Intervention de Patrice Gélard

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 décembre 2009 : 2ème réunion
Réforme de la représentation devant les cours d'appel — Examen du rapport et du texte proposé par la commission

Photo de Patrice GélardPatrice Gélard, rapporteur :

Au cours d'une deuxième séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Patrice Gélard et a établi le texte qu'elle propose pour le projet de loi n° 16 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel.

a indiqué que plusieurs travaux de réflexion avaient conduit le Gouvernement à soumettre au Parlement une réforme organisant la disparition à compter du 1er janvier 2011 de la profession d'avoué près les cours d'appel, dont l'examen se révélait difficile, en raison des enjeux humains d'une telle entreprise. Il a indiqué que la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques avait supprimé la profession d'avoué près les tribunaux de grande instance, mais que le Parlement avait maintenu, lors de l'examen de ce texte, les avoués près les cours d'appel. Il a rappelé que le rapport de la commission pour la libération de la croissance française, présidée par M. Jacques Attali, proposait la suppression de la profession d'avoué près les cours d'appel et la possibilité pour les avoués de devenir avocats, et que le rapport de la commission sur les professions du droit, présidée par Me Jean-Michel Darrois, recommandait la fusion des professions d'avocat et d'avoué près la cour.

Il a indiqué que la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur affectait également la réglementation applicable aux avoués près les cours d'appel. En effet, la profession d'avoué ne peut être regardée comme participant à l'exercice de l'autorité publique conformément à l'article 45 du traité instituant la Communauté européenne, ce qui lui aurait permis d'échapper au champ d'application de la directive. Elle ne figure pas non plus au nombre des professions explicitement exclues de ce champ d'application, comme celles de notaire et d'huissier. En conséquence, la réglementation de la profession d'avoué n'est pas compatible avec les dispositions de la directive services sur la liberté d'établissement des prestataires.

Ainsi, le régime actuel d'autorisation n'est pas compatible avec les exigences de la directive, en particulier parce qu'il limite le nombre des offices. En vertu de l'article 93 de la loi du 27 ventôse an VIII, il est établi près de chaque cour d'appel un nombre fixe d'offices d'avoués. Toute création ou transfert d'office est prononcée par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice (articles 12-2 et suivants du décret du 19 décembre 1945). Par ailleurs, le système des offices aboutit à réserver la possibilité d'être autorisé à exercer l'activité d'avoué aux seuls professionnels qui sont présentés à l'agrément du garde des sceaux par les professionnels déjà autorisés, soit qu'ils souhaitent quitter la profession, soit qu'ils souhaitent céder un certain nombre de parts pour trouver un nouvel associé, et qui reversent à leur prédécesseur la valeur du droit de présentation. Un tel mécanisme est incompatible avec les exigences des articles 12 et 13 de la directive, relatifs à la sélection entre plusieurs candidats et aux procédures d'autorisation.

a souligné que pour respecter les prescriptions de la directive services, la disparition de la profession d'avoué n'était pas la seule option envisageable, l'étude d'impact jointe au projet de loi déposé à l'Assemblée nationale évoquant même une option alternative, qui aurait consisté à créer des avocats spécialisés dans la procédure d'appel, sur le modèle en vigueur dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

Il a expliqué que le Gouvernement avait retenu l'option de la disparition de la profession, afin de simplifier l'accès à la justice d'appel et parce que les avoués ne s'étaient pas suffisamment mobilisés en amont de la réforme pour promouvoir un système fondé sur des avocats spécialisés.

