Il s'agit d'une réunion importante sur un sujet difficile, auquel nos deux commissions s'intéressent depuis longtemps. En effet, la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux incarcérées n'a pas encore reçu de réponse satisfaisante dans notre pays. Le groupe de travail a procédé à de nombreuses auditions et visites afin d'avancer des propositions utiles pour remédier à une situation préoccupante.
La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a défini pour la première fois le sens de la peine privative de liberté. Or il existe au sein des prisons françaises une proportion importante de personnes atteintes de troubles mentaux tels que la peine ne peut revêtir pour elles aucun sens. En tout état de cause, le quantum des peines prononcées ne correspond pas à l'évolution d'une pathologie. Ainsi, la situation actuelle ne répond ni aux exigences de la sécurité, ni à l'éthique médicale, ni aux valeurs démocratiques. Les questions soulevées rejoignent le débat plus large sur la dangerosité des personnes atteintes de troubles mentaux, les conditions de leur prise en charge et les relations entre la justice et la santé, qui ont fait dans la période récente l'objet de plusieurs rapports successifs.
La loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002 a institué les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) qui sont au coeur de notre réflexion : on peut les considérer comme un progrès dans la prise en charge médicale des personnes détenues souffrant de troubles mentaux mais aussi comme un risque de fermeture du cercle vicieux qui, en réservant des structures psychiatriques aux personnes condamnées, pourrait encourager à condamner et incarcérer un nombre croissant de personnes atteintes de troubles mentaux.
Il nous a paru indispensable de porter un regard croisé de la commission des lois et de la commission des affaires sociales sur ces questions. En préambule de la présentation du rapport, plusieurs distinctions doivent être opérées. D'abord, la dangerosité ne se confond pas avec la maladie mentale. Au contraire, le trouble mental expose celui qui en souffre à être victime de violences dans une proportion dix-sept fois supérieure à la moyenne. Ensuite, la dangerosité psychiatrique, entendue comme la « manifestation symptomatique liée à l'expression directe de la maladie mentale », demeure un phénomène très spécifique qu'il convient de distinguer de la dangerosité criminologique. La maladie mentale elle-même est très diverse. Il va de soi que la psychose caractérisée à un moment ou à un autre de son évolution par une activité délirante peut présenter une dangerosité que ne comporte pas la névrose. Enfin, la maladie mentale doit être distinguée des troubles de la personnalité communément appelés psychopathies qui suscitent des réponses largement expérimentales d'un pays à l'autre, contrairement aux troubles mentaux pour lesquels existent des traitements codifiés reconnus à l'échelle internationale. Le groupe de travail a souhaité centrer sa réflexion sur les personnes souffrant de troubles mentaux qui seuls paraissent relever de l'article 122-1 du code pénal.
Le principe d'irresponsabilité pénale est ancré dans l'histoire du droit. L'article 64 du code pénal de 1810 prévoit ainsi qu' « il y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au moment de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister ». Soit le criminel est conscient de ses actes et il est alors déclaré coupable et responsable et doit être puni en conséquence. Soit son état de démence est reconnu : il ne peut être jugé et doit être remis à l'autorité administrative qui décide de son placement d'office dans un établissement pour aliénés. La loi du 30 juin 1838 a confirmé la compétence de l'autorité administrative et posé le principe du placement des malades mentaux dans des établissements spécialisés bientôt appelés asiles. Toutefois la distinction excessivement rigide introduite entre le criminel d'un côté et le malade de l'autre a fait l'objet de critiques et la « circulaire Chaumié » de 1905 pose le principe de l'atténuation de la peine pour les personnes responsables de leurs actes tout en présentant un trouble mental selon le principe « demi-fou, demi-peine ».
Au terme du nouveau code pénal de 1993, l'article 122-1 dispose dans son premier alinéa que « n'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » et, dans son deuxième alinéa, que « la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime ». Par ailleurs, la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et la déclaration d'irresponsabilité pénale a profondément modifié les modalités de constatation et de déclaration de l'irresponsabilité pénale. En effet, désormais le juge d'instruction doit rendre une « ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » et non plus une ordonnance de non-lieu. Toutefois, si les parties ou le parquet le demandent, le juge d'instruction est tenu de transmettre le dossier à la chambre d'instruction sans pouvoir clôturer sa procédure par une ordonnance d'irresponsabilité pénale. Dans ce cas, la chambre de l'instruction procède à une audience publique et contradictoire et rend, le cas échéant, un arrêt d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. En outre, la chambre de l'instruction, le tribunal correctionnel et la cour d'assises disposent désormais de la possibilité d'ordonner eux-mêmes l'hospitalisation d'office. Enfin, la loi du 25 février 2008 a reconnu à ces juridictions la possibilité de prononcer à l'encontre de la personne reconnue irresponsable une ou plusieurs mesures de sûreté.
Le groupe de travail a souhaité clarifier les données statistiques sur le nombre de personnes atteintes de troubles mentaux en prison. Selon les estimations souvent reprises par les pouvoirs publics, il y aurait 25 % de personnes atteintes de troubles mentaux en prison. Si une part importante de la population pénale présente une vulnérabilité justifiant des soins et un suivi psychiatrique, seule une minorité souffre des troubles mentaux les plus graves -schizophrénie ou autres formes de psychose. Cette proportion n'est toutefois pas négligeable. Le groupe de travail l'estime, à la lumière des enquêtes épidémiologiques et des constats plus empiriques livrés par les responsables des SMPR auditionnés par les rapporteurs, à 10 % de l'ensemble des détenus. Donc, pour plus de six mille détenus, la peine n'a pas de sens.
