Intervention de Joël Bourdin

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 18 janvier 2011 : 1ère réunion
Prospective du pacte social dans l'entreprise — Examen en délégation

Photo de Joël BourdinJoël Bourdin, président, rapporteur :

Le Président du Sénat a souhaité, par lettre du 15 décembre 2009, que la Délégation à la prospective réfléchisse à l'avenir du pacte social tel qu'il fonctionne à l'intérieur des entreprises et qu'elle développe ainsi une réflexion pour une nouvelle gouvernance dans l'entreprise.

Un certain nombre de champs ont été offerts à nos analyses par la lettre du Président : le partage de la valeur ajoutée et les domaines que recouvre la notion de relations sociales : la politique managériale, la politique salariale, la représentation et l'implication des salariés.

Nous avons travaillé sur ces sujets, dans l'esprit des travaux de prospective, c'est-à-dire en commençant par établir des diagnostics pour, ensuite, dessiner des futurs possibles.

Nous avons procédé à de nombreuses auditions et à une revue très considérable de littérature. Nous avons aussi sollicité les représentations extérieures de la France par un questionnaire portant sur dix pays.

Avant d'exposer nos principales conclusions, il faut mentionner quelques-unes des nombreuses difficultés que rencontre la réflexion sur le pacte social dans l'entreprise.

La première difficulté est, bien sûr, de délimiter le sujet. Il n'est pas évident de définir ce qu'est l'entreprise et d'identifier les acteurs qu'elle mobilise. Il est également difficile de circonscrire ce qui, dans notre pacte social national, relève spécifiquement du système de relations qui s'instaure dans l'entreprise.

Ce sont d'ailleurs des conclusions à nos yeux importantes du rapport que d'insister sur la complexification des entreprises, sur la diversification de leurs situations et sur leur intégration à un système économique et social englobant où leurs marges de manoeuvre, ainsi que celles d'éventuels régulateurs, sont très loin d'être absolues.

Deuxième difficulté : au-delà des observations qu'on peut réunir, l'autre élément du diagnostic, celui concernant les causes, est souvent hypothétique et incertain.

Cette difficulté invite à la modestie ; elle plaide aussi pour des politiques publiques reposant davantage sur l'expérimentation, avec cependant les problèmes que pose toute expérimentation dans le champ du social, qui implique des hommes. Par ailleurs, les positions des acteurs, si elles sont souvent conflictuelles, sont aussi souvent déconcertantes, comme en témoigne l'opposition des syndicats à une plus forte implication dans les conseils d'administration des entreprises.

J'en viens au coeur du rapport, qui s'ordonne en trois parties, la première consacrée aux diagnostics, les deux dernières aux perspectives.

Dans l'ensemble, la ligne directrice du rapport est que, sauf à s'exposer à de sérieux revers, le fonctionnement du pacte social dans l'entreprise doit être significativement amélioré dans le sens d'une meilleure reconnaissance des salariés et d'une revalorisation du travail.

Les trois parties du rapport ont une structure commune qui traite successivement des rémunérations, de la gestion du personnel, des relations sociales et du gouvernement des entreprises et des aspects juridiques.

Dans la première partie, celle qui porte sur les diagnostics, nous constatons en premier lieu que le pouvoir d'achat des salaires ne s'améliore plus que très lentement. Par ailleurs, les inégalités se renforcent, le chômage étant en permanence la toile de fond du salariat.

En ce qui concerne le ralentissement de la progression du pouvoir d'achat du salaire par tête, la responsabilité de ce phénomène est souvent recherchée, à juste titre, du côté de la décélération des gains de productivité. Mais cette explication n'épuise pas le sujet : il faut encore compter avec les conditions de partage de la valeur ajoutée.

