Intervention de Colette Mélot

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 20 octobre 2010 : 1ère réunion
Prix du livre numérique — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Colette MélotColette Mélot, rapporteur :

Cette importante proposition de loi déposée par Mme Catherine Dumas et notre président, M. Jacques Legendre, relative au prix du livre numérique, traite, je le précise d'emblée, du format numérique du livre, non de la vente de livres « papier » par voie électronique le « e-commerce ».

Avec l'émergence du livre numérique, le monde du livre connaît sa plus importante révolution technologique depuis Gutenberg. Elle est plus tardive et moins brutale que celle qui a affecté la musique, par exemple. Néanmoins la mutation est en cours et devrait s'accélérer car les tablettes de lecture se multiplient, les offres et les usages évoluent.

Le marché du livre numérique est encore embryonnaire dans notre pays, où il ne représente qu'1 à 2 % du chiffre d'affaires des éditeurs et concerne essentiellement les ouvrages scientifiques et la bande dessinée. Mais l'exemple américain montre que l'évolution peut être rapide : le livre numérique y représente déjà 10 % du marché du livre. Cette situation a surtout profité aux nouveaux acteurs, d'autant plus qu'Amazon s'est trouvée, dans un premier temps, en situation monopolistique, avant l'entrée sur le marché d'Apple et de Google. Vous savez les réactions des éditeurs américains et avez entendu parler des nombreuses fermetures de librairies...

Le rapport de Bruno Patino, en juin 2008, anticipait le développement de ce nouveau bien culturel et tentait d'en cerner les conséquences. Lui ont succédé, le rapport du député M. Hervé Gaymard, le rapport de MM. Zelnik, Toubon et Cerutti, le rapport de M. Marc Tessier, celui de Mme Christine Albanel, sans oublier celui de notre collègue M. Yann Gaillard, au nom de la commission des finances, dont la position diverge, cependant, sur le sujet qui nous intéresse.

Quoiqu'il en soit, un large consensus se dégage sur deux points : la propriété intellectuelle doit demeurer la clé de voûte de l'édition ; les éditeurs doivent conserver un rôle central dans la détermination des prix. Tel est bien le souci qui préside à la proposition de loi. À ces objectifs s'ajoute celui, essentiel, du maintien du maillage culturel de notre territoire, auquel contribuent les librairies. Ces objectifs ont été jusqu'ici atteints, en grande partie grâce à la loi du 10 août 1981 sur le prix du livre, dite loi Lang. Plusieurs rapports - et notamment celui de M. Hervé Gaymard en 2009 - ont montré ses effets positifs. Depuis trente ans, le réseau des librairies s'est maintenu tout en se modernisant. On compte 25 000 points de vente, dont 2 000 à 2 500 exercent la vente de livres à titre principal ou significatif et rendent des services de qualité à la fois aux lecteurs et aux éditeurs. L'offre éditoriale est très riche. Environ 600 000 titres sont disponibles et près de 60 000 paraissent chaque année. La loi n'a pas eu d'effet inflationniste, le prix du livre suit depuis de nombreuses années l'évolution de l'indice général des prix à la consommation. La concentration de l'édition et des circuits de diffusion du livre n'empêche pas la très grande vitalité du secteur.

Comment la proposition de loi prévoit-elle d'atteindre le même type d'objectifs dans l'univers numérique ? La tâche du législateur est aujourd'hui compliquée. Il doit, lui aussi, s'adapter à l'univers numérique !

Si la proposition s'inspire des grands principes de la loi de 1981, elle ne pouvait bien sûr en être une simple transposition... L'article premier définit le livre numérique. La loi s'appliquera aux « oeuvres de l'esprit » répondant à un principe de réversibilité, autrement dit à celles qui sont imprimées ou imprimables sans perte significative d'information. Un décret définira les « éléments accessoires » propres à l'édition numérique, afin de préciser le champ d'application.

Les nouvelles technologies favoriseront une création foisonnante de biens hybrides ; la loi n'a pas vocation à s'appliquer aux produits multimédia. Je rappelle que la législation française sur le livre est liée aux caractéristiques propres à ce bien culturel. Mais une interprétation trop stricte des dispositions pourrait inciter à leur contournement ou, à l'inverse, freiner l'innovation. C'est pourquoi la définition du livre numérique doit être suffisamment souple pour englober, par exemple, un livre numérique assorti d'une courte interview de son auteur.

