Intervention de Charles Gautier

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 29 juin 2010 : 1ère réunion
Réforme de la politique commune de la pêche — Débat et présentation d'une proposition de résolution européenne

Photo de Charles GautierCharles Gautier, rapporteur au nom de la commission des affaires européennes :

Cette communication porte sur le projet de réforme de la politique commune de la pêche. Je souhaitais vous faire le point sur le projet en cours, les sujets en débat, et vous rendre compte d'une réunion interparlementaire organisée par le Parlement européen.

Pourquoi cette réforme moins de dix ans après la précédente ?

La politique commune de la pêche est, avec la politique agricole commune, la plus ancienne politique communautaire et la plus intégrée. La décision fondatrice remonte à 1970 lorsque la communauté décida d'un égal accès des zones de pêche à tous les pêcheurs des États membres, à l'exception d'une bande côtière, réservée aux nationaux. En 1983, la première véritable politique commune de la pêche est orientée sur l'accroissement des capacités de productions jusqu'à ce que la communauté fasse le constat de la surcapacité des flottes et de la surexploitation de la ressource.

La réforme de 2002 vise une exploitation durable de la ressource, fondée à la fois sur la limitation de l'effort de pêche par l'arrêt des subventions, sur la limitation des périodes de campagnes de pêche, et sur un dispositif de restrictions des captures via un dispositif articulé autour de deux notions cruciales : les totaux admissibles de captures - les TAC - et les droits à produire, autrement dit les quotas. Les TAC sont fixés au niveau communautaire par zone de pêche, hors Méditerranée, et par espèce. Les quotas sont répartis entre les États membres suivant un principe dit de stabilité relative, hérité d'un partage historique lié aux captures effectuées au milieu des années 70.

Pourtant, très vite, le système se montre défaillant. Quatre types de difficultés apparaissent.

- Il y a d'abord une difficulté technique : on s'aperçoit que la réglementation est assez souvent mal respectée et peu contrôlée, à l'exception de certaines pêcheries. En 2007, un rapport de la Cour des comptes européenne dresse un sévère constat sur les faiblesses de contrôle.

Le régime des quotas est assoupli par un système d'échanges entre États - tel État échange ses quotas sur une espèce dans une zone contre une autre espèce dans une autre zone (par exemple la France échange avec l'Espagne ses quotas d'anchois dans le Golfe de Gascogne contre un quota de soles en mer du Nord). Mais l'ensemble reste figé sur des références dépassées, entraîne beaucoup de lourdeurs administratives, voire des frustrations car les pêcheurs qui pêchent trop ou trop vite se retrouvent obligés de rester à quai alors que d'autres vont continuer à pêcher, pratiquement à leur barbe.

- Il y a également une difficulté économique. Le secteur est évidemment très fragile. En 2009, la Commission dresse ce constat terrible : « la réglementation a permis d'éviter l'évolution catastrophique des pêcheries ». On conviendra qu'il y a de meilleurs bilans. Pendant 15 ans, la politique commune de la pêche a aidé les constructions ; depuis 10 ans, elle pousse aux restructurations. Les efforts de limitation de pêche sont compensés par les progrès de productivité grâce à l'amélioration des engins et des techniques de pêche. Mais, deux tiers des poissons consommés en Europe sont importés alors que, à l'étranger, la pêche en mer et l'aquaculture sont parfois pratiquées dans des conditions sociales et environnementales peu satisfaisantes. L'étiquetage sur l'origine du lieu de pêche n'apporte aucune information sur ce sujet.

- Il y a ensuite une difficulté scientifique. Les TAC sont décidés par le Conseil, sur proposition de la Commission, mais aussi après avis d'un comité scientifique, le CSTEP (Comité scientifique, technique et économique de la pêche). Or, je ne connais pas de secteur où les avis scientifiques soient si controversés, entre scientifiques eux mêmes, entre les pêcheurs, qui passent leur vie en mer, et les biologistes, qui y font quelques prélèvements... La biologie marine est encore très mystérieuse. Il faut raisonner par espèce, par zone, tenir compte de l'incidence du changement climatique, étudier les migrations... Les idées qui paraissent spontanément évidentes, comme l'interdiction de pêche avant que les poissons aient atteint l'âge de frayer, s'avèrent moins pertinentes qu'il n'y paraît, car pêcher les gros poissons, c'est aussi pêcher les gros reproducteurs. La controverse scientifique sur la pêche n'est pas prête de cesser.