Nous nous sommes interrogés sur les causes de ce phénomène. Nous avions pensé, d'abord, que la distinction introduite par l'article 122-1 du code pénal entre l'abolition et l'altération du discernement avait pu favoriser un phénomène de responsabilisation. S'il est vrai que le nombre de non-lieux fondés sur le trouble mental s'est contracté entre 1989 et 2006, cette évolution doit être relativisée au regard de la baisse globale du nombre de non-lieux en raison du champ toujours plus réduit des affaires confiées au juge d'instruction. En revanche, le deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal ne prévoit pas expressément que l'altération du discernement constitue une cause légale de diminution de la peine -et de ce fait le président de la cour d'assises ne peut pas poser une question spécifique sur l'application de ces dispositions. En pratique, la détection d'un trouble mental chez l'accusé, comme l'ont confirmé des présidents de cours d'assises au groupe de travail, suscite l'inquiétude du jury et conduit à l'aggravation des peines, la prison étant considérée comme le lieu le plus sûr pour se prémunir de la dangerosité des personnes atteintes de troubles mentaux. Ainsi que le relevait le rapport de la commission « Santé-Justice » en 2005, « ce n'est pas le moindre des paradoxes que de constater que les individus dont le discernement a été diminué puissent être plus sévèrement sanctionnés que ceux dont on considère qu'ils étaient pleinement conscients de la portée de leurs actes ».
Le mouvement de désinstitutionalisation de la psychiatrie n'a pas été sans conséquence sur l'évolution du nombre de personnes atteintes de troubles mentaux en prison. Dans la période 1985-2005, la capacité d'hospitalisation en psychiatrie générale est passée de 129 500 à 89 800 lits et places. Il semble que certains experts renoncent à conclure à l'irresponsabilité d'auteurs d'infractions afin d'éviter de mobiliser un lit d'hospitalisation dans un contexte de pénurie. Par ailleurs, l'organisation actuelle de la psychiatrie, comme l'a souligné le rapport établi par notre collègue Alain Milon au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (Opeps), a mis en évidence l'apparition de véritables zones blanches sur le territoire national sans accès au secteur psychiatrique. Ainsi un certain nombre de personnes arrivent en prison sans avoir été en mesure de bénéficier d'une continuité de soins qui aurait évité le passage à l'acte.
Il importe également de souligner le rôle de l'expertise. En pratique, l'expertise est systématique en matière criminelle et ordonnée selon la nature du délit en matière correctionnelle. Deux phénomènes ont pu conduire à la condamnation de personnes atteintes de troubles mentaux sans expertise psychiatrique préalable : la correctionnalisation des affaires et le développement des procédures rapides de jugement. A cela s'ajoute les difficultés liées au déroulement de l'expertise : le temps consacré à l'expertise pour les crimes et les délits s'établirait respectivement, en moyenne, à une heure et un quart d'heure. L'expert manque parfois d'éléments tels que le dossier médical pour établir son diagnostic. Sous couvert du secret médical, l'équipe de soin en milieu pénitentiaire donne peu d'éléments cliniques à l'expert. Enfin, l'expert se prononce parfois plus en fonction d'a priori théoriques (la reconnaissance de la responsabilité permettrait de placer le malade face à la réalité de ses actes et constituerait ainsi le premier jalon d'une thérapie) que de l'observation clinique.
Il me revient d'évoquer devant vous les conditions dans lesquelles sont pris en charge les détenus atteints de troubles mentaux. Je résumerai la situation en disant qu'au cours des dernières décennies, la prison s'est adaptée à la présence d'un nombre important de malades mentaux et que des progrès considérables ont été accomplis. Mais ces évolutions ne peuvent occulter la difficulté de prendre en charge des maladies mentales particulièrement graves dans le cadre carcéral.
Depuis 1986, la prise en charge de la santé mentale des détenus est confiée au service public hospitalier et le dispositif en vigueur repose à la fois sur les secteurs de psychiatrie générale et sur des secteurs spécifiques au milieu pénitentiaire :
- les secteurs de psychiatrie générale interviennent au sein des unités de consultations et de soins ambulatoires (Ucsa) qui sont les unités en charge de l'ensemble de la santé des détenus ;
- les secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire sont chargés de la prévention et de la prise en charge des soins psychiatriques en milieu pénitentiaire. Ils suivent un découpage pénitentiaire par région et leur structure de base est le service médico-psychologique régional (SMPR). Rattachés à un établissement de santé, ces services sont situés dans l'enceinte des maisons d'arrêt ou des centres pénitentiaires. Ils exercent principalement trois missions : recevoir systématiquement toutes les personnes arrivant dans l'établissement pénitentiaire d'implantation, assurer le suivi au cours de l'incarcération et préparer la mise en place du suivi post-pénal. Les SMPR comportent actuellement 360 lits environ et assurent essentiellement une prise en charge de jour. Seuls deux d'entre eux, à Fresnes et aux Baumettes, disposent d'une présence paramédicale assurée jour et nuit.
Les détenus ne peuvent recevoir de soins psychiatriques en détention qu'avec leur consentement. Dans ces conditions, dans les situations nécessitant une prise en charge thérapeutique intensive à temps complet ou en cas de crise, la seule voie possible est celle de l'hospitalisation d'office dans un établissement psychiatrique sur le fondement de l'article D. 398 du code de procédure pénale.
En pratique, l'hospitalisation d'office peut être demandée soit par un psychiatre de SMPR, soit par un psychiatre intervenant dans l'établissement pénitentiaire, et concerner un condamné ou un prévenu. Lorsque cela est nécessaire, l'hospitalisation peut être réalisée au sein d'une unité pour malades difficiles (UMD). Il n'existe aujourd'hui que cinq UMD en France pour une capacité de 427 places. Or, ces structures sont ouvertes à tous les malades difficiles et pas seulement aux détenus. Le nombre de places est donc tout à fait insuffisant.
