La commission a organisé une table ronde sur les addictions à laquelle ont participé : le professeur Philippe Batel, psychiatre, chef de l'unité fonctionnelle de traitement ambulatoire des maladies addictives à l'hôpital Beaujon, le professeur Martine Daoust, directrice du groupe de recherche sur l'alcool et les pharmacodépendances de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Mme Christine Kerdellant, directrice adjointe de la rédaction de l'Express, co-auteur de l'ouvrage « Les enfants puce », le professeur Roger Nordmann, président de la commission addictions de l'Académie nationale de médecine, le professeur Michael Stora, psychanalyste et psychologue clinicien, fondateur de l'observatoire des mondes numériques en sciences humaines, et le professeur Marc Valleur, psychiatre, médecin-chef de l'hôpital Marmottan.
a indiqué que cette table ronde a été organisée à l'initiative d'Anne-Marie Payet qui, au sein de la commission, s'est employée à obtenir le vote des dispositions protégeant les femmes enceintes contre le risque de l'alcoolisation foetale. Il a ensuite interrogé les experts sur la définition qu'il convient de donner au terme d'addiction.
Le professeur Philippe Batel, psychiatre, chef de l'unité fonctionnelle de traitement ambulatoire des maladies addictives à l'hôpital Beaujon, a replacé le terme addiction dans une perspective historique et sémantique. Celui-ci est issu du langage juridique du Moyen Age, qui désignait ainsi une peine de contrainte par corps imposée à un débiteur insolvable. Passé outre-manche, le terme s'y est médicalisé avant de revenir en France, où il s'est radicalisé par confusion avec le concept de dépendance. Par sa généralité même, le terme addiction empêche de réfléchir à la situation intermédiaire où se trouvent de nombreuses personnes et au problème qu'elles ont à maîtriser certains produits et pas d'autres. De nombreux comportements à risques ne sont pas des addictions, mais doivent être traités. Les maladies résultant d'une dépendance sont progressives et la dépendance n'en est que la forme aboutie.
Le professeur Martine Daoust, directrice du groupe de recherche sur l'alcool et les pharmacodépendances de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), a regretté que le terme addiction, inconnu il y a vingt ans, jouisse aujourd'hui d'une fortune médiatique et soit même utilisé, dans une acception favorable, par les publicitaires. Le problème fondamental reste l'alcool, dont l'aspect spécifique se trouve masqué par le terme addiction, qui l'amène à être traité d'un bloc avec de trop nombreux produits ou comportements d'une autre nature.
co-auteur de l'ouvrage « Les enfants puce », a indiqué avoir abordé la problématique de l'addiction dans l'ouvrage qu'elle a consacré aux enfants de la génération des jeux vidéo, afin d'étudier dans quelle mesure cette consommation est susceptible de les rendre différents, aujourd'hui puis à l'âge adulte, des générations précédentes. Quelle que soit la crainte que peut susciter le terme addiction, il ne faut pas le dramatiser dans la mesure où des enfants qui passent quinze à seize heures par semaine devant les jeux vidéo peuvent parfaitement se consacrer à d'autres activités, plus ouvertes sur le monde et les autres, à l'adolescence.
Le professeur Roger Nordmann, président de la commission addictions de l'Académie nationale de médecine, a confirmé le caractère central du problème de l'alcool dans le phénomène addictif. Les addictions à l'alcool et au tabac sont une cause majeure de mortalité évitable en France. D'autres produits comme le cannabis troublent l'évolution scolaire normale des jeunes consommateurs et mettent en péril leur insertion dans la vie sociale. La généralisation du terme addiction entraîne une banalisation néfaste dès lors qu'il s'applique à une multitude de situations. L'addictologie est une discipline médicale très importante, mais elle doit se concentrer sur les grandes causes de morbidité.
