Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 25 mai 2010 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • OTAN
  • antimissile
  • experts
  • militaire
  • États-unis

La réunion

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Général Stéphane Abrial - Je vous remercie, Monsieur le Président, pour cette occasion qui m'est de nouveau donnée, après notre entretien informel à Washington le mois dernier, d'approfondir mes échanges avec votre commission en vous offrant un premier bilan d'étape de mon action à la tête du Commandement allié pour la Transformation. C'est, comme vous le savez, la première fois dans l'histoire de l'Alliance atlantique qu'un commandement stratégique est confié de manière permanente à un Européen, et ceci est la conséquence la plus visible de la pleine participation de la France aux structures militaires de l'OTAN.

La décision prise par le Président de la République et entérinée au sommet de Strasbourg-Kehl a été concomitante d'un mouvement de renouvellement important de l'Alliance, avec la nomination d'un nouveau secrétaire général de l'OTAN et de nouveaux commandants suprêmes ; le lancement d'un nouveau concept stratégique ; et l'initiation d'une série de réformes associées, notamment celle de la structure militaire.

Je crois que cette concomitance n'est pas un pur hasard. La pleine participation de notre pays aux structures de l'Alliance atlantique, c'est d'abord une opportunité pour la France d'être pleinement acteur dans l'Alliance et d'y faire valoir sa sensibilité : une sensibilité européenne. La nouvelle position de la France ne se traduit d'ailleurs pas uniquement par l'obtention du commandement allié pour la transformation. Dans la chaîne de commandement des opérations, au sein de la Force internationale d'assistance à la sécurité, à l'état-major international, la France a pris une place conforme a son niveau de contribution aux opérations de l'Alliance, qui lui permet de peser véritablement, au quotidien, sur la prise de décision.

De mon côté, au commandement allié pour la transformation, je suis en charge de l'avenir de l'Alliance, en contrepoint indispensable de mon alter ego l'amiral Stavridis, en charge du présent opérationnel. Je dis « indispensable », parce que je sais bien que, dans toute organisation, le risque existe d'hypothéquer l'avenir au profit de ce que l'on pourrait appeler « la dictature du présent ». L'OTAN n'échappe pas à cette règle, surtout en ces temps de difficultés budgétaires. Mais je crois qu'obérer l'avenir au nom du présent serait une grave erreur, que l'Alliance aurait à regretter tôt ou tard.

Le commandement allié pour la transformation est un outil unique au service de l'Alliance et des nations. C'est le lieu où se matérialise le nécessaire continuum entre les exigences opérationnelles du présent, dont mon commandement est pleinement partie prenante, et la préparation de l'avenir, ce qui comprend aussi bien la préparation des forces et le développement capacitaire que la réflexion prospective, que nous sommes les seuls au sein de l'OTAN à conduire à ce niveau.

Cette fonction de réflexion, que j'aime à appeler la « fonction think-tank », nous l'avons exercée avec succès auprès du groupe d'experts emmené par Mme Madeleine Albright sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN. Nous avons co-organisé l'un des séminaires pour le groupe d'experts, qui s'est tenu à Washington sur les capacités et la réforme de l'OTAN en février. Nous avons alimenté ces experts en documents d'information et de réflexion tout au long de leurs travaux, fournissant une aide d'autant plus appréciée que le groupe avait la particularité de ne compter aucun expert militaire parmi ses membres.

Comme vous l'avez dit, Monsieur le Président, votre commission a déjà eu l'occasion d'entendre récemment le représentant français au sein du groupe d'experts, et je ne m'étendrai donc pas sur les conclusions du rapport remis par Mme Albright la semaine dernière. Je dirai simplement que notre contribution à leurs travaux nous met maintenant pleinement en mesure de poursuivre notre implication dans la suite du processus qui mènera à l'élaboration du nouveau Concept stratégique, puis dans sa mise en oeuvre.

Au-delà de cette contribution, j'entends poursuivre et approfondir cette fonction, afin que l'Alliance sache qu'elle peut compter de notre part sur le plus haut niveau de professionnalisme, de réactivité et de fiabilité. Ainsi, j'ai développé mes contacts parmi des instituts traitant de questions stratégiques et de défense dans différents pays des deux côtés de l'Atlantique. C'est dans le cadre de cette démarche que je m'exprimerai après-demain devant l'Institut Français des Relations Internationales.

Mon objectif est que mon commandement et l'Alliance tout entière puissent bénéficier de l'énergie intellectuelle et de la variété des perspectives apportés par ces laboratoires de pensée. Il s'agit pour moi d'établir une cohérence entre les défis identifiés et les recommandations en termes de capacités, d'expérimentation, de formation... pour y faire face.

Nos réflexions sur l'avenir de l'Alliance nous ont conduits à conclure à la nécessité d'une importante réforme de l'Alliance. Depuis ma prise de commandement, j'ai pu constater à quel point la volonté de réforme a progressivement atteint une masse critique, à la faveur d'une pression budgétaire sans précédent sur les gouvernements nationaux et sur l'Alliance, ouvrant la perspective de profonds changements.

Ces changements, qui ont été souhaités par les ministres de la défense et des affaires étrangères, doivent permettre à l'Alliance d'être plus réactive et plus adaptée à ses tâches actuelles, tout en préservant ses fonctions essentielles. Le secrétaire général doit faire aux ministres de la défense des propositions en ce sens à Bruxelles le mois prochain, et je contribue actuellement à l'élaboration de ces propositions.

Au-delà, mon commandement porte une vision de la transformation qui favorise cette réactivité et ce changement : une Alliance plus efficace est une Alliance qui s'appuie sur les capacités et l'expertise des nations, qui sont les véritables moteurs de la transformation, en les mettant en réseau et en cherchant les synergies partout où elles sont possibles.

Je veux ainsi rentabiliser les capacités nationales existantes, par exemple en développant un catalogue des stages et entraînements nationaux qui pourraient être certifiés par ACT et ouverts aux autres nations, afin d'éviter les duplications involontaires.

J'encourage enfin le développement de nouvelles capacités, notamment par le réseau de plus d'une douzaine de centres d'excellence, qui chacun développe une expertise dans un domaine répondant à un besoin de l'ensemble des membres de l'Alliance : opérations à partir de la mer, dans un centre aux Etats-Unis; actions civilo-militaires au Pays-Bas; cyber-défense en Estonie; soutien médical en opérations en Hongrie; ou chez nous, en France, le CASPOA, que je connais bien, et qui est spécialisé dans le commandement et le contrôle dans le domaine aérien.

C'est également le souci de trouver des synergies entre l'action de chaque organisation qui me guide dans mes contributions aux relations de l'OTAN avec les partenaires et organisations internationales, au premier rang desquelles figurent l'Organisation des Nations unies et l'Union européenne, avec lesquelles l'OTAN se doit de développer des partenariats étroits, comme l'ont noté les Experts dans leur rapport.

En ce qui concerne les Nations unies, la coopération opérationnelle déjà ancienne avec l'Alliance atlantique, dans les Balkans comme en Afghanistan, doit être complétée par des échanges suivis au niveau stratégique afin de construire une relation de confiance qui permette aux deux organisations d'avoir une interaction optimale sur le terrain. Je m'investis personnellement dans cette priorité afin de bâtir une coopération sur les sujets d'intérêt commun identifiés par les Nations unies, tout en prenant en compte les sensibilités politiques : formation, échange de meilleures pratiques et de retours d'expérience, développement capacitaire. Il y a déjà eu de nombreux contacts entre les Nations unies et mon état-major, et je me rendrai à New-York début juin.

