Ce constat appelle évidemment des réponses. C'est tout l'objectif du rendez-vous 2010 qui doit être l'occasion d'agir de manière déterminée pour rétablir l'équilibre financier du système. La situation actuelle justifie d'utiliser tous les leviers disponibles car aucun n'est à lui seul capable de rétablir les comptes de l'assurance vieillesse, ce que les travaux du Cor ont démontré.
Trois paramètres sont mobilisables : le taux de remplacement et le niveau des pensions, l'âge effectif de départ en retraite, le niveau des recettes du système.
En ce qui concerne le taux de remplacement et le niveau des pensions, si la grande réussite du système de retraite français a été d'assurer aux retraités un niveau de vie proche de celui des actifs, la Mecss n'a pas jugé envisageable de diminuer le montant des pensions. Cela constituerait une régression évidente, d'autant que le niveau relatif des pensions dans le secteur privé, indexé sur les prix, est déjà en diminution.
En revanche, il est souhaitable de réexaminer les règles fiscales dérogatoires dont bénéficient aujourd'hui les retraités.
Deuxième paramètre, l'âge effectif de départ en retraite qui, à l'évidence, est essentiel pour le redressement financier du système de retraite. L'âge de cessation d'activité est, en France, particulièrement bas : 58,3 ans pour le régime général. L'âge de liquidation des droits à la retraite s'établit, pour sa part, autour de soixante et un ans et demi, ce qui montre qu'un grand nombre de salariés n'est plus en activité au moment de la liquidation de la retraite. Compte tenu de la progression continue de l'espérance de vie, il est absolument nécessaire de prolonger la durée d'activité. Deux moyens permettent d'y parvenir :
- augmenter la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein ;
- relever les âges légaux d'ouverture des droits et d'obtention d'une pension à taux plein.
En ce qui concerne la durée de cotisation, la loi de 2003 a posé le principe d'un maintien, au fil du temps, du rapport entre durée de cotisation et durée moyenne de retraite qui est, en gros, l'espérance de vie à soixante ans. En conséquence, la durée de cotisation pour une retraite à taux plein sera de quarante et un ans en 2012. Au-delà, l'évolution prévisible de ce rapport entraînera l'évolution des durées d'assurance requises, qui seront alors fixées par décret.
Selon le Cor, cela pourrait impliquer un passage à quarante et un ans et demi de cotisations en 2020, puis à quarante-deux ans un quart en 2030 et à quarante-trois ans et demi en 2050.
La Mecss a estimé que la méthode posée par la loi de 2003 est pertinente et doit être conservée. La future loi pourrait retenir le principe d'un passage de quarante et un à quarante et un ans et demi de cotisations entre 2012 et 2020.
En matière d'âge légal de départ, la France figure parmi les rares pays qui ont conservé l'âge de la retraite à soixante ans malgré l'allongement de l'espérance de vie. Il est donc légitime de poser la question du relèvement de cet âge minimal.
Mais cette piste se heurte aussitôt au taux d'emploi des seniors, qui reste en France l'un des plus bas des pays développés et qui peut laisser craindre que le report de l'âge légal ne fasse qu'accroître le nombre de chômeurs âgés. Toutefois, les auditions ont montré que l'âge de soixante ans fait lui-même obstacle à l'emploi des seniors, dans la mesure où la proximité de l'âge de la retraite n'encourage pas leur embauche ou leur maintien dans l'emploi.
Aussi, l'âge minimal de départ pourrait faire partie des leviers à activer en 2010, à deux conditions : d'une part, engager une politique très active en faveur de l'emploi des seniors, d'autre part, prendre en compte la pénibilité de certains métiers pour ne pas pénaliser les travailleurs dont elle a réduit l'espérance de vie.
Ceci étant, le relèvement de l'âge effectif de départ en retraite ne sera pas suffisant. Les mesures relatives à l'âge et à la durée de cotisations ne permettraient de couvrir, au mieux, que 50 % des besoins de financement de la seule Cnav à l'horizon 2030. En outre, ces mesures d'âge ont des effets progressifs et laissent entière la question des déficits actuels.
Il est donc indispensable de rechercher de nouvelles recettes sauf à accepter l'accumulation des déficits et la constitution d'une dette sociale considérable, dont la charge reposera sur les générations futures.
Quatrième paramètre, les ressources du système. Ici encore, la mobilisation d'une seule catégorie de ressources ne pourra pas suffire : il ne s'agit pas de trouver quelques dizaines ou centaines de millions d'euros, mais bien plusieurs milliards.
Trois voies sont possibles :
- l'augmentation des cotisations, qui sont la ressource principale des régimes de retraite ;
- l'élargissement de l'assiette des prélèvements ;
- la mobilisation de ressources nouvelles.
En ce qui concerne les cotisations, la loi Fillon prévoyait un redéploiement des cotisations chômage au bénéfice des cotisations vieillesse. Ce transfert n'a pas été possible pour l'instant, mais il ne doit pas pour autant être abandonné et devra être réalisé dès que la situation de l'emploi le permettra. En revanche, augmenter les cotisations ne nous a pas semblé pertinent dans la mesure où elles affectent le coût du travail et la compétitivité des entreprises.
Deuxième levier possible : l'élargissement de l'assiette des cotisations. Celle-ci est aujourd'hui très concentrée sur les revenus du travail, et plus particulièrement sur la partie salariale de ces revenus. Il existe, de plus, de nombreux mécanismes d'exonération, d'exemption ou de réduction, dont le bien-fondé mériterait d'être examiné. Sur ce sujet, la Mecss préconise une annualisation du calcul des exonérations de cotisations, dont on peut attendre 2 milliards d'économies par an.
Naturellement, la recherche de recettes complémentaires passe aussi par la poursuite du réexamen de l'ensemble des niches sociales.
