Intervention de Pascal Clément

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 novembre 2006 : 1ère réunion
Pjlf pour 2007 — Mission « justice » - Audition de M. Pascal Clément garde des sceaux ministre de la justice

Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice :

a tout d'abord souligné que la justice constituait en 2007 une des priorités du Gouvernement, son budget augmentant de 5 %, alors même que l'augmentation du budget de l'Etat n'était que de 0,8 %. Il a précisé que le budget de la justice s'élevait ainsi à 6,271 milliards d'euros, représentant 2,34 % du budget de l'Etat, contre 1,69 % en 2002, soit une augmentation de 38 % depuis 2002.

Ajoutant que le budget poursuivait un objectif de modernisation de la justice, le ministre s'est félicité des conditions de mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances, et a estimé que les chefs de cour, désormais ordonnateurs des dépenses à la place des préfets, exerçaient pleinement leurs responsabilités financières dans un souci d'économie et de performance.

Soulignant le rôle moteur des audits de modernisation de l'Etat, le ministre a indiqué que l'ensemble des juridictions et les principaux établissements pénitentiaires seraient équipés de la visio-conférence avant la fin de l'année, afin de réaliser des économies en termes de déplacements d'experts et de magistrats, notamment outre-mer, mais également de transfèrement de détenus. Il a poursuivi en annonçant que plus de la moitié des tribunaux de grande instance bénéficieraient d'ici à la fin de l'année de la numérisation des procédures pénales, qui vise à autoriser l'accès en temps réel des magistrats et auxiliaires de justice au dossier.

Le ministre s'est ensuite félicité de la réussite de la transformation de 20 % du budget de la justice (frais de justice, aide juridictionnelle, financement du secteur associatif de la protection judiciaire de la jeunesse et prise en charge de la santé des détenus) en crédits limitatifs et non plus évaluatifs. Il a souligné que malgré le scepticisme initial, les frais de justice, qui connaissaient auparavant une augmentation de 15 à 20 % par an, étaient revenus de 487 millions d'euros en 2005 à 420 millions d'euros en 2006, conformément aux prévisions, et devraient se stabiliser en 2007 à 423 millions d'euros. Il a ajouté que cette maîtrise était intervenue en respectant la liberté d'initiative des magistrats et la recherche de la vérité, grâce notamment à la mise en concurrence des fournisseurs et à une prise de conscience des prescripteurs.

a ensuite présenté le deuxième objectif de ce budget, consistant à assurer l'accessibilité de la justice pour tous les citoyens.

Il a tout d'abord indiqué qu'entre 2002 et 2005, les délais moyens de traitement dans les juridictions du premier degré avaient baissé de 28 %, revenant de 9,4 à 6,7 mois, tout en reconnaissant la persistance de délais anormalement longs.

Affirmant vouloir garantir aux plus démunis le droit de disposer d'un avocat, le ministre a rappelé que les crédits de l'aide juridictionnelle, de 323 millions d'euros, progressaient de 6,6 %. Il a indiqué que la majeure partie de cette augmentation serait consacrée à la revalorisation de l'unité de valeur, et souligné que plusieurs réformes avaient d'ores et déjà amélioré la situation des avocats depuis 2001.

Soulignant le paradoxe entre le poids pour les finances publiques des dépenses d'aide juridictionnelle et les critiques la visant, le ministre a annoncé l'ouverture d'« Assises de l'aide juridictionnelle et de l'accès au droit » en janvier prochain, au cours desquelles serait en particulier étudiée la coordination de l'aide juridictionnelle avec l'assurance de protection juridique, particulièrement intéressante s'agissant des classes moyennes. Le ministre a annoncé la présentation prochaine d'un projet de texte, très attendu tant par les avocats que par les représentants des consommateurs.

Le ministre a ensuite rappelé la forte progression des crédits destinés aux associations d'aides aux victimes depuis 2002, ainsi que l'augmentation de 38 % du nombre de victimes suivies (plus de 100.000 en 2005), avant de souligner l'augmentation de 13 % des crédits de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, consécutive à celle de 26 % en 2006.

a enfin présenté le troisième objectif -d'efficacité- de ce projet de loi.

Il a tout d'abord rappelé que 1.548 recrutements devaient intervenir, portant à 7.700 le nombre d'emplois créés au cours de la législature. Les juridictions seraient donc renforcées de 160 magistrats, 160 greffiers et 200 fonctionnaires de greffe, la protection judiciaire de la jeunesse et l'administration pénitentiaire respectivement de 270 et 703 agents.

Après avoir rappelé les importants travaux de construction et de réhabilitation menés de 2002 à 2006, le ministre a indiqué que 2007 serait marquée par la mise en service de nouveaux établissements pénitentiaires et de palais de justice. Il a précisé que serait respecté l'engagement de la loi d'orientation et de programmation pour la justice de créer 13.200 places réparties sur trente établissements pénitentiaires, afin de remédier à la surpopulation carcérale et à la vétusté de certains établissements, et il a déclaré que la France disposerait ainsi de 60.000 places aux normes européennes.

