La commission procède à l'audition de Mme Véronique Cayla, présidente d'Arte France, sur le projet de contrat d'objectifs et de moyens pour la période 2012-2016.
Nous accueillons Mme Véronique Cayla qui vient nous présenter le projet de contrat d'objectifs et de moyens d'Arte France pour la période 2012-2016.
Merci de m'accueillir, avec Anne Durupty, directrice générale, et notre chargée des relations institutionnelles, en cette période budgétaire chargée.
Depuis le début de la révolution numérique, il y a une dizaine d'années, le paysage audiovisuel français a été secoué par une série de bouleversements successifs, voire, parfois, simultanés. L'arrivée de la télévision numérique terrestre (TNT), en démultipliant l'offre, a suscité des tensions sur les programmes et fragmenté l'audience des chaînes historiques. Puis est venue la télévision dénumérisée, avec le « catch up », qui a transformé les pratiques, devenues plus individuelles que collectives, avant que n'émergent les réseaux sociaux, qui ont resocialisé ces pratiques, mais dans une version plus amicale que familiale.
Dans le même temps, des acteurs nouveaux apparaissaient, comme Orange ou Free, tandis que se profile le passage de Canal à la télévision gratuite, qui provoquera, sans nul doute, un choc violent, et que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a lancé son appel à candidatures pour l'attribution de six nouveaux canaux TNT, qui vont bouleverser la télévision numérique à peine stabilisée.
C'est au milieu de cette tourmente qu'avec Anne Durupty, nous avons eu la tâche de définir les orientations stratégiques d'Arte France pour les cinq ans à venir. Nous l'avons fait avec nos équipes et notre ministère de tutelle, pour nous retrouver autour de deux axes : relance éditoriale et développement du numérique.
La relance éditoriale que nous projetons ne vise pas à transformer les fondamentaux d'une chaîne résolument européenne, culturelle et de réflexion autour du partage de la connaissance, mais, au contraire, à les renforcer, parce qu'ils nous semblent plus nécessaires que jamais et que l'avenir est, à notre sens, aux chaînes à forte identité : il faut affirmer notre singularité dans un paysage où les chaînes pullulent et se banalisent.
C'est pourquoi nous entendons respecter l'équilibre qui fait la spécificité d'Arte : 40 % de documentaire, qui est comme l'ADN de la chaîne ; beaucoup de cinéma, mais en version originale sous-titrée ; du spectacle vivant, aussi, rare sur les autres chaînes, de surcroît en prime time.
Malgré ces fondamentaux solides, Arte a souffert de l'arrivée de la TNT et de l'ADSL. Un peu plus tard que les autres chaînes, certes, mais, in fine, dans les mêmes proportions. A cette perte d'audience s'est ajoutée une baisse relative du budget de programme, puisqu'une bonne part de l'augmentation de la redevance prévue par le précédent contrat d'objectifs et de moyens a servi à couvrir la forte hausse des coûts de diffusion. Haute définition, TNT, développement des chaînes historiques dans les DOM-TOM : autant de facteurs qui sont venus peser sur le budget des programmes - qui reste à 3 % par an quand il est, chez nos principaux concurrents, supérieur à 10 %. Et cela se ressent, en particulier, sur la programmation de jour, entre 7 heures et 19 heures, bien pauvre puisque 80 % des programmes restent, dans cette tranche horaire, des rediffusions de programmes conçus pour les soirées. Arte ne consacre ainsi que 5 millions par an à ses programmes de journée, soit pas plus que l'équivalent d'une ou deux fictions de TF1.
D'où la nécessité d'une relance, pour investir dans la programmation de jour, à la qualité de laquelle il est d'autant plus important de veiller que le passage au numérique, c'est la réception 24 heures sur 24, pour tous : nous devons devenir une chaîne à temps plein.
Nous commencerons avec le week-end, pendant lequel les gens sont plus disponibles, en investissant dans les programmes du dimanche après-midi, centrés sur la culture et suivis d'une série documentaire à 18 heures, tandis que le matin restera réservé aux programmes pour les jeunes, et que nous ferons du journal télévisé du soir, européen et international, une véritable amorce de début de soirée : nous avons reçu l'accord de nos partenaires allemands de le déplacer à 19h45 au lieu de 19 heures, ce qui correspond mieux aux habitudes de nos concitoyens.
