Intervention de Jean-Pierre Filiu

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 10 février 2010 : 1ère réunion
Situation au yémen — Audition de M. Jean-Pierre Filiu professeur à sciences po chaire moyen-orient

Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po (chaire Moyen-Orient) :

En réponse, M. Jean-Pierre Filiu a précisé que :

- l'organisation Al-Qaïda doit, pour maintenir sa crédibilité, constamment communiquer ; elle est, de plus, traversée d'intenses débats internes, ce qui procure aux analystes une documentation très fournie en langue arabe sur ces mouvements ;

- Oussama Ben Laden prend toutes les précautions, ne se déplaçant que de nuit, n'utilisant aucun appareil électrique permettant de le localiser, et se protégeant grâce à une garde composée de combattants saoudo-yéménites qui lui est totalement fidèle. De surcroît, il est probablement réfugié dans des zones montagneuses, impossibles à pénétrer par des éléments extérieurs sans être immédiatement repérés : c'est la revanche de l'archaïque sur la technique. Quelle que soit la fiabilité des drones, seule une trahison humaine permet d'obtenir les informations permettant des raids. Ce sera sans doute la clef de la capture ou de l'élimination d'Oussama Ben Laden ;

- le conflit israélo-palestinien doit être résolu pour lui-même, et non pas du fait d'Al-Qaïda. Oussama Ben Laden a beau invoquer fréquemment la cause palestinienne, son organisation n'a commis qu'un seul attentat anti-israélien en vingt-et-un ans et elle ne compte quasiment pas de Palestiniens issus des Territoires dans ses rangs. Al-Qaida a accusé le Hamas d'avoir « vendu la Palestine aux Juifs » en participant aux élections de janvier 2006 en Cisjordanie et à Gaza, qui se déroulaient dans le cadre des accords de paix israélo-palestiniens. La guerre de propagande n'a pas cessé de faire rage entre Al-Qaida et le Hamas qui, depuis sa prise de contrôle de la bande de Gaza en juin 2007, a brutalement réprimé toute forme d'infiltration dans ce territoire des partisans d'Oussama Ben Laden;

- la stratégie d'Al-Qaïda est avant tout opportuniste et utilise tous les éléments que l'évolution internationale lui fournit : elle jette ainsi de l'huile sur le feu de la tension entre l'Inde au Pakistan, notamment au Cachemire, et elle aurait tout à gagner de la répétition d'une provocation terroriste du type de celle de Bombay en novembre 2008. Une crise ouverte entre les deux pays permettrait de diminuer la pression ou même de lever le siège du Waziristân ;

- une intervention occidentale en Iran est publiquement appelée de ses voeux par Al-Qaïda, car elle conduirait à un affrontement entre « les hérétiques » (les chiites) et « les croisés » (l'Amérique et ses alliés), qui s'affaibliraient mutuellement, et à une déstabilisation de la région du Golfe, permettant ainsi à Al-Qaïda d'y reprendre pied. Cette organisation a sans doute facilité l'attentat commis contre les Gardiens de la Révolution au Baloutchistan iranien, alors que Téhéran a initialement accusé la CIA ou le MI6. Al-Qaïda utilise constamment la provocation et elle espère qu'une telle intervention occidentale la remettrait en selle.

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