La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a défini pour la première fois le sens de la peine privative de liberté. Or il existe au sein des prisons françaises une proportion importante de personnes atteintes de troubles mentaux tels que la peine ne peut revêtir pour elles aucun sens. En tout état de cause, le quantum des peines prononcées ne correspond pas à l'évolution d'une pathologie. Ainsi, la situation actuelle ne répond ni aux exigences de la sécurité, ni à l'éthique médicale, ni aux valeurs démocratiques. Les questions soulevées rejoignent le débat plus large sur la dangerosité des personnes atteintes de troubles mentaux, les conditions de leur prise en charge et les relations entre la justice et la santé, qui ont fait dans la période récente l'objet de plusieurs rapports successifs.
La loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002 a institué les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) qui sont au coeur de notre réflexion : on peut les considérer comme un progrès dans la prise en charge médicale des personnes détenues souffrant de troubles mentaux mais aussi comme un risque de fermeture du cercle vicieux qui, en réservant des structures psychiatriques aux personnes condamnées, pourrait encourager à condamner et incarcérer un nombre croissant de personnes atteintes de troubles mentaux.
Il nous a paru indispensable de porter un regard croisé de la commission des lois et de la commission des affaires sociales sur ces questions. En préambule de la présentation du rapport, plusieurs distinctions doivent être opérées. D'abord, la dangerosité ne se confond pas avec la maladie mentale. Au contraire, le trouble mental expose celui qui en souffre à être victime de violences dans une proportion dix-sept fois supérieure à la moyenne. Ensuite, la dangerosité psychiatrique, entendue comme la « manifestation symptomatique liée à l'expression directe de la maladie mentale », demeure un phénomène très spécifique qu'il convient de distinguer de la dangerosité criminologique. La maladie mentale elle-même est très diverse. Il va de soi que la psychose caractérisée à un moment ou à un autre de son évolution par une activité délirante peut présenter une dangerosité que ne comporte pas la névrose. Enfin, la maladie mentale doit être distinguée des troubles de la personnalité communément appelés psychopathies qui suscitent des réponses largement expérimentales d'un pays à l'autre, contrairement aux troubles mentaux pour lesquels existent des traitements codifiés reconnus à l'échelle internationale. Le groupe de travail a souhaité centrer sa réflexion sur les personnes souffrant de troubles mentaux qui seuls paraissent relever de l'article 122-1 du code pénal.
Le principe d'irresponsabilité pénale est ancré dans l'histoire du droit. L'article 64 du code pénal de 1810 prévoit ainsi qu' « il y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au moment de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister ». Soit le criminel est conscient de ses actes et il est alors déclaré coupable et responsable et doit être puni en conséquence. Soit son état de démence est reconnu : il ne peut être jugé et doit être remis à l'autorité administrative qui décide de son placement d'office dans un établissement pour aliénés. La loi du 30 juin 1838 a confirmé la compétence de l'autorité administrative et posé le principe du placement des malades mentaux dans des établissements spécialisés bientôt appelés asiles. Toutefois la distinction excessivement rigide introduite entre le criminel d'un côté et le malade de l'autre a fait l'objet de critiques et la « circulaire Chaumié » de 1905 pose le principe de l'atténuation de la peine pour les personnes responsables de leurs actes tout en présentant un trouble mental selon le principe « demi-fou, demi-peine ».
Au terme du nouveau code pénal de 1993, l'article 122-1 dispose dans son premier alinéa que « n'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » et, dans son deuxième alinéa, que « la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime ». Par ailleurs, la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et la déclaration d'irresponsabilité pénale a profondément modifié les modalités de constatation et de déclaration de l'irresponsabilité pénale. En effet, désormais le juge d'instruction doit rendre une « ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » et non plus une ordonnance de non-lieu. Toutefois, si les parties ou le parquet le demandent, le juge d'instruction est tenu de transmettre le dossier à la chambre d'instruction sans pouvoir clôturer sa procédure par une ordonnance d'irresponsabilité pénale. Dans ce cas, la chambre de l'instruction procède à une audience publique et contradictoire et rend, le cas échéant, un arrêt d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. En outre, la chambre de l'instruction, le tribunal correctionnel et la cour d'assises disposent désormais de la possibilité d'ordonner eux-mêmes l'hospitalisation d'office. Enfin, la loi du 25 février 2008 a reconnu à ces juridictions la possibilité de prononcer à l'encontre de la personne reconnue irresponsable une ou plusieurs mesures de sûreté.