Le professeur Michael Stora, psychanalyste et psychologue clinicien, fondateur de l'observatoire des mondes numériques en sciences humaines, a indiqué que la cyberdépendance ou cyberaddiction est une forme de pathologie narcissique dont l'essor est lié à des problématiques psychosociales. Les troubles du comportement sont un moyen pour le malade de contenir son trouble intérieur. Les recherches menées portent sur la question du choix de l'addiction aux jeux plutôt qu'au cannabis ou à l'alcool. Il a mis en garde contre l'emploi de la notion de structures addictives s'agissant de comportements adolescents, ceux-ci n'étant par nature pas pleinement structurés. On ne peut parler de vraie pratique addictive qu'après l'âge de vingt ans.
s'est étonné que seul le cannabis ait été mentionné parmi les drogues addictives. Doit-on par ailleurs considérer que la différence entre les nouvelles et les anciennes formes de dépendance consisterait en ce que celles-ci sont passives, à l'instar de l'alcoolisme, tandis que celles-là sont actives ?
Le professeur Marc Valleur, psychiatre, médecin-chef de l'hôpital Marmottan, a indiqué que la substance ne constitue plus un marqueur suffisant pour distinguer les différents comportements addictifs. Certains alcoolodépendants se comportent comme des consommateurs de cannabis et vice-versa. Le service qu'il dirige à l'hôpital Marmottan s'est ouvert en 1998 aux traitements des addictions aux jeux d'argent et de hasard, car il paraît nécessaire de traiter toutes les dépendances. Le point central de l'addiction est qu'elle devient le problème existentiel majeur du malade qui est dans l'impossibilité de s'abstenir, de réduire sa consommation et de se livrer à toute autre activité. Tout autant que les addictions à proprement parler, il ne faut pas oublier que les simples abus peuvent avoir des conséquences dramatiques : il n'est pas nécessaire qu'une femme enceinte soit dépendante à l'alcool pour que sa consommation atteigne le foetus, un joueur dépendant pendant quelques mois seulement risque de se retrouver endetté pendant les vingt prochaines années et une seule injection de drogue peut transmettre le sida ou l'hépatite.
a estimé que l'addiction pose un problème de jugement moral lié au milieu socioculturel et à la stigmatisation des minorités. Ainsi, en France, la tendance est au laxisme en matière d'alcool et à la répression sur le cannabis. Par ailleurs, lorsque l'on constate la popularité médiatique actuelle du poker, on peut légitimement s'interroger sur les raisons pour lesquelles la société ne fait pas obstacle au développement de nouvelles addictions.
Le professeur Philippe Batel a souligné que le cannabis reste considéré comme dangereux par l'ensemble des spécialistes et que la tentative de classer les substances addictives en fonction de leur dangerosité n'a pas été probante. Le problème posé par le jugement moral sur les addictions est qu'il s'agit de maladies auto-induites qui semblent liées à un défaut de volonté du malade lui-même. Néanmoins, certaines maladies auto-induites, comme l'obésité, ne sont pas stigmatisées de la même manière, ce qui renvoie aux représentations sociales. Face aux addictions, la société et nombre de soignants ont le sentiment qu'ils ne peuvent rien faire et cela limite la prise en charge thérapeutique. Qu'une maladie comme la myopathie qui affecte mille cinq cents nouvelles personnes et en tue cinq cents chaque année puisse récolter 70 millions d'euros de dons par an montre que les élans de sympathie peuvent être disproportionnés par rapport aux enjeux de santé publique. Personne n'envisage de faire appel au don pour lutter contre l'alcoolisme qui touche trois à quatre millions de personnes en France et en tue entre 23 000 et 45 000 chaque année.
Le professeur Roger Nordmann a estimé que les pouvoirs publics ne peuvent plus diffuser l'idée selon laquelle le cannabis n'est pas dangereux. Malgré des articles de presse prétendant régulièrement qu'il existe un débat scientifique en la matière, tous les experts s'accordent à penser qu'un usage régulier ou intensif du cannabis est une cause de psychotoxicité majeure. Le problème a été faussé par le fait que le cannabis entraîne un faible taux de mortalité, alors qu'il produit des effets destructeurs sur la vie des consommateurs.
a souligné la disponibilité et le succès des équipes qui, au sein des hôpitaux, traitent les pathologies addictives. Elle s'est interrogée sur la place accordée à l'addictologie au sein des centres hospitaliers universitaires (CHU). Les moyens de prise en charge sont-ils suffisants face à des pathologies qui semblent de plus en plus nombreuses et qui touchent une population toujours plus jeune ? Elle a également dénoncé les méfaits des publicités mensongères, ainsi celles entourant la diffusion de la boisson énergisante « Red bull » ou la diffusion d'un jeu vidéo violent dénoncé par l'association « Famille de France ».
