Nous sommes saisis d'un nouvel accord de défense entre la France et les Emirats arabes unis. Cet accord a été signé à Abou Dhabi en mai 2009. Le projet de loi autorisant son approbation a été adopté par l'Assemblée nationale le 14 juin dernier. Cet accord vient se substituer à l'accord de défense signé en 1995 avec les Emirats arabes unis qui était devenu inadapté en raison de l'intensification du partenariat franco-émirien.
Ce texte intervient dans le cadre général de la relance de nos relations avec la plupart des pays du Moyen-Orient, comme en témoignent les accords que nous avons autorisés avec l'Arabie saoudite, en 2010 ou avec l'Irak en 2011. Il s'inscrit également dans le cadre de la rénovation de nos accords de défense notamment avec les pays africains.
Il se distingue néanmoins de ces précédents accords par la force de l'engagement de la France auprès des Emirats arabes unis dont il témoigne.
Cet accord de défense s'inscrit, en effet, dans un partenariat diplomatique et stratégique ancien, avec une fédération qui revêt un intérêt stratégique indéniable. Vous le savez comme moi, ce pays occupe un rôle central dans une zone géographique vitale pour la sécurité de l'occident. Les Emirats arabes unis : ce sont les rives du Détroit d'Ormuz par lequel transite l'essentiel des approvisionnements en énergie de notre économie.
A travers cet accord, la France rejoint le constat dressé depuis longtemps par ses alliés britanniques et américains qui considèrent le Golfe persique comme une zone vitale pour leurs intérêts.
C'est une zone stratégique, mais aussi une zone instable, marquée par la guerre Iran-Irak, par les deux guerres du Golfe. C'est aujourd'hui une zone de tensions avec la situation particulière de l'Irak, d'un côté, l'inconnue iranienne de l'autre et, plus loin, mais pas si loin, les opérations de l'OTAN en Afghanistan.
Les Emirats arabes unis c'est enfin, pour l'économie française, un partenaire incontournable. Il s'agit en effet d'une économie dynamique, de plus en plus indépendante du pétrole, qui constitue un débouché important pour les intérêts français. Notre part de marché a en effet triplé de 1998 à 2009 pour atteindre plus de 3 milliards d'euros d'exportation. Il s'agit évidemment de l'aéronautique avec EADS, mais pas seulement : GDF-Suez, Véolia, Alsthom, Thalès sont également très présents..., mais doivent faire face à la concurrence des Européens et, plus récemment, de l'Inde, de la Turquie, de la Corée du Sud.
Cet accord marque un nouveau départ, mais s'inscrit dans le cadre d'un partenariat militaire et politique ancien. Le premier accord de défense remonte en effet à 1977. Il y a vingt ans déjà, notre relation avec les Emirats arabes unis étaient si étroite que la France était le principal fournisseur d'armement de ce pays jusque dans les années 1990. Cette coopération a abouti, vous le savez, à l'installation de la base militaire française à Abou Dhabi en 2009.
Nos relations dépassent d'ailleurs le strict domaine militaire, comme l'illustre l'ouverture prochaine du Louvre d'Abou Dhabi ou l'implantation d'une antenne de la Sorbonne. De fait, la France et les Emirats arabes unis sont liés par de nombreux accords dans des domaines qui vont du développement et de l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire à des échanges scolaires en matière de mathématiques et de sciences physiques, en passant par le domaine des transports.
L'accord de défense qui nous est soumis a pour objet essentiel de donner un cadre juridique la présence des forces françaises aux Emirats arabes unis.
La base militaire d'Abou Dhabi est une implantation de premier ordre, la première implantation militaire permanente à l'étranger créée par la France depuis plus de 50 ans. Elle démontre la volonté de notre pays de s'engager de façon pérenne aux côtés des Emirats arabes unis. Comme vous le savez, -je me souviens que nos collègue Dulait et Boutant nous avaient rendu compte de leur visite de cette base dans le cadre d'une mission sur l'opération Atalante- cette base militaire comprend trois composantes :
La première, qui est aussi la plus importante, est la composante navale, qui permet d'assurer un soutien aux navires de la marine nationale en mission dans le Golfe et l'Océan indien.
La deuxième est la composante terrestre : un centre d'entraînement au combat en zone urbaine et en milieu désertique a été créé dans l'enceinte de la base.
La troisième est la composante aérienne.