- Ce qui ne peut qu'accroître la quatrième difficulté d'ordre politique.

La pêche est un secteur politiquement très sensible. Il faut reconnaître que les États ont souvent exercé des pressions pour augmenter ou préserver les possibilités de pêche. La Commission rappelle par exemple, que « poussés par des pressions politiques et économiques, le secteur et les États membres ont demandé un nombre incalculable de dérogations, d'exceptions et de mesures spécifiques ».

Les tensions entre États membres sont également nombreuses, comme on a pu le constater lors de la dernière Convention de la CITES (convention sur le Commerce international des espèces menacées), consacrée, en avril dernier, au thon rouge. Il y avait trois possibilités : interdire la pêche en empêchant la commercialisation, limiter la pêche en interdisant l'exportation, ou laisser la situation en l'état par des durées et des quotas de pêche plus ou moins bien respectés. Les Vingt sept s'étaient mis d'accord sur la solution intermédiaire qui interdisait l'exportation ; toutefois, au moment du vote, quelques États membres ont suivi la solution maximaliste qui interdisait la commercialisation. Cette position a fait échouer l'ensemble et c'est donc la solution minimaliste, c'est à dire le statu quo, qui l'a emporté. Il s'agit d'un cas flagrant de manquement à la solidarité au sein de l'Union, pourtant exprimée par une position commune.

Enfin, c'est aussi un secteur très exposé médiatiquement du fait de la forte mobilisation de certaines organisations non gouvernementales qui ont fait de la pêche au thon rouge un emblème de leur combat écologique. Cette pêche, limitée à un mois par an et la plus contrôlée du monde en Méditerranée, est le dernier symbole de la lutte écologique qu'aucun argument ne pourra fléchir. Le sujet est passionnel et échappe aujourd'hui à toute logique.

C'est dans ce contexte qu'intervient le projet de réforme. Où en sommes-nous ?

Nous sommes au milieu du gué, entre la phase de lancement de la réforme et la phase de préparation législative stricto sensu. Le processus a débuté en avril 2009 par un livre vert de la Commission qui devait susciter un débat public. Près de 400 contributions ont été adressées. La synthèse a été publiée en avril 2010. La deuxième phase a commencé avec le positionnement du Parlement et du Conseil, dans l'attente de propositions législatives de la Commission prévues à l'automne prochain. La réforme est prévue pour le début 2012 avec une mise en oeuvre en 2013.

Il y a un accord général sur l'objectif de parvenir à organiser une pêche durable en « ramenant l'exploitation des stocks halieutiques à un niveau compatible avec la production maximale équilibrée » pour reprendre l'expression de la Commission. Néanmoins, après les positions de principe, plusieurs sujets font l'objet de controverses.

J'évoquerai quatre thèmes sur lesquels nous pouvons avoir quelques préoccupations.

Le premier thème est celui de l'organisation et de la gouvernance.

L'idée de départ est que la pêche ne se conçoit pas dans les bureaux de Bruxelles. Les régulations, même conçues sur le papier avec les meilleures intentions, s'avèrent souvent défaillantes ou pernicieuses. La pêche est un secteur où les mesures donnent naissance en effet à beaucoup d'incompréhension locale et d'effets pervers.

Le projet serait de remplacer la démarche hiérarchique par une démarche de bas en haut dite « bottom up » et de donner beaucoup plus de responsabilités aux acteurs locaux, presque tous organisés en organisations de producteurs. Il y a un large accord sur ce sujet, même s'il y a une inquiétude de fond : la régionalisation de la politique commune de la pêche ne doit pas conduire à sa renationalisation, au détricotage d'une politique commune.

De même, la Commission envisage de réserver les aides du fonds européen pour la pêche à la seule pêche artisanale, distinguée de la pêche industrielle par la taille du navire et la non-utilisation de chaluts de pêche. L'idée même de segmenter le marché est contestable, ne serait-ce que pour éviter les effets de seuils bien connus, et les critères proposés disqualifieraient une grande partie de la flotte française. Le projet actuel paraît inacceptable.

