A la segmentation du salariat répond le processus de segmentation des entreprises. Celles-ci ont beaucoup évolué ces dernières années. L'entreprise, unité de base de notre organisation économique, est l'un des principaux lieux d'élaboration et d'application du pacte social. Pour plus de 17 millions de salariés, elle constitue l'un des principaux cadres normatifs de leur vie quotidienne sans pour autant que la légitimité de l'entreprise et de son organisation soit un sujet majeur du débat public.
Ce point nous amène à la question de la gouvernance des entreprises.
S'il n'existe pas un modèle unique, on observe néanmoins quelques grandes tendances historiques. D'abord, au cours du vingtième siècle, en conséquence de la nécessité d'accumuler du capital en vue de l'industrialisation, le pouvoir est passé progressivement de l'entrepreneur familial au manager technocrate, puis aux actionnaires et investisseurs financiers. Il en a résulté une progressive dépersonnalisation des relations dans l'entreprise.
Ensuite, les salariés travaillent aujourd'hui en moyenne dans des entreprises plus grandes qu'il y a trente ans, mais au sein d'établissements plus petits ce qui accroît le sentiment de distance par rapport aux lieux de décision.
Enfin, l'émergence d'entreprises fonctionnant en réseaux a aussi modifié les relations entre parties prenantes, les relations interentreprises devenant un facteur déterminant de réalisation du pacte social.
La question que nous avons envisagée est de savoir si la gouvernance des entreprises s'est adaptée à ces évolutions.
La participation des salariés à la gestion des entreprises s'est développée, en France, grâce à des mécanismes de représentation, d'information et de consultation, plutôt que par l'association aux instances décisionnelles. Parallèlement, le contexte de la démocratie sociale a évolué dans un sens plutôt mitigé. Parmi les points négatifs, il faut mettre en évidence la baisse du taux de syndicalisation, passé d'environ 30 % à environ 8 % des salariés depuis l'après-guerre. Au regard des pays étrangers, la France apparaît comme particulièrement peu syndiquée.
Par ailleurs, alors qu'on pouvait espérer une certaine réhabilitation de l'entreprise, comme lieu de poursuite de finalités partagées, les excès du capitalisme financier ont au contraire mis l'accent sur les divergences d'intérêts des parties prenantes, divergences qui peinent à se résoudre de façon pragmatique, dans la négociation.
Les salariés semblent en effet avoir été les « oubliés » de la gouvernance, au nom de l'efficacité économique. Tandis que la cogestion apparaît comme un « serpent de mer » du débat politique, la suprématie actionnariale s'est progressivement instaurée dans les grandes entreprises tandis que, dans le tissu économique des entreprises dominées, nécessité faisait de plus en plus loi. La suprématie actionnariale est pourtant contestée tant parce qu'elle déséquilibre les relations sociales que parce qu'elle déséquilibre les décisions économiques dans un sens peu compatible avec une croissance forte et durable. Dans ce contexte, la place des salariés est résiduelle et s'inscrit davantage dans le sens d'une reconnaissance de la place de l'actionnariat salarié que dans celui d'une prise en compte des intérêts du facteur de production que constitue le travail.