique qui a porté le déficit à 10 milliards environ, niveau auquel il s'est stabilisé entre 2003 et 2008. Ce qui menace aujourd'hui, c'est une stabilisation du déficit à 20 ou 25 milliards. Une telle évolution est absolument insoutenable à moyen terme.
Quelle est la situation des comptes sociaux en 2009 et 2010 ? En 2009, le déficit de la sécurité sociale s'est élevé, pour l'ensemble des régimes de base, à 20,3 milliards d'euros, soit un quasi-doublement par rapport à l'année précédente. Toutes les branches ont été affectées par cette situation. En particulier, la branche maladie, dont le déficit avait été ramené de 8 milliards à 4,4 milliards en trois ans, a vu son déséquilibre atteindre 10,6 milliards.
Alors que les recettes de la sécurité sociale croissaient fortement auparavant, elles ont diminué en 2009. Les dépenses ont connu une croissance encore dynamique, qui s'est établie, comme en 2008, à 4,2 %. Les dépenses maladie du champ de l'Ondam ont progressé de 3,7 % par rapport à 2008, compte tenu d'un dépassement de 740 millions de l'objectif initial. Un fort dérapage a en effet été constaté en fin d'année sur les établissements de santé, en raison d'un volume d'actes plus important que prévu, de la nouvelle tarification mise en place en mars 2009 et de l'épisode grippal de fin d'année.
En revanche, l'augmentation des prestations de retraites servies par la Cnav s'est infléchie en 2009, du fait de la diminution du nombre de départs en retraite anticipée, passé d'environ 100 000 en 2008 à 25 000 en 2009. La baisse de ces départs est liée à l'allongement de la durée d'assurance requise, en application de la loi de 2003, et aux restrictions apportées aux régularisations de cotisations arriérées.
Les prestations familiales ont crû en 2009 à un rythme légèrement supérieur à celui de 2008, soit de 3,3 %.
Selon les dernières prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale, le déficit du régime général atteindrait, en 2010, 26,8 milliards d'euros et concernerait à nouveau toutes les branches, la branche maladie demeurant la plus déséquilibrée. Les recettes progresseraient faiblement, tandis que les dépenses continueraient à augmenter à un rythme proche de celui des années précédentes.
Ainsi, dans son avis du 28 mai 2010, le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie a estimé que l'objectif pour 2010 pourrait être dépassé de 600 millions d'euros en l'absence de mesures correctrices. Le Gouvernement a immédiatement annoncé la mise en oeuvre de mesures destinées à infléchir l'évolution de l'Ondam, notamment un gel de crédits qui seront délégués ultérieurement en fonction de l'évolution des dépenses.
A la fin de l'année 2010, le déficit pourrait atteindre 13,1 milliards pour la branche maladie, 9,3 milliards pour la branche vieillesse, 3,8 milliards pour la branche famille et 0,6 milliard pour la branche AT-MP.
Le fonds de solidarité vieillesse, qui avait connu deux années d'excédent en 2007 et 2008, retrouve des niveaux de déficits considérables. Cette situation s'explique certes par la montée du chômage, qui accroît ses charges, mais aussi par l'amputation des recettes de CSG qu'il a subie en 2009 au profit de la Cades.
La certification des comptes de la sécurité sociale par la Cour des comptes intervient chaque année avant le 30 juin. En 2008, la Cour ne s'était pas estimée en mesure de certifier les comptes des branches famille et vieillesse. Pour 2009, la seule branche à ne pas recevoir la certification est la branche vieillesse. La Cour estime que l'activité de liquidation dans la branche retraite se caractérise par des risques d'erreurs et un contrôle interne encore insuffisant même si elle relève que les données relatives aux périodes assimilées chômage adressées par Pôle emploi ne comportent plus l'erreur systématique identifiée en 2008.
Les comptes de toutes les autres branches ont été certifiés, mais avec des réserves. Pour les comptes de l'Acoss une réserve concerne les comptes cotisants des travailleurs indépendants qui comportent de très nombreuses anomalies depuis la mise en place de l'interlocuteur social unique (Isu). Cette réforme est entrée en vigueur il y a deux ans ; il est temps que les erreurs et anomalies soient corrigées.
Trois sujets essentiels seront au coeur des travaux de la commission des affaires sociales à l'automne : la dette sociale, les retraites et l'assurance maladie.
Sur la dette, la commission avait proposé, lors de l'examen du PLFSS pour 2010, une première reprise de dette de 20 milliards par la Cades accompagnée d'une hausse modérée de la CRDS, compte tenu de l'ampleur des déficits constatés. Le Gouvernement s'était alors opposé à cette proposition mais s'était engagé à réunir, au printemps, une commission de la dette sociale composée de parlementaires afin d'examiner toutes les hypothèses permettant de traiter la dette issue des déficits du régime général et du FSV.