Deuxième thème : le volet social

On connaît le triptyque des politiques de développement durable dont la politique commune de la pêche est une illustration : la durabilité de l'exploitation des ressources doit être appréciée sur le plan économique, environnemental et social. Le troisième volet est plutôt le parent pauvre du projet de réforme.

Je rappellerai simplement que la pêche est un métier très dangereux, parmi les plus exposés au monde. Dans le monde, on recenserait environ 70 morts par jour. En France, le taux d'accident du travail est de 10 %. On recense en moyenne deux décès par mois, un décès pour 1 000 pêcheurs, soit 10 fois plus que dans le BTP ! Encore ne s'agit-il que de statistiques françaises avec une population attentive aux risques. Il y a certainement des améliorations à attendre dans ce domaine, notamment en matière de formation et de sécurité, et la réforme est une occasion de les proposer, en amorce d'une harmonisation du droit social des travailleurs embarqués.

Le troisième thème est celui des rejets de pêche. La pêche reste une activité de production assez aléatoire puisque le pêcheur remonte presque toujours des prises accessoires indésirables. Il peut s'agir soit de poissons non autorisés à la pêche, parce qu'ils sont hors quota ou parce que le quota a été épuisé, soit de poissons autorisés mais trop petits, soit, enfin, de poissons sans valeur marchande. Tous sont rejetés à la mer, morts par étouffement ou condamnés.

En Europe, on estime le taux de rejet entre 10 et 60 % des prises selon les pêcheries, soit une moyenne générale de 40 à 50 %. Ce sujet qui sera au coeur de la prochaine politique commune de la pêche appelle quelques observations.

1ère observation : certains pays en ont fait leur cheval de bataille. C'est le cas des pays du nord. Je me suis procuré un film qui a été projeté à nos homologues de la commission des affaires européennes du Parlement danois et que je vous invite à voir à votre tour. Le film, sans parole, n'a pas besoin de commentaires.

2ème observation : le sujet est médiatiquement explosif. Un reportage d'investigation sur une chaîne de grande écoute ferait des ravages. Car il y a bien matière à réflexion. Cette pratique est un gâchis économique, écologique et alimentaire. Un gâchis d'autant plus inadmissible que les stocks halieutiques s'épuisent.

3ème observation, encore plus embarrassante. Les rejets sont certes inhérents à la pêche, mais ils ont été aggravés par la politique commune de la pêche elle-même. C'est l'un des effets pervers que j'évoquais. La politique actuelle contrôle l'activité par des quotas de pêche mesurés au débarquement. Tout ce qui n'est pas prévu dans le quota est donc rejeté, ne serait-ce que par faute de place dans les cales réservées pour les « bons poissons » du quota. De même que la politique agricole commune administrée des années 70 a entraîné les surproductions, la politique commune de la pêche régulée a entraîné les rejets.

4ème observation : Nous ne devons pas nous arrêter à la critique, même quand elle est évidente. Hélas, les remèdes ne sont pas aussi simples. Il est par exemple plus facile d'éviter les prises accessoires quand on pêche des poissons du stock pélagique rassemblés en colonne d'eau, comme c'est le cas des harengs et du maquereau en mer du Nord, que quand on pêche des poissons au fond des mers. Plus on pêche près du sol, comme c'est le cas de beaucoup de pêches françaises, plus il est difficile de cibler les espèces et plus les prises accessoires sont inévitables.

Une solution préconisée aujourd'hui par certains États membres est de remplacer le quota de débarquement par un quota de prise, plus élevé bien entendu, associé à une sorte de système de primes en fonction des résultats des prises. On peut aussi travailler sur les engins de pêche, les mailles des filets, les bords de fuite, mais certaines espèces s'échappent des filets en remontant, d'autres en descendant..., la biologie marine est très complexe. Il faut par conséquent se méfier des solutions simplistes, mais plutôt travailler espèce par espèce en s'appuyant sur les organisations locales. La solution est moins dans une interdiction artificielle et inapplicable que dans une obligation de résultat, à charge pour les organisations de pêcheurs de trouver les meilleurs moyens d'y parvenir.

