Il me revient d'évoquer devant vous les conditions dans lesquelles sont pris en charge les détenus atteints de troubles mentaux. Je résumerai la situation en disant qu'au cours des dernières décennies, la prison s'est adaptée à la présence d'un nombre important de malades mentaux et que des progrès considérables ont été accomplis. Mais ces évolutions ne peuvent occulter la difficulté de prendre en charge des maladies mentales particulièrement graves dans le cadre carcéral.
Depuis 1986, la prise en charge de la santé mentale des détenus est confiée au service public hospitalier et le dispositif en vigueur repose à la fois sur les secteurs de psychiatrie générale et sur des secteurs spécifiques au milieu pénitentiaire :
- les secteurs de psychiatrie générale interviennent au sein des unités de consultations et de soins ambulatoires (Ucsa) qui sont les unités en charge de l'ensemble de la santé des détenus ;
- les secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire sont chargés de la prévention et de la prise en charge des soins psychiatriques en milieu pénitentiaire. Ils suivent un découpage pénitentiaire par région et leur structure de base est le service médico-psychologique régional (SMPR). Rattachés à un établissement de santé, ces services sont situés dans l'enceinte des maisons d'arrêt ou des centres pénitentiaires. Ils exercent principalement trois missions : recevoir systématiquement toutes les personnes arrivant dans l'établissement pénitentiaire d'implantation, assurer le suivi au cours de l'incarcération et préparer la mise en place du suivi post-pénal. Les SMPR comportent actuellement 360 lits environ et assurent essentiellement une prise en charge de jour. Seuls deux d'entre eux, à Fresnes et aux Baumettes, disposent d'une présence paramédicale assurée jour et nuit.
Les détenus ne peuvent recevoir de soins psychiatriques en détention qu'avec leur consentement. Dans ces conditions, dans les situations nécessitant une prise en charge thérapeutique intensive à temps complet ou en cas de crise, la seule voie possible est celle de l'hospitalisation d'office dans un établissement psychiatrique sur le fondement de l'article D. 398 du code de procédure pénale.
En pratique, l'hospitalisation d'office peut être demandée soit par un psychiatre de SMPR, soit par un psychiatre intervenant dans l'établissement pénitentiaire, et concerner un condamné ou un prévenu. Lorsque cela est nécessaire, l'hospitalisation peut être réalisée au sein d'une unité pour malades difficiles (UMD). Il n'existe aujourd'hui que cinq UMD en France pour une capacité de 427 places. Or, ces structures sont ouvertes à tous les malades difficiles et pas seulement aux détenus. Le nombre de places est donc tout à fait insuffisant.
Parallèlement à ces modalités habituelles de prise en charge des détenus atteints de troubles mentaux, un établissement pénitentiaire, celui de Château-Thierry, s'est au fil du temps spécialisé dans la prise en charge d'une population pénale fortement perturbée, au point qu'en 2007, cette prison comptait 85 % de détenus psychotiques. Trois critères cumulatifs peuvent justifier une affectation dans cette structure : il faut que le reliquat de peine du détenu soit supérieur à dix-huit mois, que le détenu ne relève ni d'une hospitalisation en SMPR ni d'une hospitalisation d'office, enfin que le détenu n'arrive pas à s'intégrer dans un régime de détention classique.
Originaires de l'ensemble des prisons du territoire national, ces condamnés se caractérisent souvent par leur absence de liens familiaux et la durée moyenne de séjour à Château-Thierry est comprise entre six mois et un an. Lorsque nous avons visité cet établissement, son encadrement médical avait été renforcé mais voici quelques années seulement, cette prison ne disposait même pas d'un psychiatre à temps complet.
En fait, le haut niveau de qualité de la prise en charge dans cet établissement repose largement sur certaines pratiques originales développées par l'administration pénitentiaire. Les agents y établissent des relations individualisées, marquées par le geste symbolique de la poignée de mains avec le détenu, qui n'est pratiqué dans aucun autre établissement et scelle une relation différente de celle qui existe ailleurs. On constate ainsi que les relations entre personnel pénitentiaire et personnel soignant y sont plus développées et plus confiantes.
J'en viens maintenant aux limites de cette prise en charge psychiatrique des détenus. Celle effectuée au sein des SMPR, si elle a constitué un progrès considérable, rencontre des difficultés :
- les moyens en personnels médicaux demeurent insuffisants malgré les progrès importants réalisés au cours des dernières années. Au 31 décembre 2008, les SMPR comptaient 105 postes à temps plein pourvus de médecins, 238 postes d'infirmiers et 85 postes de psychologues. Ces chiffres sont élevés mais le recours aux soins de santé mentale est, en détention, dix fois supérieur à celui observé en population générale. En outre, les effectifs sont très inégalement répartis entre SMPR.
