Notre rapport a été publié le 12 mai dernier. L'accueil a été unanime parmi les professionnels, les observateurs, l'opinion. Quant à vous, parlementaires, vous avez un rôle éminent à jouer pour provoquer les changements profonds qui nous sont apparus nécessaires durant ce travail de trois années. Ces changements exigeront de la patience, du doigté, de la persévérance, ainsi que le soutien des élus de la nation.
Si la Cour des comptes a pu se livrer à cette évaluation d'une politique publique, c'est que le législateur a pris deux initiatives. En 2001, la LOLF a créé les objectifs et indicateurs qui nous ont servi d'instruments d'évaluation ; en 2005, la loi sur l'avenir de l'école a renforcé cette capacité d'évaluation en posant des objectifs clairs, 100 % de jeunes sortant diplômés ou qualifiés du système scolaire, 80 % des enfants d'une classe d'âge titulaires du baccalauréat, 50 % de diplômés de l'enseignement supérieur. En outre, depuis dix ans, des comparaisons internationales sont disponibles, ouvrant un nouvel horizon à l'évaluation. Les enquêtes du programme PISA, Program for international student assessment, ont été contestées à l'origine, mais font aujourd'hui autorité. Le système éducatif français peut donc être situé.
On a tendance, dans notre pays, à invoquer l'exception française pour hésiter à changer le système. Or c'est un bouleversement total qui s'impose. Nous avons demandé aux meilleurs experts - et ils sont nombreux en sciences de l'éducation - sur quelles questions il nous fallait nous concentrer. Ils nous ont conseillé de nous intéresser au parcours des élèves, afin de comprendre pourquoi la régulation est si mauvaise, pourquoi les résultats sont moins bons qu'ils ne devraient. Nous nous sommes rendus dans six académies et cinquante établissements ; nous avons échangé avec le ministère et les échelons déconcentrés.
Nous avons voulu, avant de publier le rapport, entendre les acteurs concernés - c'est une première - pour vérifier que nos constats étaient partagés et tester nos recommandations. Depuis le mois de février, nous avons donc eu soixante heures d'auditions, parents, professeurs, chefs d'établissements, inspecteurs d'académie... Nous avons formulé en fin de rapport treize recommandations.
Les constats sont préoccupants. L'école ne remplit pas les objectifs que la loi lui assigne. Elle ne parvient pas à réduire les inégalités de départ entre enfants de catégories sociales différentes, elle les aggrave au contraire. L'échec scolaire se définit par la sortie du système scolaire sans diplôme ni qualification. Ils sont 130 000 par an dans ce cas, soit un enfant sur cinq ! Or cette situation est source d'exclusion sociale. Les ministères de l'éducation nationale et de la défense indiquent que 21 % des jeunes manifestent des difficultés sérieuses de lecture à la fin de la scolarité obligatoire. Telle est la faiblesse de notre système qui ne s'est pas donné les moyens de traiter la difficulté scolaire. La performance française est moyenne, parce que 60 % des élèves ont de très bons résultats mais 40 % de mauvais ou très mauvais résultats. Le système sélectionne, il ne sait pas porter le plus grand nombre à la réussite. Trop d'élèves sont laissés pour compte. La théorie des climats ne saurait expliquer pourquoi les Allemands ont rattrapé les Français à la dernière enquête PISA, alors que notre voisin est lui aussi confronté à des problèmes d'intégration culturelle et sociale. La Pologne, en retard d'une année scolaire selon les précédentes enquêtes, nous a maintenant dépassés. La France est le pays de la prédestination sociale, la réussite y est largement corrélée aux origines sociales. Plus des trois-quarts des enfants des catégories favorisées obtiennent le bac général ; moins de un cinquième dans les catégories défavorisées. En classes préparatoires aux grandes écoles, 55 % des élèves ont un père cadre, chef d'entreprise, profession libérale ou professeur - trois fois plus que leur proportion dans la cohorte des élèves de sixième -, tandis que la proportion des élèves d'origine ouvrière en classe préparatoire est quatre fois moins importante qu'en sixième.
L'objectif de 80 % au baccalauréat masque trop souvent celui de 50 % de diplômés de l'enseignement supérieur, objectif que nous n'avons pas atteint ; nous en sommes à 41 % actuellement, mais 27 % seulement à bac + 3, le standard international. La mondialisation exige de hisser le niveau de l'intelligence collective ! Il n'y a pas suffisamment d'entrants dans l'enseignement supérieur : moins de 80 % des bacheliers. Et il y a trop d'échec. Les titulaires de bacs professionnels ou technologiques ont des résultats très inférieurs à ceux de leurs condisciples issus du bac général. Pour porter la proportion des bacs + 3 à 50 %, il convient d'élargir le vivier des bacheliers capables d'aller loin dans l'enseignement supérieur.
Pourquoi de tels résultats ? Quelles sont les causes ? Je rappelle que nous ne nous sommes pas placés sur le plan pédagogique ; nous nous sommes penchés sur l'organisation du système. Nous avons mis en évidence une mauvaise allocation des moyens. Ce n'est pas une question de niveau - à 3,9 % du PIB, nous sommes dans la moyenne de l'OCDE - mais de difficulté à rendre des arbitrages. L'allocation suit une logique de distribution d'heures et de postes. Or il est indispensable que le ministère connaisse les coûts. Il résiste en inventant « l'euro éducatif », qui recouvre des dotations globales en heures et emplois. Mais quel est le coût de la lutte contre l'échec scolaire ? Et celui de la multiplication des options au lycée, offertes aux élèves des bons lycées, rarement aux élèves en éducation prioritaire ? Il faut répartir les moyens en fonction des objectifs. Les indicateurs issus de la LOLF montrent que le taux de redoublement a diminué ; mais le ministère persiste à répartir les moyens en fonction du nombre d'élèves, quel que soit leur retard scolaire. Où est l'incitation ? Il n'y a pas non plus de différenciation suffisante selon les zones, entre Paris centre ou Lyon centre et les banlieues des grandes métropoles. Chacun s'accorde à estimer que les difficultés scolaires naissent au primaire, voire au cours préparatoire. Or le primaire est moins financé qu'il ne l'est dans des pays comparables au nôtre. Enfin et surtout, les moyens sont répartis comme si l'offre devait être uniforme.
