Intervention de Alex Türk

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 6 octobre 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Alex Türk président de la commission nationale de l'informatique et des libertés

Photo de Alex TürkAlex Türk, président de la commission nationale de l'informatique et des libertés :

C'est la troisième fois que je viens devant votre commission, et c'est important pour la CNIL. Nous pourrons, à l'occasion de questions, évoquer les centrales de crédits, la labellisation, la normalisation, ou encore l'externalisation de certains services vers le Maroc, le Sénégal, le Mali ou le Burkina - il y a contradiction entre la préservation de l'emploi de ce côté et les 450 000 postes créés en deux ans et demi au Maroc et qui fixent la population là-bas. Je voudrais d'abord mettre l'accent sur l'extraordinaire importance des nouvelles technologies. La conférence mondiale Informatique et libertés qui a réuni une soixantaine de délégations à Madrid en novembre 2009 a réussi à se mettre d'accord sur des principes fondamentaux pour garantir les libertés individuelles. On peut être fier du travail accompli : nous avons donné un contenu à ces principes. Il appartient maintenant aux pouvoirs publics, à l'Union et à ses 27 membres, de leur conférer une valeur contraignante.

L'Autriche, le Canada, la Nouvelle-Zélande et un ou deux États en Afrique et en Amérique partagent les mêmes conceptions que les 27. En revanche, il n'y a ni loi fondamentale ni autorité semblable à la nôtre aux États-Unis, au Japon, en Chine, en Inde ou en Russie, d'où des distorsions. Google nous explique que le droit européen ne lui est pas applicable en Europe, cela crée avec d'autres opérateurs la différence terrible qu'il y a entre le soldat chargé de tout son barda et le sportif en tenue de compétition. Le problème est à la fois économique et éthique.

Pourquoi est-ce si important ? Parce que les quatre grandes technologies peuvent être groupées deux à deux, la vidéosurveillance et la biométrie, la géolocalisation et les réseaux : avec les deux premières on peut suivre une personne, savoir où elle est à telle heure, mais si le Gouvernement le souhaite, il est juridiquement possible de les interdire alors que c'est impossible pour les deux dernières. Le développement de la géolocalisation et des réseaux font donc peser de plus grandes menaces sur les libertés individuelles. La vidéosurveillance et la biométrie sont visibles, la géolocalisation, invisible, est beaucoup plus dangereuse. Sans en prôner la disparition, la CNIL souhaite qu'on l'encadre. Le GSM (global system for mobile telecommunications), les puces RFID (radio frequency identification), cela englobe la biométrie et les réseaux. Google et Facebook permettent de suivre une personne. On imagine aisément les problèmes que cela peut poser ; on comprend aussi qu'ils auront changé de nature dans dix ou douze ans, lorsque nous utiliserons les nanotechnologies pour la géolocalisation parce qu'on nous suivra, on nous entendra avec des appareils invisibles, plus petits qu'un grain de riz cru. Nous perdrons ainsi la possibilité de savoir si nous sommes entendus ou non, et partant, nous corrigerons notre discours, notre comportement et nous tendrons vers une norme, ce qui est antinomique, sur le plan philosophique, avec l'espèce humaine.

C'est la même chose pour les réseaux. Nous sommes d'ailleurs en bisbille avec Google parce que l'utilisation de ses voitures « street view », qui sillonnent la France pour photographier les routes, a permis de capter des mels et des informations confidentielles transitant par les réseaux WI-FI non protégés. Espionner est faible ! Nous avons même entendu Eric Schmidt, président-directeur général de Google admettre qu'il faudrait accepter de changer d'identité pour récupérer une forme d'anonymat sur le réseau. Mark Zuckenberg, président-directeur général de Facebook, quant à lui, explique tranquillement qu'on doit admettre une réduction de la sphère de la vie privée. La technologie n'est-elle plus au service de l'homme ? Son développement ne devrait en aucune façon aller à l'encontre de nos libertés.

Voilà les enjeux qui nous ont conduits à pousser les feux à Madrid. Avec le Groupe européen des autorités de protection, nous ne pouvons aller plus loin. Comment aller vers une convention fixant des règles planétaires et contraignantes ? Le Parlement et le gouvernement doivent prendre l'initiative, comme cela a été fait en Espagne et comme cela se fait en Allemagne. Si plusieurs États bougent, ils pourront contribuer à faire adopter par l'Union européenne des règles applicables et préserver nos libertés. Nous sommes à votre disposition. La CNIL a un rôle technique à jouer mais, si le Parlement prend une résolution, d'autres pays de l'Union européenne pourront suivre. Il ne faut en effet nourrir aucune illusion : il n'y a aucune raison pour que les États-Unis changent aujourd'hui leur vision, puis, quand Google et Facebook, leurs mastodontes se seront installés en position de concurrence, ils nous expliqueront alors l'intérêt de réglementer selon leurs propres critères.

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