Merci de m'accueillir, avec Anne Durupty, directrice générale, et notre chargée des relations institutionnelles, en cette période budgétaire chargée.
Depuis le début de la révolution numérique, il y a une dizaine d'années, le paysage audiovisuel français a été secoué par une série de bouleversements successifs, voire, parfois, simultanés. L'arrivée de la télévision numérique terrestre (TNT), en démultipliant l'offre, a suscité des tensions sur les programmes et fragmenté l'audience des chaînes historiques. Puis est venue la télévision dénumérisée, avec le « catch up », qui a transformé les pratiques, devenues plus individuelles que collectives, avant que n'émergent les réseaux sociaux, qui ont resocialisé ces pratiques, mais dans une version plus amicale que familiale.
Dans le même temps, des acteurs nouveaux apparaissaient, comme Orange ou Free, tandis que se profile le passage de Canal à la télévision gratuite, qui provoquera, sans nul doute, un choc violent, et que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a lancé son appel à candidatures pour l'attribution de six nouveaux canaux TNT, qui vont bouleverser la télévision numérique à peine stabilisée.
C'est au milieu de cette tourmente qu'avec Anne Durupty, nous avons eu la tâche de définir les orientations stratégiques d'Arte France pour les cinq ans à venir. Nous l'avons fait avec nos équipes et notre ministère de tutelle, pour nous retrouver autour de deux axes : relance éditoriale et développement du numérique.
La relance éditoriale que nous projetons ne vise pas à transformer les fondamentaux d'une chaîne résolument européenne, culturelle et de réflexion autour du partage de la connaissance, mais, au contraire, à les renforcer, parce qu'ils nous semblent plus nécessaires que jamais et que l'avenir est, à notre sens, aux chaînes à forte identité : il faut affirmer notre singularité dans un paysage où les chaînes pullulent et se banalisent.
C'est pourquoi nous entendons respecter l'équilibre qui fait la spécificité d'Arte : 40 % de documentaire, qui est comme l'ADN de la chaîne ; beaucoup de cinéma, mais en version originale sous-titrée ; du spectacle vivant, aussi, rare sur les autres chaînes, de surcroît en prime time.
Malgré ces fondamentaux solides, Arte a souffert de l'arrivée de la TNT et de l'ADSL. Un peu plus tard que les autres chaînes, certes, mais, in fine, dans les mêmes proportions. A cette perte d'audience s'est ajoutée une baisse relative du budget de programme, puisqu'une bonne part de l'augmentation de la redevance prévue par le précédent contrat d'objectifs et de moyens a servi à couvrir la forte hausse des coûts de diffusion. Haute définition, TNT, développement des chaînes historiques dans les DOM-TOM : autant de facteurs qui sont venus peser sur le budget des programmes - qui reste à 3 % par an quand il est, chez nos principaux concurrents, supérieur à 10 %. Et cela se ressent, en particulier, sur la programmation de jour, entre 7 heures et 19 heures, bien pauvre puisque 80 % des programmes restent, dans cette tranche horaire, des rediffusions de programmes conçus pour les soirées. Arte ne consacre ainsi que 5 millions par an à ses programmes de journée, soit pas plus que l'équivalent d'une ou deux fictions de TF1.
D'où la nécessité d'une relance, pour investir dans la programmation de jour, à la qualité de laquelle il est d'autant plus important de veiller que le passage au numérique, c'est la réception 24 heures sur 24, pour tous : nous devons devenir une chaîne à temps plein.
Nous commencerons avec le week-end, pendant lequel les gens sont plus disponibles, en investissant dans les programmes du dimanche après-midi, centrés sur la culture et suivis d'une série documentaire à 18 heures, tandis que le matin restera réservé aux programmes pour les jeunes, et que nous ferons du journal télévisé du soir, européen et international, une véritable amorce de début de soirée : nous avons reçu l'accord de nos partenaires allemands de le déplacer à 19h45 au lieu de 19 heures, ce qui correspond mieux aux habitudes de nos concitoyens.
