Monsieur le Président, mes chers collègues, la commission des finances m'a fait l'honneur de me confier l'examen des crédits de la politique de l'emploi et de l'apprentissage et je l'en remercie. Ce sont des sujets qui me tiennent à coeur notamment parce que la compétence en matière de formation professionnelle a été transférée aux régions. C'est aussi un enjeu majeur pour notre pays dans la crise économique qu'il traverse. A ce sujet, je recevrai, après notre réunion de commission, une délégation représentant une entreprise bourguignonne qui licencie 500 personnes.
Il me revient donc de vous présenter les crédits des programmes 102 et 103 et du compte d'affectation spéciale « Financement du développement et de la modernisation de l'apprentissage ». Je formulerai ensuite mes observations concernant le vote de ce budget.
Tout d'abord, quelques chiffres. Pour 2012, les crédits de la mission « Travail et emploi » s'établissent à 10,2 milliards d'euros de crédits de paiement et subissent une réduction de 11 % par rapport à 2011 (11,6 milliards d'euros). Le périmètre de la politique de l'emploi représente 9,4 milliards d'euros, soit 92 % des crédits de la mission ainsi répartis :
- 5,4 milliards d'euros pour le programme 102 « Accès et retour à l'emploi » ;
- 4 milliards d'euros pour le 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi ».
En outre, le compte spécial « Apprentissage » comporte 575 millions d'euros destinés à assurer la péréquation de la taxe d'apprentissage entre les régions et le financement des contrats Etat-régions en faveur de l'apprentissage.
Quels sont les points marquants de ce budget pour 2012 ? Tout d'abord, il faut noter que pour participer à l'effort de réduction du déficit public, le Gouvernement a décidé de diminuer les moyens des programmes 102 et 103 de 1,4 milliard d'euros par rapport à 2011. Il faut toutefois s'étonner du fait que la totalité de la réduction des crédits porte sur des dépenses d'intervention. Cela s'explique notamment par la fin des financements exceptionnels du plan de relance de l'économie de 2009 qui pesaient encore près de 600 millions d'euros en 2011. Mais l'essentiel relève du choix du Gouvernement de sous-budgétiser de nombreux dispositifs. Je citerai quelques exemples :
- la subvention de l'Etat au Fonds de solidarité pour le financement de l'allocation de solidarité spécifique baissera de 200 millions d'euros (906 millions d'euros en 2012 au lieu de 1,15 milliard en 2011) ;
- la participation de l'Etat au financement des maisons de l'emploi devait baisser de 30 millions d'euros, mais nos collègues de l'Assemblée nationale ont souhaité limiter ce « coup de rabot » à 15 millions d'euros, ce que j'approuve ;
- l'enveloppe allouée au paiement du marché de l'association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) pour les « publics fragiles » s'établit à 15 millions d'euros en 2012 au lieu de 51 millions en 2011 ;
- enfin, les crédits destinés au financement des contrats aidés sont ramenés de 2,02 milliards d'euros en 2011 à 1,9 milliard pour 2012.
Le Gouvernement présente la réduction des crédits affectés aux contrats aidés comme « assez marginale par rapport aux masses financières en jeu » mais cette réduction traduit le fait que l'objectif pour 2012 (340 000 contrats aidés) se situe en-deçà des 390 000 contrats aidés ouverts en 2011 (340 000 au titre de la loi de finances pour 2011 et 50 000 de plus décidés en cours d'année par le plan pour l'emploi). Cette sous-budgétisation est dangereuse. Et l'on pourrait penser que ce budget est insincère car il obligera tout futur Gouvernement à demander, en court d'année 2012, une ouverture massive de crédits supplémentaires afin de financer les contrats aidés qu'il faudra créer pour lutter contre la montée du chômage. Il faut rappeler qu'en 2010, la dépense finale des contrats aidés s'est élevée à 3,5 milliards d'euros de crédits au lieu de 1,77 milliard d'euros prévus initialement.