Parallèlement à ces modalités habituelles de prise en charge des détenus atteints de troubles mentaux, un établissement pénitentiaire, celui de Château-Thierry, s'est au fil du temps spécialisé dans la prise en charge d'une population pénale fortement perturbée, au point qu'en 2007, cette prison comptait 85 % de détenus psychotiques. Trois critères cumulatifs peuvent justifier une affectation dans cette structure : il faut que le reliquat de peine du détenu soit supérieur à dix-huit mois, que le détenu ne relève ni d'une hospitalisation en SMPR ni d'une hospitalisation d'office, enfin que le détenu n'arrive pas à s'intégrer dans un régime de détention classique.
Originaires de l'ensemble des prisons du territoire national, ces condamnés se caractérisent souvent par leur absence de liens familiaux et la durée moyenne de séjour à Château-Thierry est comprise entre six mois et un an. Lorsque nous avons visité cet établissement, son encadrement médical avait été renforcé mais voici quelques années seulement, cette prison ne disposait même pas d'un psychiatre à temps complet.
En fait, le haut niveau de qualité de la prise en charge dans cet établissement repose largement sur certaines pratiques originales développées par l'administration pénitentiaire. Les agents y établissent des relations individualisées, marquées par le geste symbolique de la poignée de mains avec le détenu, qui n'est pratiqué dans aucun autre établissement et scelle une relation différente de celle qui existe ailleurs. On constate ainsi que les relations entre personnel pénitentiaire et personnel soignant y sont plus développées et plus confiantes.
J'en viens maintenant aux limites de cette prise en charge psychiatrique des détenus. Celle effectuée au sein des SMPR, si elle a constitué un progrès considérable, rencontre des difficultés :
- les moyens en personnels médicaux demeurent insuffisants malgré les progrès importants réalisés au cours des dernières années. Au 31 décembre 2008, les SMPR comptaient 105 postes à temps plein pourvus de médecins, 238 postes d'infirmiers et 85 postes de psychologues. Ces chiffres sont élevés mais le recours aux soins de santé mentale est, en détention, dix fois supérieur à celui observé en population générale. En outre, les effectifs sont très inégalement répartis entre SMPR.
En effet, les écarts constatés dans la présence des psychiatres sur le territoire ont non seulement des effets sur l'organisation des secteurs de psychiatrie générale, qui n'assurent pas toujours un suivi suffisant de leurs patients, qu'ils soient ou non détenus, mais ils rendent également très difficile l'attribution des postes au sein des SMPR ou des Ucsa, compte tenu du peu d'attrait des médecins pour une activité réputée difficile ;
- par ailleurs, pour des raisons évidentes liées aux contraintes de déplacement des détenus, les SMPR accueillent prioritairement les détenus de l'établissement où ils sont situés. Or, les SMPR sont principalement localisés dans les maisons d'arrêt : ceci présente des avantages incontestables pour la réalisation d'évaluations à l'entrée en détention mais néglige le fait que certains établissements pour peines, en particulier les maisons centrales, accueillent des détenus condamnés à de très longues peines et souffrant parfois de troubles mentaux majeurs ;
- enfin, l'hospitalisation en SMPR est pour l'essentiel une hospitalisation de jour, compte tenu de l'absence, durant la nuit, de personnel soignant dans la plupart des cas et de l'impossibilité d'y accueillir des détenus sans leur consentement.
Mais l'aspect le plus critiquable de la prise en charge des détenus atteints de troubles mentaux est sans aucun doute la manière dont ils sont accueillis au sein des hôpitaux psychiatriques lorsqu'une hospitalisation est nécessaire. Réalisée sans leur consentement, cette hospitalisation se déroule le plus souvent, pour des raisons de sécurité, en chambre d'isolement, le détenu étant parfois entravé sans justification médicale. Dans ces conditions, les durées d'hospitalisation sont particulièrement brèves, ne dépassant souvent pas deux à trois jours, et ne permettent pas la stabilisation attendue de l'état du patient.
L'accès aux UMD demeure par ailleurs particulièrement difficile compte tenu du nombre de places très restreint dans ces structures.
L'insuffisance de la prise en charge se manifeste enfin au moment de la sortie de prison. Hors les cas où les détenus libérés font l'objet de mesures telles que le suivi socio-judiciaire ou l'injonction de soins, ils sont bien souvent remis en liberté sans qu'un suivi particulier soit prévu. Le passage de relais au secteur psychiatrique général n'apparaît qu'imparfaitement assuré et certaines des personnalités que nous avons entendues ont souligné le manque de structures intermédiaires susceptibles d'accueillir des sortants de prison pour ménager une transition entre la prison et une prise en charge ambulatoire.
Ce sont ces insuffisances qui ont justifié la création, par une loi de 2002, des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). Ces unités, implantées dans des établissements hospitaliers et faisant l'objet d'une garde périmétrique par l'administration pénitentiaire, ont pour objectif de compléter l'offre de soins aux détenus afin que ceux-ci puissent bénéficier d'une prise en charge psychiatrique réellement équivalente à celle qui existe en dehors du milieu carcéral. En particulier, ces structures doivent permettre d'hospitaliser les détenus avec leur consentement, ce qui est aujourd'hui impossible. Dix-sept unités de ce type seront construites au cours des prochaines années et une première tranche de neuf unités doit, en principe, être achevée en 2012.
Nous avons visité la première de ces unités, qui est située à l'hôpital du Vinatier à Lyon, et qui devait ouvrir ses portes fin 2009, mais qui n'est toujours pas entrée en fonction. Ces retards s'expliquent notamment par quelques difficultés dans la rédaction des décrets et circulaires, mais nous avons constaté qu'il est vraiment temps que cette situation cesse car les personnels sont tous sur place et risquent d'être démotivés si cette attente perdure. Ces UHSA sont contestées : d'abord, certains y voient une confusion entre la prison et l'hôpital ; ensuite, il existerait le risque que les experts et les juridictions déclarent, encore plus qu'aujourd'hui, les auteurs d'infractions pénalement responsables au motif que la prison sera désormais dotée des moyens d'une prise en charge de qualité et sécurisée des malades mentaux. C'est pourquoi il conviendra d'être particulièrement attentif aux conditions de fonctionnement de ces structures.