Estimant que l'idée selon laquelle la réforme permettrait de simplifier l'accès à la justice d'appel, en n'obligeant pas le justiciable à recourir à un auxiliaire de justice spécialisé, était fondée, il a jugé que les arguments avancés par le Gouvernement quant à la baisse du coût de la justice d'appel étaient beaucoup moins convaincants. Il a relevé que le financement de la réforme s'appuierait sur la création d'un droit de 330 euros, dû par tout appelant ne bénéficiant pas de l'aide juridictionnelle, dans les procédures avec représentation obligatoire. Précisant que ce droit devait être créé au sein du projet de loi de finances rectificative pour 2009 et que le coût moyen d'un appel avec recours à un avoué atteignait aujourd'hui 900 euros, il a estimé que le coût moyen d'une procédure d'appel serait au moins aussi élevé après la réforme. Si le barème des avoués conduit parfois le justiciable à payer des émoluments très élevés, déterminés en fonction de l'intérêt du litige, les avocats chercheront sans doute à percevoir des honoraires, en dehors de tout barème, pour les procédures d'appel qu'ils mettront en oeuvre.

Evoquant ensuite les conséquences de la réforme sur le fonctionnement des cours d'appel, M. Patrice Gélard, rapporteur, a indiqué que les cours n'auraient plus pour interlocuteurs 434 avoués, mais plus de 50 000 avocats. Il a souligné que la réforme intervenait au moment où la Chancellerie s'apprêtait à publier un décret réformant la procédure d'appel et rendant irrecevables, à compter du 1er janvier 2011, les déclarations d'appel et les constitutions d'intimés qui ne seraient pas transmises à la cour par voie électronique, pour les appels formés à l'encontre des décisions rendues à compter de cette date. La sanction d'irrecevabilité suppose que les professionnels, avoués et avocats, ainsi que les cours d'appel, disposent des équipements informatiques nécessaires et soient en mesure de les utiliser dès le 1er janvier 2011.

Le rapporteur a fait savoir que les premiers présidents de cour d'appel et les conseillers de la mise en état qu'il avait entendus estimaient peu probable que les 28 cours d'appel et l'ensemble des avocats soient prêts à respecter dès cette date les nouvelles contraintes définies par le décret réformant la procédure civile. Les avocats devront en particulier s'équiper du matériel et des logiciels nécessaires. M. Patrice Gélard, rapporteur, a estimé que la réforme pourrait donc entraîner des dysfonctionnements dans les cours d'appel pendant quelques mois.

Rappelant que les avoués accéderaient automatiquement à la profession d'avocat, sauf s'ils préféraient rejoindre une autre des professions judiciaires et juridiques, telle que notaire, huissier, ou avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, ou encore exercer une autre profession en intégrant par exemple la magistrature, il a estimé que la situation du personnel des avoués était la plus préoccupante au regard de la réforme. La disparition de la profession d'avoué près les cours d'appel devrait entraîner le licenciement d'une part importante des 1 650 salariés des offices d'avoué, dont près de 70 % ont entre onze et trente ans d'ancienneté. Par ailleurs, la loi de finances pour 2010 prévoit la création de 190 emplois temps plein au milieu de l'année 2010, afin de permettre le recrutement, parmi les salariés des études d'avoué, de 380 personnes qui seront affectées aux greffes des juridictions. Environ 170 collaborateurs juristes, diplômés, bénéficieraient de passerelles vers d'autres professions et pourront en toute hypothèse, grâce à leurs qualifications, se reconvertir plus facilement. Toutefois, une majorité de salariés n'auront, au moment de leur licenciement, aucune perspective immédiate d'emploi.

a indiqué que la proportion de salariés qui resteront auprès de leur ancien employeur, devenu avocat ou accédant à une autre profession juridique, était difficile à évaluer, ces perspectives de recrutement apparaissant toutefois limitées, chaque avocat employant en moyenne moins d'un salarié, alors que chaque avoué en emploie 4 ou 5. Précisant que les améliorations adoptées par l'Assemblée nationale, à l'initiative du Gouvernement, n'étaient pas aussi favorables que le dispositif demandé par les salariés, sauf à l'égard de ceux ayant au moins 37 ans d'ancienneté soit, selon les données fournies par la Chancellerie, 18 personnes, il a expliqué avoir demandé au Gouvernement de porter l'indemnité des salariés à un mois de salaire par année d'ancienneté, afin d'indemniser équitablement le plus grand nombre de salariés.

