Intervention de Alain Richard

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 29 novembre 2011 : 1ère réunion
Obligation de neutralité des structures privées en charge de la petite enfance — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain RichardAlain Richard, rapporteur :

Vous avez sans doute suivi le déroulement judiciaire de l'affaire dite « Baby Loup », du nom de cette structure d'accueil de la petite enfance, dont une salariée tenait à conserver une tenue très identifiée. Son licenciement a été jugé licite par le conseil de prud'hommes, puis par la cour d'appel de Versailles. A partir de cet épisode, et de sa réflexion personnelle sur la laïcité, Mme Laborde a souhaité clarifier les principes applicables, et a déposé le 25 octobre dernier une proposition de loi pour étendre l'obligation de neutralité religieuse aux organismes privés accueillant des enfants ainsi qu'aux assistants maternels individuels accueillant de petits enfants à leur domicile.

Votre rapporteur, qui a pris le parti de respecter l'intention de l'auteur de la proposition de loi, a considéré que le texte est utile pour clarifier ces situations, au-delà du règlement judiciaire, au demeurant non définitif, le délai de pourvoi en cassation n'ayant pas encore expiré, dans le cas que j'ai cité. La jurisprudence est trop éparse pour que l'on puisse se faire une idée suffisamment stable et précise du droit applicable. La proposition de loi qui vous est soumise, substantiellement modifiée, est indispensable, pour parfaire la conciliation de l'exigence de neutralité religieuse, avec les autres libertés et droits : droit d'expression religieuse, droit d'association, principes fondamentaux du droit du travail et liberté de conscience des familles.

Nous nous sommes appuyés sur une décision unique du Conseil constitutionnel, datant de 1977, à propos de la loi Guermeur, reconnaissant aux établissements d'enseignement privé sous contrat le droit d'exercer une activité d'enseignement, dans le respect de leur caractère propre. La loi ne précise pas ce qu'il faut entendre par « caractère propre ». Si on l'applique à la liberté d'expression religieuse, ce terme reconnaît le droit de celui qui se prévaut d'une croyance de faire usage des valeurs qui en résultent dans sa pratique professionnelle. L'Union européenne, dans le cadre de la liberté de circulation des travailleurs en son sein, a adopté une directive qui reconnaît la notion, issue du droit allemand, d'entreprise « de tendance » : si l'entreprise qui vous salarie professe une conviction, des valeurs, une croyance, vous devez les accepter.

Le dispositif que je vous propose retient deux critères principaux : y a-t-il un financement public ? L'entité en question se prévaut-elle d'un caractère propre ? S'il y a financement public, les salariés sont tenus à la neutralité religieuse. S'il y a financement public et que l'établissement présente un caractère propre, votre rapporteur a recopié la loi Debré : vous pouvez mener votre activité éducative à caractère propre, mais en accueillant les enfants, quelles que soient les croyances de leurs parents, et en respectant leur liberté de conscience : les activités de formation religieuse sont donc facultatives. Cette logique est transposée aux crèches et aux centres de loisirs sans hébergement. Même si vous n'avez pas de financement public, vous avez le droit de soumettre vos salariés au contact d'enfants à une obligation de neutralité religieuse.

Exigence nouvelle, les organismes qui assurent ces prestations d'accueil et qui déclarent un caractère propre devront le porter à la connaissance du public, via leurs documents d'inscription ou leur site Internet par exemple. Un premier article applique ces dispositions aux crèches et un deuxième aux centres de loisirs.

Son application, souhaitée par Mme Laborde, aux assistantes maternelles, est autrement sensible. Leur contrat de travail est conclu entre deux particuliers. Le code de l'action sociale et des familles est à cet égard très bien rédigé : il précise les dispositions du code du travail qui s'appliquent à leur contrat. Ces personnes travaillent à leur domicile. Autant l'exigence de neutralité s'applique dans des espaces qui ne sont pas publics, mais collectifs, autant il est, au domicile de ces personnes, des notions, comme celles de signe ostensible, qui ne sont pas évidentes à caractériser. La solution réside dans le contrat de travail entre le particulier, usager du service et employeur, et l'assistante maternelle. Elle repose sur une valeur cardinale : la liberté de choix des familles. Des situations peuvent se produire, où la liberté de choix peut ne pas être si complète. Ainsi, une assistante maternelle peut, lors d'une première visite, agir de façon tout à fait quelconque, puis ensuite manifester une pratique religieuse insistante. La question de la liberté psychologique des enfants se trouve posée.

Votre rapporteur propose que dans le silence du contrat de travail, l'obligation de neutralité religieuse s'applique. Nous sommes dans le cas du financement public, puisqu'il y a des prestations familiales et des réductions d'impôts. Si la salariée assistante maternelle souhaite avoir une pratique religieuse pendant le temps d'accueil de l'enfant, elle doit le demander dans le cadre du contrat de travail.

Nous concilions trois garanties : les conseils généraux ne se trouvent pas impliquées dans des choix religieux, lors de l'agrément, le service public devant demeurer neutre ; les personnes concernées gardent leur liberté religieuse, même dans le cadre de leur activité professionnelle ; les parents sont suffisamment informés. Votre rapporteur s'est assuré de l'accord de Mme Laborde et du président Mézard sur cette légère réorientation de la proposition de loi du groupe RDSE. La plupart des représentants du gouvernement ne se sont pas précipités pour opiner sur ce sujet, mais l'un d'entre eux a tout de même demandé : êtes-vous sûr d'avoir besoin d'une loi ?

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