Le ministre a ensuite indiqué que l'effort immobilier en faveur des juridictions se poursuivrait grâce à un programme de construction-rénovation de 190 millions d'euros.

a estimé que ces efforts importants permettraient une meilleure exécution des décisions de justice, et s'est félicité de l'amélioration de 10 % du taux de réponse pénale intervenue depuis quatre ans, en indiquant que ce taux était désormais de 78 %, voire de 86 % s'agissant des mineurs. Il a également approuvé la diversification croissante de la réponse pénale, estimant qu'elle contribuait à en améliorer l'effectivité.

Le ministre a poursuivi en rappelant la création de 67 bureaux d'exécution des peines et en annonçant leur généralisation à tous les tribunaux de grande instance d'ici à la fin de l'année, avant leur extension aux tribunaux pour enfants.

Il a ensuite indiqué vouloir poursuivre la politique de sécurisation des établissements pénitentiaires engagée depuis 2002, en soulignant que la France disposait désormais de l'un des taux d'évasion les plus faibles d'Europe.

Le ministre a ajouté que 18 millions d'euros seraient consacrés à la sûreté des juridictions et qu'il serait fait appel, dans les juridictions les plus sensibles, à d'anciens surveillants de l'administration pénitentiaire, aux côtés des réservistes de la Police nationale, les expériences menées à Rouen, Aix-en-Provence ou Toulouse s'étant révélées concluantes.

a ensuite rappelé que la justice avait vocation à réinsérer les mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse et les détenus ayant purgé leur peine.

Il a précisé que les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse augmentaient de 8,6 %, les crédits du secteur associatif progressant pour leur part de 43 millions d'euros.

Rappelant son souhait d'éviter les « sorties sèches » de prison, il s'est félicité de l'augmentation de 27 % entre 2003 et 2007 des mesures d'aménagement de peine et a préconisé le développement du bracelet électronique fixe, en rappelant que malgré le scepticisme initial, l'objectif de 3.000 placements fin 2007 serait atteint. Il a ensuite estimé que l'expérimentation du bracelet électronique mobile permettrait au juge de concilier protection de la société, respect des victimes et réinsertion des condamnés, et qu'une quinzaine de placements interviendraient dans ce cadre d'ici à la fin de l'année, avant la publication d'un décret en janvier.

a enfin, après avoir souligné l'importance du débat sur la réforme de la justice en réponse à l'« affaire d'Outreau », rappelé les trois enjeux auxquels la justice est aujourd'hui confrontée : lutter contre les détentions provisoires injustifiées ; renforcer les droits de la défense et moderniser le régime de la responsabilité des magistrats. Il a souhaité que ces projets de loi, adoptés il y a peu par le conseil des ministres et déposés à l'Assemblée nationale, soient prochainement soumis au Sénat.

Après avoir cité les récents chantiers mis en oeuvre avec succès par le ministère de la justice -la création des bureaux d'exécution des peines, la rationalisation des frais de justice ou encore la sécurisation des palais de justice, M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis des crédits consacrés à la justice et à l'accès au droit, a constaté que les chefs de cour d'appel avaient pleinement assumé les nouvelles responsabilités en matière de gestion qui leur incombaient depuis l'entrée en vigueur de la LOLF. Il a néanmoins regretté que l'administration centrale ait pesé de tout son poids dans le cadre de l'exécution des budgets déconcentrés, ce qui avait donné lieu à une excessive bureaucratie et à une absence de marge d'autonomie dans la gestion des crédits « préalablement fléchés » par le ministère. A cet égard, il a souhaité savoir si le garde des sceaux envisageait à l'avenir d'assouplir les modalités de mise en oeuvre du nouveau cadre budgétaire.

Le rapporteur pour avis des crédits consacrés à la justice et à l'accès au droit s'est également interrogé sur la forte progression des crédits de formation au sein du programme justice judiciaire (en hausse de plus de 20 millions d'euros), se demandant à quel poste serait affectée cette rallonge budgétaire.

Il a par ailleurs demandé au garde des sceaux si des mesures seraient prises pour remédier à la situation particulière de certains magistrats issus de la voie de l'intégration directe, recrutés avant la mise en oeuvre de la réforme statutaire des magistrats en 2001, mais nommés après l'entrée en vigueur de cette réforme. Il a expliqué que ceux-ci n'avaient pu bénéficier des mesures de reclassement indiciaire auxquelles ils s'attendaient et s'étaient vu appliquer la nouvelle grille indiciaire du second grade des magistrats, moins favorable.

Il s'est interrogé sur la mise en oeuvre de la réforme de la justice de proximité, notamment sur le rythme et la qualité des recrutements, ainsi que sur l'application -inégale selon les juridictions- des dispositions relatives à leur participation aux formations collégiales en matière correctionnelle.

