Intervention de Guy Fischer

Réunion du 24 février 2006 à 10h30
Égalité des chances — Question préalable

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 2002, la politique menée par cette majorité est désastreuse. Nous ne pourrons mesurer malheureusement qu'à l'épreuve du temps les dégâts économiques et sociaux d'une telle politique.

Après quatre années de pouvoir, monsieur le ministre, aucun de nos concitoyens ne peut plus être dupe aujourd'hui des véritables intentions de cette majorité et de ce Gouvernement.

Votre politique libérale est fondée sur la baisse du coût du travail, par tous les moyens, et s'attache à démanteler, à détricoter le code du travail. Toutes les occasions sont saisies.

Aucun de nos concitoyens ne doute dorénavant de votre souhait de servir le MEDEF dans ses intentions les plus extrêmes : à la pauvreté, Mme Parisot allègue la flexibilité ; face à la précarité, elle avance la déréglementation.

Et vous avez su lui emboîter le pas depuis quatre ans, flattant ainsi l'aile la plus libérale de votre majorité.

Quant à votre méthode, elle est malheureusement bien rôdée.

Au mépris du dialogue paritaire, dans le déni des organisations syndicales, vous agissez dans la précipitation, vous contournez le débat parlementaire et négligez la représentation nationale.

Vous multipliez les effets d'annonce et, quelques semaines, voire quelques jours seulement après vos déclarations, vous nous présentez des textes législatifs incohérents et souvent « fourre-tout », comme c'est le cas aujourd'hui.

A cela s'ajoutent des procédures d'urgence sur la quasi-totalité des projets de loi, le recours aux ordonnances, au coeur de l'été, pour les textes les plus graves - le contrat nouvelles embauches, première grande entaille dans le code du travail, est issu d'une ordonnance de ce même gouvernement déposée l'été dernier - ou l'utilisation du 49-3, véritable passage en force contre toutes les organisations représentatives et contre l'opinion publique.

Enfin, tous les textes que nous avons eu à examiner depuis 2002 sont « truffés » d'amendements déposés en catimini par le Gouvernement, à la dernière minute et aux heures les plus tardives des séances parlementaires.

Cette méthode fait ses preuves au regard de l'état catastrophique dans lequel se trouve aujourd'hui notre monde du travail.

Les exemples sont nombreux.

Vous avez su revenir sur la durée du travail à 35 heures, par touches successives, à tel point qu'aujourd'hui nulle entreprise n'est plus tenue par cette limitation du temps de travail. Pis encore, par l'extension du « forfait jour » à tous les salariés - encore une fois au moyen d'un amendement cavalier -, la notion même de temps de travail hebdomadaire a explosé.

Dans la même logique, vous avez introduit la distinction entre temps de travail effectif et temps de « non-travail », ce qui exclut du décompte des heures de travail l'habillage ou les déplacements, moyen très sournois d'accroître indirectement le temps de travail et la productivité des salariés.

Plus généralement, vous avez su inverser la hiérarchie des normes dans la négociation collective, en introduisant des dérogations à tous les accords de branches ou accords collectifs, par des accords d'établissements ou d'entreprises.

Ce renversement est loin d'être anodin, car notre droit social s'est construit sur la nécessité de corriger la relation forcément inégalitaire entre l'employeur et le salarié.

Dans cette relation hiérarchique défavorable au salarié, le droit du travail apparaissait comme un rempart protecteur pour celui-ci.

Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Vous individualisez les rapports sociaux, et les salariés se retrouvent seuls à défendre leur droit au sein de leur entreprise. Nous savons que c'est la porte ouverte à tous les abus.

C'est par ce biais que vous avez réintroduit le travail de nuit des mineurs, mais aussi le travail des jeunes apprentis le dimanche ou les jours fériés. De telles dispositions sont autant de coup de canifs dans le code du travail.

Je peux aussi rappeler à cette assemblée que les procédures de licenciements économiques ont été largement allégées pour les entreprises, qui, depuis 2004, peuvent déroger à leur obligation de reclassement de leurs salariés en cas de difficultés économiques, ce qui laisse un large champ d'interprétation.

Mais, sur ce thème, le pire est peut-être à venir avec la possibilité de licencier préventivement ses salariés en cas d'anticipation d'un renversement de conjoncture.

Dans tous les cas, cela nous éclaire sur le sort réservé par le Gouvernement aux partenaires sociaux, puisqu'ils sont considérés comme de simples chambres d'enregistrement des décisions prises par le Premier ministre.

J'en veux pour preuve l'introduction ces derniers jours, dans le texte relatif au retour à l'emploi, d'un amendement, véritable cavalier, autorisant à légiférer par ordonnance pour mettre en place le « contrat de transition professionnelle » alors qu'aucune audition avec les partenaires sociaux n'avait encore été réalisée. En revanche, le Gouvernement avançait déjà leur accord ! Bonne illustration, une fois encore, de la méthode employée.

Ces méthodes inqualifiables de « casse » du droit du travail s'accompagnent malheureusement d'une dégradation quantitative et qualitative de l'emploi.

Vous avez beau rentrer en guerre contre les statisticiens de l'INSEE ou de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, qui commencent aujourd'hui à témoigner des pressions exercées par le Gouvernement sur eux, rien n'y fait. Les chiffres attestent tous de l'inconsistance de votre politique.

L'INSEE estime que les créations d'emplois nettes dans le secteur marchand et hors emplois aidés n'ont pas, ou presque pas, augmenté en 2005 puisque la hausse est de 0, 4 % !