Nous voulons une grille des programmes plus lisible et plus facile à mémoriser, avec une programmation horizontale en journée et verticale le soir, où chaque jour de la semaine prendra une couleur propre : cinéma le lundi, documentaire d'investigation le mardi, cinéma d'auteur le mercredi - car nous avons passé accord avec la profession pour diffuser des films d'auteurs en première partie de soirée - tandis que le week-end sera européen et à dimension culturelle.
Avec nos producteurs, nous travaillons à moderniser les programmes, pour le mettre mieux en résonance avec le présent. La construction franco-allemande est désormais un acquis : les thématiques peuvent se tourner plus résolument vers le présent et l'avenir ; je pense, notamment, aux émissions historiques. Le ton, aussi, mérite d'être modernisé, pour se faire moins docte, plus alerte, car si « l'Art est difficile », la culture peut-être aussi un plaisir. La diversité, aussi, sera à l'ordre du jour, puisque le journal télévisé du soir sera présenté par des journalistes qui en sont issus : une jeune femme d'origine algérienne, en France, un jeune homme d'origine turque, en Allemagne - chose assez nouvelle dans ce pays.
Notre seconde priorité consiste à poursuivre le développement du numérique. La chaîne fut pionnière en ce domaine, ayant été la première à créer un « catch up », des web docus ou des web fictions. Il faut consolider notre avance en poursuivant la création, pour concevoir des programmes mixtes web-antenne : je suis convaincue que là est l'avenir. Nous créerons des programmes déclinés pour la télévision connectée. Ce qui peut susciter chez l'inquiétude certains, qui craignent que l'accès à leurs émissions ne passe plus par le canal de leur chaîne, nous le voyons, pour nous, comme une chance, celle de proposer une émission à la télévision et des compléments en option sur la télévision connectée. Nous diffusons de mieux en mieux Arte+7 sur tous les vecteurs et nous offrirons l'année prochaine un flux sur notre site pour que ceux qui ont abandonné les écrans classiques puissent nous rejoindre : les jeunes ne sont plus devant la télévision, mais devant leur ordinateur.
Parallèlement, alors que les autres chaînes se battent pour constituer des groupes, c'est sur Internet que nous entendons constituer une galaxie moderne, en construisant autour des programmes Arte TNT une constellation de petites plates-formes thématiques, ainsi que nous l'avons déjà fait pour le spectacle vivant ou les arts numériques. Après Arte Live web et Arte créative, nous entendons poursuivre avec d'autres plates-formes dédiées à l'Histoire, à l'écologie, au cinéma, aux sciences. Lorsqu'elles seront nourries, nous pourrons concevoir des programmes thématiques relinéarisés, pour attirer les téléspectateurs vers nos plates-formes, qui seront autant de portes d'entrée vers l'univers d'Arte.
Alors, la chaîne pourra s'européaniser. Tout en respectant le socle franco-allemand, nous pourrons envisager de nouveaux rapports avec nos voisins, auxquels nous proposerons de bâtir, avec eux et pour eux, dans le respect des différences culturelles et sans imposer notre modèle, des chaînes ayant vocation à devenir la chaîne culturelle de leur pays. Nous espérons voir naître un jour un Arte Italie, un Arte Espagne, avec des perspectives de diffusion sur Internet.
Nous avons obtenu, sur le projet de contrat d'objectifs et de moyens, l'accord des pouvoirs publics, qui nous aideront à mettre en oeuvre les principaux axes de notre stratégie, malgré un contexte économique contraint. En 2012, nous pourrons compter sur 18 millions supplémentaires, soit une croissance de 7,3 % et sur l'ensemble de la période, la croissance sera de 3,8 % l'an. Il nous est cependant demandé de participer à l'effort du plan de rigueur, à hauteur de 1 million, que nous sommes autorisés à prélever sur notre fond de roulement.
J'allais précisément remercier le Sénat et particulièrement votre commission de son vote.
J'apprécie néanmoins ce geste de soutien.
Je veux avant tout vous dire que j'apprécie beaucoup vos programmes. Vous avez évoqué l'aide à la création de nouvelles chaînes européennes. Est-ce à dire qu'il n'est pas envisageable de faire entrer d'autres pays dans le partenariat ? Pourquoi ?
Ma question va dans le même sens. Je salue la stratégie du global media, très créative, mais ne pourrait-on capitaliser sur les excellents résultats de la chaîne pour l'élargir, à partir de sa matrice franco-allemande, à d'autres partenaires ? Je sais que des tentatives ont eu lieu par le passé. Quels sont les obstacles ?