L'amélioration de la coopération entre l'UE et l'OTAN est naturellement au moins aussi prioritaire. Le secrétaire général de l'OTAN a déjà mis en cause à plusieurs reprises l'anomalie que représente le faible niveau de coordination actuel entre ces deux organisations. Cette faiblesse est source d'inefficacité : ainsi, les réflexions capacitaires menées par les deux institutions portent sur les mêmes forces en ce qui concerne les 21 pays qui sont membres à la fois de l'UE et de l'OTAN, tout en obéissant à des règles différentes, ce qui introduit, pour ces pays, une difficulté supplémentaire dans une matière déjà complexe. Autant que possible, je cherche donc à faire bénéficier les pays européens de l'expertise d'ACT et de l'OTAN. Je travaille ainsi avec l'Agence européenne de défense à une plus grande complémentarité des processus capacitaires et à une coopération concrète et pragmatique sur des sujets tels que le soutien médical ou la lutte contre les engins explosifs improvisés.

La politique commune de sécurité et de défense de l'Union européenne n'est en outre pas encore pleinement prise en compte à l'OTAN, mais les progrès sont réels.

A mon niveau, et dans le respect du cadre et des procédures agréés par l'ensemble des membres de l'OTAN, je travaille également à favoriser cette compréhension mutuelle. J'ai ainsi engagé un dialogue avec le Parlement européen, dont une délégation a visité Norfolk, pour la première fois, il y a quelques semaines. J'espère avoir l'occasion de m'adresser à leur sous-commission « sécurité et défense » dans un avenir proche.

L'amélioration des partenariats de l'OTAN doit avoir pour corollaire de faciliter la mise en oeuvre d'une approche globale bien comprise dans la gestion des crises. L'expérience opérationnelle récente et actuelle montre que les outils militaires ne peuvent, à eux seuls, régler une crise, mais qu'ils sont indispensables à la gestion de toute crise majeure : ils sont fréquemment les seuls à pouvoir rétablir des conditions sécuritaires permettant à d'autres acteurs de déployer leurs savoir-faire, et disposent souvent de capacités humaines, logistiques et de coordination uniques sur un théâtre donné.

Cette approche globale doit être flexible pour s'adapter à chaque situation ; elle doit aussi respecter la diversité des acteurs - agences gouvernementales civiles, organisations internationales ou non-gouvernementales - car de leur mobilisation dépend le succès de tous.

Mon action dans ce domaine est donc guidée par les principes directeurs suivants : je veux d'abord rassurer nos interlocuteurs civils en précisant d'emblée que nous ne cherchons pas à les intégrer dans notre organigramme hiérarchique ou à nous poser en propriétaires. Je ne veux pas non plus entretenir l'illusion que l'OTAN puisse développer en interne l'essentiel des outils civils nécessaires à une telle approche - personne ne comprendrait dans le contexte budgétaire actuel que nous dupliquions des capacités existant ailleurs, et ce n'est tout simplement pas le coeur de métier de notre organisation.

Ce que je m'efforce donc de faire, c'est favoriser le dialogue civilo-militaire et l'instauration d'une culture de coopération entre les différents acteurs au niveau stratégique - souvent en retard sur le dialogue établi sur le terrain. Concrètement, j'espère pouvoir faire profiter à terme ces interlocuteurs de la mise à disposition de capacités d'entraînement, et parvenir dans la résolution de certaines crises à une coopération dès la phase de planification. J'espère aussi parvenir à ce que nous partagions mieux nos expériences respectives, les leçons que nous en tirons, et les meilleures pratiques que nous développons.

Permettez-moi en conclusion de vous faire part d'observations quant à l'impact d'un commandant stratégique européen à la tête du seul état-major de l'OTAN sur le sol américain. Je crois pouvoir dire que l'attribution de ce poste à un officier général français s'est déjà traduite, comme l'espérait la France, par une modification et une amélioration de la dynamique interne de l'Alliance atlantique.

interlocuteurs, américains comme européens, sont très sensibles à la charge symbolique que représente le fait d'avoir un commandeur stratégique américain en Europe, et un commandeur stratégique européen en Amérique. Ce n'est pas seulement le symbole d'un lien transatlantique fort, c'est aussi celui d'une réciprocité réaffirmée.

De plus, justement en tant qu'Européen, je suis bien placé pour parler de l'OTAN aux décideurs américains, mieux sans doute que ne pouvaient l'être mes prédécesseurs américains. Être situé géographiquement au plus près de Washington, et non loin de New-York, est également un atout non négligeable. Et je dois dire que je trouve chez mes interlocuteurs un degré et une qualité d'écoute très élevés.

La localisation de mon commandement au plus près du commandement américain pour la transformation est aussi un atout non négligeable. On avait pu craindre que la fin de la « double casquette » entre le commandement américain et le commandement de l'OTAN ne conduise à un assèchement des contacts entre les deux institutions, au détriment de l'Alliance.

Je peux témoigner que ce n'est nullement le cas. Notre partenariat avec le commandement américain pour la transformation est robuste, étroit et réciproque. Les Américains bénéficient tout autant de l'apport européen, via les liens que je noue avec les institutions européennes chargées de la transformation, qu'ils nous font bénéficier, et ce de manière très ouverte, de leurs idées et de leurs capacités. C'est là une autre conséquence concrète et bénéfique de la présence d'un commandant européen sur le sol américain.

Tout comme, je crois, mes autres collègues officiers généraux français nouvellement arrivés dans la structure, je ressens que nos alliés n'attendent pas de nous que nous nous contentions du statu quo. Ils comptent au contraire sur nous pour apporter notre expérience spécifique particulièrement riche, notre réalisme et notre franc-parler. Ces temps sont particulièrement propices pour être, aux côtés de nombreux autres, des agents du changement afin de bâtir l'OTAN dont nous avons besoin dans un monde lourd d'incertitudes et de menaces.

Je vous remercie de votre attention et suis prêt à répondre à toute question.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Je vous remercie mon Général. Pour ouvrir le débat, je voudrais vous demander comment vous voyez la mise en oeuvre de la réforme des structures militaires de l'OTAN. Il y a une demande très forte en ce sens des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France, compte-tenu notamment de l'impasse financière à laquelle l'OTAN est confrontée. Comment rendre ces structures moins bureaucratiques ? Est-ce possible, sachant que certains alliés bénéficiant d'implantations territoriales de l'Alliance sur leur sol y sont très réticents ?

Général Stéphane Abrial - La réforme de la structure de commandement est en cours. Le secrétaire général de l'OTAN a pour objectif de parvenir à un agrément lors du sommet de Lisbonne en novembre prochain. Il s'agit donc d'un calendrier extrêmement serré et d'ores et déjà, certaines Nations ont fait savoir qu'il ne leur convenait pas.

A mon sens, il faut se poser une question préalable. Quelles sont les fonctions de l'Alliance et qu'en attendent les 28 Etats qui en sont membres ? En d'autres termes, comment bâtirait-on l'OTAN s'il fallait partir d'une feuille blanche ? Assurément, on aboutirait à un résultat très différent de la structure existante qui est le fruit de soixante années d'existence marquées par des évolutions successives, comme l'élargissement ou l'implication dans des missions de gestion de crises.

La structure actuelle manque de souplesse, elle est trop lourde et n'a pas l'efficacité attendue. Il faut donc la rendre plus compacte et l'adapter aux exigences de demain.

Je vois une série de questions auxquelles il faudrait répondre.

La première est de savoir jusqu'à quel point les nations alliées peuvent se faire confiance mutuellement. On pourrait sans doute beaucoup plus s'appuyer sur des entités existantes au sein des Nations et moins se reposer sur des structures permanentes communes. On utiliserait en priorité les structures nationales ou multinationales dont disposent déjà de nombreux alliés et que l'on doterait d'un drapeau « OTAN » pour les mettre au service de l'Alliance. On voit que plus le degré de confiance entre alliés est élevé, plus on a l'assurance de pouvoir faire appel, lorsqu'une opération est décidée, à des structures mises en place par les Nations et plus on peut réduire le volume de la structure permanente.

