Intervention de Adrien Gouteyron

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 30 mars 2011 : 1ère réunion
Contrôle budgétaire des contributions financières de la france aux organisations internationales — Communication

Photo de Adrien GouteyronAdrien Gouteyron, rapporteur spécial :

Puis la commission entend une communication de M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, sur les contributions financières de la France aux organisations internationales.

Dans mon rapport d'octobre 2007, je mettais en exergue l'écart significatif entre les sommes destinées au financement des organisations internationales inscrites au budget et la dépense réelle de l'État. Cet écart, rappelions-nous à M. Josse, directeur du budget, et à M. Driencourt, alors secrétaire adjoint du Quai d'Orsay lors de leur audition, le 26 septembre 2007, commandait un retour au principe de sincérité budgétaire. J'ai eu envie de poursuivre ce premier travail sur la qualité de l'information donnée au Parlement. Durant près de deux ans, j'ai effectué un contrôle dans nos représentations permanentes et les organisations internationales : l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à Paris ; l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) à Bruxelles ; l'Organisation internationale du travail (OIT), l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Fonds mondial contre le sida à Genève ; le Conseil de l'Europe à Strasbourg ; et, enfin, l'Organisation des Nations Unies (ONU) à New York. Récemment, je me suis également déplacé à Londres, songeant qu'il y avait peut-être matière à tirer quelques enseignements de l'exemple britannique.

Pour commencer, quelques chiffres. Rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'État », je me suis principalement intéressé aux contributions obligatoires, soit la quote-part du budget général des organisations internationales que la France doit acquitter en sa qualité de membre. En loi de finances pour 2011, leur estimation était de 842,5 millions, dont 560 millions pour l'ONU et les opérations de maintien de la paix (OMP) et des contributions de plus de 10 millions pour une douzaine d'organisations telles que l'OTAN, l'OCDE, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'OMS ou encore l'OIT. Au total, ces contributions représentent désormais près de la moitié des crédits du programme 105, le grand programme politique du Quai d'Orsay. A périmètre constant, l'analyse des contributions obligatoires de 2005 à 2010 fait apparaître une augmentation de 31 % de celles-ci, soit une progression moyenne de 5,6 % par an, et une réduction de l'écart entre la prévision et l'exécution au fil des ans. Notre commission y est sans doute pour quelque chose... Dans la loi de finances pour 2011, il a été ainsi tenu compte de l'évolution du taux de change entre l'euro et le dollar. Dans le détail, on observe que le budget des contributions, en augmentation de 2,2 % par an, a été relativement maîtrisé, contrairement à celui des OMP qui a progressé de 10 % par an. En bref, la forte augmentation des contributions obligatoires s'explique par la progression des OMP et une plus grande sincérité budgétaire. Le Gouvernement ne se voile plus les yeux en loi de finances initiale pour augmenter le déficit en loi de finances rectificative. Compte tenu de l'importance de ces contributions, j'ai voulu me pencher sur la gestion interne de ces organisations, l'adéquation des quotes-parts de la France ainsi que l'action du Quai d'Orsay et de nos représentations permanentes auprès de ces organisations - au reste, la seule compétence qu'accorde la LOLF au rapporteur spécial.

Lors de mes déplacements, j'ai constaté, malgré la diversité des situations de ces organisations, le développement d'une culture de bonne gestion. Le contexte y est favorable : les États, contraints de réaliser d'importants efforts de maîtrise des dépenses, attendent de la part des organisations qu'ils financent la même rigueur dans la gestion. Autre facteur, la hausse des contributions volontaires dans le budget total - la France se distingue d'ailleurs des autres États sur ce point, nous y reviendrons - qui conduit les donateurs à exiger davantage de « retour sur investissement ». A l'OMS, ces contributions représentent désormais 80 % du budget, contre 20 % il y a vingt-cinq ans. Résultat, les organisations recourent de plus en plus à des maquettes proches de nos projets annuels de performance : chaque budget est assorti d'objectifs précis et d'indicateurs de performance. Par exemple, l'OMS, dans son budget pour la période 2010-2012 décline treize objectifs. Cette organisation suit un processus budgétaire assez représentatif. Deux ans avant l'adoption du budget, l'administration centrale élabore un avant-projet qu'elle transmet à ses six comités régionaux ; en fonction des retours de ces derniers, la direction en charge du budget revoit sa copie - je l'ai constaté sur le terrain -, puis la transmet au Conseil exécutif, composé de trente-quatre états membres désignés par leurs pairs. Une fois passée cette première année, l'administration, en tenant compte des observations du Conseil exécutif, met au point un projet de budget définitif ; celui-ci est soumis à l'Assemblée des États au sein de laquelle le consensus est de mise. Le budget est donc une création commune de l'administration centrale, des comités régionaux - les services de terrain - et des États-membres. Lorsque vient le temps de la clôture des comptes et de leur soumission à des certificateurs externes, chaque État membre reçoit un rapport, comparable à nos rapports annuels de performance, qui retrace l'exécution budgétaire et le suivi des objectifs.