Dans le cadre du plan de développement 2012-2016, quelles perspectives de ressources hors dotation ? Existe-t-il des partenariats, des développements éditoriaux ? Quel est leur poids dans votre budget ?
Vous avez évoqué une négociation avec les professionnels pour la diffusion de films d'auteurs. Quels critères ont été retenus ?
Nous sommes une chaîne franco-allemande, mais destinée, il est vrai, à un public européen, car telle est la réalité géographique.
Sur le plan de la fabrication, il est passionnant de travailler à deux, mais c'est déjà beaucoup. Il faut souvent creuser pour comprendre les différences et rapprocher les points de vue. Cela demande du temps. Et puis, songez que c'est une seule personne, à Strasbourg, qui s'occupe de la programmation pour la France et pour l'Allemagne. C'est lourd. Même au bout de vingt ans, ce partenariat reste un work in progress.
Sur le plan de la diffusion, le temps des pylônes hertzien est derrière nous. Nous ne sommes plus tenus par ces besoins lourds, car mieux vaut concevoir sur Internet, pour appuyer, de surcroît, la diffusion internationale. D'où cette stratégie qui tend à appuyer la création d'une série de petites chaînes adaptées à la spécificité de chaque pays, autour d'une colonne vertébrale unique : c'est ce que le numérique rend possible.
Oui, madame Morin-Desailly, mon prédécesseur avait fait des tentatives pour élargir le partenariat vers l'Espagne, vers l'Italie. Le blocage a été, à chaque fois, financier. Les services publics de nos voisins n'ont pas les épaules assez larges. Développer sur Internet est moins coûteux, plus facile : ce peut être la solution.
Les recettes commerciales d'Arte France directement gérées par l'entreprise, monsieur Gattolin, restent modestes, de moins de 2 millions, et proviennent de la distribution des programmes à l'international et des recettes de l'édition livre. Notre filiale en charge des petites activités de production, dont les DVD, avec un chiffre de 10 millions d'euros, produit un très léger bénéfice. Comme notre société de production, autre filiale, elle n'entre pas dans le périmètre du contrat d'objectifs, pour des raisons que je ne m'explique pas totalement.
Arte GEIE, entreprise franco-allemande qui gère la diffusion et le parrainage, produit aussi quelques recettes - 1 million. La question s'est posée, lors de la préparation du COM, des recettes que pourrait générer la plate forme numérique, sachant que sur Internet, la frontière entre publicité et parrainage est plus floue. Elle a suscité un fort débat. Il semble que quelques ressources propres pourraient en être tirées sans nuire à l'identité de la chaîne.
Sur le cinéma d'auteur, monsieur Leleux, nous n'avons pas passé d'accord formel, mais avons pris des engagements : le principe d'une diffusion en première partie de soirée a été accepté, en contrepartie de quoi nous nous sommes engagés à continuer de consacrer 3,5 % de notre chiffre d'affaires à la production cinématographique, et à diffuser plus de 80 % de films d'art et d'essai sur l'ensemble de la programmation cinéma annuelle, en version originale sous-titrée. Nous nous engageons, en outre, à conforter notre budget d'acquisition, pour que la diffusion ne se fasse pas au détriment du coût des films.
Quels sont vos liens avec France Télévisions ? C'est une question importante pour nous, car dès lors que l'État encourage le service public de l'audiovisuel dans certaines de ses missions, il nous semble étonnant qu'il n'incite pas, du même coup, à développer des synergies. Ne serait-il pas bon, au cours du prochain COM, d'inciter les médias dont l'audience est beaucoup plus large que la vôtre à se poser non en concurrents mais en promoteurs d'Arte, afin de favoriser l'audience de ce qu'il faut bien qualifier de petit bijoux de notre paysage audiovisuel ?
Intéressante et délicate question ! France Télévisions est dans le capital d'Arte, et M. Pflimlin est, à ce titre, membre du conseil de surveillance de la chaîne. Mais il est aussi devenu, depuis mon arrivée, non plus simple membre mais vice-président de l'assemblée générale d'Arte GEIE. Voilà qui me paraît propre à favoriser le cousinage.
