Intervention de Dominique Maraninchi

Commission des affaires sociales — Réunion du 15 février 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Dominique Maraninchi candidat à la nomination par le président de la république à la direction générale de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé afssaps

Dominique Maraninchi :

L'Afssaps est responsable de la sécurité des produits de santé et doit, à ce titre, se prononcer sur les bénéfices et les risques liés à leur consommation.

En tant que médecin, je me suis rapidement engagé dans la recherche thérapeutique, notamment pour les leucémies et les cancers pour lesquels des traitements raisonnablement efficaces devaient être développés. Dans un cadre académique, j'ai essayé, en trente-cinq ans de carrière, de mieux traiter des maladies réputées incurables. Mes contributions ont été d'ordre scientifique et j'ai toujours essayé de bien évaluer les bénéfices et les risques pour les malades. J'ai tenté d'augmenter les doses de traitement pour vaincre la maladie et je me suis servi de nouvelles techniques dans les années soixante-dix, comme les greffes de moelle qui n'étaient pas très tendance à l'époque.

Nous nous sommes ensuite rendu compte que les malades qui étaient guéris l'étaient moins par la chimiothérapie que par les réactions de leur système immunitaire. Nous avons donc recherché quelles étaient les composantes de ce système qui pouvaient amener à la guérison. Nous avons avancé, mais beaucoup reste à faire en ce domaine. Je me suis très vite penché sur les produits de santé qui pouvaient moduler le système immunitaire pour amener à la guérison. J'ai travaillé avec des firmes sur les biotechnologies dans les années quatre-vingt. Rapidement, certains de ces produits de santé ont pu être administrés au plus grand nombre : il y a eu des succès, mais aussi beaucoup d'échecs.

Impliqué dans la thérapeutique, je supportais difficilement l'idée de traiter tous les malades de façon identique et de constater que seul un petit nombre bénéficiait du traitement. Nous avons donc travaillé sur la génétique pour que les traitements soient plus efficaces et personnalisés.

Comme notre vocation est de traiter les personnes malades, nous devons les informer mais aussi les écouter. J'ai donc travaillé dans le champ des sciences humaines et sociales pour comprendre le regard des malades sur les traitements. Des sociologues et des économistes sont ainsi venus au sein de l'hôpital. Les malades n'ont pas le même regard que les médecins ni les scientifiques. Nous devons toujours garder à l'esprit que si nous essayons de produire des bénéfices thérapeutiques et de limiter les risques, c'est pour les patients.

J'ai également été amené à prendre des responsabilités managériales en dirigeant, pendant seize ans, l'institut Paoli Calmettes à Marseille, qui est le deuxième centre de lutte contre le cancer en France après Villejuif. Ce centre compte 1 200 salariés et 150 chercheurs et il est très impliqué dans la vie des patients.

Deuxième responsabilité managériale : j'ai présidé le conseil d'administration de l'institut de lutte contre le cancer (INCa) en 2006, dans une période de crise financière et morale. Sous votre autorité, j'ai fait de mon mieux pour rétablir la confiance pour que cette agence puisse contribuer à lutter contre le cancer.

Tout au long de ma carrière, j'ai cherché à trouver de nouveaux médicaments pour traiter les malades. J'ai donc parfois contribué à leur conception, avec beaucoup d'échecs il est vrai, mais aussi quelques succès. J'ai été particulièrement mis à contribution lors de la crise de la transfusion sanguine, lorsqu'il fallait redonner confiance. A l'époque, j'ai rédigé un rapport sur la thérapie cellulaire qui a eu un impact assez important. J'ai aussi travaillé sur un dispositif permettant aux malades d'éviter des traitements inutiles.

Sur le plan déontologique, je suis guidé par ma formation médicale. Nous devons évoluer avec la société et les remises en cause doivent être permanentes. Nous devons être à l'écoute de ce qui se passe dans la société pour faire évoluer notre réflexion.