Avant d'en venir aux propositions du groupe de travail, je voudrais dire quelques mots très rapides sur les déplacements que le groupe de travail a effectués en Suisse et en Belgique pour examiner les conditions dans lesquelles ces pays voisins traitent de la question des auteurs d'infractions atteints de troubles mentaux. Sans entrer dans les détails qui figurent dans le rapport écrit, je ferai seulement trois observations :
- d'abord, les Suisses et les Belges opèrent une distinction très claire entre les peines et les « mesures » qui peuvent être prononcées à l'encontre des malades mentaux. Ces mesures, décidées par les juridictions, peuvent consister en un internement, dont la durée n'est pas définie, dans un établissement théoriquement spécialisé, on les appelle « établissements de défense sociale » en Belgique ;
- ensuite, cette distinction très nette entre peines et mesures dans le code pénal ne se retrouve pas aussi clairement dans la prise en charge effective, puisqu'un grand nombre de malades mentaux effectuent leurs « mesures » en prison, faute de place dans les établissements spécialisés ;
- enfin, et c'est peut-être l'enseignement le plus utile, la coopération entre magistrats et médecins apparaît plus aisée et développée qu'en France, chacun ne se repliant pas sur la préservation de ses compétences propres.
J'en viens à nos propositions. En premier lieu, le groupe de travail suggère de conserver la distinction entre abolition et altération du discernement, tout en prévoyant explicitement l'atténuation de la peine en cas d'altération. Certes, cette distinction a parfois été contestée, notamment par le docteur Christiane de Beaurepaire, ancienne responsable du SMPR de Fresnes, qui a rappelé qu'il n'existait pas de « discernomètre » et que le choix de telle ou telle affection psychiatrique comme cause d'irresponsabilité pénale est purement subjectif. Néanmoins ces réserves sont restées très minoritaires et la rédaction actuelle du code pénal, en laissant une latitude interprétative au clinicien, est sans doute préférable à la définition d'une liste de pathologies qui serait sans doute fixée par le législateur de manière restrictive, au risque de réduire encore les cas d'irresponsabilité pénale.
En revanche, le groupe de travail estime indispensable de réécrire le second alinéa de l'article 122-1 afin de préciser que l'altération du discernement doit constituer une cause légale d'atténuation de responsabilité tout en fixant cependant, par cohérence, des conditions nouvelles relatives à la prise en charge médicale des personnes dont la peine serait ainsi réduite. Il serait ainsi proposé de compléter le second alinéa de l'article 122-1 afin de prévoir que l'altération du discernement entraîne une réduction de la peine encourue comprise entre le tiers et la moitié de ce quantum. Cette modification aurait pour effet d'imposer au président de la cour d'assises, comme pour les autres causes légales de diminution de la peine, de poser aux jurés une question spécifique sur l'application de ces dispositions. Le même alinéa pourrait également être complété afin de prévoir que, lorsque la juridiction a constaté l'altération du discernement, la peine d'emprisonnement prononcée est assortie, pour une période comprise entre le tiers et la moitié de sa durée, d'un sursis avec mise à l'épreuve comportant une obligation de soin.
S'agissant de l'exécution de la peine, le groupe de travail estime que les personnes relevant du deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal devraient obligatoirement être affectées dans un établissement comportant un SMPR. Il propose en outre le retrait systématique des crédits de réduction de peine, prévus par l'article 721 du code de procédure pénale et des réductions de peine supplémentaires, prévues par l'article 721-1, en cas de refus, par la personne dont le discernement a été déclaré altéré, des soins qui lui ont été proposés par le juge de l'application des peines après un avis médical.
Le groupe de travail estime que ces personnes, à leur libération, devraient faire l'objet de la mise en oeuvre d'une obligation de soins jusqu'au terme de la peine encourue. En outre, nous souhaitons que les mesures de sûreté actuellement réservées par les articles 706-38 à 706-40 du code de procédure pénale aux personnes irresponsables puissent être applicables à celles dont le discernement est altéré.
Les propositions du groupe de travail qui ne portent pas spécifiquement sur la question de la responsabilité pénale s'organisent autour de quatre axes :
- engager la révision de l'organisation territoriale de la psychiatrie et la réforme de la loi de 1990 sur l'hospitalisation sous contrainte ;
- renforcer la formation des psychiatres et des infirmiers ;
- améliorer les conditions de l'expertise ;
- enfin, disposer d'une palette large d'outils pour prendre en charge les malades mentaux ayant commis des infractions.
Même si ce sujet dépassait le cadre de ses travaux, le groupe de travail considère que la réforme de la psychiatrie générale, notamment en ce qui concerne son organisation territoriale, est devenue indispensable. Le rapport d'Alain Milon, établi dans le cadre de l'Opeps en avril 2009, l'a amplement montré.
La bonne organisation de la psychiatrie générale est un élément essentiel pour faire évoluer la situation des auteurs d'infractions atteints de troubles mentaux : d'une part, les difficultés d'organisation territoriale de la psychiatrie générale se retrouvent dans la psychiatrie pénitentiaire, souvent dans des proportions plus graves compte tenu de la faible attractivité de ce type de poste ; d'autre part, la continuité des prises en charge en psychiatrie générale est une nécessité absolue pour éviter de retrouver en prison certains malades. Dans ces conditions, le groupe de travail soutient les propositions de l'Opeps visant à organiser des états généraux de la santé mentale, réunissant les professionnels concernés, pour préparer un projet de loi sur la santé mentale susceptible de permettre l'adaptation de l'organisation territoriale de la psychiatrie aux besoins de la population.