Le Professeur Martine Daoust a confirmé que les alcoolodépendants sont de plus en plus jeunes. Le problème de l'offre est effectivement capital car les campagnes marketing auxquelles sont soumis les étudiants, notamment, sont extrêmement agressives. Chargée d'une mission d'évaluation par le préfet de Picardie, elle a pu constater les effets des campagnes publicitaires des brasseries et des vendeurs de vodka. Une action ferme contre le lobby alcoolier est impérative si l'on veut lutter contre la dépendance à l'alcool.
Le professeur Roger Nordmann a souligné l'évolution inquiétante de la conduite d'alcoolisation chez les jeunes. L'ivresse est aujourd'hui recherchée comme une fin en soi sur le mode anglo-saxon du « bindge drinking ». L'Académie de médecine a remis le 5 juin dernier un rapport comprenant quinze recommandations afin de lutter contre cette tendance, dont la ministre Roselyne Bachelot s'est engagée à tenir compte. Un problème fondamental est celui de l'accessibilité des jeunes et étudiants aux soirées à consommation d'alcool libre, moyennant un droit d'entrée minime. En tant que membre du Conseil de la modération, qui réunit les industriels du secteur alcoolier et une représentation très faible des professions médicales, il estime qu'il peut être possible que les producteurs acceptent d'apprendre aux jeunes « à bien boire », ce qui serait un premier pas de leur part.
Le professeur Philippe Batel a noté que l'assistance publique investit beaucoup dans des techniques de haut niveau pour répondre aux besoins d'un bassin de population très dense. Néanmoins, le délai moyen d'attente pour une consultation est de trois à six mois. Ce délai est inadmissible, car il sélectionne les patients et ne permet qu'à ceux qui sont le moins atteints et qui appartiennent à une catégorie socioprofessionnelle élevée d'accéder aux soins. Concernant la place de l'addictologie, il a indiqué que l'hôpital Beaujon comprend seize professeurs de gastroentérologie qui enseignent le traitement des conséquences de l'alcoolisme, mais aucun professeur d'addictologie susceptible d'enseigner le traitement de la dépendance. L'un des problèmes est l'insuffisante attractivité de la discipline, liée à la fausse perception qu'il n'existe pas de traitement efficace.
a interrogé le professeur Nordmann sur les conséquences du récent rapport qu'il a consacré aux structures de prise en charge des addictions en France. Il y a, en région parisienne, près de deux millions d'alcoolodépendants et une insuffisance caractérisée de lits. L'absence de prise en charge intégrale par la sécurité sociale du coût du traitement constitue sans doute un frein aux soins et est peut-être liée au fait qu'il s'agit encore d'une pathologie honteuse. Le tabac est la cause de 60 000 décès par an, dont 600 à La Réunion, soit six fois plus que les accidents de la route. Cette situation résulte du fait qu'il n'est pas nécessaire de disposer d'une licence pour vendre du tabac sur l'île et que le Gouvernement a reculé face aux pressions économiques plutôt que d'imposer le droit appliqué en métropole.
a confirmé le rajeunissement des populations présentant des comportements addictifs, qui est signalé par toutes les autorités. De même, lors de l'audition de la défenseure des enfants, Dominique Versini, il avait été indiqué que les enfants violents sont de plus en plus jeunes. Dans le quartier des Minguettes, on observe les effets dramatiques de la combinaison obésité, alcool et violence. Le plan « addiction » qui a été mis en place se heurte à la pression très forte des lobbys et la mise en place de la tarification à l'activité (T2A) rend la politique de prévention plus difficile à mettre en oeuvre.
a précisé que, dans le cadre de la T2A, la politique de prévention peut être inscrite dans la partie « mission d'intérêt général ».
a insisté sur la nécessité de conduire une politique de prévention dans les collèges et de renforcer la médecine scolaire, qui a été trop délaissée.