Enfin, je souhaite vous exposer un autre travers de ce budget. Ce que l'Etat ne peut financer lui-même, il le fait supporter par les partenaires sociaux, les opérateurs et les collectivités territoriales. Là encore, voici quelques exemples précis :
- pour financer la formation professionnelle, l'Etat veut pratiquer un nouveau prélèvement de 300 millions d'euros sur le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) et en transférer la gestion à l'AFPA (75 millions d'euros), à l'Agence de services et de paiement (200 millions d'euros) et à Pôle emploi (25 millions d'euros) ; donc de facto des crédits débudgétisés ;
- par ailleurs, le Gouvernement a fait voter à l'Assemblée nationale un amendement, déposé en séance au dernier moment et sans que la commission des finances ait été en mesure de l'examiner, qui supprime l'allocation spécifique du fond national de l'emploi destinée à financer les préretraites versées dans le cadre de plans sociaux.
Au final, il ne s'agit pas de méconnaître l'impératif de retour à l'équilibre des finances publiques. Il ne s'agit pas non plus de demander plus de dépenses car nous savons que l'effort d'économie à réaliser en 2012 sera certainement supérieur aux 6 à 8 milliards d'euros annoncés par le Gouvernement. Mais c'est en toute responsabilité qu'il faut regretter le choix fait de se désengager des politiques actives de l'emploi et de lutte contre le chômage en ne faisant porter l'effort d'économie que sur les dépenses budgétaires.
En quelques mots, et pour terminer, je voudrais vous dire pourquoi ce choix est mauvais et, en conséquence, pourquoi le budget de la politique de l'emploi de ce Gouvernement doit être rejeté.
En effet, le coût global de la politique de l'emploi en 2012 ne se limite pas aux seules dépenses budgétaires de la mission « Travail et emploi ». Il faut également prendre en compte les éléments suivants :
- d'abord, toutes les dépenses fiscales, les « niches » liées à l'emploi qui représentent 10,81 milliards d'euros ;
- ensuite les allègements généraux de cotisations patronales pour un montant de 23,6 milliards d'euros, dont les 20,1 milliards d'euros d'allègements généraux de charges « Fillon » et les 3,5 milliards d'euros d'exonérations relatives aux heures supplémentaires de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi « TEPA » ;
- enfin, une série d'exonérations ciblées de cotisations patronales qui représentent 1,84 milliard d'euros.
Au total, la politique de l'emploi mobilisera donc 47 milliards d'euros en 2012. C'est 9 % de moins que l'année dernière (51,44 milliards d'euros).
Ces économies sont nécessaires. Mais comme je viens de l'exposer, nous avons le choix de réduire un poste de dépenses plutôt qu'un autre.
Le choix du Gouvernement est clair : il veut réduire drastiquement les dépenses budgétaires d'intervention. Ce faisant, il prive le pays d'un levier de lutte important contre le chômage. Le budget pour 2012 de la politique de l'emploi ne sera pas de nature à influer activement sur la conjoncture. Il ne comporte aucune mesure nouvelle permettant de prendre le relais du plan de relance et de faire face à la dégradation du marché de l'emploi. Il fait même courir le risque d'une explosion des dépenses sur les dispositifs sous-budgétisés : les contrats aidés, l'accompagnement des restructurations économiques et les dépenses de solidarité. Alors que les tensions sur le marché du travail sont reparties à la hausse pour la fin 2011 et 2012, l'objectif du Gouvernement de baisse du taux de chômage à 9 % relève aujourd'hui d'une politique d'affichage. Je ne m'en réjouis certes pas mais il faut voir la réalité en face.
La voie suivie par la nouvelle majorité sénatoriale est radicalement différente : plutôt que de réduire les seules dépenses d'intervention de la politique de l'emploi, il faut supprimer les niches fiscales et sociales très coûteuses et sans effet sur le marché du travail. Notre commission et la commission des affaires sociales ont voté la suppression du dispositif d'exonération des heures supplémentaires : cela représente une économie globale de 4,9 milliards d'euros, bien supérieure à celle que souhaite faire le Gouvernement sur les dépenses d'intervention en faveur de l'emploi.
C'est pourquoi, mes chers collègues, je propose à la commission des finances de rejeter les crédits de la mission « Travail et emploi » et du compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage ».
Sur ce sujet, je voudrais signaler le décalage entre l'objectif du Gouvernement de porter le nombre des apprentis à 600 000 en 2015 et la réalité du terrain qui est moins optimiste. Dans la région Bourgogne, le Préfet souhaitait fixer un objectif de 15 000 apprentis, mais celui-ci a dû être ramené à 13 000 dans la convention d'objectifs et de moyens Etat-Région.