Les structures de contrôle des organisations internationales apparaissent généralement robustes. Prenons le cas de l'OIT : elle est dotée d'un auditeur interne indépendant qui bénéficie d'un réel pouvoir - entre autres, il a un accès direct au conseil d'administration - et, en fonction de son analyse des risques, contrôle, chaque année, 10 % des structures de l'organisation. En sus, un auditeur externe intervient. Son rôle est davantage de vérifier la régularité des opérations et l'exactitude des comptes. Il s'agit généralement d'une « Cour des comptes » nationale, voire de plusieurs. En l'espèce, l'OIT avait confié son mandat à la Vérificatrice générale du Canada. Sous l'impulsion de son ancien Premier président Philippe Séguin, notre Cour des comptes joue un rôle croissant en ce domaine. La Cour a exercé jusqu'à onze mandats, elle en a huit actuellement ; le rapport sur l'OMC, que M. Séguin était venu présenter lui-même, avait été très apprécié à Genève ! Les suites données à ces conclusions, qu'elles émanent de l'audit interne ou de contrôleurs externes, dépendent de la pression que les États membres exercent ou non sur le secrétariat...

Ce cadre commun masque une diversité réelle entre les organisations. Plus le nombre d'États membres est élevé, plus on observe une absence de corrélation entre le poids politique de chaque État et sa responsabilité financière - je reviendrai sur l'exemple emblématique de l'ONU.

Plus le poids des contributions volontaires dans le budget global est élevé, plus les organisations se plient, sous la pression des contributeurs, à la rigueur gestionnaire. Enfin, la culture économique de certaines organisations, par exemple l'OMC, les incite à la rigueur.

Certaines organisations font face à des coûts particuliers : la construction de nouveaux sièges, pour l'OTAN ou l'OMC, ce qui me semble d'ailleurs correspondre à des besoins réels ; les règles de rémunération des organisations dites coordonnées, très favorables au personnel car l'évolution des rémunérations est notamment indexée sur l'inflation ; enfin, la croissance de l'activité, qui devrait, par exemple, conduire la Cour européenne des droits de l'homme à recruter soixante-quinze nouveaux juristes par an de 2010 à 2012, ce qui pèse sur les finances du Conseil de l'Europe dont la Cour fait partie.

J'en arrive à l'ONU. Je ne sais si cette organisation est un « machin », mais c'est, en tout cas, une grosse machine ! Le monde entier ou presque y est représenté, selon la règle : un pays, une voix. L'organigramme est fort complexe, avec 44 000 fonctionnaires répartis dans de nombreux pays et de nombreuses directions.

Le processus budgétaire est très rigide et doit aboutir à un consensus. J'ai été frappé, lors du lancement de la négociation des quotes-parts pour 2010-2011, par le « choc » des pétitions de principe. Mes entretiens avec divers représentants permanents m'ont confirmé la diversité des points de vue ainsi que le poids du « Groupe des 77 et de la Chine » (G77), qui regroupe les pays en développement, plus la Chine. Ces derniers payent très peu tout en demandant beaucoup à l'ONU ; toutefois, il faut souligner que nombre d'entre eux contribuent d'une autre façon aux charges de l'organisation, par exemple en fournissant des troupes aux OMP.

D'un autre côté, les États-Unis tiennent farouchement au plafonnement de leur quote-part à 22 % - alors qu'ils représentent 26 % à 27 % de l'économie mondiale. Les Européens et le Japon sont donc les « banquiers » du système. Ainsi, les pays de l'Union européenne, qui représentent environ 30 % du PIB mondial, financent l'ONU à hauteur de 40 %. Français et Britanniques payent de surcroît une prime liée à leur statut de membre permanent du Conseil de sécurité. Nos intérêts convergent donc pleinement avec ceux du Royaume-Uni. En revanche, l'Allemagne, qui souhaite obtenir un siège de membre permanent, est plus réceptive aux demandes du G77...

Le contrôle de la gestion existe à l'ONU ; il est même pléthorique : bureau des services de contrôle interne, comité des opérations d'audit, corps commun d'inspection, comité consultatif indépendant pour les questions d'audit... Au risque, à empiler ainsi les structures, de diluer la responsabilité de chacun.

Comment notre administration gère-t-elle ces contraintes et comment essaie-t-elle de maîtriser l'évolution de cette dépense ?