Par ailleurs, plusieurs personnes entendues ont souligné l'insuffisance actuelle de la formation des psychiatres à la pratique médico-légale, ce qui entraîne des conséquences à la fois sur l'expertise et sur les prises en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions. En ce qui concerne les infirmiers, il n'existe plus de diplôme d'infirmier de secteur psychiatrique et aucune spécialisation en la matière n'a été mise en place. C'est pourquoi le groupe de travail propose :
- de renforcer la formation des psychiatres à la pratique médico-légale et à l'exercice de la médecine pénitentiaire, par exemple en créant un diplôme d'études spécialisées complémentaire en psychiatrie médico-légale comme il en existe un en addictologie ;
- de développer les formations communes aux professionnels de la justice et de la santé appelés à intervenir auprès des auteurs d'infractions atteints de troubles mentaux ;
- de créer une spécialisation de niveau master en psychiatrie pour les infirmiers.
En ce qui concerne l'expertise psychiatrique, le groupe de travail propose :
- d'actualiser et d'harmoniser au niveau national les questions types posées aux experts ;
- d'organiser régulièrement des échanges entre experts, sur le modèle de l'audition publique de 2007 menée par la Fédération française de psychiatrie en partenariat avec la Haute Autorité de santé (HAS) ;
- de revaloriser la rémunération des expertises pénales ;
- d'examiner la possibilité de rétablir, car elle a été abandonnée, l'expertise conjointe par deux experts dans certains cas.
Par ailleurs, au fil de nos travaux, nous avons acquis la conviction qu'on ne règlera pas le problème des auteurs d'infractions atteints de troubles mentaux par une solution unique. Il nous paraît donc nécessaire de disposer d'une palette large d'instruments de prise en charge. C'est pourquoi nous proposons :
- de créer quelques SMPR dans les maisons centrales, qui accueillent les détenus condamnés aux peines les plus longues, afin que ceux-ci soient pris en charge dans de bonnes conditions ;
- d'accroître rapidement le nombre d'UMD, qui reste très insuffisant. Dans le cadre du plan de relance, cinq nouvelles unités doivent être construites au cours des prochaines années, et nous souhaitons que la réalisation de ces structures soit la plus rapide possible car elles permettront d'accueillir des malades déclarés irresponsables, mais aussi des détenus si leur état justifie une hospitalisation dans une de ces structures.
Nous proposons également de valoriser l'expérience du centre pénitentiaire de Château-Thierry en envisageant la création d'un second établissement de ce type et en favorisant la mise en place, au sein de quelques établissements pénitentiaires, d'unités pour la prise en charge de long séjour de personnes stabilisées mais fragiles.
En ce qui concerne la sortie de prison, le groupe de travail souhaite la mise en place d'outils de suivi, sous l'égide des agences régionales de santé, pour que tout détenu ayant séjourné en SMPR puisse être suivi dans le cadre du secteur de psychiatrie générale à sa sortie de prison. Nous recommandons également le développement de dispositifs d'hébergement, tels que les appartements thérapeutiques, afin de ménager des transitions entre la sortie de prison et une prise en charge purement ambulatoire.
Enfin, en ce qui concerne l'avenir des UHSA, nous souhaitons qu'une évaluation régulière de ces structures puisse être réalisée, notamment en ce qui concerne les pathologies rencontrées ou la durée de séjour dans ces unités. Il nous semble important de suivre avec attention le fonctionnement de ces unités totalement nouvelles, qui ne doivent pas conduire à incarcérer davantage qu'aujourd'hui les malades mentaux.
Pour ce qui est du meilleur moyen de prendre en charge les personnes déclarées irresponsables, nous avons entre nous une divergence d'appréciation, ce qui nous a conduits à formuler deux propositions alternatives :
- pour conjurer le risque que la création des UHSA ne marque l'étape ultime vers la responsabilisation et l'incarcération systématique des malades mentaux ayant commis des infractions, les rapporteurs de la commission des lois envisagent la possibilité de créer au sein des UHSA des quartiers réservés aux personnes déclarées irresponsables. Ceci pourrait conduire à limiter les déclarations de responsabilité pénale des personnes souffrant de troubles mentaux très graves. Je laisserai mes collègues revenir sur cette proposition ;
- de notre côté, en tant que rapporteurs de la commission des affaires sociales, nous craignons qu'une telle évolution ne conduise à une confusion croissante entre justice et santé. Or, ceci soulève des questions juridiques très lourdes sur le rôle de l'administration pénitentiaire à l'égard des personnes irresponsables et sur les conditions dans lesquelles le placement en UHSA de personnes qui ne font l'objet d'aucune condamnation serait décidé. Notre préférence va à un développement important des UMD, accompagné d'un renforcement de la sécurité de certaines d'entre elles ou de certains de leurs quartiers pour que les juridictions sachent que le fait de déclarer un auteur d'infraction irresponsable n'aboutit pas nécessairement à prendre un risque pour la société. Nous estimons que les UMD sont les structures appropriées pour prendre en charge les personnes irresponsables représentant un danger pour elles-mêmes et pour autrui.
Comme il y a divergence sur une des propositions du rapport, les rapporteurs de la commission des lois peuvent-ils expliquer la position qu'ils défendent ?
Cette divergence porte sur le rôle qui pourrait être confié aux UHSA.
Nous avons été très frappés, en visitant l'établissement de Tournai en Belgique, par le fait que la prise en charge médicale ne distingue pas entre les personnes dont le discernement était aboli et celles dont le discernement était altéré. Les psychiatres que nous avons interrogés nous ont indiqué que si, parmi les personnes atteintes des troubles mentaux les plus graves, certaines avaient commis des infractions et d'autres s'en étaient abstenues, cela relevait pour une part du hasard. Les présidents de cours d'assises nous ont également indiqué qu'ils ne pouvaient garantir aux jurés que l'accusé, s'il était reconnu irresponsable, ne constituerait pas à l'avenir un danger pour la société. Dans ces conditions, les jurés optent évidemment pour l'altération du discernement. Cette situation, comme l'ont souligné les magistrats, s'explique par le fait qu'il n'existe pas aujourd'hui d'alternative à la prison pour prendre en charge des personnes atteintes de troubles mentaux présentant encore une forte dangerosité.