Dans l'attente, l'Acoss a dû porter cette dette en recourant à des ressources non permanentes et son plafond de découvert a été fixé au niveau record de 65 milliards d'euros. Même si ce montant maximum ne devrait pas être atteint, une telle situation ne sera pas tenable une année supplémentaire.
En effet, le plafond des ressources non permanentes de l'Acoss est destiné à couvrir un besoin de trésorerie courant et non un déficit provenant de la divergence entre les dépenses et les recettes de sécurité sociale. La Cour des comptes a proposé dans son dernier rapport que le niveau de ce plafond soit limité à 30 milliards et que le Gouvernement ne puisse plus modifier par décret le seuil fixé par la loi de financement de la sécurité sociale. Cette piste, qui permettrait d'éviter la tentation d'un report des solutions nécessaires, mériterait d'être examinée.
Une reprise de dette par la Cades est désormais obligatoire, puisque les déficits cumulés des années 2009 et 2010 devraient atteindre près de 55 milliards d'euros et si l'on y ajoute les déficits prévus pour 2011, 87 milliards, soit l'équivalent de la totalité de la dette que la Cades a déjà actuellement à rembourser.
Compte tenu des montants en jeu, il apparaît maintenant pratiquement inévitable que la durée de vie de la Cades soit prolongée de quelques années. Mais il importe que cette reprise de dette soit préparée dans des conditions garantissant que la crédibilité du processus de remboursement de la dette sociale demeure aussi forte après la reprise qu'avant.
Il faut notamment qu'elle soit accompagnée de ressources robustes et pérennes. Aujourd'hui, la Cades est financée essentiellement par la CRDS, qui est un impôt lisible et assis sur une assiette très large couvrant l'ensemble des revenus.
Pour reprendre les déficits du régime général et du FSV pour 2009 et 2010, sans allonger la durée de vie de la caisse, il faudrait attribuer à la Cades, 0,47 point de CRDS et porter le taux de celle-ci de 0,5 % à 0,97 %. Le transfert des déficits 2009 à 2011 impliquerait d'en porter le taux à 1,24 %.
Le Gouvernement a déjà annoncé qu'il souhaitait affecter à la Cades les ressources et les actifs du fonds de réserve des retraites pour lui permettre de rembourser les dettes résultant des déficits de l'assurance vieillesse entre 2011 et 2018. Les modalités techniques selon lesquelles le FRR viendra alimenter la Cades ne sont pas encore connues, mais il est certain que cette ressource ne pourra pas permettre le remboursement de l'ensemble des nouvelles dettes sociales puisqu'elle sera dédiée à celles de la seule branche vieillesse. En outre, une partie des actifs du FRR, environ 3 milliards d'euros, ne peut être affectée au remboursement de la dette car elle correspond à la soulte liée à l'adossement du régime des industries électriques et gazières au régime général.
Dans ces conditions, d'autres ressources seront nécessaires pour assurer le financement de la dette sans qu'on sache encore ce qu'elles pourraient être. Une trop grande diversification des ressources de la caisse présenterait néanmoins d'importants inconvénients pour la Cades qui se prévaut auprès des investisseurs et des agences de notation de la simplicité de son financement et de la qualité de la ressource qui lui est exclusivement affectée.
Une autre question importante est celle du calendrier de la future reprise de dette. L'opération à venir présente une certaine complexité, dès lors que les éléments qui la déterminent pourraient figurer dans trois ou quatre projets de loi distincts :
- un allongement de la durée de vie de la Cades, quelles que soient les modalités de celui-ci, implique une modification de l'article 4 bis de l'ordonnance de 1996 issu de la loi organique de 2005 et, en conséquence, le dépôt d'un projet de loi organique ;
- le contenu définitif de la future loi portant réforme des retraites permettra seul de déterminer si le transfert des ressources et des actifs du FRR à la Cades est à même de permettre la prise en charge de l'ensemble des déficits de la branche vieillesse et du FSV pour la période 2011-2018 ;
- enfin, le montant de la reprise de dette, ainsi que la nature et le niveau des ressources qui l'accompagnent ont vocation à figurer dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, voire le projet de loi de finances pour 2011.
Dans ces conditions, il est impératif que la commission des affaires sociales puisse disposer de la totalité des informations et éléments chiffrés relatifs à cette reprise de dette à venir et aux recettes prévues dès la présentation du premier des textes qui sera soumis à son examen.
En l'absence de telles informations, le Sénat ne pourrait se prononcer de manière convenablement éclairée sur une opération dont les conditions de réalisation démontreront le degré de volonté des pouvoirs publics d'éteindre, dans des délais raisonnables, la dette sociale.