Le professeur Michael Stora a indiqué que la France est le premier pays consommateur de psychotropes au monde. L'addiction peut également s'analyser comme une lutte contre la dépression. Une politique de lutte contre les addictions devrait également s'interroger sur le cas de personnes auxquelles des médicaments de type Prozac sont prescrits pendant vingt ou trente ans. Il est nécessaire de se défier des pressions des laboratoires pharmaceutiques en la matière. Il a également observé l'âge de plus en plus précoce des personnes en état de chaos éthylique qui a été caractérisé par M. François Marti comme une volonté des jeunes de cesser de penser. Une autre étude, du professeur Marcelli, a établi une augmentation de plus de 400 % des pratiques de scarification. Le problème est la prise en compte du temps de l'enfance et de la parentalité. L'inquiétude que suscitent des objets nouveaux comme les jeux vidéo ne doit pas faire disparaître la question de la responsabilité des parents. L'ouverture à l'hôpital Marmottan d'une consultation parentale montre la nécessité de prendre cette dimension en compte. Face à une société très « surmoïque » il y a trente ans et à un idéal parental écrasant, les attaques contre soi-même semblent être, pour les enfants, un moyen de s'échapper. Concernant l'inquiétude exprimée par « Familles de France » sur les effets du jeu « Grand theft auto IV », il a rappelé que ce jeu est interdit aux moins de dix-huit ans et qu'il permet une pratique de la transgression qui est de plus en plus difficile dans notre société tolérante et ouverte.
Le professeur Marc Valleur a précisé que la médecine a longtemps été influencée par une distinction entre le caractère légal ou illégal du produit consommé. Toute consommation d'une substance illicite nécessite un traitement tandis que l'abus de substances licites n'est traité que dès lors qu'il est devenu une dépendance. L'addictologie permet de réunir ces deux approches et de ne pas laisser obscurcir le débat par des représentations en termes de « bons » ou « mauvais » produits et producteurs. De nombreux industriels ont des pratiques publicitaires très efficaces qui valorisent la prise de risques afin de plaire à leurs cibles adolescentes, le cas de la marque « Red bull » en est un exemple. Une évolution importante a eu lieu dans le domaine du jeu d'argent, puisque l'on est passé d'un « jeu de rêve », du type loto, à un jeu procurant une sensation immédiate, du type machines à sous. Tout produit, même légal, peut devenir addictif en fonction du discours qui lui est associé et des comportements qu'il entraîne.
a souligné les effets néfastes du mélange dit « TGV » pour « tequila, gin et vodka » consommé par des jeunes de plus en plus nombreux. Il s'est inquiété des effets de l'alcool sur les femmes enceintes, ainsi que de ceux du tabac.
s'est interrogée sur les mesures concrètes prises pour lutter contre les addictions. Les violences causées par de jeunes enfants et des préadolescents de douze à treize ans ne cessent d'augmenter. Récemment, dans son département, une grande fête de la bière était organisée avec un prix attribué au plus grand buveur : ce genre d'événement montre les effets pervers des lobbys qui s'opposent à toute mesure de prévention.
a signalé le problème des cocktails absorbés dans les boîtes de nuit de l'autre côté de la frontière espagnole et dont certains s'avèrent mortels. L'hôpital a beaucoup de mal à traiter les patients qui lui sont amenés, car le contenu du mélange est inconnu et comporte à la fois des médicaments et de l'alcool. La situation du pays basque est compliquée par le fait qu'il s'agit d'une région touristique ou de nombreux jeunes viennent afin de consommer les cocktails illégaux en France. L'adoption d'une législation européenne pour limiter ces pratiques serait utile.
De nombreuses municipalités ont recours aux services d'un bus affrété par Médecins du monde pour tenter d'intervenir sur le lieu même des fêtes organisées par les jeunes. Il existe aussi des hôpitaux de ville qui tentent de mener une politique de prévention. Il paraît nécessaire de développer les interventions dès le collège et de limiter la possibilité pour les marques d'alcool de subventionner des évènements pour la jeunesse dans l'intention de se constituer une clientèle à plus ou moins brève échéance.
s'est enquis de la répartition et de l'évolution des addictions en France.
Le professeur Martine Daoust a noté qu'à juste titre, les sénateurs s'inquiètent du risque lié à l'alcool ; c'est effectivement celui dont l'impact est le plus néfaste pour la survie de la société. Le manque de moyens est criant et, à Amiens, il est cause de nombreux décès du fait de la carence en lits de sevrage. De nombreux protocoles de prise en charge et des référentiels ont été développés par les médecins qui permettent de traiter la dépendance. Mais la question sort du registre purement sanitaire pour entrer dans le domaine législatif.