Relevant que le projet de loi ne comportait aucun dispositif visant à inciter les salariés à se reconvertir par eux-mêmes, sans attendre le bénéfice de l'indemnité, il a jugé indispensable de mettre en place une indemnité de reconversion pour les salariés qui démissionneraient parce qu'ils ont trouvé un nouvel emploi, puisque tous devraient connaître une baisse de leurs revenus.

Expliquant que les avoués se trouvaient dans des situations très variables, il a estimé que les plus anciens, proches de l'âge de la retraite, seraient ceux pour lesquels la disparition des offices serait le moins préjudiciable. Il a déclaré que le projet de loi déposé à l'Assemblée nationale, qui prévoyait une indemnisation de chaque avoué à hauteur de 66 % de la valeur de son office, constituait néanmoins une spoliation, atténuée par des amendements du Gouvernement qui ont porté ce taux à 100 % de la valeur de l'office.

a indiqué que le versement de l'indemnité accordée aux avoués pourrait donner lieu à l'application d'un impôt sur les plus-values, quelques avoués exerçant au sein de sociétés étant en outre susceptibles de voir leur indemnité soumise à l'impôt sur les sociétés. Considérant que les jeunes avoués connaîtraient les situations les plus graves, il a souligné :

- qu'un jeune avoué endetté risquait de ne percevoir quasiment aucune indemnité, puisque celle-ci serait essentiellement utilisée à rembourser le capital restant dû pour l'achat de son office ;

- qu'un avoué détenant seulement des parts sociales en industrie au sein d'une société ne percevrait aucune indemnité et se retrouverait sans clientèle particulière dans le cadre de la nouvelle profession d'avocat, s'il choisissait de la rejoindre.

Indiquant que ces constats le conduisaient à être en désaccord avec les dispositions relatives à l'indemnisation figurant dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, il a regretté que le Gouvernement n'ait avancé aucune proposition d'amélioration.

Relevant que la réforme présentait en outre des difficultés pour l'équilibre des caisses de retraites concernées, la Caisse d'assurance vieillesse des officiers ministériels, la Caisse nationale des barreaux français et la Caisse de retraite du personnel des avocats, il a précisé que celle-ci gérait les régimes d'assurance maladie et décès et de retraite complémentaire des salariés d'avoués et des salariés d'avocats.

a expliqué que le projet de loi prévoyait une période transitoire d'un an, du 1er janvier 2010 au 1er janvier 2011, au cours de laquelle les avoués pourraient exercer également la profession d'avocat, afin de se constituer une clientèle dans cette nouvelle profession. Estimant que cette période transitoire était nécessaire pour permettre aux avoués de se préparer à changer de profession, il a observé que les avocats y étaient opposés, parce qu'elle constituerait une distorsion de concurrence.

Il a indiqué que, dans un objectif de cohérence, il avait déposé des amendements tendant à supprimer le tarif de postulation devant le tribunal de grande instance et le monopole géographique de la postulation devant le tribunal de grande instance dans le ressort de chaque cour d'appel, ce qui permettrait aux avocats de postuler devant tous les tribunaux de grande instance dépendant de la cour d'appel dans le ressort de laquelle ils ont établi leur résidence professionnelle. Considérant que cette évolution s'inscrivait dans la logique de simplification de l'accès à la justice et paraissait s'imposer, puisque tous les avocats du ressort d'une cour d'appel pourraient désormais postuler devant cette cour, il a souligné qu'elle suscitait cependant une vive opposition de la profession d'avocat. Il a rappelé que la commission sur les professions du droit, présidée par Me Jean-Michel Darrois, préconisait la suppression du monopole territorial de la postulation des avocats à l'horizon du 31 décembre 2014.

s'est dit prêt à retirer ses amendements visant à supprimer le monopole territorial de la postulation devant le tribunal de grande instance dans le ressort d'une cour d'appel, si la commission se prononçait pour le maintien d'une période transitoire pendant laquelle les avoués pourraient également exercer la profession d'avocat dans les mois précédant la disparition de leur profession.

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