Intervention de Francis Giraud

Commission des affaires sociales — Réunion du 14 mai 2008 : 1ère réunion
Santé — Addictions - table ronde

Photo de Francis GiraudFrancis Giraud :

s'est montré très intéressé par l'écart indiqué par le professeur Philippe Batel entre les efforts consentis pour des maladies comme la myopathie et pour une addiction comme l'alcoolisme. Il a souhaité savoir s'il existe un état génétique immunisant certaines personnes contre l'appétence à l'alcool. La prévention semble le seul instrument efficace pour empêcher la consommation excessive de bière par les jeunes, puisque les arrêtés municipaux n'ont que des effets réduits. Cependant, la prévention implique de maîtriser les lobbys, dont on a pu constater la force lors de la décision de limiter l'accès aux boissons sucrées dans les établissements scolaires.

Le professeur Martine Daoust a indiqué qu'il n'y a pas de gène de l'alcoolisme et qu'il s'agit d'une pathologie multigénique. Lors de son état des lieux de la prévention en Picardie, elle a été frappée par le fait que de nombreuses initiatives sont prises en matière de prévention et qu'elles mobilisent beaucoup d'argent public, mais sans aucune évaluation de leurs effets. La prévention doit être précoce et adaptée au public. Il lui faut des outils visibles, lisibles et scientifiquement valides.

Le professeur Roger Nordmann a souligné que la prévention doit s'effectuer au moment de l'enfance, quand le système nerveux se forme. Il a rejoint le propos du professeur Martine Daoust sur la nécessité d'avoir un discours de prévention qui soit labellisé. L'Académie de médecine a mené en ce sens une première expérience avec le rectorat de l'Académie de Paris pour la prévention en matière de cannabis et d'alcool. La prévention doit devenir une part importante du cursus scolaire, si possible assortie d'un contrôle de connaissances. La pratique scandinave en la matière s'est montrée très efficace pour la consommation de cannabis.

Le professeur Michael Stora a précisé qu'il travaille depuis sept ans sur les jeux vidéo et qu'il est consultant sur Skyrock et Skyblog. Concernant les travaux du colonel Grossman, il a indiqué que l'enseignement militaire par l'intermédiaire des jeux vidéo est fondé sur l'idée que la violence réelle peut imiter les procédures de violence mises en oeuvre dans les jeux. Il existe actuellement plus de cinq mille études sur les effets de la violence à la télévision, mais aucune d'ampleur sur les jeux vidéo et il se propose d'en conduire une lui-même.

La défense des jeux vidéo relève de celle d'une culture émergente. La tranche d'âge des quarante-cinq/soixante ans manifeste une peur à l'égard des jeux qui lui semble démesurée. Sa pratique thérapeutique a montré que des troubles du comportement violents peuvent être traités à l'aide des jeux. Le jeu vidéo est une école de la persévérance et ne procure pas de satisfaction immédiate, par opposition à d'autres types d'addictions. On peut développer, pour aider certains enfants, une « clinique de l'agir » qui leur permet de penser plus facilement leur être. Il s'agit d'une nouvelle perspective. Seront bientôt créés des jeux sérieux à destination thérapeutique. En ce domaine, les anglo-saxons et les scandinaves ont quinze ans d'avance sur la France, comme on a pu le voir lors de la dernière rencontre du syndicat européen des éditeurs.

La moyenne d'âge des joueurs de jeux vidéo est de trente-trois ans et on en compte vingt-neuf millions en France. Les jeux ont un rôle non négligeable dans la sublimation de la violence. Diaboliser les jeux vient paradoxalement renforcer la volonté des adolescents de s'y adonner, car ils sont à la recherche de lieux de transgression. De ce point de vue, l'essor des mondes en ligne s'apparente, à certains égards, à une recherche du père et des rituels initiatiques que la société a fait disparaître. On ne peut mettre sur le même plan la violence des jeux vidéo et celle de la tuerie de Columbine qui est un acte profondément mélancolique, soldé par le suicide du tueur. L'exemple d'un conducteur de char de Tsahal ayant, lors de la guerre du Liban, tiré des obus comme s'il s'agissait d'un jeu vidéo mais ayant fait une dépression une fois arrivé sur le lieu de leur impact, montre que la violence du jeu ne peut masquer la violence du réel. Un passage à l'acte, à partir d'un jeu vidéo violent, suppose un contexte psychosocial tout à fait particulier. L'effet de rencontre entre une personne et un déclencheur peut d'ailleurs avoir lieu avec toute oeuvre de fiction.

Les études menées aux Etats-Unis ont montré que, depuis l'essor des jeux vidéo, on assiste à une baisse étonnante de la violence physique, mais à une augmentation du nombre d'incivilités. L'association Enjeux à Orléans avait mis en place, pour les jeunes, un accès aux jeux en réseau « Counter strike ». L'apprentissage du jeu en ligne a été une école de l'écoute de l'autre avec lequel il fallait jouer. A la suite de l'interdiction du jeu à Orléans, ces jeunes ont retrouvé la violence individuelle et réelle de la rue. Le jeu peut donc devenir un lieu de réinsertion.

Nous vivons dans une société ambivalente qui affiche tout à la fois la valeur de l'ambition la plus échevelée et la compassion nécessaire pour les victimes. La violence du jeu peut servir de moyen de s'affranchir de la culpabilité ressentie face à l'impossibilité de gérer cette contradiction. L'expérience thérapeutique montre que le jeu devient le négatif d'une société idéale et permet d'intégrer la société réelle.

On ne peut toutefois nier l'existence de la cyberdépendance, ni surtout le désarroi ressenti par de nombreux parents. La mise en place d'un numéro vert est une solution à envisager.

Le professeur Marc Valleur a insisté sur le fait qu'il n'existe pas de substance totalement bonne ou totalement mauvaise. Le problème est celui de la rencontre, à un moment donné, de la personne et d'une substance. L'action des sénateurs a été particulièrement positive pour permettre la prise en compte des addictions sans substance, mais la mise en place d'actions de prévention reste problématique. Ainsi, l'étude commandée par Bercy sur la prévalence du jeu pathologique perd de sa crédibilité lorsqu'on précise qu'elle est financée par la Française des jeux.

La prévention est la seule méthode permettant une éradication de la dépendance. Elle prend en compte la diversité des usages : la majorité des personnes consommant les produits illégaux n'ont pas de difficultés, quelques-unes ont des problèmes faibles, certaines peuvent être considérées comme vulnérables et quelques sujets deviennent dépendants.

Il faut mettre en place une prévention ciblée avec des stratégies adaptées aux populations à risque. A cette fin, des études et le développement de marqueurs sont nécessaires. Le but doit être d'inciter à se faire soigner. Dès le plus jeune âge, il apparaît nécessaire de permettre aux enfants de décrypter les images dont ils sont abreuvés pour qu'ils soient en mesure de faire face aux excès de la société de consommation.

Dave Grossman a renversé le problème en acceptant l'idée, qui était celle que l'on voulait inculquer aux soldats, que la violence virtuelle et la violence sont la même chose. Or, la plupart des personnes ne peuvent accepter la violence réelle même si elles ont pratiqué des jeux vidéo. De ce point de vue, le jeu s'apparente au « pharmakon » platonicien qui peut être bon ou mauvais. Ce qu'il faut, c'est une pédagogie de l'usage.

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