La deuxième question est celle de la déployabilité. Dans quelle mesure les états-majors de l'OTAN doivent-ils être déployables, sachant que cela implique des coûts élevés ? On pourrait considérer que le besoin d'états-majors déployables pourrait être couvert par des structures nationales et que la structure permanente n'assurerait que des fonctions fixes.

La troisième question porte sur les garanties de réassurance dont les nouveaux Etats membres sont demandeurs. La défense collective est restée la fonction essentielle de l'Alliance mais cela est aujourd'hui plutôt implicite que visible. Il faut donc reprendre un travail de préparation aux tâches de défense collective qui avaient été quelque peu négligées ces dernières années. Quel est le meilleur moyen d'y parvenir ? Faut-il installer des états-majors de l'OTAN sur le territoire des nouveaux Etats membres ? Il me semble qu'ici encore, des structures nationales pourraient être dotées d'une certification et d'un drapeau OTAN. Les gains obtenus sur la structure de commandement permettraient en outre de développer une politique d'exercices destinés à entretenir cette capacité de défense collective.

Dans un monde idéal, ces idées pourraient servir de base à une nouvelle organisation. Mais nous partons d'une structure existante, à laquelle correspondent certains intérêts. Il sera difficile de la faire évoluer. On pourrait suggérer que dès lors qu'une Nation est attachée au maintien d'une structure de l'OTAN sur son sol, elle contribue à son financement.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Je voudrais tout d'abord vous dire, mon Général, que nous avons été très fiers de votre nomination et nous considérons qu'il s'agit d'un signe important pour l'Europe et pour la France. Ma question porte sur le rôle de l'OTAN. N'avez-vous pas l'impression qu'il est appelé, qu'on le veuille ou non, à s'étendre à l'échelle mondiale et à aller très au-delà de ce que prévoyait le traité. L'ONU, l'Union européenne, les autres organisations n'ont que des moyens limités. Ne va-t-on pas de plus en plus se tourner vers l'OTAN pour régler les crises de par le monde ?

Général Stéphane Abrial - La question de savoir si l'OTAN devait avoir une vocation mondiale a été débattue et plusieurs Etats alliés ont marqué leur opposition. Ce débat est aujourd'hui tranché et on définit plutôt aujourd'hui l'OTAN comme une organisation régionale dans un environnement global. Le fait que l'OTAN puisse être concernée par des évènements ou des phénomènes dépassant son cadre géographique ne signifie pas qu'elle doit agir partout dans le monde.

Elle intervient néanmoins en Afghanistan.

Général Stéphane Abrial - L'opération d'Afghanistan constitue un cas de figure bien précis. C'est la première fois dans l'histoire de l'Alliance que l'article 5 a été évoqué à l'occasion d'une attaque contre un Etat allié et il s'agit aujourd'hui de priver des organisations terroristes d'un sanctuaire à partir duquel elles pourraient préparer de nouvelles agressions.

Le rapport du groupe d'experts sur le concept stratégique ne reprend pas cette idée d'Alliance à vocation mondiale. Il se concentre sur la mission de défense collective ; il propose de faire plus largement appel à l'article 4, qui prévoit des consultations lorsqu'un Etat allié estime que sa sécurité est menacée ; il envisage la possibilité d'opérations hors de la zone euro-atlantique en proposant un certain nombre de critères qui devraient être réunis avant de les lancer. Le rapport Albright pose ainsi des garde-fous face à ce risque d'intervention dans le monde entier.

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Pintat

Les Américains souhaitent faire inscrire la défense antimissile comme une mission de l'OTAN lors du sommet de Lisbonne en novembre prochain. C'est également une proposition du groupe Albright et une priorité du secrétaire général de l'OTAN. Pour l'instant, on ne voit pas très bien quelle serait la traduction concrète de cette proposition. S'agit-il d'« otaniser » tout ou partie du système américain ? L'OTAN devrait-elle acquérir ses propres systèmes ? Pourriez-vous nous dire quels sont les différentes options envisageables pour l'OTAN entre un simple raccordement au système américain et l'acquisition de moyens propres ? Il serait utile également d'avoir des précisions en termes de coût. Le chiffre de 139 millions d'euros à partager entre tous les Alliés circule. Que recouvre ce chiffre exactement ?

Enfin, nous nous interrogeons sur les enjeux de la défense antimissile en termes de technologie et d'industrie.

Les Etats-Unis investissent massivement depuis des décennies. La France dispose d'une industrie balistique et spatiale. A une échelle beaucoup plus modeste que les Etats-Unis, elle est l'un des rares pays européens à posséder des compétences sur les différents créneaux qui participent à la défense antimissile. Quels risques courrons-nous si nous ne sommes pas en mesure de participer aux développements de la défense antimissile ? Comment l'industrie européenne pourrait-elle être associée sans aller vers des coûts excessifs ?

Général Stéphane Abrial - Le dossier de la défense antimissile est désormais clairement sur la table. Le groupe d'experts sur le concept stratégique a chaudement recommandé qu'elle soit érigée en mission de l'OTAN lors du sommet de Lisbonne. L'OTAN est déjà engagée dans la défense de théâtre contre les missiles de courte et moyenne portée. C'est une question que l'on ne peut plus aujourd'hui éluder.

Les interrogations que vous avez soulevées, Monsieur le sénateur, sont au coeur des enjeux actuels.

D'où viendra la technologie et qui pourra contribuer ?

Quels seront les coûts ? Je ne suis pas en mesure de dire ce que recouvrent les montants que vous avez évoqués.

Comment le commandement et le contrôle s'exerceront-ils ? Les Etats-Unis vont proposer une architecture sur laquelle l'OTAN pourra se greffer. Il est clair que compte tenu des délais de réaction très courts face à un tir balistique, les décisions ne pourront être prises selon un processus classique de comité. La décision implique aussi de disposer de l'ensemble des éléments d'information et on voit bien qu'il n'y a pas beaucoup de pays capables de les posséder. La question de la légitimité du commandement et du contrôle est donc cruciale.

Enfin, il s'agira de déterminer ce que l'on veut réellement défendre, avec quelle efficacité et quel type d'organisation.

Pour répondre à votre question, il me semble que si l'OTAN décidait à Lisbonne d'inscrire la défense antimissile parmi les missions de l'Alliance, il ne serait pas raisonnable pour la France de rester en dehors. En tant qu'ancien chef d'état-major de l'armée de l'air, je suis bien placé pour savoir que nous nous dotons d'un système de contrôle de l'espace aérien disposant d'interfaces avec le système de défense aérienne de l'OTAN. Il y aurait tout intérêt à étendre nos moyens de détection et de contrôle à une fonction d'alerte antimissile connectée avec un futur système de l'OTAN. Mais la manière dont cette fonction d'alerte pourrait s'exercer au profit d'un système d'interception des missiles balistiques reste encore très vague. Ce que je peux dire, c'est que la pression sera très forte pour qu'une décision de principe soit prise à Lisbonne sur la défense antimissile.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Peut-on imaginer que les Etats-Unis opèrent unilatéralement si l'OTAN ne veut pas endosser cette mission de défense contre les missiles balistiques ?

Général Stéphane Abrial - Pour les Etats-Unis, la nécessité d'une défense contre les missiles balistiques ne se discute pas. Donc, la défense antimissile se fera, ne serait-ce que pour la protection du territoire américain. Je constate toutefois, au sein de l'administration actuelle, une volonté croissante et affichée de partenariat. C'est d'ailleurs un point majeur du discours prononcé samedi dernier à West Point par le président Obama qui veut se démarquer sur ce point de l'administration précédente. Dans cette perspective, les Etats-Unis attachent un grand prix à une implication de l'OTAN dans leurs projets.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

A propos de la défense antimissile, vous n'avez pas évoqué la proposition américaine d'associer la Russie. Qu'en pensez-vous ? Sur le concept stratégique, le groupe n'experts ne comportait aucun militaire, mais vous avez dit que vous avez été associé à la réflexion. Pensez-vous que le rapport Albright aurait été différent si vous aviez participé plus directement à sa conception ? Enfin, il me semble qu'il sera difficile de concilier la nécessité d'une réforme de l'OTAN et la règle de l'unanimité qui permettra à certains Etats de limiter l'ampleur des changements. Pensez-vous qu'il serait nécessaire et possible, dans un certain nombre de cas, de décider à la majorité qualifiée ?