Le professeur Philippe Batel a indiqué qu'il est très difficile de répondre à la question du nombre de personnes touchées en France. Il a estimé regrettable qu'un pays qui est capable d'investir beaucoup d'argent pour la prévention d'un risque virtuel, comme la grippe aviaire, n'ait pas, à ce jour, fait d'études générales sur ce sujet. Malgré le développement d'instruments épidémiologiques de mesures, il n'existe, à l'heure actuelle, que des études partielles. Dans les pays anglo-saxons, des études générales sont faites régulièrement, la première voici vingt ans, la plus récente il y a cinq ans. Quoique coûteuses, ces études sont nécessaires à long terme pour permettre l'adaptation des politiques publiques.
Le professeur Roger Nordmann a souligné l'importance des études épidémiologiques, mais a précisé qu'il existe un continuum, en matière d'alcool notamment, entre l'usage occasionnel et la dépendance. Dans la masse de population ainsi recensée, quel peut être le chiffre pertinent à isoler ? Par ailleurs, selon le point de comparaison qu'elles prennent, les études arrivent à des conclusions inverses en matière d'évolution du nombre de dépendants. Elles sont donc très relatives. Pour lutter contre les addictions, le soutien politique est fondamental. L'Académie de médecine a préconisé dans son rapport l'adoption d'un seuil maximal de 0,2 g/l d'alcool pour les permis de conduire probatoires, ce qui serait de nature à diminuer la mortalité et les handicaps causés par les accidents de la route qui touchent principalement les jeunes sur deux roues. Le Garde des Sceaux, Rachida Dati, ayant indiqué qu'une telle mesure n'est pas à l'ordre du jour, un soutien parlementaire est nécessaire pour qu'elle puisse être adoptée.
a fait valoir que le préjugé favorable à l'alcool se double d'enjeux économiques très importants. La commission des affaires sociales a été confrontée à plusieurs reprises à des résistances à l'encontre des mesures de prévention qu'elle préconisait pour cette raison.
a interrogé le professeur Michael Stora sur les travaux de Dave Grossman qui, dans un ouvrage intitulé « Comment la télé et les jeux vidéo apprennent à tuer », a décrit la formation de soldats américains par l'image et le jeu. Elle lui a demandé de présenter sa pratique de thérapie par le jeu et d'indiquer s'il existe un consensus autour d'un seuil de modération de la pratique des jeux vidéo à dix-huit heures par semaine, ce qui fait quand même plus de deux heures par jour. Elle a également interrogé le professeur Marc Valleur sur l'augmentation des addictions sans drogue et sur le fait qu'il a décrit son action comme simplement « tolérée » au sein de l'hôpital. Se fondant sur la corrélation établie par Christine Kerdellant entre la violence à la télévision et dans la vie, elle a demandé quelles suggestions peuvent être faites.
a souligné la contradiction dans laquelle se trouvent les départements frontaliers, comme les Ardennes, par rapport au tabac. L'augmentation du prix des cigarettes en France conduit les consommateurs à s'approvisionner, à moindre coût, à l'étranger. Plus généralement, notre société de consommation semble s'adonner à tous les excès, conduisant souvent les maires à renoncer à l'organisation des fêtes patronales, de crainte de la multiplication des actes d'incivilité. Il s'est interrogé sur le contenu d'une politique de prévention efficace.
s'est montré très intéressé par l'écart indiqué par le professeur Philippe Batel entre les efforts consentis pour des maladies comme la myopathie et pour une addiction comme l'alcoolisme. Il a souhaité savoir s'il existe un état génétique immunisant certaines personnes contre l'appétence à l'alcool. La prévention semble le seul instrument efficace pour empêcher la consommation excessive de bière par les jeunes, puisque les arrêtés municipaux n'ont que des effets réduits. Cependant, la prévention implique de maîtriser les lobbys, dont on a pu constater la force lors de la décision de limiter l'accès aux boissons sucrées dans les établissements scolaires.
Le professeur Martine Daoust a indiqué qu'il n'y a pas de gène de l'alcoolisme et qu'il s'agit d'une pathologie multigénique. Lors de son état des lieux de la prévention en Picardie, elle a été frappée par le fait que de nombreuses initiatives sont prises en matière de prévention et qu'elles mobilisent beaucoup d'argent public, mais sans aucune évaluation de leurs effets. La prévention doit être précoce et adaptée au public. Il lui faut des outils visibles, lisibles et scientifiquement valides.