C'est la raison pour laquelle les rapporteurs du groupe de travail issus de la commission des lois ont estimé que les UHSA pourraient accueillir les personnes irresponsables. Le placement pourrait être décidé par la juridiction de jugement, après avis médical, selon des modalités qu'il conviendrait de préciser. D'ores et déjà, le juge a la capacité de décider l'hospitalisation d'office. Ce placement pourrait être réservé aux personnes irresponsables ayant commis les infractions les plus graves. Les auteurs d'infractions moins graves, celles par exemple présentant un caractère délictuel, dont le discernement aurait été aboli, feraient l'objet d'une obligation de soins et pourraient être soumis à des mesures de sûreté. Cependant, un manquement à ces obligations ne conduirait pas, comme tel est actuellement le cas, à l'application d'une sanction pénale, ce qui n'a guère de sens, mais à un placement en UHSA. Le maintien au sein de l'UHSA pourrait être renouvelé tous les ans, à l'exemple belge, par une commission associant juge, médecin et un représentant du patient.
Le dispositif français nous apparaît excessivement manichéen : soit la personne est reconnue irresponsable et son suivi relève exclusivement du médecin, soit la personne est condamnée et relève alors du juge. Les personnes atteintes de troubles mentaux reconnues pénalement responsables en raison d'un discernement seulement altéré seraient, conformément au dispositif actuellement envisagé pour les UHSA, transférées dans ces unités en cas de crise et elles pourraient faire l'objet d'un suivi une fois stabilisées, dans un établissement plus spécialisé du type Château-Thierry.
J'attire votre attention sur le fait que le coût de Château-Thierry représente un dixième du prix de journée des UMD et des futures UHSA. Je précise également qu'à la différence de nombreux établissements psychiatriques, on ne déplore pas de suicides à Château-Thierry, qui accueille pourtant 85 % de psychotiques, alors qu'on connaît la vulnérabilité au risque suicidaire des malades mentaux. La solution que nous proposons est donc un peu hybride. Il nous semble qu'elle est de nature à entraîner une hausse des non-lieux pour irresponsabilité des cours d'assises.
En ce qui concerne la divergence entre nos commissions, il faut rappeler que la première UHSA n'est pas encore ouverte. Si on commence à modifier le statut de ces unités, sans disposer du moindre retour sur leur fonctionnement, nous risquons de perturber fortement leur mise en place. Par ailleurs, le nombre de places en UHSA est limité et la solution proposée par les rapporteurs de la commission des lois pourrait donc créer une situation très difficile, ces unités risquant d'être immédiatement saturées. Il y a surtout un désaccord sur le fond : nous considérons pour notre part que, dès lors que la juridiction a considéré que la personne est irresponsable de ses actes, celle-ci relève de la médecine et notamment de la psychiatrie, éventuellement dans le cadre d'une hospitalisation d'office en UMD. Toutefois, le mélange de ces personnes nous paraît extrêmement délicat. Je rappelle que les UHSA sont sécurisées par l'administration pénitentiaire et que le système envisagé par nos collègues aboutirait donc à placer des irresponsables pénaux sous le contrôle de l'administration pénitentiaire.
J'ajoute que, dans le travail que nous avons mené, nous avons entendu de nombreux termes : troubles mentaux, malades mentaux, troubles de la personnalité, etc. Ces notions sont difficiles à cerner. En particulier, l'article 122-1 du code pénal mentionne les « troubles psychiques ou neuropsychiques », la distinction entre les deux n'apparaissant pas évidente. Il y a probablement une étude approfondie à conduire sur ces notions.
Je voulais également évoquer la situation des personnes prévenues, qui constituent un quart des personnes emprisonnées et dont la situation est particulière puisque leur irresponsabilité sera peut-être constatée en cours de procédure. Enfin, la diminution du nombre de lits d'hospitalisation correspond à une évolution profonde de la psychiatrie qui, au cours des trente ou quarante dernières années, a modifié ses méthodes de prise en charge en renonçant à l'hospitalisation à vie ; il me semble qu'il ne faut pas exagérer l'impact de cette évolution sur l'augmentation du nombre de détenus présentant des troubles mentaux.
Notre approche, en tant que rapporteurs de la commission des lois, a consisté à vouloir casser des barrières qui nous semblent totalement aléatoires. On peut distinguer trois catégories de personnes : les malades mentaux n'ayant pas commis d'infraction, les malades mentaux qui en ont commis et qui ont été reconnus irresponsables, et les malades mentaux qui ont commis des infractions et ont été reconnus responsables pénalement, à partir d'une expertise réalisée dans des conditions souvent insatisfaisantes. En comparution immédiate, l'expertise dure une dizaine de minutes, sans que l'expert ne dispose d'information sur les antécédents de la personne. Ces catégories ne sont pas pertinentes. Or, trois objectifs sont visés : soigner les malades, appliquer une sanction à ceux qui ont commis des infractions et, enfin, protéger le malade et la société. La situation actuelle n'est pas satisfaisante : la personne reconnue irresponsable est envoyée en hôpital psychiatrique, mais elle en ressort rapidement, sans aucune obligation de soin, d'où un risque très élevé de récidive, ce qui est scandaleux. Pour ce qui est des personnes atteintes de troubles mentaux qui sont en détention, les soins proposés sont insuffisants et il n'y a aucun moyen de contraindre un malade à se soigner. J'attire votre attention sur le fait qu'aujourd'hui, les UMD accueillent indistinctement ces trois catégories de malades, ce que personne ne conteste. Sur la question des UHSA, il nous paraît important de faire évoluer les frontières.
J'ai une question concrète. Je représente le Sénat au SMPR de Fresnes. Récemment, on nous a annoncé la fermeture de cette unité, ce qui me stupéfie dans le contexte qui vient d'être décrit. Doit-on encourager cette fermeture ou au contraire militer pour son maintien ?