Général Stéphane Abrial - Je n'avais effectivement pas mentionné l'association de la Russie à la défense antimissile balistique, mais il s'agit à mes yeux d'un élément capital. Cela rendra inévitablement le dossier plus complexe, mais cette initiative est excellente et permettra de diminuer les tensions apparues avec la Russie sur ce sujet.

S'agissant de la constitution du groupe d'experts, le Secrétaire général avait sélectionné des experts provenant de douze nations. Il se trouve qu'aucun d'entre eux n'était un militaire. Cela étant, dès ma prise de fonction, j'ai proposé qu'ACT joue un rôle de conseiller militaire objectif auprès du groupe d'experts. Ces contacts ont été très fructueux. Des réunions périodiques ont été organisées entre le groupe d'experts, le président du Comité militaire, le commandement allié « opérations » et ACT. Par ailleurs, ACT a systématiquement alimenté le groupe d'experts en analyses avant chacun des séminaires que celui-ci a organisé. Nos contributions ont été bien accueillies et ont été prises en compte. Par exemple, ACT a pu se faire l'écho, sur certains sujets, d'une sensibilité plus européenne qui a été intégrée dans le rapport Albright.

Enfin, vous avez évoqué la règle de l'unanimité et la difficulté à engager des réformes. Le temps nécessaire à l'Alliance pour prendre des décisions, notamment du fait de la règle du consensus, est critiqué. C'est effectivement une faiblesse, d'autant que ce principe amène aussi à réaliser des compromis et à atténuer la portée des décisions prises. C'est cependant aussi une force. La discussion prolongée permet d'éliminer les zones d'ombre et l'unanimité constitue une démonstration de cohésion. Il est également très important pour les forces sur le terrain, au plan psychologique, de savoir que le mandat qu'elles exercent leur a été confié par l'ensemble des Nations. Le rapport Albright préconise le maintien de la règle de l'unanimité pour toutes les décisions qui relèvent du Conseil de l'Atlantique nord. Il n'évoque pas les autres instances, mais je peux dire que dans la branche militaire de l'OTAN, il y a un accord pour estimer que l'unanimité doit rester la règle pour les décisions du Comité militaire, qui joue un rôle éminent de formulation d'avis militaires au profit du Conseil. S'agissant des autres instances, le débat est ouvert. En fonction des sujets et de leur importance, il pourrait être envisagé de déroger au principe de l'unanimité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Comme lors de notre entretien à Washington, j'ai apprécié votre présentation du rôle de l'OTAN et de la place de la France au sein de cette organisation, après la réintégration pleine et entière de notre pays au sein des structures militaires, même si j'étais moi-même hostile à cette décision et qu'il est parfois difficile d'éclairer l'opinion publique française sur ce point. C'est un domaine dans lequel nous avons besoin d'arguments concrets et convaincants.

Je vous remercie également d'avoir insisté sur la nécessaire complémentarité entre les opérations militaires et les actions civiles. Lors d'un déplacement en Afghanistan, j'avais pu me rendre compte des difficultés considérables engendrées par l'absence de coordination entre ces deux volets. Il me semble important d'insister sur la coopération entre l'OTAN et les autres organisations, comme l'Union européenne.

Concernant la défense antimissile, la proposition du secrétaire général de l'OTAN d'associer la Russie me semble très habile d'un point de vue diplomatique. Cela permettrait de lever ses réserves en démontrant que le système n'est pas dirigé contre elle, mais contre des « Etats voyous ».

Mais si les pays européens, dont la France, adhèrent à ce projet, et que l'on pousse jusqu'au bout la logique de l'intégration dans ce système, ne risque-t-on pas de sacrifier notre outil de dissuasion nucléaire ?

Enfin, même si une réforme de l'OTAN semble aujourd'hui indispensable, pour remédier à la lenteur et aux lourdeurs du système de prise de décision, de la bureaucratie et du coût financier, je souhaiterais vous interroger sur la méthode envisagée. Face aux difficultés et aux résistances nationales, ne risque-t-on pas de privilégier la facilité un peu à l'image de la révision générale des politiques publiques ?

Général Stéphane Abrial - La pleine participation de la France aux structures militaires de l'OTAN a eu un effet immédiat en termes d'influence, même si cet impact est difficile à mesurer et qu'il n'est pas visible aux yeux de l'opinion publique. Jusqu'alors, la France se prononçait sur des propositions à l'élaboration desquelles elle n'avait pas participé. Elle ne pouvait influencer la décision que par des critiques ou des contre-propositions. Désormais, nos idées sont débattues à l'intérieur de la structure militaire et elles font ainsi partie intégrante des propositions. Pour citer un exemple concret, ACT s'est vu confier l'élaboration d'une doctrine de l'OTAN en matière de contre-insurrection. La France a pleinement participé à ces travaux et a pu y apporter une contribution très utile.

La combinaison des aspects militaires et civils apparaît aujourd'hui un élément essentiel de la gestion des crises. Il n'y aura plus d'opération exclusivement militaire. Il faut réfléchir à la manière dont les militaires peuvent venir en soutien d'autres acteurs. Dans ce domaine, il reste beaucoup à faire et l'Alliance n'est pas en avance.

S'agissant des relations entre la défense antimissile et la dissuasion nucléaire, il est vrai qu'un débat a eu lieu aux Etats-Unis. Certains pensaient que la défense antimissile avait à terme vocation à se substituer à la dissuasion nucléaire. Ce débat a été tranché et il est aujourd'hui dépassé. Il est désormais admis qu'il doit y avoir complémentarité entre la défense antimissile et la dissuasion et que l'une n'est pas une alternative de l'autre.

Enfin, la réforme de l'organisation est un chantier complexe et difficile qui concerne cinq principaux aspects :

- la rationalisation des structures de commandement ;

- les agences, qui sont actuellement au nombre de quatorze, avec des mandats parfois assez flous ou qui se recoupent ; ce nombre pourrait être réduit, les propositions les plus audacieuses visant à le ramener à trois seulement ;

- la réforme du quartier général de l'OTAN à Bruxelles ;

- la réduction du nombre de comités, avec un objectif affiché par le secrétaire général de le ramener de près de quatre cents à une centaine, ce qui resterait encore élevé ;

- et, enfin, l'amélioration de la gestion des ressources humaines et financières, qui constitue un véritable point noir de l'organisation et qui contient des marges de progrès considérables.

La réforme de l'organisation nécessite un travail d'analyse mais, en définitive, il sera nécessaire d'avoir une forte volonté politique pour réaliser le consensus entre les Etats membres, alors que chaque pays est soucieux de défendre ses intérêts nationaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Le Premier Secrétaire général de l'OTAN, Lord Ismay, avait défini en ces termes la vocation de l'organisation : « to keep the Russians out, the Americans in and the Germans down ». Certes la situation a changé depuis la chute du rideau de fer, mais si on remplace les Allemands par les Européens, cette définition ne reste-t-elle pas valable aujourd'hui ? A la lecture du dernier ouvrage de Zbigniew Brzezinski et Brent Scowcroft, intitulé « America and the world: conversations on the future of American foreign policy », on peut le penser, car les auteurs se prononcent contre la construction d'une défense européenne ferait à leurs yeux concurrence de l'OTAN.