Le professeur Roger Nordmann a souligné que la prévention doit s'effectuer au moment de l'enfance, quand le système nerveux se forme. Il a rejoint le propos du professeur Martine Daoust sur la nécessité d'avoir un discours de prévention qui soit labellisé. L'Académie de médecine a mené en ce sens une première expérience avec le rectorat de l'Académie de Paris pour la prévention en matière de cannabis et d'alcool. La prévention doit devenir une part importante du cursus scolaire, si possible assortie d'un contrôle de connaissances. La pratique scandinave en la matière s'est montrée très efficace pour la consommation de cannabis.
Le professeur Michael Stora a précisé qu'il travaille depuis sept ans sur les jeux vidéo et qu'il est consultant sur Skyrock et Skyblog. Concernant les travaux du colonel Grossman, il a indiqué que l'enseignement militaire par l'intermédiaire des jeux vidéo est fondé sur l'idée que la violence réelle peut imiter les procédures de violence mises en oeuvre dans les jeux. Il existe actuellement plus de cinq mille études sur les effets de la violence à la télévision, mais aucune d'ampleur sur les jeux vidéo et il se propose d'en conduire une lui-même.
La défense des jeux vidéo relève de celle d'une culture émergente. La tranche d'âge des quarante-cinq/soixante ans manifeste une peur à l'égard des jeux qui lui semble démesurée. Sa pratique thérapeutique a montré que des troubles du comportement violents peuvent être traités à l'aide des jeux. Le jeu vidéo est une école de la persévérance et ne procure pas de satisfaction immédiate, par opposition à d'autres types d'addictions. On peut développer, pour aider certains enfants, une « clinique de l'agir » qui leur permet de penser plus facilement leur être. Il s'agit d'une nouvelle perspective. Seront bientôt créés des jeux sérieux à destination thérapeutique. En ce domaine, les anglo-saxons et les scandinaves ont quinze ans d'avance sur la France, comme on a pu le voir lors de la dernière rencontre du syndicat européen des éditeurs.
La moyenne d'âge des joueurs de jeux vidéo est de trente-trois ans et on en compte vingt-neuf millions en France. Les jeux ont un rôle non négligeable dans la sublimation de la violence. Diaboliser les jeux vient paradoxalement renforcer la volonté des adolescents de s'y adonner, car ils sont à la recherche de lieux de transgression. De ce point de vue, l'essor des mondes en ligne s'apparente, à certains égards, à une recherche du père et des rituels initiatiques que la société a fait disparaître. On ne peut mettre sur le même plan la violence des jeux vidéo et celle de la tuerie de Columbine qui est un acte profondément mélancolique, soldé par le suicide du tueur. L'exemple d'un conducteur de char de Tsahal ayant, lors de la guerre du Liban, tiré des obus comme s'il s'agissait d'un jeu vidéo mais ayant fait une dépression une fois arrivé sur le lieu de leur impact, montre que la violence du jeu ne peut masquer la violence du réel. Un passage à l'acte, à partir d'un jeu vidéo violent, suppose un contexte psychosocial tout à fait particulier. L'effet de rencontre entre une personne et un déclencheur peut d'ailleurs avoir lieu avec toute oeuvre de fiction.
Les études menées aux Etats-Unis ont montré que, depuis l'essor des jeux vidéo, on assiste à une baisse étonnante de la violence physique, mais à une augmentation du nombre d'incivilités. L'association Enjeux à Orléans avait mis en place, pour les jeunes, un accès aux jeux en réseau « Counter strike ». L'apprentissage du jeu en ligne a été une école de l'écoute de l'autre avec lequel il fallait jouer. A la suite de l'interdiction du jeu à Orléans, ces jeunes ont retrouvé la violence individuelle et réelle de la rue. Le jeu peut donc devenir un lieu de réinsertion.
Nous vivons dans une société ambivalente qui affiche tout à la fois la valeur de l'ambition la plus échevelée et la compassion nécessaire pour les victimes. La violence du jeu peut servir de moyen de s'affranchir de la culpabilité ressentie face à l'impossibilité de gérer cette contradiction. L'expérience thérapeutique montre que le jeu devient le négatif d'une société idéale et permet d'intégrer la société réelle.