En matière de production, nous restons plus intuitifs : il n'existe pas d'accord général de coproduction avec France Télévisions. Lorsque j'ai rencontré M. Pflimlin, à mon arrivée, nous avons songé à travailler à un tel accord. Mais il est vrai qu'occupés chacun par nos difficultés, nous avons un peu laissé filer. Il est temps de se rattraper. Nous avons eu, avec la ZDF, des opérations phare, comme « 24 heures à Berlin » et nous envisageons de renouveler l'opération avec Jérusalem. Il en faudrait de semblables avec France Télévisions. Cela étant, il nous arrive de coproduire, environ deux fois par an, avec France Télévisions, Arte prenant le premier passage, France Télévisions le second, ou l'inverse, selon les cas.
Au plan institutionnel, je suis convaincue qu'il serait judicieux de nouer des relations contractuelles plus larges, en se gardant toutefois d'aller vers une filialisation, qui ferait perdre à Arte son autonomie et son audace. Et d'engager des opérations emblématiques réunissant, ARTE, ZDF et France Télévisions.
Vous avez évoqué le développement des programmes de jour. Qu'en est-il des programmes jeunesse, sachant qu'ils seraient d'autant plus bienvenus sur votre chaîne que depuis la suppression de la publicité après 20 heures sur France Télévisions, on voit monter en charge la publicité ciblée sur les jeunes publics, dont on connaît les ravages. Et ce n'est pas un luxe que de répondre au besoin de culture des enfants et des adolescents.
J'ai découvert, à mon arrivée, qu'il existait trois programmes jeunes de 1h30 par semaine. Trois programmes de qualité, fondés sur la découverte de la nature et les sciences, conçus pour des jeunes de 7 à 10 ans. Nous avons aussi des dessins animés qui répondent à ce même souci, et ne sont pas de simple divertissement. L'audience de ces trois cases hebdomadaires croît régulièrement... mais peut-être n'est-elle pas composée que d'enfants (sourires). Nous continuons d'investir.
La commission entend une communication de M. David Assouline sur le projet de contrat d'objectifs et de moyens entre l'État et Arte France pour la période 2012-2016.
En application de l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986, la commission de la culture peut prendre un avis sur les contrats d'objectifs et de moyens passés entre l'État et les organismes de l'audiovisuel public.
Les contrats d'objectifs et de moyens sont pour nous pleins d'enseignements : ils éclairent les débats parlementaires sur les besoins de financement de l'audiovisuel et sur les objectifs qui leur sont fixés.
Je salue le bilan de l'exécution du contrat 2007-2011, positif sur l'essentiel des objectifs, hormis les audiences, pour les raisons qu'a rappelées Mme Cayla. Une baisse d'audience analogue en pourcentage à celle des autres chaînes est, il faut en avoir conscience, plus lourde pour Arte, dont l'assise est plus étroite.
Reste que la chaîne a atteint 80 % des indicateurs de performance en 2011, dont la totalité des objectifs budgétaires.
Le plan d'affaires proposé dans le cadre de nouveau contrat me semble satisfaisant. Les crédits progressent à hauteur des objectifs fixés à la chaîne : plus 7,3 % en 2012, plus 4,4 % en 2013, plus 2,9 % en 2014 et 2015, plus 1,9 % en 2016, pour une moyenne de 3,76 %.
Arte s'est engagée à augmenter ses ressources propres de 5,23 % sur la même période. C'est la contrepartie naturelle de l'effort consenti par l'État.
Les dix-sept indicateurs proposés sont intéressants, et portent des objectifs réels. Les engagements, notamment en matière de média global, sont également pertinents. Je soutiens pleinement le projet d'Arte de renforcer sa position de pointe sur la télévision en ligne, via la diffusion en flux sur arte.tv, le déploiement de la télévision de rattrapage - Arte +7 - sur tous les vecteurs, et le développement des plateformes thématiques de visionnage.
Cette analyse me conduit à vous proposer de donner un avis favorable à ce projet de contrat d'objectifs et de moyens.
Mais il devrait lier le Gouvernement, dont je regrette qu'il l'ait déjà bafoué en loi de finances au moment même où le Parlement est appelé à se prononcer dessus. Est-ce à dire qu'aux yeux de l'exécutif, ce contrat ne lie qu'Arte ? Notre vigilance est plus que jamais requise : le Sénat aura pleinement rempli son rôle, et nous serons aux côté d'Arte France : en suivant ce contrat d'objectifs, elle aura pleinement rempli ses missions.
La commission, à l'unanimité, se déclare favorable au projet de contrats d'objectifs et de performance d'Arte France pour la période 2012-2016.