L'ANPE évalue, pour l'année qui vient de s'écouler, à 126 800 le nombre de travailleurs sortis de l'assurance chômage. Pourtant l'INSEE estime les créations d'emploi à environ 65 000 ! Alors où sont passés les autres ?

Nous savons qu'une grande partie d'entre eux a basculé dans le système d'assistance, principalement le RMI, dont les bénéficiaires ont augmenté cette année, comme l'an passé, de 8 %. Aujourd'hui, à peine 48 % des chômeurs sont encore couverts par le régime d'assurance chômage, c'est-à-dire moins d'un sur deux. Ils étaient plus de 55 % en 2002.

Surtout, de façon à faire artificiellement baisser les chiffres du chômage, vous avez multiplié les nouveaux contrats aidés, ou contrats spéciaux.

Ils représentent 265 000 créations d'emplois pour 2004, à tel point que certains sont modifiés quelques semaines à peine après leur adoption, comme c'est le cas pour le contrat d'avenir. Pis encore, ils rentrent dorénavant en concurrence les uns avec les autres et, pour cause, ils sont actuellement au nombre de 19.

C'est encore une fois une bonne illustration de l'incohérence et de la précipitation de votre politique.

La multiplication de ces emplois permet surtout de développer les aides financières faites aux entreprises, qui sont bien évidemment les grandes gagnantes de votre politique.

Les chiffres fournis par le Conseil d'orientation pour l'emploi sont éloquents : les allégements de cotisations sociales représentent 17, 1 milliards d'euros ; les exonérations et crédit d'impôt pour les contrats d'apprentissage, 1, 5 milliard d'euros ; les aides aux embauches dans les zones franches urbaines, 370 millions d'euros ; le contrat jeune en entreprise, 273 millions d'euros ; l'aide dégressive à l'emploi, 104 millions d'euros, et j'en passe.

Les sommes versées par l'État aux entreprises sont colossales, et il ne s'agit ici que des aides directes de l'État. Mais, si l'on tenait compte de toutes les aides indirectes dont bénéficient les entreprises de la part de l'État ou des collectivités territoriales - il serait bon de réaliser cette évaluation -, on pourrait atteindre les 60 milliards d'euros chaque année.

Non seulement ces « cadeaux » faits aux entreprises sont injustifiables, mais ils conduisent surtout à tirer vers le bas la qualité des emplois, en incitant les entreprises à recourir aux emplois précaires, peu qualifiés, et donc sous-rémunérés.

Ces exonérations sociales et toutes ces aides accordées aux entreprises opèrent un effet de substitution des emplois peu qualifiés aux emplois qualifiés.

C'est ce qui se produit dans les zones franches urbaines, où se concentrent dorénavant les emplois peu ou pas qualifiés, le salaire médian y étant inférieur à celui du reste du territoire.

Est-ce cela votre politique de justice sociale en direction des banlieues ?

C'est l'une des raisons qui expliquent la dégradation des conditions d'emploi : les emplois précaires, sous-qualifiés et mal rémunérés deviennent la norme.

Cette norme s'impose au détriment de l'emploi que l'on disait « typique », c'est-à-dire l'emploi à temps complet, en contrat à durée indéterminée, et qui offrait un niveau de revenu permettant une projection personnelle et familiale dans l'avenir, ainsi qu'un statut social et des droits.

Actuellement, 17 % de la population active dispose d'un emploi précaire, et il faut ajouter à cela que 5 % de la population active se trouve en situation de sous-emploi : ces personnes travaillent à temps partiel, alors qu'elles souhaiteraient travailler plus.

Au total, un travailleur sur cinq est victime de conditions d'emploi dégradées.

Ces chiffres sont encore plus éloquents pour les très petites entreprises, puisque 41 % des salariés - c'est-à-dire presque un travailleur sur deux - sont employés à temps partiel, avec un contrat à durée déterminée, ou bénéficient d'une aide ciblée de l'État.

Et qui dit emploi précaire dit revenu précaire et par là même des conditions de vie familiale fragiles.

Ce constat se retrouve d'ailleurs dans le nombre des travailleurs pauvres qui n'a cessé de s'accroître ces dernières années. Il dépasse les trois millions de personnes actuellement.

Et une telle augmentation est, une fois encore, le résultat de votre politique.

C'est pourquoi il faut considérer ce texte, et en particulier l'article instituant le CPE, comme la ligne de pente naturelle dans la course à la précarité.

Il ne s'agit ni d'un écart ni d'une maladresse de la part de ce gouvernement. Bien au contraire, c'est un pas de plus franchi sur le chemin de la précarité et de l'exclusion depuis bientôt cinq ans.

On y retrouve une fois encore les mêmes méthodes, c'est-à-dire la précipitation et le contournement de la discussion publique, pour répondre aux mêmes objectifs : la déréglementation du marché du travail et la mise au pas d'une main d'oeuvre flexible.

Mais vous ne trompez pas les Françaises et les Français, et vous les tromperez de moins en moins, même en contournant les syndicats ou les partenaires sociaux et en précipitant le débat parlementaire.

Avec le CPE, vous souhaitez créer l'illusion statistique de la baisse du chômage des jeunes à des fins électoralistes.

Vous vous acharnez à baisser à tout prix le coût du travail en profitant d'une situation démographique actuellement en défaveur des jeunes travailleurs.

Vous profitez de la pression exercée sur le marché du travail pour faire porter aux jeunes générations tous les efforts de flexibilité et d'abaissement des coûts.

Enfin, vous créez un nouveau salariat, appelé à connaître la précarité tout au long de sa vie, comme c'est le cas avec le contrat nouvelles embauches. Cela ne manquera pas de vous revenir à la figure, monsieur le ministre !

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