Aucun conflit d'intérêts ne peut m'être reproché, car je n'ai travaillé que dans le public, à l'exception d'une année passée à remplacer mon père qui était généraliste : ce fut d'ailleurs une bonne initiation à la pratique médicale. J'ai travaillé avec des compagnies industrielles en tant que partenaires dans la recherche-développement. Dans ce cadre, j'ai mis un terme au développement de très nombreux produits car les risques dépassaient les bénéfices. C'est ce qu'on appelle le go or not to go : quand on traite des malades, il faut savoir déclencher le not to go à temps.

Un mot sur ma motivation : j'estime que la diffusion des produits de santé doit être régulièrement révisée. La crise actuelle est un drame pour chacun des malades et des familles concernés. Le médicament d'une firme est en cause mais cette crise a peut être des composantes systémiques qu'il nous faut corriger rapidement. En matière de produits de santé, n'oublions pas que les bénéfices, mais aussi les risques, sont pour les patients.

La façon dont sont réalisées les expertises doit être réexaminée, notamment en ce qui concerne les signaux faibles. La démocratie sanitaire est essentielle : la participation des patients dans les diverses commissions est un réel atout. Face à cette crise de confiance, de nouvelles valeurs doivent être prônées : la relation bénéfice-risque doit bénéficier aux patients et l'expertise doit être proactive, c'est-à-dire anticiper. La veille doit donc être permanente et concerner tous les produits de santé distribués en France.

Les autorisations de mise sur le marché (AMM) fonctionnent bien, même si des améliorations sont toujours possibles. Grace à l'Afssaps, la France occupe dans le monde une place de choix. Mais les choses évoluent très vite et ce n'est pas parce qu'un produit est autorisé un jour donné que le contexte ne change plus ensuite. Une des grandes failles de notre système est de ne pas suivre un médicament après son AMM. Alors que l'autorisation est donnée dans un contexte précis, 50 % des prescriptions se font en dehors de l'autorisation. Comment prétendre alors que le rapport bénéfice-risque reste favorable au patient ? Ce phénomène est mondial : aux Etats-Unis, on appelle cela le off label. Cela pose des problèmes de remboursement mais surtout de sécurité.

J'en viens aux conflits d'intérêts : le soutien financier doit être transparent. Vous travaillez sur une proposition de loi en ce sens, je crois. Le Physician Payments Sunshine Act permet de faire la lumière sur les liens entre médecins et firmes. On ne peut faire de prévention si l'on ne connaît pas les intérêts. De plus, la collégialité étendue est une nécessité : ainsi, les patients devront participer aux commissions de suivi.

N'étant pas dans un monde statique, nous devrons entrer dans une culture du suivi et de l'adaptation. La science et la santé évoluant, nous ne pouvons nous contenter d'une seule évaluation pour un médicament. Afin de prendre en compte les signaux faibles, nous devrons stimuler les déclarants, même s'ils peuvent être jugés naïfs.

Être vigilant, c'est aussi avoir une vision stratégique. Si un produit a peu de bénéfices, il comporte donc beaucoup de risques. Tout en respectant l'indépendance des évaluateurs et des agences, nous devrons suivre de près ces produits. Être vigilant, c'est aussi s'interroger lorsqu'un produit utilisé en France ne l'est pas ailleurs.

Ce qui compte dans la thérapeutique, c'est la fonction d'utilité, mais celle-ci évolue avec le temps. Notre pays, grand consommateur de médicaments, a su adopter des comportements plus rationnels, comme avec les antibiotiques.

Grâce à cette crise de confiance, nous aurons peut-être à l'avenir un autre regard sur les produits de santé, probablement moins consumériste. Je veillerai à la transparence et à l'information du public, des élus et des professionnels, le jargon des experts n'étant pas toujours accessible. Les nouvelles politiques de santé devront être mieux comprises et appliquées de façon plus efficace.

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