Concernant la défense antimissile, on parle de complémentarité avec la dissuasion nucléaire, en faisant valoir que le glaive n'a jamais dispensé de se munir d'un bouclier, mais la véritable question tient aux arbitrages financiers qui seront nécessaires pour bâtir un tel système, dans un contexte budgétaire très contraint, et donc au risque d'affaiblir notre outil de dissuasion.

Le groupe d'experts présidé par Mme Albright a proposé de faire de la défense antimissile une nouvelle mission de l'OTAN.

Un tel système est peut-être de nature à sécuriser certains pays européens, mais je pense qu'un pays comme la France doté d'une force de dissuasion autonome, doit se poser la question de son utilité et des risques qu'il comporte. Sommes-nous suffisamment informés des nouveaux projets de déploiement américains et serons-nous associés à la décision ? L'implantation puis le retrait des éléments du système de défense antimissile en Pologne et en République tchèque a été décidée par les Américains sans consultation des Européens et il est évident que les Etats-Unis conserveront le contrôle de ce système. Surtout, quels seront les coûts financiers, pour quelle utilité et quelle efficacité ? Lors de notre déplacement à Washington, un conseiller du président Obama s'est félicité que les derniers tests réalisés aux Etats-Unis démontraient un taux d'interception de 80 %. Encore s'agit-il de missiles que l'on s'envoie à soi-même. Sans doute en serait-il autrement en cas de véritable attaque, et il n'en reste pas moins que 20 % des missiles n'ont pas été interceptés.

Je ne suis pas insensible à l'argument de M. Pintat selon lequel nos industriels pourraient apporter leur pierre. Mais à quel édifice ?

Pour ma part, je considère qu'il faut distinguer la défense antimissile de théâtre - projet raisonnable auquel la France pourrait s'associer - et la défense antimissile du territoire, projet déraisonnable dans lequel il ne faut pas se lancer.

Général Stéphane Abrial - Les données du débat sur la défense antimissile ne sont pas clarifiées aujourd'hui. Les Etats-Unis exercent une forte pression. Pour eux, la défense antimissile est une nécessité évidente. Ils sont prêts à proposer un certain partage du système, mais on ne sait pas jusqu'où irait ce partage et quel en serait le coût. Le rapport du groupe d'experts sur le concept stratégique propose que la défense antimissile devienne une mission de l'OTAN. Le Secrétaire général est convaincu. Plusieurs pays se sont déclarés en faveur d'une défense antimissile du territoire. J'espère qu'aucune décision ne sera prise tant que nous de disposerons pas d'éléments de réponse aux questions que j'ai mentionnées.

S'agissant de votre remarque sur la place des Européens dans l'Alliance, je ne crois pas que les Etats-Unis soient hostiles à l'Europe de la défense, mais je pense qu'ils comprennent mal le fonctionnement de l'Union européenne et de la politique de sécurité et de défense commune. Pour les Etats-Unis, l'OTAN reste le seul lien formel avec l'Europe et les craintes de voir la construction d'une défense européenne autonome affaiblir ce lien ou entraîner des duplications est toujours présente. Or, compte tenu du fait que 21 membres de l'OTAN sont également membres de l'Union européenne, il existe une réelle complémentarité entre les deux organisations.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

L'un des principaux arguments avancés par le Président de la République pour justifier le retour plein et entier de la France au sein des structures militaires de l'OTAN a été le renforcement de l'Europe de la défense, qui peine à se matérialiser jusqu'à présent.

L'une des recommandations du rapport du groupe d'experts sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN tient au renforcement des relations entre l'OTAN et l'Union européenne, avec notamment l'idée d'une agence commune UE-OTAN des capacités de défense, qui remplacerait l'agence européenne de défense. Je souhaiterais connaître votre sentiment sur cette idée. S'agit-il uniquement d'une mesure d'affichage ou bien est-elle réellement pertinente ?

Général Stéphane Abrial - L'idée d'une agence commune OTAN-Union européenne des capacités de défense a semble-t-il émergé tardivement au sein du groupe d'experts sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN et n'avait pas fait l'objet de discussions très approfondies. Je considère pour ma part qu'il s'agit pour le moment d'une proposition utile, mais il serait sans doute utopique de croire qu'elle pourra se concrétiser, étant donné les différences de composition, de rôle et des procédures entre les deux organisations et les difficultés d'ordre politique auxquelles se heurtent leurs relations.

En ma qualité de commandant pour la transformation, je coopère avec l'Agence européenne de défense mais dans un cadre très strictement défini. Ces contacts ne peuvent revêtir qu'un caractère informel et tout échange de documents classifiés est exclu.

Pour autant, il existe de nombreux domaines où une coopération s'avère utile, comme par exemple le soutien médical en opérations, la lutte contre les engins explosifs improvisés, la détection des matériaux illicites transportés par voie maritime, ou encore en matière de planification, où il reste un important travail de coordination à réaliser entre l'OTAN et l'Union européenne. Je n'ai constaté aucune réticence à ce type d'initiatives, ni au sein de l'OTAN, ni au sein de l'Union européenne.

Pour autant, cette coopération ne pourra réellement s'amplifier que lorsque le blocage actuel au rapprochement entre l'Union européenne et l'OTAN sera levé sur le plan politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

La position de nos partenaires européens sur le stationnement en Europe des armes nucléaires tactiques américaines a-t-elle évolué ?

Général Stéphane Abrial - Effectivement. Alors que les représentants de cinq pays européens avaient demandé publiquement le retrait des armes nucléaires tactiques américaines stationnées en Europe, la question a été tranchée lors de la réunion des ministères des affaires étrangères de l'OTAN à Tallinn. Tout en réaffirmant l'objectif à long terme d'une réduction de la posture nucléaire de l'OTAN, ceux-ci ont affirmé qu'il était nécessaire actuellement de conserver cette présence et que tout retrait devait se faire de manière concertée. Il s'agit là également de l'une des recommandations du groupe d'experts sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

La délégation de la commission qui s'est rendue à Washington du 26 au 29 avril dernier était composée de MM. Jean-Louis Carrère, Joseph Kergueris, Jean-Pierre Chevènement et moi-même.

Sur trois journées, nous avons rencontré une quinzaine de personnalités :

- au Sénat, deux membres influents de la commission des affaires étrangères, le sénateur démocrate Cardin (Maryland) et le sénateur républicain Lugar (Indiana), ancien président de la commission ;

- à la Maison Blanche, les responsables du Conseil national de sécurité en charge du Moyen-Orient, du désarmement et de la non-prolifération, des questions liées à l'Europe, à l'OTAN et à la Russie ;

- au Département d'Etat, la sous-secrétaire d'Etat pour le contrôle des armements, Mme Tauscher, et l'ambassadeur Feltman, secrétaire-adjoint pour le Proche-Orient ;

- au Pentagone, l'ambassadeur Vershbow, secrétaire-adjoint pour les questions de sécurité internationale, ainsi que les responsables de la cellule de coordination et de renseignement Afghanistan-Pakistan ;

- plusieurs experts américains ou français exerçant dans les think-tanks spécialisés en politique étrangère ;

- le secrétaire général de l'Organisation des Etats américains, M. Insulza ;

- enfin le général Stéphane Abrial.

Bien entendu, tout au long de ce séjour, nous avons bénéficié des éclairages de notre ambassade : l'ambassadeur Pierre Vimont, le ministre-conseiller François Rivasseau et les conseillers de la chancellerie diplomatique.

Quelques mots tout d'abord sur le contexte dans lequel intervenait notre mission.

Nous nous trouvions à Washington peu de temps après le vote de la loi sur l'assurance-maladie par le Congrès et la signature du nouveau traité Start avec la Russie.

Ces deux évènements, l'un intérieur, l'autre l'international, ont été analysés comme les deux premiers véritables succès politiques du Président Obama après une première année de mandat marquée par des difficultés et par des doutes exprimés d'autant plus fortement que les attentes vis-à-vis de la nouvelle administration étaient manifestement excessives.

