Comme lors de notre entretien à Washington, j'ai apprécié votre présentation du rôle de l'OTAN et de la place de la France au sein de cette organisation, après la réintégration pleine et entière de notre pays au sein des structures militaires, même si j'étais moi-même hostile à cette décision et qu'il est parfois difficile d'éclairer l'opinion publique française sur ce point. C'est un domaine dans lequel nous avons besoin d'arguments concrets et convaincants.
Je vous remercie également d'avoir insisté sur la nécessaire complémentarité entre les opérations militaires et les actions civiles. Lors d'un déplacement en Afghanistan, j'avais pu me rendre compte des difficultés considérables engendrées par l'absence de coordination entre ces deux volets. Il me semble important d'insister sur la coopération entre l'OTAN et les autres organisations, comme l'Union européenne.
Concernant la défense antimissile, la proposition du secrétaire général de l'OTAN d'associer la Russie me semble très habile d'un point de vue diplomatique. Cela permettrait de lever ses réserves en démontrant que le système n'est pas dirigé contre elle, mais contre des « Etats voyous ».
Mais si les pays européens, dont la France, adhèrent à ce projet, et que l'on pousse jusqu'au bout la logique de l'intégration dans ce système, ne risque-t-on pas de sacrifier notre outil de dissuasion nucléaire ?
Enfin, même si une réforme de l'OTAN semble aujourd'hui indispensable, pour remédier à la lenteur et aux lourdeurs du système de prise de décision, de la bureaucratie et du coût financier, je souhaiterais vous interroger sur la méthode envisagée. Face aux difficultés et aux résistances nationales, ne risque-t-on pas de privilégier la facilité un peu à l'image de la révision générale des politiques publiques ?
Général Stéphane Abrial - La pleine participation de la France aux structures militaires de l'OTAN a eu un effet immédiat en termes d'influence, même si cet impact est difficile à mesurer et qu'il n'est pas visible aux yeux de l'opinion publique. Jusqu'alors, la France se prononçait sur des propositions à l'élaboration desquelles elle n'avait pas participé. Elle ne pouvait influencer la décision que par des critiques ou des contre-propositions. Désormais, nos idées sont débattues à l'intérieur de la structure militaire et elles font ainsi partie intégrante des propositions. Pour citer un exemple concret, ACT s'est vu confier l'élaboration d'une doctrine de l'OTAN en matière de contre-insurrection. La France a pleinement participé à ces travaux et a pu y apporter une contribution très utile.
La combinaison des aspects militaires et civils apparaît aujourd'hui un élément essentiel de la gestion des crises. Il n'y aura plus d'opération exclusivement militaire. Il faut réfléchir à la manière dont les militaires peuvent venir en soutien d'autres acteurs. Dans ce domaine, il reste beaucoup à faire et l'Alliance n'est pas en avance.
S'agissant des relations entre la défense antimissile et la dissuasion nucléaire, il est vrai qu'un débat a eu lieu aux Etats-Unis. Certains pensaient que la défense antimissile avait à terme vocation à se substituer à la dissuasion nucléaire. Ce débat a été tranché et il est aujourd'hui dépassé. Il est désormais admis qu'il doit y avoir complémentarité entre la défense antimissile et la dissuasion et que l'une n'est pas une alternative de l'autre.
Enfin, la réforme de l'organisation est un chantier complexe et difficile qui concerne cinq principaux aspects :
- la rationalisation des structures de commandement ;
- les agences, qui sont actuellement au nombre de quatorze, avec des mandats parfois assez flous ou qui se recoupent ; ce nombre pourrait être réduit, les propositions les plus audacieuses visant à le ramener à trois seulement ;
- la réforme du quartier général de l'OTAN à Bruxelles ;
- la réduction du nombre de comités, avec un objectif affiché par le secrétaire général de le ramener de près de quatre cents à une centaine, ce qui resterait encore élevé ;
- et, enfin, l'amélioration de la gestion des ressources humaines et financières, qui constitue un véritable point noir de l'organisation et qui contient des marges de progrès considérables.
La réforme de l'organisation nécessite un travail d'analyse mais, en définitive, il sera nécessaire d'avoir une forte volonté politique pour réaliser le consensus entre les Etats membres, alors que chaque pays est soucieux de défendre ses intérêts nationaux.