J'ai souvent visité Fresnes, en tant que rapporteur pour avis des crédits de l'administration pénitentiaire. C'est l'hôpital qui va être fermé, car on crée parallèlement une UHSI. Toutefois, cette fermeture ne doit avoir aucun effet sur le SMPR, qui doit demeurer afin d'offrir des soins psychiatriques aux détenus.
Je remercie les rapporteurs d'avoir fait référence à plusieurs reprises au rapport de l'Opeps. Il faut considérer, et c'est essentiel, que la psychiatrie n'est pas une médecine, mais une spécialité de la médecine : les psychiatres doivent travailler en équipe, avec les autres médecins.
Je souhaite revenir également sur la diminution du nombre de lits hospitaliers en milieu psychiatrique : cette évolution a été naturelle, elle était nécessaire et elle n'entraîne pas automatiquement une augmentation du nombre de malades mentaux incarcérés. Il ne faut pas stigmatiser la psychiatrie dans ce genre de sujet. Sur la question de la formation, il est vrai qu'il y a quelques années, on a supprimé le diplôme de neuro-psychiatre. Il faudra probablement revenir sur cette décision, les progrès de l'imagerie médicale démontrant la pertinence de cette discipline. Le rapport de l'Opeps a également demandé la création, au niveau master, d'une spécialisation en psychiatrie pour les infirmiers. Tous les psychiatres disent régulièrement que les difficultés rencontrées dans le milieu hospitalier ne viennent pas d'une diminution du nombre de psychiatres mais bien de la diminution, voire de la disparition, des infirmiers psychiatriques. Les propositions du groupe de travail me semblent donc utiles.
J'attire votre attention sur le fait que tout le monde n'a pas conscience des enjeux soulevés par la prise en charge des maladies psychiatriques. Actuellement, 20 % de la population sont potentiellement concernés par la maladie psychiatrique, alors que 2 % seulement des crédits de recherche sont consacrés à la recherche en psychiatrie : les proportions sont inverses pour le cancer. Il y a donc un déséquilibre et il faut rétablir les choses afin de mieux soigner les malades psychiatriques. Il me semble également très important de bien faire la distinction entre dangerosité criminelle et dangerosité psychiatrique. J'ajoute enfin que notre collègue Nicolas About, qui a dû nous quitter pour présider une réunion de son groupe, m'a chargé de vous indiquer qu'il se rapprochait de la position préconisée par Christiane Demontès au nom de la commission des affaires sociales : pour lui, les auteurs d'infractions reconnus pénalement irresponsables ne doivent pas être placés sous la surveillance de l'administration pénitentiaire.
Le rapport de nos collègues apporte un éclairage très pertinent sur ce sujet mais il m'inspire une remarque. J'ai exercé pendant longtemps les fonctions de président du conseil d'administration de l'hôpital psychiatrique de Clermont, dans l'Oise. Je confirme que la diminution du nombre de lits est allée de pair avec la sectorisation et l'augmentation du nombre d'appartements thérapeutiques. Il ne s'agit pas d'une réduction de l'offre de soins mais d'une évolution des modalités de prise en charge. Ma première question est pour Christiane Demontès. Dans votre rapport, vous faites référence à l'insuffisance des moyens en personnels médicaux. Existe-t-il des normes en matière d'encadrement de ces malades qui se trouvent incarcérés ? Avez-vous chiffré les moyens budgétaires qui seraient nécessaires pour assurer une couverture satisfaisante de l'ensemble du territoire national ? Compte tenu de la conjoncture économique actuelle, c'est un élément important : pourrons-nous mobiliser ces moyens ? Ma deuxième question est pour Jean-René Lecerf. Je n'ai pas bien compris votre raisonnement s'agissant du traitement des personnes dont le discernement était altéré et du suivi et de l'obligation de soins dont elles pourraient faire l'objet. Vous avez dit que ces patients pourraient bénéficier d'une réduction de peine, sauf s'ils refusent les soins. Puis, vous avez indiqué qu'à leur sortie de prison, ces personnes pourraient faire l'objet d'une obligation de soin et de mesures de sûreté. J'ai du mal à comprendre qu'on puisse leur imposer une obligation de soin à leur sortie de prison, même si elles ne sont pas consentantes, alors qu'en détention, on respecte leur refus de soin. Je souhaiterais savoir ce qui vous a amené à ces conclusions. Il serait plus acceptable, à mon sens, d'étendre cette obligation de soin au cours de la détention elle-même.
Il est incontestable qu'il y a une vraie misère de la psychiatrie publique à l'heure actuelle. On peut également s'interroger sur les courants de pensée dominants qui irriguent aujourd'hui la psychiatrie. J'ai toujours défendu l'idée, incontournable à mes yeux, qu'il ne peut y avoir de traitement psychiatrique efficace sans consentement des intéressés. Dire que l'on traite les gens sans leur consentement pose un problème. Je souhaite poser une question sur les positions différentes défendues par nos collègues de la commission des lois et par ceux de la commission des affaires sociales : comment ce débat s'est-il instauré entre vous ? Il me semble qu'un tel débat résulte des décisions qui ont présidé à la création des UHSA, lesquelles ne sont pas encore entrées en fonctionnement, à l'exception de l'ouverture prochaine du Vinatier, ce qui interdit toute évaluation pour le moment. Il aurait été intéressant de partir d'une évaluation des UMD, afin de déterminer si ce type de structures doit être développé afin de permettre une prise en charge indifférenciée des malades ayant commis des infractions et de ceux n'en ayant pas commis. Peut-être la décision du Gouvernement de créer les UHSA, dont on ignore ce qu'elles donneront, enferme-t-elle la réflexion ? Il serait intéressant de travailler à partir d'une évaluation de ce qui existe, afin de voir si les UMD ne seraient pas plus pertinentes que les multiples créations qui sont proposées régulièrement.