L'article 2 est au coeur du dispositif puisqu'il pose l'obligation pour l'éditeur de fixer un prix de vente pour chaque offre commerciale concernant un livre numérique. Trois critères autorisent une différence de prix. Le contenu de l'offre, d'abord : un livre n'aura pas le même prix selon qu'il est proposé seul ou avec d'autres. Les modalités d'accès à l'offre, ensuite : le prix peut varier suivant que le livre est consultable en ligne ou téléchargé sur le disque dur. Les modalités d'usage de l'offre, enfin : le prix peut différer selon l'usage autorisé, notamment le nombre de copies privées que l'utilisateur a le droit de réaliser.

Seraient exclus certains types d'offres, car les éditeurs scientifiques et techniques, qui proposent de longue date des produits spécifiques à un public professionnel, sont à la fois éditeurs et détaillants et les prix publics font l'objet de négociations commerciales.

Cette dérogation s'applique si l'offre est composite ou si elle concerne une licence d'accès aux bases de données. Les offres composites réunissent, par exemple, des livres numériques, des publications périodiques et semi-périodiques et des bases de données. Autre critère d'application de la dérogation, l'usage doit être collectif ou professionnel. Je me suis longuement interrogée car cette disposition pourrait donner lieu à une interprétation très large. À défaut de consensus interprofessionnel sur une autre rédaction, je vous proposerai de renvoyer à un décret la définition des conditions de mise en oeuvre - mais le temps de la navette parlementaire fera peut-être son office ?

L'article 3 pose l'obligation pour tous les vendeurs de livres numériques de respecter le prix fixé par l'éditeur, quel que soit le canal de vente. Cet article encadre aussi les offres groupées de livres numériques, en instaurant une forme de chronologie afin d'étaler dans le temps les ventes à l'unité et les offres groupées. Je vous proposerai de supprimer cette disposition qui risque, en définitive, de gêner les professionnels. La souplesse semble préférable.

Les articles 2 et 3 précisent bien que le texte s'appliquera aux éditeurs et détaillants établis en France. Je me suis aussi beaucoup interrogée sur cette limitation, mais elle s'impose, dans le respect de la directive services et de la directive sur le commerce électronique. Nous optons donc pour la sécurité juridique, sachant que la proposition de loi est soumise à l'avis de la Commission européenne.

Quant aux relations entre éditeurs et opérateurs établis hors de France, elles sont régies par le contrat d'agence qui, lui aussi, confie à l'éditeur le soin de fixer le prix du livre. Afin d'assurer la cohérence de la politique éditoriale et tarifaire, l'éditeur doit avoir le contrôle de la vente à primes, laquelle consiste à jouer sur le prix de vente au consommateur final sans remettre en cause le prix affiché du livre. Tel est l'objet de l'article 4.

L'article 5 oblige l'éditeur de livres numériques, à l'instar de l'éditeur de livres papier, à rémunérer la qualité de services des détaillants. Cette obligation constitue le corollaire naturel de la restriction de la liberté commerciale des détaillants du fait de la fixation du prix par l'éditeur.

L'article 6, reprenant le procédé de la loi de 1981, renvoie à un décret en Conseil d'État la détermination des peines d'amendes contraventionnelles applicables en cas de non respect de ce texte.

L'article 7 instaure une clause de rendez-vous indispensable. Compte tenu des évolutions très rapides du marché du livre numérique, je vous proposerai qu'elle soit annuelle.

L'article 8 rend les dispositions de la présente proposition de loi applicables à l'outre-mer.

Pour conclure, si l'Autorité de la concurrence a estimé, dans son avis du 18 décembre 2009, qu'une période d'observation d'un an ou deux pourrait être respectée « durant laquelle aucun dispositif spécifique ne serait défini pour le livre numérique », je soutiens l'initiative de nos collègues : anticiper les mutations du marché du livre pour les encadrer, non les empêcher. Parallèlement, encourager libraires et éditeurs à développer une offre légale attractive et accessible, dans le respect des droits des auteurs, afin de répondre aux nouvelles attentes des lecteurs est une priorité absolue, observé-je dans mon rapport écrit. Pour un développement harmonieux et équitable du secteur du livre numérique, il faudra également, dans les meilleurs délais, aligner le taux applicable au livre numérique sur le taux réduit du livre papier, objet d'un amendement au projet de loi de finances pour 2011 du député Gaymard, et favoriser, par la loi, la numérisation des oeuvres, notamment orphelines et épuisées.

Ce sujet, complexe, du livre numérique méritait une longue présentation. Les nombreuses auditions, que nous avons organisées, montrent que les acteurs de la filière, s'ils ne sont pas parvenus à un consensus, reconnaissent tous la nécessité d'une loi souple pour encadrer ce nouveau secteur.

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