Intervention de Roger Madec

Réunion du 24 février 2006 à 10h30
Égalité des chances — Demande de renvoi à la commission

Photo de Roger MadecRoger Madec :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à la suite des événements de l'automne dernier, au cours desquels de nombreux quartiers de notre pays ont subi des violences urbaines jamais vues, le Gouvernement a déclaré l'année 2006 « année de l'égalité des chances ». Je dois du reste avouer ma surprise, car je ne connais qu'une égalité : celle qui figure dans la devise de la République ; quant à la chance, elle est quelque peu subjective !

Nous attendions donc, dans le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui, un ensemble de mesures en faveur de l'éducation, de la formation, du développement économique des quartiers en difficulté, du logement. Force est de constater que ce texte n'apporte pas de vraies solutions aux graves difficultés des jeunes des quartiers qui ont exprimé leur colère de manière violente, ni à leurs parents.

Ce projet de loi devait être, assurait-on, la recette miracle contre le mal des banlieues. Hélas, il n'en est rien ! Entre le lancement de la procédure « habitat et vie sociale » en 1977 et la création l'an passé de l'Agence nationale de rénovation urbaine, l'ANRU, nombre de politiques se sont succédé : l'installation de la Commission nationale pour le développement social des quartiers ; l'instauration de la délégation interministérielle à la ville, puis d'un ministère au même intitulé ; l'inauguration des premières zones d'éducation prioritaires, les ZEP ; l'adoption de la loi d'orientation pour la ville, la LOV ; le lancement des grands projets urbains, puis des zones urbaines sensibles, des zones de redynamisation urbaine et des zones franches urbaines ; sans oublier la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU ».

Tous ces dispositifs, qui se sont accompagnés d'investissements massifs, dépassant sur la durée les 40 milliards d'euros, n'ont débouché sur rien, ou si peu.

Le dernier rapport de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles constatait en novembre dernier dans les quartiers difficiles un nombre de demandeurs d'emploi en augmentation, un taux de chômage en hausse, représentant le double de la moyenne nationale, un sous-équipement médical persistant et le maintien d'une sur-délinquance...

Depuis les premiers incidents, survenus aux Minguettes voilà plus d'une trentaine d'années, il faut avoir la franchise et le courage de le reconnaître, tous les gouvernements qui se sont succédé se sont attachés à jouer tantôt de la carotte, tantôt du bâton, pour tenter d'éteindre les flammes.

Les faits l'ont prouvé, le problème des banlieues n'est pas seulement une question de moyens financiers ou de nombre de policiers.

Derrière les flambées de violence resurgissent des thèmes de fond qui n'ont jamais été traités à la racine, comme l'éducation, l'emploi, l'intégration, le logement, l'émergence et la montée des communautarismes.

Messieurs les ministres, nous étions prêts à examiner votre projet de loi avec un a priori favorable. Mais aujourd'hui, vous prétendez apporter une réponse à ce défi majeur dans la hâte, en l'absence de toute concertation avec les partenaires et sans travail approfondi avec les élus compétents.

J'ouvrirai ici une parenthèse : votre précipitation est peut-être justifiée par le fait que plus on parle du texte, plus le Premier ministre baisse dans les sondages, et si les débats duraient encore quelques semaines, sa cote de popularité finirait peut-être à zéro ! Alors, je vous comprends !

Vous n'avez pas voulu attendre les conclusions de la mission commune d'information, mise en place voilà quelques jours par le Sénat, sur le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années, manifestant ainsi peu de considération pour les travaux de notre assemblée. Elle a siégé, me semble-t-il, deux fois, et devra conclure ses travaux en octobre prochain.

Coupant court au débat à l'Assemblée nationale de manière brutale, tentant de prendre de vitesse le mouvement étudiant, vous avez aujourd'hui l'outrecuidance de répondre aux problèmes des banlieues et aux situations d'exclusion à travers ce projet de loi, dans la précipitation, sans réflexion, par un empilement de mesures éparses, sans cohérence, sans tirer les leçons du passé, sans traiter le mal à la racine, sans analyse et en oubliant complètement le secteur de l'éducation.

Comment pouvez-vous penser que la réponse à la crise des banlieues, à la grave inquiétude qui a traversé notre pays, au désespoir social qui a secoué nos quartiers populaires se trouve dans le texte que vous nous présentez ?

Si votre attitude à l'égard du Parlement est condamnable, que penser de votre conduite à l'égard des syndicats, des associations, des travailleurs sociaux, des enseignants, des élus qui travaillent sur le terrain, au coeur des quartiers meurtris par l'exclusion de leurs habitants ?

Ce n'est pas avec cette attitude que vous allez faire disparaître le sentiment d'injustice et d'être laissé pour compte qu'éprouvent tant de ceux qui vivent dans ces quartiers !

Un énième plan pris dans l'urgence : nos villes, nos quartiers, leurs habitants, les principes d'égalité et de fraternité qui sont au fondement de notre République méritaient mieux que cela, messieurs !

Comment analyser la non-prise en compte de l'appel des associations qui, depuis 2003, alertent les pouvoirs publics sur les difficultés qu'elles rencontrent au quotidien sur le terrain ?

Comment analyser les multiples appels du monde associatif, en réponse au gel des crédits du fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations ?

Comment qualifier l'indifférence aux multiples signaux d'alerte lancés par l'ensemble de la société civile ?

Comment analyser le cri des associations face à la disparition des emplois-jeunes ?

Comment analyser le fait que, depuis quatre ans, vous n'avez eu de cesse de montrer du doigt les jeunes de nos banlieues, de les agresser verbalement, voire de les insulter, comme l'a fait le ministre de l'intérieur, ou de chercher à mettre en cause, comme l'ont fait certains parlementaires de votre majorité, le rap, une expression culturelle certes discutable, mais qui est reconnue ?

Il aura fallu la flambée de violence de l'automne, violence que nous condamnons sans nuance mais qui est là, pour que le Gouvernement reconnaisse la forte diminution des subventions infligées ces trois dernières années aux associations et pour que, enfin, le Premier ministre annonce un supplément budgétaire de 100 millions d'euros pour l'année 2006, ramenant ainsi les financements du volet social de la politique de la ville à hauteur de ce qu'ils étaient en 2002.

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