Cela est particulièrement vrai en matière de politique étrangère. Le Président Obama avait inauguré son mandat par une série de grands discours, comme ceux de Prague ou du Caire, mais on ne pouvait que constater l'absence de résultats concrets, que ce soit sur sa volonté de dialogue avec l'Iran, sur le Proche-Orient, sur le partenariat avec la Chine et même dans les discussions avec les Russes, qui se poursuivaient encore plus de trois mois après l'arrivée à échéance de Start I début décembre 2009.

Ce printemps 2010 marque pour la Présidence un incontestable rétablissement, alors que sa crédibilité commençait à être sérieusement entamée.

Au plan intérieur, le vote de la loi sur la santé permet à l'administration de passer à d'autres dossiers, tels que la régulation financière, l'immigration, l'éducation ou la relance économique.

Au plan international, le traité New Start est la première traduction concrète du discours de Prague et elle peut être valorisée comme telle devant la communauté internationale réunie pour la Conférence d'examen du TNP à New York. Ce traité illustre également la volonté affichée en début de mandat, à travers la notion de « reset », de restaurer des relations très dégradées avec Moscou. De fait, le dialogue avec la Russie s'améliore. On le voit dans toute une série de domaines : sur l'Iran au Conseil de sécurité ; en Afghanistan, avec des facilités de transit beaucoup plus importantes par la route du Nord ; en Europe, avec une certaine décrispation. A Washington, l'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine et à la Géorgie n'est plus à l'ordre du jour. On insiste en revanche sur la volonté d'associer la Russie à un système continental de défense antimissile et on est ouvert à des discussions sur la sécurité européenne en considérant que le traité sur les Forces conventionnelles en Europe est de facto devenu caduc avec le retrait russe en 2007.

Les évènements du printemps ont donc permis de moduler le scepticisme et le discours critique sur la présidence Obama, qui s'étaient amplifiés au fil des mois.

L'impression dominante est que s'ouvre maintenant et d'ici la fin de l'année une phase de transition essentiellement dominée par la politique intérieure, avec des élections de « mid-term » difficiles pour le parti démocrate, début novembre, dans un contexte de radicalisation de la base républicaine attestée par le succès du mouvement des « tea parties ».

Hormis le traitement du dossier iranien au Conseil de sécurité, sur lequel la diplomatie américaine est très engagée, on ne s'attend pas à une implication forte du Président Obama sur les questions de politique étrangère d'ici la fin de l'année.

Je voudrais maintenant passer en revue les différents thèmes abordés avec nos interlocuteurs lors de cette mission.

Je passerai très brièvement sur deux sujets que nous avons déjà évoqués, que ce soit à l'instant avec le général Stéphane Abrial s'agissant de l'OTAN, ou il y a quelques jours avec M. Jean-Pierre Chevènement avec la politique américaine en matière de dissuasion nucléaire et de désarmement.

Sur l'OTAN, nous avons entendu des hommages appuyés à la décision prise l'an dernier pas la France et sur notre apport à l'Alliance. Ceci nous a donné l'occasion d'effectuer quelques mises au point pour bien préciser que nous n'avions en rien renoncé à notre ligne politique, en particulier en ce qui concerne l'indépendance de notre dissuasion, l'attachement au développement d'une défense européenne autonome, nos positions sur l'élargissement géographique et fonctionnel de l'OTAN ou encore la nécessité d'une profonde réforme des structures.

L'urgence de la réforme est le point sur lequel il y a sans doute la plus forte convergence avec l'administration américaine.

L'un des dossiers qui pourrait en revanche nous séparer est celui de la défense antimissile. Les Américains en font une priorité pour le prochain sommet de l'OTAN à Lisbonne, en novembre, et voudraient la consacrer comme une mission de l'OTAN. Nous n'avons pas la même appréciation de l'urgence et avons des craintes sur le coût d'un tel programme dans le contexte budgétaire actuel, ainsi que sur le risque d'accentuer les déséquilibres entre industries de défense de part et d'autre de l'Atlantique.

Sur l'Europe de la défense, l'ouverture de Washington est manifeste. Il y a en revanche une véritable crainte d'un effondrement de l'effort et de l'esprit de défense en Europe. C'est un point sur lequel la balle est clairement dans le camp des Européens.

Sur le désarmement, nous avons eu confirmation de l'approche extrêmement pragmatique et réaliste de l'administration, par delà la vision d'un monde sans armes nucléaires, dont nous avions bien compris qu'elle se projetait dans un futur très lointain.

Le sentiment que nous avons retiré est qu'en dehors de la ratification du traité américano-russe, officiellement espérée avant août mais plus probablement renvoyée au prochain Congrès, on ne devait pas attendre à court terme d'initiatives majeures. Le conseiller du président pour ces questions, M. Samore, nous a indiqué qu'il serait extrêmement difficile d'engager une nouvelle étape de réduction des armes nucléaires avec les Russes. Il a évoqué cette perspective, éventuellement, pour un second mandat. Quant à la ratification par le Sénat du traité d'interdiction des essais nucléaires (CTBT), elle est évoquée avec une extrême circonspection. Il n'y a aucun signe aujourd'hui que l'administration pourra réunir les 67 voix nécessaires à cette ratification qui faisait partie des objectifs du Président Obama dans son discours de Prague.

Nos entretiens ont également porté sur trois questions d'intérêt majeur pour la France : l'Iran, l'Afghanistan et le processus de paix au Proche-Orient.

Selon les mots de l'ambassadeur Feltman, les Etats-Unis n'ont pas de partenaire plus étroit et plus proche que la France sur le dossier iranien.

Lors de son entrée en fonction, le Président Obama a manifesté son intention de mener envers l'Iran une politique de la main tendue qui laissait les autorités françaises assez sceptiques. Cette offre de dialogue a en partie été prise en porte-à-faux avec le raidissement iranien lors de la crise politique qui a suivi les élections de juin 2009. Washington a néanmoins laissé sa politique d'engagement aller jusqu'à l'échéance de la fin de l'année 2009 qui avait été fixée aux Iraniens.

L'administration a été déçue du manque d'écho rencontré par les ouvertures qu'elle avait faites. Au début de l'année, elle s'est rangée à l'option d'un durcissement des sanctions, en souhaitant disposer du temps nécessaire pour y rallier, dans la mesure du possible, la Russie et la Chine. C'est ce travail qui a abouti mardi dernier à la présentation par les Etats-Unis d'un projet de résolution soutenu par les cinq membres permanents et l'Allemagne.

Nous avons évoqué à plusieurs reprises avec nos interlocuteurs ce quatrième train de sanctions et les résultats que l'on peut en attendre.

Aux yeux de Washington, il s'agit là, sinon de la meilleure, du moins de la moins mauvaise des approches.

Le projet de résolution associant la Russie et la Chine, qu'il reste à faire adopter par le Conseil de sécurité, vaut davantage par sa portée politique et symbolique que par les sanctions qu'il prévoit et dont l'impact demeurera réduit. Dans l'esprit des Américains, cette résolution permettrait de légitimer des mesures additionnelles plus significatives, notamment des sanctions touchant les secteurs bancaires et énergétiques. Les Etats-Unis, comme la France, souhaitent que l'Union européenne soutienne ces sanctions complémentaires. Ces dernières auraient au moins trois mérites : montrer que la communauté internationale ne reste pas inactive et éviter le scenario d'une action militaire israélienne, que les Etats-Unis s'efforcent de dissuader ; tenter de susciter des divisions au sein du pouvoir iranien, entre ceux qui pourraient être tentés par un accord avec les Occidentaux et ceux qui s'y refusent ; enfin, ralentir le programme nucléaire qui connaît déjà certaines difficultés techniques.