Sur les retraites, la Mecss a travaillé pendant plusieurs mois et a formulé des orientations très complètes sur les évolutions souhaitables du système. Elle a jugé nécessaire que tous les paramètres disponibles puissent être expertisés pour endiguer les déficits de l'assurance vieillesse devenus insoutenables. L'allongement de la durée d'activité est un élément essentiel de ce rétablissement financier et la mission a estimé possible d'augmenter l'âge légal de départ en retraite à condition de prendre en compte la pénibilité et de conduire une politique active en faveur de l'emploi des seniors. La Mecss a également identifié de nombreuses pistes susceptibles d'apporter aux régimes de retraite des recettes supplémentaires qui seront indispensables au cours des années à venir. Elle a souhaité que politique de l'emploi et retraites soient des sujets traités conjointement. La pénibilité doit évidemment être prise en compte par une amélioration des conditions de travail, mais une compensation individualisée au titre de la retraite mérite d'être étudiée pour les personnes exposées à des facteurs de pénibilité dans le passé. La politique en faveur de l'emploi des seniors doit être intensifiée et il convient de vérifier que les préretraites ne sont pas en voie d'être remplacées par d'autres dispositifs tels que la rupture conventionnelle pour les écarter du marché du travail.
La Mecss a surtout souhaité que puisse être mise à l'étude une véritable réforme structurelle du système de retraite, qui permettrait de le rendre plus lisible, plus simple et surtout plus équitable. L'harmonisation progressive des paramètres et règles de calcul entre régimes, le rapprochement des gouvernances et le renforcement du droit à l'information des assurés font partie des pistes évoquées par la mission, de même que l'organisation d'un large débat national qui permettrait d'envisager le passage progressif à un système par points dans les régimes de base.
Depuis la publication du rapport de la Mecss, le Gouvernement a présenté son projet de réforme, qui repose sur un allongement de la durée d'activité par le relèvement progressif de l'âge légal de départ en retraite et prévoit des mesures d'accroissement des recettes, ainsi que des dispositions relatives à la pénibilité, au rapprochement des règles applicables dans le public et le privé et aux dispositifs de solidarité.
Comme pour l'opération de reprise de dette en cours de préparation, les mesures constituant la réforme des retraites figureront, selon leur nature, soit dans le projet de loi spécifiquement consacré à cette question, soit dans le projet de loi de finances, soit encore dans le projet de loi de financement. Au cours de leur examen, la commission des affaires sociales devra être particulièrement attentive à l'efficacité de la réforme pour résorber les déficits insupportables que connaît l'assurance vieillesse, mais aussi à son équité et à la prise en compte de la nécessité de préparer une modernisation plus profonde du système.
Sur l'assurance maladie, qui n'est pas un chantier moins important que les deux précédents, il faut d'abord relever le dépassement systématique de l'Ondam. En 2009, les dépenses relevant de l'Ondam ont progressé de 3,7 % alors que l'objectif voté en loi de financement était de 3,3 %. Pour 2010, le comité d'alerte a déjà identifié un risque de dépassement non négligeable qui a conduit le Gouvernement à prendre des mesures immédiates. Le déficit de la branche, supérieur à 10 milliards en 2009, pourrait s'élever à 13 milliards en 2010.
Ces différents chiffres posent la question du pilotage des dépenses d'assurance maladie, qui n'apparaît pas assuré dans de bonnes conditions aujourd'hui. Un groupe de travail présidé par Raoul Briet a travaillé sur cette question et a formulé des propositions importantes. Il a rappelé que si les dépassements d'Ondam sont apparemment faibles (0,7 % en moyenne par an), les masses financières en jeu sont considérables. La somme des dépassements constatés depuis 1997 a en effet atteint 19,4 milliards en euros constants.
Le groupe a donc formulé plusieurs recommandations pour améliorer la construction et la gouvernance de l'Ondam. Il a proposé d'organiser, via le comité d'alerte, une expertise externe, avant le vote de la loi de financement, sur les hypothèses techniques sous-tendant la construction de l'Ondam, d'enrichir l'information du Parlement en étoffant le contenu des documents annexés au projet de loi de financement, de renforcer le caractère pluriannuel de la régulation.
Le groupe de travail a également souhaité la création d'un comité de pilotage de l'Ondam et le renforcement de son suivi statistique et comptable. Il a surtout recommandé d'abaisser progressivement le seuil d'alerte à 0,5 % de l'Ondam, contre 0,75 % actuellement. Pour faciliter le respect de l'objectif, le groupe de travail a préconisé d'instaurer des mécanismes systématiques de mise en réserve en début d'année sur les dotations s'apparentant à des crédits budgétaires.
Lors de la deuxième session de la conférence sur le déficit, le Président de la République a annoncé que toutes les mesures d'économies suggérées par ce rapport seront mises en oeuvre pour respecter l'Ondam de manière systématique, y compris en 2010.