Intervention de Jean Picq

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 22 juin 2010 : 1ère réunion
L'éducation nationale face à l'objectif de la réussite de tous les élèves — Audition de M. Jean Picq président de la troisième chambre de la cour des comptes

Jean Picq, président de la troisième chambre de la Cour des comptes :

La responsabilité de la Cour s'arrête lorsqu'elle remet son rapport public et je ne suis pas en situation de commenter les initiatives récentes ou de prendre position dans des débats relatifs, par exemple, à la RGPP. La Cour s'est efforcée de contribuer à situer les enjeux, à identifier les leviers du changement. Nous avons découvert que l'institut Montaigne travaillait à un rapport lorsque nous avons achevé le nôtre et auditionné le directeur des études de l'OCDE, qui a largement contribué à la réflexion de l'institut, lequel s'est intéressé exclusivement au primaire et s'est penché sur les aspects pédagogiques - nous nous en sommes gardés. Il suggère des solutions fondées sur l'institutionnalisation de l'enseignement primaire local ; nous sommes convaincus, pour notre part, qu'il faut surtout réfléchir à la continuité entre primaire et collège. Dans les académies qui fonctionnent bien, les chefs d'établissement sont en contact les uns avec les autres, afin d'éviter toute rupture ; cette rupture qui, soit dit en passant, mettait Philippe Séguin très en colère. Il estimait qu'il fallait penser la continuité entre le primaire et le secondaire. Je le dis avec un peu d'émotion parce que j'ai le souvenir du soutien qu'il a apporté à notre travail. Et il avait raison. Plutôt que de stratifier, mieux vaut assurer la continuité administrative et pédagogique.

L'institut Montaigne dit des choses que nous ne pouvons pas récuser. Nous considérons que l'idée de transformer l'école en établissement public n'est pas bonne. Nous nous sommes interdit de parler de revalorisation parce que ce n'est pas à nous de le faire mais si l'on veut faire un effort pour le primaire, il faut savoir d'où on dégage les moyens.

« Comment faire bouger les choses ? » a demandé M. Dauge. C'est une question éminemment politique. Nous pensons que notre travail met à jour certains leviers de changement. Nous mettons en évidence qu'il s'agit de passer d'une logique de gestion uniforme et centralisée, qui navigue sans jauge à essence et sans vision réelle des besoins, à une gestion plus soucieuse de répondre à des demandes différenciées selon les territoires, les établissements et les classes. Ce passage à un système davantage décentralisé qui donnerait aux chefs d'établissement et aux équipes pédagogiques le pouvoir de proposer ce que doivent être les allocations suivant les besoins est bien entendu à expérimenter, à évaluer puis à valider. Il est à noter que l'éducation nationale dispose de nombreux outils informatiques qui pourraient être utiles à ces expérimentations. Mais il s'agit d'un changement radical qui irait contre le confort intellectuel que procure tout système centralisé, persuadé que l'on est d'agir pour le bien général. Etre dans un système attentif à la demande locale crée un risque d'inégalité mais, si l'objectif est de répondre aux besoins des élèves, on ne peut plus s'en tenir à l'uniformité. Le programme personnalisé de réussite éducative, par exemple, est devenu, dans certains établissements de centre ville, la dernière sanction avant le blâme ou l'exclusion alors qu'il avait été institué pour éviter les redoublements. A décider depuis Paris que ce PPRE sera généralisé partout, on risque de l'appliquer dans d'excellents établissements où il est inutile, et il ne sera pas suffisant là où l'échec scolaire est le plus fort. Cela dit, certains considèrent qu'il est également nécessaire d'aider de bons élèves dans les grands établissements afin qu'ils soient encore meilleurs. Passer d'un système d'allocation uniforme à un système d'allocation différenciée, c'est un chantier considérable mais, monsieur Dauge, c'est ce passage qui nous est apparu comme le plus grand levier de changement.

Vous posez une autre question, d'ordre plus politique au sens noble du terme, celle des conditions de faisabilité dans le temps. Mais songez au nombre de ministres de l'éducation nationale qu'un élève a connus entre sa classe maternelle et son bac : pas loin d'une dizaine ! Pourtant, la stabilité qui vaut pour les équipes éducatives vaut tout autant pour le ministre qui aurait à mener un tel chantier.

Personne ne conteste la difficulté scolaire et les chiffres justifient que tout le monde se mobilise. Les acteurs de terrain sont les premiers à souffrir car un système uniforme qui ne répond pas à la demande est un système qui peut décourager. Nous avons étudié plus particulièrement six collèges de quartiers sensibles, dans les Yvelines, les quartiers nord de Marseille et à Lille. Les principaux de ces collèges sont des hommes admirables, confrontés à des violences et des taux d'échec considérables. Ils ne sont pas maîtres de ce qui se passe entre le collège et le domicile des élèves et donc, sur les questions de sécurité, ils n'y peuvent rien. Nous avons été émerveillés par leur engagement quotidien et leur volonté d'affronter ces difficultés. Devant l'objectif majeur d'aider ceux qui décrochent à ne pas décrocher, personne ne baisse les bras.

Madame Cartron, en effet, nous vivions avec l'idée que notre école était faite pour sélectionner les meilleurs et il est vrai que nous savons le faire. Mais les chiffres de PISA nous montrent que notre élite est importante mais pas suffisante. Les très très bons sont plus près de 10 % que de 20 %. Il faut changer notre regard sur un système qui ne doit plus seulement sélectionner mais aussi amener le plus grand nombre à la réussite. C'est comme pour un apprentissage du tennis, où il ne s'agit pas de ne former que des Federer mais de faire que le plus mauvais soit capable de renvoyer la balle. Cela ne signifie pas que le plus grand nombre devra intégrer l'ENA ou Polytechnique mais qu'il devra pouvoir affronter dans la vie les problèmes d'un citoyen ou d'un agent économique.

Monsieur Bodin, je ne sais franchement pas comment articuler la RGPP avec les recommandations de notre rapport. C'est une question à poser au ministre de l'éducation nationale....

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