En résumé, les Etats-Unis cheminent, s'agissant de l'Iran, sur une voie étroite. Ils déclarent ne pas souhaiter une action militaire israélienne tout en laissant penser qu'elle serait inévitable si la communauté internationale n'était pas suffisamment ferme. Ils sont déterminés à imposer des sanctions financières, au-delà de celles prévues par le Conseil de sécurité, et veulent espérer qu'elles permettront de faire évoluer la donne politique à Téhéran.

Notre deuxième grand thème de discussion portait sur l'Afghanistan.

Le Président Barack Obama en a fait sa priorité, parallèlement au désengagement du théâtre irakien.

En dépit des difficultés d'ordre politique et sécuritaire en Irak, où il ne reste plus aujourd'hui qu'environ 50 000 soldats américains, le retrait paraît irréversible.

Par contraste avec son prédécesseur, le Président Obama s'est fortement engagé sur l'Afghanistan. Le renforcement des effectifs militaires se poursuit. Les troupes américaines comptent aujourd'hui environ 85 000 hommes, contre 46 000 non-américains. Elles atteindront un maximum de 98 000 hommes à l'été. Dans le même temps, un effort important est réalisé pour renforcer la présence d'experts civils.

L'objectif annoncé par le Président Obama est d'amorcer une décrue de l'engagement américain à l'été 2011, à la faveur d'une prise de responsabilité plus importante de l'armée et de la police afghane.

Le soutien de l'opinion américaine à l'opération s'est érodé du fait de l'absence de progrès militaires et politiques. Les pertes ont fortement augmenté en 2009 et sont déjà lourdes sur les premiers mois de 2010. Toutefois, la menace terroriste, toujours très présente à l'esprit des Américains, reste un facteur de légitimation de l'intervention.

Les responsables que nous avons rencontrés ont émis des appréciations extrêmement prudentes sur la situation militaire. Ils ont généralement insisté sur le bilan très négatif de 2009 et évoqué un arrêt de la détérioration en 2010, présenté comme un premier progrès. De même, il nous a été dit qu'il était trop tôt pour se prononcer sur les résultats des opérations engagées à Marjah, dans le Helmand, ou dans la province de Kandahar. Une évaluation officielle doit être effectuée en décembre. Il s'agira de voir dans quelle mesure des structures civiles et de sécurité pérennes peuvent être mises en place une fois les opérations militaires achevées.

L'un de nos compatriotes en poste à la Fondation Carnegie, M. Gilles Dorronsoro, s'est montré beaucoup plus pessimiste. Il prédit l'échec des opérations en cours à Kandahar, dès lors qu'aucun changement n'interviendra dans la gouvernance de la région, aux mains du frère du Président Karzaï. Il considère nécessaire de négocier au plus vite avec les talibans, par l'intermédiaire du Pakistan, alors que la stratégie officielle n'envisage des négociations qu'une fois la situation de la coalition plus assurée sur le terrain.

Le Président Obama cherche à tracer une perspective de retrait tout en répondant aux craintes de désengagement prématuré. La « review » prévue fin 2010 indiquera si l'amorce d'une décrue de la présence militaire reste envisageable à partir de l'été 2011 et, en tout état de cause, aucune indication n'est donnée sur le rythme auquel elle s'effectuerait. Kaboul souhaite négocier un accord de sécurité avec les Etats-Unis qui garantirait leur engagement dans le pays à plus long terme.

Il nous a semblé que les Américains n'avaient pas une vision très claire des conditions dans lesquelles pourrait s'amorcer un processus de réconciliation nationale. Lors la visite du Président Karzaï à Washington il y a quinze jours, le Président Obama a soutenu le dialogue lancé par celui-ci avec certains éléments des talibans. Mais la « Jirga de paix » prévue ce mois ci a été reportée et on peut se demander si un tel processus peut réellement prospérer dans le respect des conditions fixées par les Etats-Unis, auxquelles nous avons d'ailleurs souscrit, à savoir la renonciation à la violence armée et aux relations avec Al-Qaïda, l'acceptation des institutions et des engagements sur les droits des femmes.

Les responsables américains se félicitent en revanche de l'amélioration des relations avec le Pakistan et de l'attention plus marquées que les autorités portent désormais à la menace constituée par les talibans. Le Congrès a voté une aide civile au Pakistan de 7,5 milliards sur 5 ans.

Enfin, il faut souligner que nos interlocuteurs n'ont guère insisté, au cours des entretiens, sur un renforcement de la contribution militaire européenne, mettant plutôt l'accent sur les besoins liés à la formation de l'armée et de la police afghane.

Plusieurs de nos entretiens ont porté sur le processus de paix au Proche-Orient. Il s'agit là du principal échec de la présidence Obama en matière de politique étrangère. Non seulement les Etats-Unis ne sont pas parvenus à atteindre leur objectif d'un gel de la colonisation, mais la poursuite de celle-ci à Jérusalem-Est a provoqué une crise diplomatique et une dégradation sans précédent des relations avec Israël.

Premier constat : il existe aujourd'hui un réel déficit de confiance entre les Etats-Unis et Israël. Dans le discours public, les responsables américains ont dissocié le soutien à l'Etat d'Israël, qui n'est pas remis en cause, du soutien au gouvernement israélien et à sa politique, qui ne va plus de soi.

Certes, une fraction importante du parti démocrate demeure portée à la compréhension vis-à-vis des dirigeants israéliens. Nous l'avons par exemple constaté au Sénat. Mais le Président Obama est pour sa part sur une ligne plus dure, considérant que le Premier ministre Netanyahou ne cherche pas à progresser de bonne foi vers un accord de paix.

A la différence de l'administration Bush, l'administration actuelle est convaincue de la centralité du conflit israélo-palestinien dans la région et des risques qu'entraîne la prolongation du conflit. Mme Clinton a déclaré que le statu quo n'était pas tenable, dans l'intérêt même d'Israël. Le général Petraeus a également fait une intervention remarquée devant la commission des affaires étrangères du Sénat au cours de laquelle il a énuméré les conséquences négatives du conflit sur la stabilité et la sécurité de l'ensemble de la région, ainsi que sur les intérêts de sécurité des Etats-Unis. On constate donc un changement de ton à Washington, plus sévère à l'égard des dirigeants israéliens.

Nous avons posé la question de l'influence des lobbies pro-israéliens et de l'arrière-plan électoral, mais ce facteur a plutôt été minimisé par nos interlocuteurs. Il semblerait que l'administration se sente assez dégagée vis-à-vis d'un électorat juif majoritairement démocrate qui ne se détermine pas fondamentalement sur la question du soutien à la politique de Tel Aviv.

Le second constat que l'on peut effectuer est que malgré ce changement de ton, Washington ne semble pas pour l'instant vouloir accentuer la pression sur le gouvernement israélien. Les Etats-Unis souhaitent se donner du temps supplémentaire avec les pourparlers indirects dits « de proximité » prévus pour durer jusqu'au mois de septembre.

On peut douter que ces pourparlers ouvrent réellement la voie à des progrès ultérieurs. On ne voit pas bien les raisons pour lesquelles le gouvernement Netanyahou ferait évoluer sa position. Il est probable qu'ils ne feront que reporter le problème à l'automne et, en pratique, après les élections de novembre.

L'administration se trouvera alors au pied du mur. Elle ne dispose pas de moyens de pression sur le gouvernement israélien aussi importants qu'on le croit parfois en Europe. La quasi-totalité de l'aide américaine est une aide militaire, de l'ordre de 3 milliards de dollars par an, et il est hors de question de la remettre en cause. L'aide civile a été considérablement réduite depuis 20 ans. Les limites de l'engagement américain sur le processus de paix sont donc évidentes. Toutefois, à la différence de ses deux prédécesseurs, le Président Obama a souhaité s'impliquer sur ce dossier en début et non en toute fin de mandat. L'administration fait donc le choix d'une approche patiente et ne veut pas être jugée sur les résultats à court terme.