Nous voulons une grille des programmes plus lisible et plus facile à mémoriser, avec une programmation horizontale en journée et verticale le soir, où chaque jour de la semaine prendra une couleur propre : cinéma le lundi, documentaire d'investigation le mardi, cinéma d'auteur le mercredi - car nous avons passé accord avec la profession pour diffuser des films d'auteurs en première partie de soirée - tandis que le week-end sera européen et à dimension culturelle.
Avec nos producteurs, nous travaillons à moderniser les programmes, pour le mettre mieux en résonance avec le présent. La construction franco-allemande est désormais un acquis : les thématiques peuvent se tourner plus résolument vers le présent et l'avenir ; je pense, notamment, aux émissions historiques. Le ton, aussi, mérite d'être modernisé, pour se faire moins docte, plus alerte, car si « l'Art est difficile », la culture peut-être aussi un plaisir. La diversité, aussi, sera à l'ordre du jour, puisque le journal télévisé du soir sera présenté par des journalistes qui en sont issus : une jeune femme d'origine algérienne, en France, un jeune homme d'origine turque, en Allemagne - chose assez nouvelle dans ce pays.
Notre seconde priorité consiste à poursuivre le développement du numérique. La chaîne fut pionnière en ce domaine, ayant été la première à créer un « catch up », des web docus ou des web fictions. Il faut consolider notre avance en poursuivant la création, pour concevoir des programmes mixtes web-antenne : je suis convaincue que là est l'avenir. Nous créerons des programmes déclinés pour la télévision connectée. Ce qui peut susciter chez l'inquiétude certains, qui craignent que l'accès à leurs émissions ne passe plus par le canal de leur chaîne, nous le voyons, pour nous, comme une chance, celle de proposer une émission à la télévision et des compléments en option sur la télévision connectée. Nous diffusons de mieux en mieux Arte+7 sur tous les vecteurs et nous offrirons l'année prochaine un flux sur notre site pour que ceux qui ont abandonné les écrans classiques puissent nous rejoindre : les jeunes ne sont plus devant la télévision, mais devant leur ordinateur.
Parallèlement, alors que les autres chaînes se battent pour constituer des groupes, c'est sur Internet que nous entendons constituer une galaxie moderne, en construisant autour des programmes Arte TNT une constellation de petites plates-formes thématiques, ainsi que nous l'avons déjà fait pour le spectacle vivant ou les arts numériques. Après Arte Live web et Arte créative, nous entendons poursuivre avec d'autres plates-formes dédiées à l'Histoire, à l'écologie, au cinéma, aux sciences. Lorsqu'elles seront nourries, nous pourrons concevoir des programmes thématiques relinéarisés, pour attirer les téléspectateurs vers nos plates-formes, qui seront autant de portes d'entrée vers l'univers d'Arte.
Alors, la chaîne pourra s'européaniser. Tout en respectant le socle franco-allemand, nous pourrons envisager de nouveaux rapports avec nos voisins, auxquels nous proposerons de bâtir, avec eux et pour eux, dans le respect des différences culturelles et sans imposer notre modèle, des chaînes ayant vocation à devenir la chaîne culturelle de leur pays. Nous espérons voir naître un jour un Arte Italie, un Arte Espagne, avec des perspectives de diffusion sur Internet.
Nous avons obtenu, sur le projet de contrat d'objectifs et de moyens, l'accord des pouvoirs publics, qui nous aideront à mettre en oeuvre les principaux axes de notre stratégie, malgré un contexte économique contraint. En 2012, nous pourrons compter sur 18 millions supplémentaires, soit une croissance de 7,3 % et sur l'ensemble de la période, la croissance sera de 3,8 % l'an. Il nous est cependant demandé de participer à l'effort du plan de rigueur, à hauteur de 1 million, que nous sommes autorisés à prélever sur notre fond de roulement.