Certes, des évolutions significatives ont eu lieu : je songe à la réussite de la massification. Mais un même nombre d'heures d'accompagnement personnalisé est attribué aux établissements prestigieux et à ceux où la réussite au bac n'atteint pas 60 %. Du reste, le directeur de l'enseignement scolaire a reconnu que le ministère ne savait pas si les dotations se transformaient en soutien personnalisé ou en permanences pour les devoirs. Il est temps de passer d'une logique d'offre uniforme à une réponse plus subtile aux besoins.
L'organisation du système date de 1950 et elle est inadaptée aux besoins des élèves actuels. Un enseignant sur deux débute dans un poste de remplacement, un sur cinq dans un poste d'éducation prioritaire, particulièrement difficile, où l'expérience serait bienvenue. On recrute sur profil les enseignants de classes préparatoires, mais non ceux qui doivent enseigner aux élèves en plus grande difficulté. En 1950, 7 % d'une classe d'âge parvenaient au bac. Les conditions d'enseignement ne peuvent être les mêmes aujourd'hui. La loi de 2005 a inscrit, parmi les missions de l'enseignant, le suivi et l'accompagnement personnalisé, ainsi que le travail en équipe pédagogique.
J'en viens au parcours des élèves. L'année scolaire est en France plus courte qu'ailleurs, 144 jours en primaire, contre 210 en Allemagne et en Italie. La journée est en revanche plus longue. Les élèves français, pour des résultats qui ne sont pas meilleurs, effectuent 10 à 12 % d'heures de plus que leurs petits voisins européens.
Des points de vue divers ont été exprimés sur le suivi des élèves - nous leur avons consacré des encadrés dans le rapport, ainsi qu'aux expériences étrangères, en Ecosse, Espagne et Suisse. Le guidance teacher écossais suit les élèves de la sixième à la troisième. Nous n'avons pas de parcours scolaire autre qu'une addition d'appréciations. Entre le primaire et le collège, le dossier ne suit pas l'enfant. Au final, on connaît mal les élèves et leurs besoins. Le ministre a souligné l'importance de l'hétérogénéité des classes ; or 50 % des classes sont des classes de niveau. On est loin du collège unique. A quatorze ans, quatre élèves sur dix ont déjà redoublé une fois, alors que le ministère estime le redoublement inutile et coûteux - deux milliards d'euros.
L'orientation des élèves se fait surtout par l'échec. Et en fin de troisième, elle est largement conditionnée par l'offre de l'académie. Dans l'une, un tiers des élèves est orienté vers la filière professionnelle ; dans l'autre, un cinquième. L'orientation est imposée en fonction de l'offre et non des capacités des élèves. En outre, l'enfant d'un ouvrier non qualifié a cinq fois moins de chances qu'un enfant de cadre de passer un bac général.
Le rapport traite aussi des modes de prise en charge des élèves en difficulté, de la multiplicité des dispositifs. Nous avons relevé une grande inventivité pédagogique mais les résultats n'ont pas été évalués ou paraissent insatisfaisants. Le programme personnalisé de réussite éducative (PPRE), instauré en 2005 pour éviter le redoublement, profite à 8 % seulement des élèves alors que l'échec scolaire touche un enfant sur cinq. Dans les zones d'éducation prioritaire, la proportion est de 16 % mais les difficultés scolaires beaucoup plus répandues.
Nous suggérons donc un véritable renversement du système, afin de quitter une logique de l'offre pour une réponse fine à la demande. Il faut connaître les besoins d'accompagnement personnalisé des élèves, allouer de façon plus différenciée les moyens et cesser de financer des pratiques inefficaces. L'autonomie des établissements permettrait à la communauté éducative d'infléchir le nombre d'heures consacrées aux cours ou au soutien, au suivi, à la méthodologie. Elle est la mieux placée pour estimer les besoins, sous réserve d'une évaluation - car en France, on évalue les enseignants mais pas les établissements. Or il faut s'assurer que les dispositifs légaux sont bien en place et que les résultats sont probants. Pour les zones d'énorme difficulté scolaire, il faut un traitement particulier. Nous recommandons le recrutement sur profil et la stabilité dans le poste. A quoi doivent s'ajouter une programmation pluriannuelle des moyens et une reconnaissance du pays à l'égard de ceux qui assument une mission difficile. En Seine-Saint-Denis ou dans les quartiers nord de Marseille, le traitement ne peut être « normal », étant considérée l'extrême difficulté de la tâche.
Les constats sont préoccupants. Un effort collectif est indispensable. Les passions sont grandes sur ces questions. Nous n'avons pas voulu stigmatiser qui que ce soit mais reconnaître les efforts accomplis et prendre en compte également une forme de lassitude des enseignants. Les esprits sont mûrs pour le changement. Une révolution est nécessaire, pour instaurer un système non pas piloté par le haut mais collant aux réalités, avec une autonomie des établissements et une régulation afin de s'assurer du respect des objectifs nationaux fixés par la République.