Pour terminer, je voudrais mentionner deux sujets que nous avons abordés de manière connexe lors de notre séjour.

Nous avons rencontré le secrétaire général de l'Organisation des Etats américains, le Chilien José Miguel Insulza, à l'initiative de notre représentant permanent auprès de cette organisation où nous siégeons comme observateur.

L'OEA apparaît surtout comme un forum politique qui a élaboré plusieurs instruments juridiques à l'échelle du continent, à l'image du Conseil de l'Europe, et qui mène des missions d'assistance et de surveillance en matière électorale.

Notre entretien visait surtout à évoquer l'évolution des relations des Etats-Unis avec l'Amérique latine. Celles-ci se sont détériorées sous la présidence Bush et l'élection de Barack Obama devait marquer un nouveau départ qui ne s'est pas véritablement traduit dans les faits. Certes, l'administration actuelle entend manifester l'importance qu'elle accorde à ses partenaires latino-américains, mais la politique américaine fournit régulièrement à certains d'entre eux des motifs de protestation. Les derniers en date portaient sur la valse-hésitation de Washington à l'égard du nouveau gouvernement du Honduras, finalement reconnu, et sur l'installation de bases militaires en Colombie. Quelques assouplissements ont été décidés à l'égard de Cuba, mais la normalisation n'est pas à l'ordre du jour. Les Etats-Unis ont une présence économique toujours forte en Amérique latine. Leurs deux grandes préoccupations concernent l'immigration et le narcotrafic. Les relations politiques sont tributaires des alternances électorales dans les pays de la région. A ce titre, l'élection brésilienne de l'automne est suivie avec attention à Washington, avec une préférence pour le candidat conservateur M. Serra par rapport à la dauphine du président Lula, Mme Roussef.

Nous avons également brièvement évoqué les relations avec la Chine qui sont présentes dans tous les esprits à Washington, notamment sur les grands enjeux économiques. Ces relations ont pris de l'ampleur au cours des dernières années. Le dialogue entre les deux pays ne se limite plus à des questions régionales et s'est élargi à des problématiques mondiales.

Ces relations sont ambivalentes, car elles oscillent en permanence entre la rivalité stratégique et la recherche d'un partenariat.

L'administration Obama privilégie délibérément l'approche partenariale, tout en rejetant le concept de « G2 », comme les autorités chinoises du reste. La Chine reste réticente à s'impliquer dans la gestion des crises et des grandes questions mondiales. Elle est d'abord préoccupée par ses problèmes internes, notamment au plan économique, et elle est hostile à tout ce qui pourrait limiter la souveraineté des Etats.

Tout ceci montre les limites d'un futur partenariat avec la Chine, même si celle-ci devient un facteur de plus en plus déterminant pour la politique étrangère américaine.

Pour conclure, je retiendrai trois enseignements de notre mission à Washington.

Tout d'abord, nous avons pu vérifier ce que l'on appelle la « méthode Obama », privilégiant la durée, le compromis et l'aplanissement préalable des difficultés, au détriment de résultats rapides ou spectaculaires.

En matière de politique étrangère, l'« Obamania » s'accompagnait d'attentes excessives à l'égard du nouveau président et celui-ci ne les a sans doute pas découragées par la série de grands discours ayant inauguré son mandat. Les Etats-Unis n'ont pas pu faire bouger le gouvernement israélien. Leur politique de la main tendue à l'Iran n'a pas produit les effets escomptés. Les résultats de la nouvelle stratégie en Afghanistan restent incertains. Néanmoins, la Maison Blanche n'a pas renoncé à ses objectifs et les poursuit avec ténacité.

Un récent article d'Hubert Védrine évoque « Obama : stratège patient dans un monde d'impatience ». Cette formule qualifie bien cette politique étrangère et nous dissuade de porter sur elle des jugements prématurés.

Le deuxième enseignement de notre mission est que nous avons trouvé à Washington une administration incomparablement plus ouverte que la précédente. Cette administration pratique l'écoute et le dialogue. Elle a clairement conscience des limites de la puissance américaine et des actions unilatérales.

Elle paraît sincèrement soucieuse d'établir des partenariats pour faire face aux grands enjeux internationaux, mais elle semble aussi quelque peu en peine de trouver des partenaires en phase avec ses attentes.

J'ai évoqué la Chine, mais on voit également que les relations avec les grands pays émergents ne sont pas simples. Enfin, il y a véritablement une interrogation à Washington sur l'Europe. L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne n'a pas apporté la clarification et la simplification attendues et la faiblesse de l'engagement européen en matière de défense inquiète.

Enfin, nous avons pu constater une très grande convergence de vues avec la France sur la plupart des dossiers. Notre diagnostic sur la priorité à accorder au conflit israélo-palestinien est identique. Nous opérons très étroitement sur l'Iran. Des discussions approfondies ont eu lieu sur les questions de désarmement et la nouvelle doctrine américaine fait écho à certaines préoccupations françaises. Nous avons également d'importantes convergences de vues sur l'OTAN et sur l'avenir de la relation avec la Russie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Vous avez évoqué la proximité de vues entre la France et les Etats-Unis. Sur l'Iran, le Président de la République est même parfois apparu plus en pointe que les Américains. Cela dit, je partage pleinement la présentation qui vient d'être faite et qui reflète fidèlement les impressions recueillies au terme d'entretiens toujours très ouverts, francs et cordiaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Comme vous l'avez indiqué, Monsieur le Président, nous avons constaté l'approche très réaliste de l'administration sur la question du désarmement nucléaire, renvoyant à un terme très lointain le monde sans armes nucléaires évoqué dans le discours de Prague. M. Gary Samore, assistant du Président au Conseil de sécurité, a estimé qu'il faudrait près de 20 ans pour éliminer les armes nucléaires en attente de démantèlement. Celles-ci sont au nombre de 4 200, alors que les Etats-Unis ont annoncé disposer d'environ 5 100 armes nucléaires actives ou en réserve. L'arsenal russe reste dimensionnant et la possibilité d'aller au-delà des réductions prévues par le traité New Start suscitent un grand scepticisme. L'administration reste également très vigilante sur le renforcement des investissements destinés à maintenir l'infrastructure nucléaire.

Sur le Proche-Orient, l'entretien avec le sénateur Cardin a montré que la fermeté du Président Obama vis-à-vis du gouvernement israélien n'était pas partagée par tous les responsables démocrates.

Sur l'Iran, on peut se demander si des sanctions additionnelles américano-américaines qui viseraient à cesser l'enlèvement du pétrole iranien ne seraient pas contre-productives, car elles inciteraient l'Iran à se tourner vers la Chine, l'Inde ou la Russie. Il y a lieu de mener une gestion fine de ce dossier.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Je suis surpris de ce que vous avez dit, Monsieur le Président, sur l'impact de la politique israélienne de l'administration vis-à-vis de l'électorat juif. Une grande manifestation de soutien au gouvernement israélien s'est déroulée ces jours ci à New-York à l'initiative d'organisations juives et elle a montré une forte mobilisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Je rapporte ce qui nous a été dit par plusieurs interlocuteurs, notamment un sénateur démocrate disposant d'une forte communauté juive dans son Etat. Il évoquait la grande variété d'opinion, dans cette communauté, par rapport à la politique du gouvernement israélien, et ne pensait pas qu'il s'agissait d'un facteur déterminant du comportement électoral.

La commission autorise la publication du compte-rendu de la mission sous la forme d'un rapport d'information.

Jean Milhau a été nommé rapporteur sur le projet de loi n° 444 (2009-2010) autorisant la ratification du deuxième protocole additionnel à la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale.

Christian Cambon a été nommé rapporteur sur le projet de loi n° 445 (2009-2010) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc sur l'assistance aux personnes détenues et sur le transfèrement des condamnés.