Au total, cette implantation comprend aujourd'hui 620 militaires et doit servir à accueillir l'ensemble des moyens militaires que la France déploie régulièrement dans le cadre d'exercices interarmées avec les pays du Golfe.
Cette implantation stratégique dans une zone sensible a d'abord une fonction dissuasive vis-à-vis d'un éventuel agresseur et des Emirats arabes unis. Elle doit ensuite servir de point d'appui aux forces françaises déployées dans le théâtre Nord de l'Océan indien. Elle permet enfin des activités d'entraînement et d'aguerrissement des forces françaises en lien avec nos partenaires locaux.
Au-delà de ces fonctions opérationnelles, cette base offre également une vitrine de choix pour nos équipements.
J'en viens aux dispositions précises de l'accord.
Il comporte un certain nombre de dispositions assez classiques dans les accords de défense. Il rappelle les objectifs de ce partenariat, les domaines de la coopération bilatérale, l'établissement d'une planification conjointe, la définition d'un cadre juridique d'exercice commun.
Au-delà de ces dispositions, deux points présentent un intérêt particulier :
Le premier est l'existence d'une clause de sécurité aux termes de laquelle la France participe à la défense de l'intégrité territoriale des Etats des Emirats arabes unis. L'article 4 de l'accord prévoit une réponse graduée à tous types de menaces pouvant aller jusqu'à l'engagement de nos forces dans le cas où les Emirats arabes unis seraient soumis à une menace portant sur leurs intérêts vitaux et mettant en cause leur souveraineté nationale. Je me dois de souligner ici le caractère assez exceptionnel de ce dispositif au moment où la France a supprimé des clauses similaires dans ses accords avec ses partenaires africains. Je dois également souligner que l'engagement des soldats français n'est explicitement prévu que pour « dissuader ou repousser toute agression qui serait menée par un ou plusieurs Etats ». Je cite ici très précisément les termes de l'accord qui exclut notre engagement dans un éventuel conflit interne. Cet accord engage par ailleurs un Etat et non un régime. Le régime en place jouit d'une grande stabilité, mais en tout état de cause nos relations avec les Emirats et le contexte stratégique qui ont conduit à la signature de cet accord sont disjoints de la nature du régime politique émirien et des évolutions qu'il pourrait connaître.
Jusqu'à présent seuls les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont établi avec les Emirats un accord de défense. Ces accords ne sont pas publics mais nous avons des raisons de penser qu'ils contiennent également des clauses d'assistance.
Le second point, qui a fait l'objet de négociations approfondies et d'une lettre interprétative jointe à l'accord, concerne le statut du personnel en place. En résumé, l'accord prévoit qu'en cas d'infraction commise sur le territoire émirien, les militaires français relèvent du droit français lorsque l'infraction résulte d'un acte ou d'une négligence accomplis dans le cadre de leur service ou lorsque l'infraction porte uniquement atteinte à la sécurité du personnel français ou des biens de l'Etat français. La lettre interprétative prévoit une procédure pour trancher, en cas de désaccord sur la nature de l'infraction, si cette dernière a été commise ou non dans le cadre du service. Dans tous les autres cas, les autorités émiriennes exerceront par priorité leur droit de juridiction. Il est toutefois prévu qu'elles peuvent y renoncer et que d'autre part aucune sanction qui serait contraire à l'ordre public français ou qui constituerait des traitements inhumains ou dégradants interdits par des conventions internationales auxquelles la France est partie ne pourrait être exécutée à l'encontre d'un militaire français ou d'une personne à sa charge. Une peine de substitution devrait alors être prononcée dans un délai raisonnable. Cette procédure offre ainsi des garanties pour qu'on n'inflige pas à nos ressortissants des sanctions qui nous paraîtraient intolérables.
Voilà mes chers collègues le contenu de cet accord. Il présente à mes yeux un intérêt stratégique majeur. Il formalise un partenariat de défense et d'armement essentiel à la place de notre pays dans cette zone stratégique pour ses intérêts.
Je voudrais souligner que les différences entre les implantations américaines ou britanniques et la base française résident dans le fait que la France a choisi d'installer les militaires et leur famille, ce qui est le signe d'un engagement durable auprès des Emirats arabes unis.
C'est la raison pour laquelle, je vous propose d'adopter cet accord à l'issue d'un débat en séance publique.