Le quatrième thème est celui des quotas. Aujourd'hui, les droits à produire sont fixés par espèce et par État membre, en respectant le principe de stabilité relative. Les échanges de quotas entre États donnent un peu de souplesse à ce système rigide, mais les quotas restent gérés au niveau national dans la mesure où, jusqu'à présent, les ressources halieutiques sont considérées comme un patrimoine collectif, puis sont partagées par les pêcheries.

La Commission propose de fixer des quotas individuels, calculés par exemple par jours de pêche ou en volume de capture. La réforme projetée est connue sous le nom de QIT, quotas individuels transmissibles. Cette proposition appelle de nombreuses réserves.

Tout d'abord, sur le plan des principes, le quota individuel vise à introduire la propriété privée dans un espace considéré aujourd'hui comme une propriété commune et, de surcroît, sur une matière vivante puisqu'il s'agit de la ressource marine. Il s'agit d'une étape de plus dans la marchandisation du monde vivant sur laquelle on peut s'interroger.

Sur le plan économique, les quotas individuels seraient transférables, achetables, capitalisables. En vérité, c'est moins le caractère individuel du quota qui est certes regrettable, mais concevable, que sa transmissibilité qui est en cause. La pêche serait un produit financier comme un autre, un marché comme un autre. Même si le Danemark paraît très satisfait de ce système, l'expérience dans d'autres pays est beaucoup plus embarrassante. Je peux témoigner de ma récente visite en Islande sur les conditions d'adhésion du pays à l'Union européenne. Le sujet « pêche » avait, bien sûr, été abordé. À quoi ont conduit les QIT ? À des concentrations, à la quasi-disparition des pêcheurs artisanaux, à des achats spéculatifs, à la prise de contrôle par les banques. Peut-on accepter que la pêche soit entre les mains des banques, des assurances, et bientôt, peut-être, des fonds de pension?

Il y a en France une forte inquiétude sur ce sujet et la crainte de dommages irréversibles, sans apporter de bénéfice pour l'amélioration et l'état des stocks. Si l'individualisation des droits n'est pas inenvisageable, leur gestion doit rester collective par les organisations de producteurs.

En guise de conclusion, je voudrais vous faire part de deux commentaires plus généraux.

La réforme de la politique commune de la pêche est l'une des premières grandes réformes de politique commune depuis la mise en oeuvre du traité de Lisbonne et le Parlement européen a pris l'initiative d'organiser une rencontre avec les parlements nationaux en début de mois.

Que penser de ce type de réunion, que le Parlement européen est amené à multiplier ? 20 États étaient représentés, sur 23 bordés par une mer, ce qui est un résultat exceptionnel. En revanche, peut-on parler d'échanges? Il s'agit plutôt d'une succession de monologues, de positions exprimées en 4 minutes par délégation puis 2 minutes par élu. La démocratie à 27 montre ses limites. Si l'on veut faire participer tout le monde, chacun fait son exposé, sans échange possible. Ce type d'exercice est en quelque sorte à la fois indispensable et un peu formel.

Cependant, à travers les présentations de chacun, on perçoit des lignes de force qui peuvent nous rassembler. Ainsi, comme la délégation française, les intervenants allemands et estoniens ont évoqué le côté culturel, identitaire même, de la pêche, qui n'est pas seulement un secteur économique en quête de compétitivité, mais un mode de vie qui structure une région. Ces réunions permettent d'identifier des alliances possibles.

Dernier mot de conclusion. La réforme de la pêche va anticiper la réforme de la politique agricole commune. Elle peut être un laboratoire pour de nouvelles idées. La future politique commune de la pêche valorisera beaucoup le rôle des organisations de producteurs. La Commission explique par exemple, je cite, qu'« une organisation commune des marchés qui délaisserait le soutien direct des prix pour mettre davantage l'accent sur l'amélioration de la manière dont les producteurs s'organisent garde toute son utilité ». C'est là une orientation qui peut aussi être utile pour la politique agricole commune.

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