Je suis heureux de vous présenter la position de GDF Suez sur le projet de loi NOME, en compagnie d'Henri Ducré, directeur général de la branche énergie France.
La fusion réussie de GDF et de Suez, que le législateur a autorisée en 2006, a fait de ce groupe l'un des premiers acteurs du paysage énergétique européen et mondial, avec un chiffre d'affaires de quelque 80 milliards et 200 000 salariés dans le monde, dont la moitié en France. La fusion n'a pas ralenti le rythme de nos embauches et de nos investissements, non plus que la crise : nous avons recruté l'an dernier 23 000 personnes, dont la moitié dans notre pays, et nous investissons chaque année plus de 10 milliards.
L'électricité constitue une part significative de notre activité. Nous avons plus de 73 000 MW installés auxquels il faut ajouter 20 000 MW en construction - soit, au total, presque l'équivalent du parc français - répartis dans le monde, notamment en Belgique, Brésil et, fait moins connu, au Moyen Orient où notre capacité de production électrique égale pourtant celle dont nous disposons en France et en Belgique. En France, nous avons également augmenté, depuis la fusion, notre capacité électrique, éolienne et thermique avec trois grandes centrales à turbine à gaz. Au total, nous y avons 7 700 MW installés répartis de manière équilibrée entre, d'une part, l'électricité éolienne et l'électricité thermique générée au gaz, d'autre part, l'hydraulique et le nucléaire - en partenariat avec EDF -, dont nous sommes respectivement les premiers et deuxièmes producteurs en France.
Nous sommes tout à fait favorables à la loi NOME, attendue de longue date par les acteurs français et européens. L'ouverture à la concurrence a succédé à la juxtaposition des monopoles des opérateurs historiques en Europe. Les opérateurs français en ont profité : l'Italien Enel a dû vendre des actifs, et EDF est entrée ainsi dans Edison; l'Allemand EnBW a également cédé des parts à EDF tandis que nous avons échangé des capacités avec E.ON ; EDF a acquis les anglais London Electricity et British Energy. En outre, le gouvernement anglais, souhaitant mettre fin au monopole dans le nucléaire, a cédé à GDF Suez, associé avec Iberdrola et Scottish and Southern Energy, des terrains situés à Sellafield, l'équivalent anglais de La Hague en vue d'y développer un projet nucléaire. En Belgique, GDF Suez a été contraint de céder des capacités nucléaires à E.ON et à SPE désormais acquise par EDF. Mais rassurez vous, avec la loi NOME, rien de tel n'arrivera en France à EDF.
La France a fait un choix différent et contrairement à la solution retenue dans les autres pays européens, le projet de loi NOME maintient le formidable atout que constitue, pour EDF, son monopole sur le nucléaire. Ce choix, auquel notre groupe ne s'oppose pas, peut se comprendre dans le contexte français, mais à condition que le prix de vente d'EDF à ses concurrents autorise une véritable concurrence, en particulier sur le marché des particuliers. Là est le point principal. Les opérateurs alternatifs ne pourront pas vendre aux particuliers à 35 euros le MWh une électricité qu'ils auraient achetée à EDF à 42 euros le MWh ! A 35 euros, prix actuel, EDF ne perd rien ; nous demandons à bénéficier non pas d'une subvention mais de ce même prix. Pour permettre la concurrence, ce texte, au-delà de la suppression du tarif réglementé transitoire d'ajustement au marché (TaRTAM) d'ici fin 2010, qui était discriminatoire - il nous a fait perdre les 8 % du marché des éligibles que nous avions gagnés -, doit être précisé pour garantir la concurrence dès 2011 sur tous les segments de marché, et notamment le marché des particuliers ; il doit aussi permettre une ouverture progressive sur la production nucléaire, en vue de la fin de l'ARENH à l'horizon 2025.
