Intervention de Jean-Pierre Filiu

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 10 février 2010 : 1ère réunion
Situation au yémen — Audition de M. Jean-Pierre Filiu professeur à sciences po chaire moyen-orient

Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po (chaire Moyen-Orient) :

Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po (chaire Moyen-Orient), sur la situation au Yémen.

a indiqué que les liens entre Al-Qaïda et le Yémen étaient anciens. Outre le fait que la famille Ben Laden, de nationalité saoudienne, est originaire du Yémen du Sud, et que de nombreux Saoudiens d'origine yéménite forment la garde rapprochée d'Oussama Ben Laden, c'est à Aden qu'Al-Qaïda a commis son premier attentat, en décembre 1992, en visant un hôtel fréquenté par des soldats américains en route vers la Somalie. Al-Qaïda a frappé le destroyer américain Cole en rade d'Aden en octobre 2000, a visé l'ambassade des Etats-Unis à Sanaa en septembre 2008 et a revendiqué depuis le Yémen la tentative d'attentat contre le vol Amsterdam-Detroit du 25 décembre 2009.

est ensuite revenu sur les origines et les évolutions d'Al-Qaïda. Il a rappelé qu'Al-Qaïda avait été fondée par Oussama Ben Laden en août 1988 au Pakistan et qu'elle reposait sur une allégeance totale à son guide, dont la démarche est beaucoup plus politique que religieuse. A son retour d'Afghanistan, auréolé de son passé de vétéran de la lutte contre l'armée soviétique, Oussama Ben Laden, alors âgé de 32 ans, s'oppose une première fois à la monarchie saoudienne à propos du Yémen, qu'il souhaite expurger des communistes, alors qu'un processus d'unification est en cours.

La deuxième crise survient lors de l'invasion du Koweït par l'Irak, le recours à l'armée américaine par l'Arabie saoudite ayant été vécu par Oussama Ben Laden comme une humiliation ayant entraîné son exil au Soudan, avant son retour en Afghanistan.

L'organisation a développé une dialectique de la violence entre, d'une part, « l'ennemi proche » et musulman, qu'elle veut soumettre et purifier, et, d'autre part, « l'ennemi lointain » et occidental, qu'elle qualifie de « judéo-croisé». C'est « l'ennemi proche » qui est stratégique pour Al-Qaïda, mais elle se sait trop faible pour le défaire par elle-même, aussi s'efforce-t-elle d'attirer « l'ennemi lointain » sur le territoire de « l'ennemi proche ». Les attentats, comme ceux de Dar es Salam et de Nairobi (en août 1998), contre le destroyer américain Cole ou du 11 septembre 2001, visent non seulement à humilier l'Amérique, mais aussi à attirer les troupes étrangères dans les pays musulmans, et à nourrir une guerre des civilisations.

Les attentats du 11 septembre sont ainsi le moyen pour Al-Qaïda de provoquer une intervention américaine, qu'ils espèrent tragique, en Afghanistan et une crise dans les relations entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite. Or, sur ces deux points, l'organisation connaît un échec, avec l'effondrement du régime des taliban et la condamnation quasi unanime des attentats en Arabie saoudite.

L'intervention américaine en Irak offre une opportunité inespérée à Al-Qaïda pour s'implanter au Moyen-Orient, avec la création d'Al-Qaïda pour la péninsule arabique (AQPA), puis l'intégration du groupe du Jordanien Zarqaoui dans Al-Qaïda. Mais, en Arabie comme en Irak, l'organisation va essuyer un échec, du fait de la contre-offensive réussie des forces de sécurité en Arabie, d'une part, et du conflit de plus en plus ouvert entre elle et la guérilla irakienne, d'autre part.

Selon M. Jean-Pierre Filiu, l'organisation Al-Qaïda, qui rassemblerait entre mille et deux mille membres, se décline aujourd'hui comme suit :

- « Al Qaïda central », c'est-à-dire sa direction, qui est réfugiée dans les zones tribales pakistanaises, à la frontière avec l'Afghanistan, et qui entretiendrait de bien meilleures relations avec les taliban pakistanais qu'avec leurs homologues afghans ;

- l'axe moyen-oriental, qui comprend ce qu'il reste d'Al-Qaïda en Irak, très affaiblie depuis sa lutte avec la guérilla sunnite, et Al-Qaïda pour la péninsule arabique, qui s'est repliée d'Arabie Saoudite vers le Yémen à la suite de la répression très efficace des services de sécurité saoudiens. La fusion des branches saoudienne et yéménite d'Al-Qaïda, sous une direction mixte yéménite et saoudienne, a donné une nouvelle dimension à l'implantation de l'organisation au Yémen, qui compterait entre 200 et 500 membres ;

- la troisième branche, plus récente, d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) reste fortement marquée par ses origines algériennes puisqu'elle est issue du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Ayant échoué à s'implanter au Maroc ou en Tunisie, elle a noué des liens avec des bandes criminelles en Mauritanie et dans le reste du Sahara.

a souligné le paradoxe d'Al-Qaïda qui, tout en prônant un Jihad mondial, reste une organisation fortement marquée par les prégnances nationales. Elle s'apparente de plus en plus à une secte, avec son gourou charismatique (Ben Laden) et sa vulgate jihadiste diffusée sur Internet.

a souhaité, en conclusion, attirer l'attention des membres de la commission sur le danger que représentent les sites affiliés et alimentés par Al-Qaïda sur Internet : librement accessibles, ils peuvent servir à enrôler et à endoctriner des personnes fragiles et isolées qui, à l'image de l'auteur nigérian de l'attentat manqué de Detroit, ont une culture islamique trop limitée pour résister à un tel matraquage virtuel.

Au terme de cet exposé, un débat s'est ouvert au sein de la commission.

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