Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du 6 octobre 2010 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission entend M. Alex Türk, président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

Nous accueillons aujourd'hui le président de la Commission de l'informatique et des libertés (CNIL) qui va nous donner son sentiment sur l'évolution des technologies de communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Alex Türk

C'est la troisième fois que je viens devant votre commission, et c'est important pour la CNIL. Nous pourrons, à l'occasion de questions, évoquer les centrales de crédits, la labellisation, la normalisation, ou encore l'externalisation de certains services vers le Maroc, le Sénégal, le Mali ou le Burkina - il y a contradiction entre la préservation de l'emploi de ce côté et les 450 000 postes créés en deux ans et demi au Maroc et qui fixent la population là-bas. Je voudrais d'abord mettre l'accent sur l'extraordinaire importance des nouvelles technologies. La conférence mondiale Informatique et libertés qui a réuni une soixantaine de délégations à Madrid en novembre 2009 a réussi à se mettre d'accord sur des principes fondamentaux pour garantir les libertés individuelles. On peut être fier du travail accompli : nous avons donné un contenu à ces principes. Il appartient maintenant aux pouvoirs publics, à l'Union et à ses 27 membres, de leur conférer une valeur contraignante.

L'Autriche, le Canada, la Nouvelle-Zélande et un ou deux États en Afrique et en Amérique partagent les mêmes conceptions que les 27. En revanche, il n'y a ni loi fondamentale ni autorité semblable à la nôtre aux États-Unis, au Japon, en Chine, en Inde ou en Russie, d'où des distorsions. Google nous explique que le droit européen ne lui est pas applicable en Europe, cela crée avec d'autres opérateurs la différence terrible qu'il y a entre le soldat chargé de tout son barda et le sportif en tenue de compétition. Le problème est à la fois économique et éthique.

Pourquoi est-ce si important ? Parce que les quatre grandes technologies peuvent être groupées deux à deux, la vidéosurveillance et la biométrie, la géolocalisation et les réseaux : avec les deux premières on peut suivre une personne, savoir où elle est à telle heure, mais si le Gouvernement le souhaite, il est juridiquement possible de les interdire alors que c'est impossible pour les deux dernières. Le développement de la géolocalisation et des réseaux font donc peser de plus grandes menaces sur les libertés individuelles. La vidéosurveillance et la biométrie sont visibles, la géolocalisation, invisible, est beaucoup plus dangereuse. Sans en prôner la disparition, la CNIL souhaite qu'on l'encadre. Le GSM (global system for mobile telecommunications), les puces RFID (radio frequency identification), cela englobe la biométrie et les réseaux. Google et Facebook permettent de suivre une personne. On imagine aisément les problèmes que cela peut poser ; on comprend aussi qu'ils auront changé de nature dans dix ou douze ans, lorsque nous utiliserons les nanotechnologies pour la géolocalisation parce qu'on nous suivra, on nous entendra avec des appareils invisibles, plus petits qu'un grain de riz cru. Nous perdrons ainsi la possibilité de savoir si nous sommes entendus ou non, et partant, nous corrigerons notre discours, notre comportement et nous tendrons vers une norme, ce qui est antinomique, sur le plan philosophique, avec l'espèce humaine.

C'est la même chose pour les réseaux. Nous sommes d'ailleurs en bisbille avec Google parce que l'utilisation de ses voitures « street view », qui sillonnent la France pour photographier les routes, a permis de capter des mels et des informations confidentielles transitant par les réseaux WI-FI non protégés. Espionner est faible ! Nous avons même entendu Eric Schmidt, président-directeur général de Google admettre qu'il faudrait accepter de changer d'identité pour récupérer une forme d'anonymat sur le réseau. Mark Zuckenberg, président-directeur général de Facebook, quant à lui, explique tranquillement qu'on doit admettre une réduction de la sphère de la vie privée. La technologie n'est-elle plus au service de l'homme ? Son développement ne devrait en aucune façon aller à l'encontre de nos libertés.

Voilà les enjeux qui nous ont conduits à pousser les feux à Madrid. Avec le Groupe européen des autorités de protection, nous ne pouvons aller plus loin. Comment aller vers une convention fixant des règles planétaires et contraignantes ? Le Parlement et le gouvernement doivent prendre l'initiative, comme cela a été fait en Espagne et comme cela se fait en Allemagne. Si plusieurs États bougent, ils pourront contribuer à faire adopter par l'Union européenne des règles applicables et préserver nos libertés. Nous sommes à votre disposition. La CNIL a un rôle technique à jouer mais, si le Parlement prend une résolution, d'autres pays de l'Union européenne pourront suivre. Il ne faut en effet nourrir aucune illusion : il n'y a aucune raison pour que les États-Unis changent aujourd'hui leur vision, puis, quand Google et Facebook, leurs mastodontes se seront installés en position de concurrence, ils nous expliqueront alors l'intérêt de réglementer selon leurs propres critères.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