On ne peut toutefois nier l'existence de la cyberdépendance, ni surtout le désarroi ressenti par de nombreux parents. La mise en place d'un numéro vert est une solution à envisager.
Le professeur Marc Valleur a insisté sur le fait qu'il n'existe pas de substance totalement bonne ou totalement mauvaise. Le problème est celui de la rencontre, à un moment donné, de la personne et d'une substance. L'action des sénateurs a été particulièrement positive pour permettre la prise en compte des addictions sans substance, mais la mise en place d'actions de prévention reste problématique. Ainsi, l'étude commandée par Bercy sur la prévalence du jeu pathologique perd de sa crédibilité lorsqu'on précise qu'elle est financée par la Française des jeux.
La prévention est la seule méthode permettant une éradication de la dépendance. Elle prend en compte la diversité des usages : la majorité des personnes consommant les produits illégaux n'ont pas de difficultés, quelques-unes ont des problèmes faibles, certaines peuvent être considérées comme vulnérables et quelques sujets deviennent dépendants.
Il faut mettre en place une prévention ciblée avec des stratégies adaptées aux populations à risque. A cette fin, des études et le développement de marqueurs sont nécessaires. Le but doit être d'inciter à se faire soigner. Dès le plus jeune âge, il apparaît nécessaire de permettre aux enfants de décrypter les images dont ils sont abreuvés pour qu'ils soient en mesure de faire face aux excès de la société de consommation.
Dave Grossman a renversé le problème en acceptant l'idée, qui était celle que l'on voulait inculquer aux soldats, que la violence virtuelle et la violence sont la même chose. Or, la plupart des personnes ne peuvent accepter la violence réelle même si elles ont pratiqué des jeux vidéo. De ce point de vue, le jeu s'apparente au « pharmakon » platonicien qui peut être bon ou mauvais. Ce qu'il faut, c'est une pédagogie de l'usage.
s'est dit impressionné par la prise en charge des alcooliques par les associations d'anciens dépendants. Il a demandé si de telles pratiques ont une réelle valeur thérapeutique.
Le professeur Martine Daoust a insisté sur le rôle essentiel des associations dans le parcours du malade. Les anciens dépendants offrent leur disponibilité et une expérience partagée, ainsi qu'une forme de thérapie de groupe, qui sont recommandées par tous les médecins. Il faut néanmoins s'interroger sur l'adaptation de leur discours, forcément militant, au public scolaire. Les associations se trouvent de fait dans une situation de compétition pour les financements publics en matière de prévention et n'offrent comme outil pédagogique que leur expérience. Des outils validés et des formateurs capables de mieux cibler leur discours en fonction du public sont préférables.
a demandé quels pouvaient être les axes prioritaires d'une politique efficace de lutte contre les addictions.
Le professeur Philippe Batel a affirmé que le rôle des associations dans la guérison des malades est scientifiquement établi. Le problème de nombre de thérapies promues par ces associations est néanmoins qu'elles adoptent une vision catastrophiste de l'alcoolodépendance qui s'avère contraire à une véritable politique de prévention.
L'essentiel est de dénormaliser l'alcool au sein de la société, qui est mûre pour ce faire, mais à qui il faut un déclic politique. Il ne faut pas cependant entrer dans une dramatisation puisque l'alcool est une substance profondément ambivalente qui mêle pulsions de plaisir et de mort. Il faut également accepter qu'une société sans drogues n'existe pas et qu'elle n'est sans doute pas souhaitable. Même en éradiquant une substance, les phénomènes adaptatifs, tels ceux décrits par le professeur Michael Stora, existent bien. On note ainsi, chez les jeunes retraités ayant eu des postes à haute responsabilité, une recherche de compensation qui les fait parfois se tourner vers l'alcool.
Afin de modifier les représentations, il faut lutter contre le lobbying de certains produits. L'institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) mène sur ce terrain des campagnes extrêmement utiles. Il importe de faire bouger les lignes qui sont bloquées par la méconnaissance et les connaissances erronées. Ainsi, le fait de placer un message d'alerte sur les bouteilles d'alcool a permis aux médecins d'aborder la question de la toxicité dès le premier verre.