Ce rapport nous permet d'avoir une approche à la fois généraliste et plus maîtrisée de ce sujet très technique mais très important pour nous. J'ai trois questions. Je souhaite tout d'abord savoir si, lorsque la juridiction reconnaît que le discernement de l'auteur de l'infraction était altéré, cette reconnaissance a une influence sur la prise en charge et les soins qui sont proposés au détenu. Par ailleurs, je comprends que le consentement soit nécessaire, mais comment peut-on demander à un malade dont le discernement est aboli de consentir à des soins ? Enfin, il me paraît essentiel de travailler sur la notion de dangerosité à la lumière de l'expérience belge. Pourrait-on creuser davantage cette notion qui a des conséquences importantes pour la personne elle-même et pour la société ?
Le rapport d'information dessine un paysage très complexe et des réalités paradoxales. Peut-on m'indiquer clairement ce qui distingue les UHSA et les UMD ?
La question qui vient d'être posée est tout à fait pertinente. La différence fondamentale entre l'UHSA et l'UMD, c'est que la première est sécurisée par l'administration pénitentiaire tandis que la seconde est une structure exclusivement médicale. Il faut éviter, à cet égard, que les personnes déclarées irresponsables, et qui n'ont de ce fait pas été condamnées, soient mêlées, au sein des mêmes unités, à des personnes condamnées. La mesure de sûreté ne doit pas être confondue avec une mesure de détention. Je comprends le pragmatisme au nom duquel Jean-René Lecerf défend la prise en charge des intéressés par les UHSA, mais je connais aussi son attachement aux principes, et il me semble préférable d'encourager la prise en charge des malades mentaux dangereux par des unités hospitalières non pénitentiaires. J'ajoute qu'il faut éviter de confondre dangerosité psychiatrique et dangerosité sociale et veiller à ce que les intéressés soient placés, pour leur propre bien comme pour celui de la société, dans la structure qui leur est la plus adaptée.
Je ne partage pas l'opinion d'Alain Milon selon laquelle la fermeture des lits en hôpital psychiatrique n'a pas porté à conséquence. Les psychiatres que nous avons entendus affirment le contraire. En outre, il existe un lien direct entre ces fermetures et la baisse sensible du nombre de déclarations d'irresponsabilité prononcées : les jurés savent qu'il n'y a pas de lits disponibles pour une hospitalisation psychiatrique du malade mental et, en l'absence de solution alternative à l'emprisonnement, ils choisissent de condamner l'intéressé à la détention. J'ajoute qu'il est pire, pour les malades mentaux, d'être en prison qu'en UHSA. Je rappelle, à cet égard, que l'UHSA est avant tout un dispositif hospitalier, l'administration pénitentiaire n'assurant que la garde de son périmètre extérieur. Les unités hospitalières sécurisées interrégionales réservées aux soins somatiques des personnes détenues, et dont la garde est confiée à la police ou à la gendarmerie, montrent d'ailleurs que d'autres dispositifs sont possibles.
Par ailleurs, l'incertitude ou la fragilité de certaines motivations qui, comme je l'ai indiqué, conduisent à reconnaître ou non une personne pénalement responsable, en raison d'une altération temporaire ou d'une abolition de son discernement, m'incitent à être très réservé sur la distinction tranchée qu'on établirait entre les malades dangereux selon qu'ils ont été déclarés ou pas responsables, qui justifierait qu'ils relèvent dans un cas d'une UHSA et dans l'autre non.
J'ajoute que la solution de l'UHSA peut éviter au juge d'être placé dans la situation contradictoire de condamner une personne déclarée irresponsable en cas de manquement aux mesures de sûreté auxquelles elle a été soumise.
Il n'est pas possible d'imposer des soins à une personne incarcérée. Cependant, la recommandation que nous formulons selon laquelle le juge pourrait décider de lier la réduction de peine à l'acceptation, par l'intéressé, d'un suivi psychiatrique répond au paradoxe souligné par Alain Vasselle et Alima Boumediene Thiery. Il faut que la personne atteinte de trouble mental soit incitée à accepter les soins qui lui sont proposés, ce qui peut ensuite, par surcroît, l'amener à y adhérer.
Soyons pragmatiques. Il est certes absurde qu'au sein d'une UMD, on puisse contraindre la personne à suivre des soins alors qu'en prison, lieu par excellence de nombreuses contraintes, cela est impossible. Une incitation au soin doit être mise en place dans ce cadre.
L'exemple de Château-Thierry, établissement pénitentiaire remarquable qui accueille 85 % de psychotiques montre, comme l'a relevé un psychiatre que j'ai rencontré lors d'une de mes visites dans cet établissement, que les internés y sont sans doute mieux soignés qu'ils ne le seraient dans un hôpital psychiatrique.
Les personnes que nous avons entendues font le lien entre les fermetures de lits en hôpital psychiatrique et l'augmentation du nombre de personnes malades en prison. Ceci pose la question de la prise en charge psychiatrique globale et de la grande inégalité de cette prise en charge en fonction des territoires, qu'il s'agisse de la psychiatrie ordinaire ou de la psychiatrie en milieu carcéral.
Les UHSA ont été créées pour prendre en charge les malades mentaux emprisonnés. Comme l'a souligné Jean-René Lecerf, un grand nombre d'auteurs d'infractions se voient reconnaître une altération du discernement qui conduit à leur incarcération. Les UHSA trouvent leur justification dans la prise en charge de ces condamnés. Qu'adviendra-t-il si l'on y place des personnes atteintes de troubles mentaux non emprisonnées parce qu'elles ont été déclarées irresponsables ? Leur place est au sein d'une institution médicale. Des UMD doivent être créées en nombre suffisant et certaines doivent être spécialisées ou dotées de quartiers particuliers pour accueillir des personnes dont la dangerosité serait avérée.
Mais les UHSA sont des établissements hospitaliers à plus de 80 % ! L'administration pénitentiaire en garde le périmètre mais ne pénètre pas dans les locaux.
A l'issue de ce débat, la commission autorise la publication du rapport d'information.