Le groupe de travail a souhaité clarifier les données statistiques sur le nombre de personnes atteintes de troubles mentaux en prison. Selon les estimations souvent reprises par les pouvoirs publics, il y aurait 25 % de personnes atteintes de troubles mentaux en prison. Si une part importante de la population pénale présente une vulnérabilité justifiant des soins et un suivi psychiatrique, seule une minorité souffre des troubles mentaux les plus graves -schizophrénie ou autres formes de psychose. Cette proportion n'est toutefois pas négligeable. Le groupe de travail l'estime, à la lumière des enquêtes épidémiologiques et des constats plus empiriques livrés par les responsables des SMPR auditionnés par les rapporteurs, à 10 % de l'ensemble des détenus. Donc, pour plus de six mille détenus, la peine n'a pas de sens.
Nous nous sommes interrogés sur les causes de ce phénomène. Nous avions pensé, d'abord, que la distinction introduite par l'article 122-1 du code pénal entre l'abolition et l'altération du discernement avait pu favoriser un phénomène de responsabilisation. S'il est vrai que le nombre de non-lieux fondés sur le trouble mental s'est contracté entre 1989 et 2006, cette évolution doit être relativisée au regard de la baisse globale du nombre de non-lieux en raison du champ toujours plus réduit des affaires confiées au juge d'instruction. En revanche, le deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal ne prévoit pas expressément que l'altération du discernement constitue une cause légale de diminution de la peine -et de ce fait le président de la cour d'assises ne peut pas poser une question spécifique sur l'application de ces dispositions. En pratique, la détection d'un trouble mental chez l'accusé, comme l'ont confirmé des présidents de cours d'assises au groupe de travail, suscite l'inquiétude du jury et conduit à l'aggravation des peines, la prison étant considérée comme le lieu le plus sûr pour se prémunir de la dangerosité des personnes atteintes de troubles mentaux. Ainsi que le relevait le rapport de la commission « Santé-Justice » en 2005, « ce n'est pas le moindre des paradoxes que de constater que les individus dont le discernement a été diminué puissent être plus sévèrement sanctionnés que ceux dont on considère qu'ils étaient pleinement conscients de la portée de leurs actes ».
Le mouvement de désinstitutionalisation de la psychiatrie n'a pas été sans conséquence sur l'évolution du nombre de personnes atteintes de troubles mentaux en prison. Dans la période 1985-2005, la capacité d'hospitalisation en psychiatrie générale est passée de 129 500 à 89 800 lits et places. Il semble que certains experts renoncent à conclure à l'irresponsabilité d'auteurs d'infractions afin d'éviter de mobiliser un lit d'hospitalisation dans un contexte de pénurie. Par ailleurs, l'organisation actuelle de la psychiatrie, comme l'a souligné le rapport établi par notre collègue Alain Milon au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (Opeps), a mis en évidence l'apparition de véritables zones blanches sur le territoire national sans accès au secteur psychiatrique. Ainsi un certain nombre de personnes arrivent en prison sans avoir été en mesure de bénéficier d'une continuité de soins qui aurait évité le passage à l'acte.
Il importe également de souligner le rôle de l'expertise. En pratique, l'expertise est systématique en matière criminelle et ordonnée selon la nature du délit en matière correctionnelle. Deux phénomènes ont pu conduire à la condamnation de personnes atteintes de troubles mentaux sans expertise psychiatrique préalable : la correctionnalisation des affaires et le développement des procédures rapides de jugement. A cela s'ajoute les difficultés liées au déroulement de l'expertise : le temps consacré à l'expertise pour les crimes et les délits s'établirait respectivement, en moyenne, à une heure et un quart d'heure. L'expert manque parfois d'éléments tels que le dossier médical pour établir son diagnostic. Sous couvert du secret médical, l'équipe de soin en milieu pénitentiaire donne peu d'éléments cliniques à l'expert. Enfin, l'expert se prononce parfois plus en fonction d'a priori théoriques (la reconnaissance de la responsabilité permettrait de placer le malade face à la réalité de ses actes et constituerait ainsi le premier jalon d'une thérapie) que de l'observation clinique.