Quelques pistes sont avancées :
- un élargissement de l'assiette du forfait social ;
- un relèvement du taux de ce forfait, dont le montant reste faible ;
- un relèvement du taux spécifique applicable aux attributions de stock-options et d'actions gratuites ;
- une remise à plat de la taxation des indemnités de rupture ;
- la taxation des retraites chapeau.
Enfin, le rééquilibrage du système des retraites doit sans doute passer par la mobilisation de ressources nouvelles. Une première possibilité consisterait à réexaminer les avantages fiscaux spécifiques aux retraités qui bénéficient notamment d'un taux réduit de CSG sur les pensions. La CSG des retraités imposables pourrait être alignée sur celle des actifs, ce qui permettrait d'épargner les petites retraites et rapporterait environ 2 milliards d'euros. Une telle convergence s'inscrirait dans la logique de la CSG qui est censée être un prélèvement universel.
Autre hypothèse : instaurer un prélèvement spécifique sur les revenus du capital, qui s'ajouterait aux prélèvements existants. Relever d'un point le taux global de ces prélèvements rapporterait un peu plus de 1,1 milliard d'euros. Il serait également possible de créer une contribution additionnelle à l'impôt sur le revenu pour les contribuables ayant un revenu particulièrement élevé.
D'autres pistes, plus radicales, ont été évoquées : le remplacement des cotisations sociales actuelles par une autre assiette, qui pourrait être la cotisation sur la valeur ajoutée, la TVA ou la CSG :
- la plus réaliste consisterait probablement à envisager un transfert de cotisations d'assurance maladie vers les régimes de retraite, en gageant ce transfert par une légère augmentation de la CSG au profit de la branche maladie ;
- asseoir les cotisations sociales non plus sur la masse salariale mais sur la valeur ajoutée semble d'un effet particulièrement incertain et pourrait avoir pour conséquence de pénaliser l'investissement ;
- quant à la TVA sociale, elle aurait l'avantage d'avoir un rendement élevé et d'être relativement indolore, mais elle suscite depuis l'origine certaines réserves de la commission des affaires sociales, notamment parce qu'elle présente un risque inflationniste, que les expériences étrangères ne sont pas entièrement probantes et que les risques de fraude sont réels.
En ce qui concerne les autres leviers financiers, le fonds de réserve des retraites, qui dispose actuellement de 33 milliards d'euros, doit être sanctuarisé pour réserver son utilisation à partir de 2020. Quant au fonds de solidarité vieillesse, il est souhaitable qu'il assume le plus possible l'ensemble des avantages non contributifs du système de retraite et bénéficie à cette fin de ressources pérennes.
Enfin, l'épargne retraite ne sera jamais qu'un complément à la retraite par répartition. L'objectif dans ce domaine ne doit pas être de créer de nouveaux produits mais d'assouplir le fonctionnement des contrats existants pour les rendre plus attractifs en visant spécifiquement les jeunes qui doivent être incités à épargner tôt, les salariés des petites et très petites entreprises qui n'ont pas accès à une épargne retraite collective et les personnes aux revenus très modestes. A cet égard, la Mecss se rendra prochainement en Allemagne pour tirer les leçons de la réforme conduite par le ministre Riester en la matière.
Ces actions paramétriques ne seront toutefois efficaces que si politique de l'emploi et retraites sont des sujets traités conjointement.
Ainsi, le rendez-vous 2010 devra aussi prendre en compte la pénibilité du travail, dont les effets sur l'espérance de vie sont clairement établis. Certes, la problématique de la pénibilité relève moins des retraites que des conditions de travail. Mais, à court terme au moins, il est souhaitable qu'elle soit prise en compte dans le volet « retraites », afin d'apporter une réponse aux personnes qui y sont déjà exposées. Sur ce sujet, la proposition de Serge Volkoff, combinant une approche à la fois individuelle et collective, semble pertinente. Un système à trois niveaux pourrait être proposé :
- le premier identifierait les travailleurs qui ne subissent pas la pénibilité ;
- le troisième déterminerait les métiers intrinsèquement pénibles ;
- le niveau intermédiaire conduirait une commission départementale à étudier les dossiers individuels pour identifier ceux qui justifient des mesures particulières de prise en charge.
Au-delà de la pénibilité, une réflexion globale mérite d'être menée sur le rapport au travail dans notre société. Le travail est aujourd'hui trop souvent ressenti comme une source de souffrance, d'où l'aspiration à partir le plus tôt possible à la retraite. Les conclusions de la mission d'information sur le mal-être au travail auront donc une grande importance.
En ce qui concerne l'emploi des seniors, il est évident qu'une politique très active doit être poursuivie si l'on veut éviter que le report de l'âge légal de départ en retraite se traduise par une augmentation du chômage. Pour cela, il faudra mettre fin aux préretraites déguisées, examiner de très près le dispositif de rupture conventionnelle, qui connaît un grand succès et qui risque de devenir une nouvelle voie de sortie du marché du travail pour les seniors. Il faudra surtout promouvoir une meilleure gestion des ressources humaines en fin de vie active. Cela implique de développer les bilans de compétences au cours de la carrière, de promouvoir la validation des acquis de l'expérience, de favoriser la formation des seniors, d'aménager les tâches, les postes et les horaires en fin de vie active.
De nombreuses mesures en ce sens ont déjà été prises et un grand nombre d'accords de branches conclus sur ce sujet. Il faudra néanmoins poursuivre et intensifier cet effort.
Telles sont les pistes que la Mecss propose pour faciliter le rétablissement des comptes du système de retraite.
Au-delà des mesures à effet immédiat, elle a aussi souhaité tracer des perspectives à plus long terme afin de restaurer un pacte intergénérationnel gravement menacé.