Le ralentissement des gains de productivité est paradoxal alors même que l'objectif de maximisation de la productivité est une caractéristique dominante de l'air du temps. On peut même avancer que des composantes essentielles de la situation sociale du pays, la faible dynamique des salaires, les inégalités, le chômage, les conditions de travail... résultent de cet impératif de productivité, et que ce qui apparaît comme des « coûts sociaux » a été engagé pour améliorer la productivité du système de production français. Or, quand on réunit tous les indicateurs, on relève que le rythme des gains de productivité est plus faible qu'il n'a jamais été depuis des décennies. On ne peut s'empêcher de constater que les modifications destinées à maximiser la productivité ont entraîné des coûts sociaux mais n'ont pas exercé d'effets très favorables. Ce problème est développé dans les parties plus prospectives du rapport. Sa résolution apparaît comme un enjeu essentiel pour l'avenir et nous y reviendrons.

Mais, l'atonie du pouvoir d'achat du salaire par tête nous semble devoir s'expliquer aussi par la déformation du partage de la valeur ajoutée, qui est commune à de très nombreux pays.

Pour la France, deux rapports récents, l'un au Président de la République, l'autre au Premier Ministre, ont défendu l'idée d'une stabilité de ce partage depuis les années 1990.

Pour notre part, nous inclinons, pour des raisons techniques et conceptuelles, que nous exposons longuement dans le rapport, à nuancer la conclusion selon laquelle le partage de la valeur ajoutée entre la rémunération du travail - les salaires - et celle du capital - les profits - aurait été stable depuis vingt ans en France. En réalité, il est assez probable que la déformation très nette du partage de la valeur ajoutée intervenue dans les années 80 se soit, quoiqu'avec plus de modération, prolongée.

Mais, même en raisonnant sur les données conventionnelles utilisées dans les rapports cités, la part de la valeur ajoutée allant aux salaires est plus basse de plusieurs points de PIB par rapport à la moyenne historique sur soixante ans, et inférieure de près de 10 points de PIB par rapport au pic des années 70. En outre, on doit relever que la concentration des gains salariaux sur quelques-uns implique pour près de 80 % des salariés une réduction encore plus nette de la valeur ajoutée qui leur est attribuée.

Ainsi, les modalités de la répartition du revenu national constituent bien un frein aux salaires.

Quant aux inégalités salariales, qui sont souvent plus faibles en France qu'ailleurs, elles augmentent et restent paradoxales dans un pays où il existe, notamment avec le SMIC, des instruments de politique des revenus. Elles sont le produit de multiples facteurs où jouent notamment l'envolée des rémunérations des cadres dirigeants et la précarisation de nombreux salariés, en lien avec celle des emplois qu'ils occupent.

La part des salaires attribuée au centième des salaires les mieux payés augmente continuellement depuis la fin des années quatre-vingt-dix.

Le salariat moyen n'obtient, quant à lui, que peu de revalorisations salariales. Plus qualitativement, on observe que le régime salarial se variabilise avec la généralisation des revalorisations salariales conditionnées à la performance et un écart grandissant des situations selon l'appartenance à tel secteur économique ou à telle entreprise. Cette dernière dimension des inégalités salariales, qui se combinent avec une répartition inégale des risques de chômage ou de travail atypique, ressort comme particulièrement importante. Par ailleurs, la situation des salariés dépend négativement de leur appartenance à une entreprise sous-traitante. La pire des situations semble être celle des salariés à temps partiel des entreprises sous-traitantes, plus globalement celle des « intermittents du travail ».

Au total, plusieurs constats s'imposent. Il apparaît d'abord que la dynamique des salaires est faible. La masse salariale brute augmente moins vite que la production ; le salaire brut par tête croît moins vite que la masse salariale ; les salaires nets progressent moins que les salaires bruts.

On constate également un accroissement des inégalités devant le travail. Les inégalités de salaires augmentent ainsi que les inégalités face au chômage et face aux modalités du travail. Les travailleurs des secteurs économiquement dominés ainsi que les jeunes et les seniors sont discriminés par les mécanismes de marché.

En second lieu, le diagnostic sur le pacte social dans l'entreprise conduit à constater d'indéniables tensions sur les conditions de travail.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion