Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 24 février 2006 à 15h15
Égalité des chances — Article 1er

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour notre part, si nous ne mythifions pas l'apprentissage, nous ne le décrions pas non plus.

Aujourd'hui, 350 000 jeunes sont concernés par l'apprentissage. Cela réussit à un certain nombre d'entre eux, mais pas à d'autres. Il est inutile d'idéaliser cette voie d'acquisition du savoir professionnel.

Nous devons appréhender l'apprentissage, comme d'ailleurs toutes les autres voies de formation et d'enseignement, comme une possibilité, rien d'autre. Il n'est rien de pire qu'une orientation irréversible.

N'occultons pas certaines réalités. Je relèverai d'abord celle-ci : 25 % des contrats d'apprentissage sont rompus avant leur terme. Citons une autre réalité : le taux de réussite d'un jeune en apprentissage à l'examen du CAP est de deux points inférieur à celui d'un élève scolarisé en établissement d'enseignement professionnel. La différence s'élève même à dix points lorsqu'il s'agit du BTS.

Nous ne devons donc pas porter l'apprentissage aux nues. Il faut au contraire nous interroger sur ses carences.

À cet égard, il faut observer les mutations récentes des pratiques d'apprentissage. De même que le modèle scolaire a évolué vers un enseignement en alternance de plus en plus affirmé, dont il serait d'ailleurs utile de dresser le bilan, l'apprentissage a en quelque sorte progressivement « scolarisé » une part croissante du parcours proposé aux jeunes.

Cela résulte non pas de vues idéologiques, mais des transformations récentes du contenu des métiers, où le niveau d'exigence culturelle est de plus en plus élevé.

Aussi, la vocation traditionnelle de l'apprentissage, reproduire le geste professionnel, ne s'applique donc en définitive qu'à un nombre relativement restreint de métiers.

Aujourd'hui, le geste professionnel ne peut en effet se passer de certaines exigences quant aux connaissances abstraites. Cela exige des séquences d'enseignement général, avec une pédagogie adaptée.

Les machines sont de plus en plus complexes et, par conséquent, les savoirs préalables à leur usage et à leur évolution le sont également.

C'est pourquoi nous devons adopter à propos de l'acquisition de ces savoirs une démarche réaliste, fondée sur des faits concrets.

Quand on sort de l'apprentissage et que l'on entre dans la vie professionnelle, on doit être armé pour faire face aux évolutions de la profession que l'on a choisie. Jusqu'à présent, l'apprentissage le permettait, et c'était d'ailleurs une de ses forces.

En instituant l'apprentissage à quatorze ans ou quinze ans, vous commettez plusieurs erreurs.

Vous butez tout d'abord, que vous l'admettiez ou non, sur une réalité : permettre l'apprentissage dès l'âge de quatorze ans, c'est abaisser du même coup la limite de l'obligation scolaire. L'apprentissage relève en effet non pas du statut scolaire, mais du code du travail. Les jeunes changent alors de condition. Avec la baisse de l'âge minimal d'entrée en apprentissage que vous prônez, il n'y aura bientôt plus guère que la Pologne et la Belgique francophone à pouvoir rivaliser avec nous !

Votre dispositif est contre-productif. Tous les pays tentent d'allonger le temps de scolarisation des jeunes, et non de le raccourcir !

Alors qu'il s'agit de très jeunes adolescents de quatorze ans à peine, vous affirmez que ceux-ci pourront - et c'est nouveau - choisir au fur et à mesure entre l'apprentissage et le collège. En fait, les jeunes que vous visez seront davantage précarisés. La possibilité de réfléchir, de décider ou de faire un tel choix librement et sereinement n'est pas offerte à tout le monde. Ce n'est pas aussi simple. Cela demande de la réflexion, de la préparation, ainsi qu'une certaine maturité. Je vous demande d'y réfléchir.

On considère en effet souvent, dans cette assemblée comme ailleurs, l'apprentissage comme un recours destiné aux jeunes qui seraient les « moins bien dans leur peau » - combien de fois avons-nous entendu cette phrase ? - dans l'enseignement général.

Mais l'apprentissage ne peut pas accueillir les éléments les plus instables de l'enseignement général. Devenir apprenti suppose d'être courageux et très travailleur. Il faut en outre témoigner d'une certaine stabilité sociale, intellectuelle et - j'y insiste - affective. Il est en effet très difficile d'être apprenti, surtout à quatorze ans. Les métiers auxquels cette filière destine sont exigeants, en raison tant des horaires de travail que de la difficulté des tâches à accomplir ou de la complexité des machines à utiliser. De même, l'intégration dans le monde professionnel n'est pas toujours facile ; elle est même parfois très rude et délicate. On entre en effet dans le monde des adultes d'un seul coup.

Cessons par conséquent de considérer l'apprentissage comme une espèce - l'expression est certes un peu provocatrice, mais elle n'est pas méchante - de « maison de correction améliorée » pour les banlieues. (

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