En effet, les écarts constatés dans la présence des psychiatres sur le territoire ont non seulement des effets sur l'organisation des secteurs de psychiatrie générale, qui n'assurent pas toujours un suivi suffisant de leurs patients, qu'ils soient ou non détenus, mais ils rendent également très difficile l'attribution des postes au sein des SMPR ou des Ucsa, compte tenu du peu d'attrait des médecins pour une activité réputée difficile ;
- par ailleurs, pour des raisons évidentes liées aux contraintes de déplacement des détenus, les SMPR accueillent prioritairement les détenus de l'établissement où ils sont situés. Or, les SMPR sont principalement localisés dans les maisons d'arrêt : ceci présente des avantages incontestables pour la réalisation d'évaluations à l'entrée en détention mais néglige le fait que certains établissements pour peines, en particulier les maisons centrales, accueillent des détenus condamnés à de très longues peines et souffrant parfois de troubles mentaux majeurs ;
- enfin, l'hospitalisation en SMPR est pour l'essentiel une hospitalisation de jour, compte tenu de l'absence, durant la nuit, de personnel soignant dans la plupart des cas et de l'impossibilité d'y accueillir des détenus sans leur consentement.
Mais l'aspect le plus critiquable de la prise en charge des détenus atteints de troubles mentaux est sans aucun doute la manière dont ils sont accueillis au sein des hôpitaux psychiatriques lorsqu'une hospitalisation est nécessaire. Réalisée sans leur consentement, cette hospitalisation se déroule le plus souvent, pour des raisons de sécurité, en chambre d'isolement, le détenu étant parfois entravé sans justification médicale. Dans ces conditions, les durées d'hospitalisation sont particulièrement brèves, ne dépassant souvent pas deux à trois jours, et ne permettent pas la stabilisation attendue de l'état du patient.
L'accès aux UMD demeure par ailleurs particulièrement difficile compte tenu du nombre de places très restreint dans ces structures.
L'insuffisance de la prise en charge se manifeste enfin au moment de la sortie de prison. Hors les cas où les détenus libérés font l'objet de mesures telles que le suivi socio-judiciaire ou l'injonction de soins, ils sont bien souvent remis en liberté sans qu'un suivi particulier soit prévu. Le passage de relais au secteur psychiatrique général n'apparaît qu'imparfaitement assuré et certaines des personnalités que nous avons entendues ont souligné le manque de structures intermédiaires susceptibles d'accueillir des sortants de prison pour ménager une transition entre la prison et une prise en charge ambulatoire.
Ce sont ces insuffisances qui ont justifié la création, par une loi de 2002, des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). Ces unités, implantées dans des établissements hospitaliers et faisant l'objet d'une garde périmétrique par l'administration pénitentiaire, ont pour objectif de compléter l'offre de soins aux détenus afin que ceux-ci puissent bénéficier d'une prise en charge psychiatrique réellement équivalente à celle qui existe en dehors du milieu carcéral. En particulier, ces structures doivent permettre d'hospitaliser les détenus avec leur consentement, ce qui est aujourd'hui impossible. Dix-sept unités de ce type seront construites au cours des prochaines années et une première tranche de neuf unités doit, en principe, être achevée en 2012.
Nous avons visité la première de ces unités, qui est située à l'hôpital du Vinatier à Lyon, et qui devait ouvrir ses portes fin 2009, mais qui n'est toujours pas entrée en fonction. Ces retards s'expliquent notamment par quelques difficultés dans la rédaction des décrets et circulaires, mais nous avons constaté qu'il est vraiment temps que cette situation cesse car les personnels sont tous sur place et risquent d'être démotivés si cette attente perdure. Ces UHSA sont contestées : d'abord, certains y voient une confusion entre la prison et l'hôpital ; ensuite, il existerait le risque que les experts et les juridictions déclarent, encore plus qu'aujourd'hui, les auteurs d'infractions pénalement responsables au motif que la prison sera désormais dotée des moyens d'une prise en charge de qualité et sécurisée des malades mentaux. C'est pourquoi il conviendra d'être particulièrement attentif aux conditions de fonctionnement de ces structures.
Avant d'en venir aux propositions du groupe de travail, je voudrais dire quelques mots très rapides sur les déplacements que le groupe de travail a effectués en Suisse et en Belgique pour examiner les conditions dans lesquelles ces pays voisins traitent de la question des auteurs d'infractions atteints de troubles mentaux. Sans entrer dans les détails qui figurent dans le rapport écrit, je ferai seulement trois observations :
- d'abord, les Suisses et les Belges opèrent une distinction très claire entre les peines et les « mesures » qui peuvent être prononcées à l'encontre des malades mentaux. Ces mesures, décidées par les juridictions, peuvent consister en un internement, dont la durée n'est pas définie, dans un établissement théoriquement spécialisé, on les appelle « établissements de défense sociale » en Belgique ;
- ensuite, cette distinction très nette entre peines et mesures dans le code pénal ne se retrouve pas aussi clairement dans la prise en charge effective, puisqu'un grand nombre de malades mentaux effectuent leurs « mesures » en prison, faute de place dans les établissements spécialisés ;
- enfin, et c'est peut-être l'enseignement le plus utile, la coopération entre magistrats et médecins apparaît plus aisée et développée qu'en France, chacun ne se repliant pas sur la préservation de ses compétences propres.