Je salue le souci de rigueur du ministère des affaires étrangères, lui-même soumis à une forte contrainte budgétaire. Notre action, les messages que nous adressons aux organisations internationales sont cohérents. La France est identifiée comme un État soucieux de rigueur budgétaire et de retour sur investissement. J'ai constaté que nous nous efforcions de faire partager cette vision, notamment à nos partenaires européens. Nous nous cherchons des alliés afin de maîtriser la dépense.

Cependant, cette action se heurte à une réalité parfois déplaisante. Le poids de certaines structures, comme l'ONU ou l'OTAN, freine les efforts de rationalisation. D'autre part, nous ne comptons pas toujours beaucoup d'alliés, a fortiori dans les grandes organisations. Enfin, la France concentre son action multilatérale sur le Fonds européen de développement (FED), avec 804 millions d'euros en 2011, et le Fonds mondial contre le SIDA, avec 300 millions. Nos contributions volontaires autres sont très faibles : 48,9 millions pour l'ensemble du système des Nations-Unies, moins que la Suède. Ce n'est pas un facteur d'influence... Cette faiblesse m'a été maintes fois soulignée, tant par les organisations que par nos postes et par le Quai d'Orsay.

Au vu de ce panorama, j'espère que vous comprenez pourquoi je m'oppose chaque année aux amendements diminuant la ligne des organisations internationales au motif qu'il « n'y a qu'à » payer moins... Il s'agit d'une illusion, car les moyens d'actions du ministère sur ces dépenses sont contraints.

Il y a tout de même des marges de progression. Ainsi, j'estime que nous devons, certes, payer notre part, mais seulement notre juste part du budget des organisations. De plus, s'agissant des contributions volontaires, il faut mesurer l'adéquation de nos financements à nos objectifs afin de permettre au Parlement de trancher en connaissance de cause. Enfin, nous devons faire en sorte de renforcer les contrôleurs des organisations internationales. Je vais vous détailler chacune de ces « têtes de chapitres ».

Au préalable, je soulignerai simplement qu'une certaine inefficience d'organisations telles que l'ONU est inévitable. Malgré tout, nous devons garder en mémoire que la France bénéficie globalement du multilatéralisme, en termes d'influence politique, mais aussi en termes financiers : les OMP, dont nous sommes l'un des premiers prescripteurs au Conseil de sécurité, coûtent moins cher qu'un déploiement équivalent de soldats français !

Mais, comme je l'ai indiqué, nous n'avons pas à payer plus que notre juste part du fardeau. Il nous faut, d'une part, maintenir la pression sur les administrations des organisations internationales de sorte qu'elles « tiennent » leur budget, et, d'autre part, trouver des alliés pour les négociations sur les quotes-parts. Ce ne sera pas simple... mais nous y arriverons peut-être à condition d'agir au niveau politique - et pas seulement technique -, et d'agir en amont, avant que le G77 n'ait arrêté sa position. À nous de convaincre certains pays francophones que les grands pays émergents doivent payer davantage ; nos amis britanniques pourraient faire passer le message au sein du Commonwealth...

Enfin, la France devra veiller à la renégociation de la rémunération des personnels des organisations coordonnées. Pourquoi le traitement des fonctionnaires de certaines organisations internationales serait-il indexé sur l'inflation ?

La concentration de nos contributions volontaires sur deux fonds traduit un vrai choix. Du reste, le Fonds mondial fait preuve d'une grande rigueur et d'une réelle transparence. Néanmoins, au vu de ses conséquences en termes d'influence de notre pays dans le monde, ce choix gagnerait à être débattu devant le Parlement, comme l'a d'ailleurs suggéré notre collègue Yvon Collin, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement ». Un tel débat devrait être préparé avec soin pour éviter tout clientélisme. Nous pourrions nous inspirer de l'exemple britannique : à l'issue d'un contrôle de plus d'un an, le ministère britannique du développement vient de rendre public un rapport sur l'efficacité des sommes engagées dans les diverses organisations internationales, et a proposé à la Chambre des communes, selon les cas, d'augmenter, de stabiliser, de diminuer, voire de supprimer ces lignes budgétaires.

Enfin, en matière de contrôle, il faudrait promouvoir la candidature de la Cour des comptes auprès d'organisations internationales, ainsi que celle d'autres Cours qui s'attachent à l'optimisation de la gestion. L'allongement du mandat des auditeurs externes à six ans renforcerait le poids des contrôleurs. De manière générale, il faut faire pression sur les organisations internationales pour que les recommandations des contrôleurs soient suivies d'effets.

L'implication du Parlement national apporte une véritable valeur ajoutée, en confortant le Gouvernement dans son message de rigueur : celui-ci peut faire valoir qu'il subit la pression de son Parlement ! Nous devons nous approprier ces sujets.

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