Comme dans les autres pays européens, le marché de l'électricité pour les particuliers doit être réellement ouvert à la concurrence, au bénéfice des consommateurs qui souhaitent des offres combinant fourniture de gaz, d'électricité et services liés à l'énergie, comme l'est, du reste, le marché du gaz avec des tarifs réglementés que les fournisseurs alternatifs peuvent concurrencer aisément. De fait, concernant le gaz, pèse sur le seul opérateur historique une obligation de service public de sécurité d'approvisionnement via des contrats de long terme, lesquels prévoient l'indexation du prix du gaz sur celui du pétrole. Les fournisseurs alternatifs, qui peuvent acheter du gaz sur le marché spot à un prix plus bas, peuvent offrir des tarifs concurrentiels. Résultat, nous avons perdu le marché du syndicat des communes d'Île-de-France. Pour autant, le système des contrats de long terme présente l'avantage de garantir l'approvisionnement et la stabilité des prix : en 2005, lorsqu'il y avait tension sur le gaz, les prix du marché spot étaient deux fois plus élevés que ceux du marché des contrats de long terme. Le législateur doit donc assurer une concurrence saine et équitable sur le marché de l'électricité aussi, objectif qu'il s'est fixé depuis dix ans ; il renforcera ainsi, en amont, l'émulation entre investisseurs et producteurs sur la meilleure manière de produire de l'électricité et d'équilibrer leur portefeuille, la recherche d'outils de production plus performants - le taux de disponibilité de nos centrales nucléaires belges est de 90 %, celui d'EDF était de 78 % l'an dernier ; en aval, il assurera des prix plus compétitifs et des offres combinées. Pour concilier ouverture des marchés et couverture des coûts de l'opérateur historique, la fourniture de l'énergie, du « ruban implicite » au sens de la Commission de régulation de l'énergie, doit être fixé à 35 euros par MWh. Un prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, à 42 euros par MWh, ferait obstacle à la concurrence, à moins d'envisager une hausse des tarifs appliqués aux particuliers que ni le Parlement ni le Gouvernement ne souhaite, et apporterait très vite à EDF une manne financière de 2,5 milliards par an supplémentaire à comparer à un résultat de 3,9 milliards l'an dernier. La bourse ne s'y trompe pas : dès que l'on parle du texte NOME, le cours d'EDF augmente, le nôtre baisse...
Je rappelle que ce projet de loi, contrairement aux idées fausses qui circulent, ne dépouillera pas l'opérateur historique - au contraire, il sanctuarise son parc d'actifs nucléaires ! - je rappelle aussi que le texte interdit de fait la vente à l'étranger d'électricité acquise via le mécanisme d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH). Autre idée fausse : il faudrait financer dès 2011 la prolongation du parc nucléaire. C'est certes un défi industriel et financier pour l'opérateur historique et il est légitime que le prix de l'ARENH couvre le coût de la prolongation du parc nucléaire -mais quand le moment en sera venu- ; notons du reste que cette opération est rentable à raison de 400 à 600 millions par tranche de 1 000 MWh à prolonger de vingt à trente ans ; y compris en Belgique et en Allemagne où les industriels paient l'État pour la prolongation du parc, et non l'inverse. La logique industrielle veut que l'on investisse, puis que l'on se rémunère avec les revenus tirés des investissements. Il est possible de fixer un ARENH à prix unique à condition d'adapter les autres paramètres, entre autres les volumes et la forme du produit - base pure ou modulée, en fonction du segment de marché considéré - particuliers, industriels. A défaut, à raison de 80 % de base, concurrencer les tarifs bleus à 35 euros par MWh pour les particuliers et le niveau TaRTAM à 42 euros par MWh pour les industriels qui en bénéficient nécessiterait respectivement un ARENH de 31 euros par MWh et un autre de 38 euros par MWh.
Pour conclure, il revient au législateur de s'assurer, en fixant les principes, que les modalités réglementaires de l'ARENH permettront aux opérateurs alternatifs de concurrencer EDF dès 2011 y compris sur le segment des particuliers. La loi NOME ne nous dispensera pas d'investir, nous investissons déjà. Après avoir mis en service plus de 1 800 MW, soit plus qu'un EPR, entre 2008 et 2010, nous comptons installer à long terme 5 000 MW supplémentaires, un réacteur nucléaire ATMEA et faire de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) un acteur des énergies renouvelables de taille européenne. A terme, il faudra trouver une solution pour remplacer les 120 TWh du mécanisme transitoire de l'ARENH. GDF Suez est prêt à investir, dans la prolongation du parc existant d'EDF comme dans un ATMEA. Il serait dommage d'avoir bâti un système sophistiqué original et adapté à la France si celui-ci n'aboutissait pas à une concurrence bénéfique pour tous, en matière de commercialisation de l'électricité jusqu'en 2025 et de production d'électricité nucléaire à long terme.