Enfin, M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis des crédits consacrés à la justice et à l'accès au droit, a constaté que les recrutements de personnels des greffes à l'Ecole nationale des greffes (ENG) prévus cette année ne permettraient pas de compenser les départs à la retraite. Il s'est demandé comment le ministère de la justice comptait faire face à l'accélération du rythme des départs à la retraite à compter de l'année prochaine. Il a insisté sur la nécessité d'anticiper ce mouvement le plus vite possible, afin de ne pas accroître le sentiment de déception déjà présent dans les greffes compte tenu de la charge de travail de plus en plus lourde à assumer et de la pénurie des moyens humains mis à leur disposition. Il a jugé indispensable de prendre rapidement des mesures pour motiver des personnels qui sont des auxiliaires indispensables d'une justice efficace et moderne.

En réponse, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a indiqué que :

- les difficultés apparues cette année dans le cadre de la mise en oeuvre de la LOLF s'expliquent par la phase d'apprentissage liée à la nouveauté des règles budgétaires et par l'insuffisance de l'enveloppe allouée aux juridictions, en raison de la modicité du budget de la justice ; l'administration centrale a effectivement décidé de la destination des crédits avant de les déléguer aux cours d'appel, compte tenu de la priorité accordée à certains chantiers (généralisation des bureaux d'exécution des peines, mise en place de la visio-conférence et sécurisation des juridictions) ; en raison de la limitation des moyens mis à leur disposition, les chefs de cour d'appel n'ont pu utiliser les marges de manoeuvre qu'offrait en théorie la fongibilité asymétrique des crédits mis à leur disposition. L'approfondissement des dialogues de gestion entre le ministère et les cours d'appel constitue le moyen de redonner aux chefs de cour leur autonomie, notamment s'agissant de la gestion des ressources humaines en matière de répartition des emplois dans les juridictions ;

- la progression des crédits alloués à la formation est destinée à financer le recrutement d'un plus grand nombre d'agents au sein des trois écoles de formation du ministère de la justice (Ecole nationale de la magistrature (ENM), Ecole nationale des greffes (ENG), Ecole nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP)) ; la dotation allouée à l'ENM augmente en outre d'un million d'euros pour favoriser l'ouverture des enseignements dispensés aux auditeurs de justice, conformément aux orientations arrêtées à la suite de l'affaire d'Outreau ;

- la situation des magistrats recrutés par la voie de l'intégration directe mérite d'être prise en compte, un décret permettant de les faire bénéficier d'un reclassement plus favorable étant actuellement soumis à l'avis du Conseil d'Etat, qui fait suite à une première version présentée en décembre dernier, qui avait reçu un avis défavorable du Conseil d'Etat ; cette revalorisation est nécessaire, la rémunération des magistrats issus de voies parallèles devant être suffisamment attractive pour assurer un recrutement de qualité ;

- la réforme de la justice de proximité, mal accueillie au départ par les juges professionnels est une bonne idée et fonctionne de manière satisfaisante, contrairement à certaines critiques ; les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil supérieur de la magistrature ont élevé les critères d'exigence pour recruter les candidats aux fonctions de juge de proximité ; ainsi, plusieurs candidats de grande qualité se sont vu refuser l'accès à cette fonction soit en raison d'un niveau universitaire trop bas, soit en raison de l'échec au stage probatoire ; la sélection est très sévère ;

- la participation des juges de proximité aux formations collégiales du tribunal correctionnel donne effectivement lieu à une inapplication disparate ; 80 % des effectifs de juge de proximité des tribunaux de grande instance de Bordeaux et de Douai sont impliqués dans le traitement des affaires correctionnelles ; a contrario, dans certains ressorts, cette disposition n'est pas mise en oeuvre ; l'application de ce dispositif dépend des chefs de juridiction ;

- compte tenu des départs massifs susceptibles d'intervenir à l'horizon 2008, il convient d'augmenter les capacités de recrutement de magistrats et de greffiers ; actuellement, le nombre de magistrats, grâce aux créations d'emplois effectuées dans le cadre du programme quinquennal, est suffisant. Le problème est plus aigu dans les greffes, les créations d'emplois programmées n'ayant pu être complètement réalisées. En 2005, l'allongement de la scolarité à l'ENG a amplifié le sentiment de pénurie dans les greffes, dans la mesure où les élèves fonctionnaires, en cours de scolarité, n'ont pu être affectés en juridiction. Toutefois, ce problème ponctuel devrait être résolu en 2007, compte tenu de l'arrivée prochaine dans les juridictions de nombreux greffiers et greffiers en chef, ayant achevé leur formation. L'équilibre atteint au niveau des effectifs pourrait toutefois être mis à mal si les départs en retraite n'étaient pas compensés par des recrutements correspondants, ce qui implique d'accélérer le rythme actuel des recrutements ; à cet égard, le soutien du Parlement est essentiel pour sensibiliser le ministère de l'économie et des finances à la nécessité de financer des recrutements de magistrats et de fonctionnaires des greffes en plus grand nombre ; à défaut d'anticipation, une rechute des effectifs est à craindre.

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