Le professeur Martine Daoust a souligné qu'une modification massive des comportements est possible, comme on l'a vu à propos de l'alcool au volant. Il importe de donner à la recherche des moyens qui soient à la hauteur des enjeux de santé publique. Le saupoudrage actuellement pratiqué en termes de crédits de recherche nuit à l'efficacité de celle-ci.
a abordé le problème des jeunes ingénieurs, dont beaucoup d'observateurs notent qu'ils ont aujourd'hui peur de l'avenir. Cette crainte n'existait pas pour les générations antérieures. En Asie, une culture de résultats s'est développée que l'on peut percevoir, notamment au travers de la politique de l'enfant unique qui admet les pratiques eugéniques. Cette culture étrangère s'impose aujourd'hui en France et pose de nombreux problèmes, ainsi l'évolution étonnante de comportements au sein des familles et l'absence de dialogue entre parents et enfants.
Le professeur Roger Nordmann a expliqué que le fait de changer la représentation des produits est un processus long, mais qui peut aboutir. L'exemple en la matière est la loi Evin sur le tabac. Il faut toutefois noter que le succès de la réduction du tabac, en France comme dans les autres pays développés, a poussé les industriels à se tourner vers les pays du tiers monde où risque de se produire un milliard de décès du fait de la cigarette au cours du XXIe siècle. Concernant l'alcool, les états généraux mis en place il y a un an ont montré l'évolution des perceptions. La question des effets bénéfiques de l'alcool et le « paradoxe français » tendent toutefois à obscurcir le débat. Comme les professeurs Batel et Daoust, il a insisté sur la nécessité d'une éducation à la santé aussi précoce que possible par des formateurs aux compétences scientifiques reconnues et susceptibles d'intéresser un public jeune. Il a également préconisé l'augmentation de la taille du sigle inscrit sur les bouteilles d'alcool, qui est trop petit pour être vraiment lisible.
a précisé qu'il s'agit là d'une mesure relevant du pouvoir réglementaire.
Le professeur Roger Nordmann a indiqué qu'il est souhaitable de faire apparaître clairement le contenu en alcool des différentes boissons comme les bières. Sur quatorze variétés de bières couramment disponibles dans les grandes surfaces, le contenu en alcool varie de 8 à 42 grammes. Une unité standard doit également être adoptée pour cet affichage, l'unité en verre est trop facilement trompeuse. Enfin, il faut diminuer l'accessibilité des produits alcoolisés en interdisant par exemple leur vente dans les stations service après vingt-deux heures, en interdisant la vente aux mineurs de moins de dix-huit ans et le parrainage de manifestations festives par les marques d'alcool.
Le professeur Michael Stora a expliqué que la question de l'éducation à l'image est la clé pour la prévention de la cyberdépendance. S'agissant de pratiques nouvelles, la crainte ne doit toutefois pas prendre le dessus et il faut voir les perspectives offertes par les jeux vidéo. Dans dix ans, un chef de guilde sur « Warcraft » pourra mettre cette compétence sur son CV, même s'il n'a pas de diplôme par ailleurs. Enfin, les nouvelles thérapies utilisant les jeux vidéo se développent et permettent d'aller au-delà des thérapies classiques.
Le professeur Marc Valleur a insisté sur l'importance du jeu d'argent pathologique comme problème de santé publique. Il faut lutter contre l'idée qu'il existe de bonnes et de mauvaises drogues. Le problème de la prévention s'inscrit dans le cadre d'une société qui est passée d'une éthique de la production à une éthique de l'hyperconsommation. La création du premier service de soins dédié aux jeux pathologiques à Nantes est une grande avancée, mais il est regrettable qu'il soit financé par la Française des jeux et le PMU. Il appartient au ministère de la santé publique de prendre conscience du problème.
s'est engagé à prendre en compte ces recommandations lors de l'examen des textes législatifs qui seront soumis au Parlement, ou même en dehors, et a souligné le très grand intérêt de cette audition, qui a contribué à l'éducation de la commission dans un domaine encore mal connu.
La commission a ensuite désigné Mme Patricia Schillinger en qualité de rapporteur sur la proposition de loi n° 289 (2007-2008), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre les incitations à la recherche d'une maigreur extrême ou à l'anorexie.