Je vous remercie de nous avoir éclairés sur ces enjeux importants.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Alex Türk, que je remercie de son excellent exposé, a raison de nous sensibiliser par ce discours équilibré. La technique est neutre : qui aurait imaginé que l'automobile tuerait des milliers de personnes chaque année ? Les fabuleuses mais inquiétantes technologies nouvelles posent la question de la territorialité du droit : société américaine, Google a son siège européen en Irlande. On ne peut y remédier que par une gouvernance mondiale - on ne peut pas raisonner national, et c'est moi qui le dis ! Viviane Reding partageait cette opinion et Nelly Kroes semble sur la même ligne. Cela ne nous empêche pas de faire pression sur le Gouvernement.

Je crois que nous devons profiter de la période Obama. L'ICANN (Internet corporation for assigned names and numbers) dépendait du département d'État, mais les liens se sont distendus. Les États-Unis ont une tradition libérale : Google et Facebook y ont parfois des soucis. Il faut donc saisir toutes les occasions. Un Français ayant découvert qu'il faisait apparaître des références à un criminel en tapant son nom sur Google, a saisi le moteur de recherche. Celui-ci a expliqué n'être pas responsable de l'algorithme qui amenait les réponses, mais le tribunal de grande instance de Paris a estimé que cette société ne pouvait s'exonérer de sa responsabilité et l'a condamnée à l'euro symbolique. Il me semble qu'imposer le droit à l'oubli serait respectueux de nos libertés fondamentales.

Debut de section - PermalienPhoto de Alex Türk

Nous sommes tout à fait d'accord sur la gouvernance mondiale. Il faut pour cela convaincre Bruxelles de bouger - les Anglais ne le souhaitent pas - puis de faire pression sur les États-Unis. Nous souhaitons avoir accès à l'APEC (Asia-Pacific economic cooperation), la France et l'Angleterre y ont des possessions territoriales, comme on disait, mais ce que nous disons est systématiquement rejeté par les États-Unis.

Quand vous évoquez le droit à l'oubli, je pense au cloud computing. Le « progrès » va vite et, dans les « fermes numériques », bien gardées, des milliards de données sont moulinées. Les experts nous disent que le coup est parti : comment avoir la certitude qu'une information ne resurgira pas dans quinze ans ? Le temps du droit et de la démocratie est plus lent que celui de la technologie. N'est-il pas déjà trop tard ?

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Je souscris à ce qu'a dit Bruno Retailleau. Ce que vous nous avez dit est terrible car il n'y aurait plus aucun espace de liberté individuelle. Une réglementation ne peut intervenir qu'à l'échelon mondial. Cependant, puisqu'il n'y a pas cinquante sociétés capables de produire ces matériels, ne peut-on interdire certaines productions ? Le Parlement pourrait prendre une résolution et les États-Unis se rappeler qu'ils sont le pays des libertés.

Que des sociétés étrangères puissent venir travailler chez nous sans appliquer notre réglementation me surprend, qu'elles s'exonèrent de nos lois m'interpelle. Pouvez-vous nous suggérer des solutions ?

Lors d'une réunion de syndicats d'assainissement que je présidais avec Paul Raoult, j'ai eu la surprise d'entendre qu'en cas de délégation de service, nous n'avions plus, quoique propriétaires du réseau et des compteurs, accès au fichier des abonnés : un avis de la CNIL nous interdirait de connaître les nouveaux abonnés. Je pourrais aussi évoquer les prêts à la consommation et l'intérêt de mettre en place un fichier des emprunteurs. On voit des situations tellement aberrantes : j'ai eu le cas d'une personne qui a contracté 38 prêts en deux ans pour des remboursements doubles de ses ressources mensuelles !

Debut de section - PermalienPhoto de Alex Türk

Nous avons demandé au Parlement de se saisir de la question des centrales de crédit car nous étions au bout de ce que nous pouvions faire. Il s'est donné un an et notre rôle est maintenant d'assistance technique dans la construction du système. Il y a la solution des États-Unis, qui reprennent tout, et des solutions intermédiaires plus raisonnables. Nous pensons qu'il ne faut reprendre que les informations utiles. J'ajoute que les statistiques disponibles ne montrent pas un effet net des centrales sur la baisse du surendettement.

Je répondrai de manière précise à votre première question par écrit car je n'ai pas de souvenir précis d'une telle interdiction.

Société américaine ayant son siège européen à Dublin, Google nous dit qu'elle ne traite pas de données en France, ce à quoi nous répondons que les cookies, c'est du traitement de données. Comment faire pour que tous les États européens aient la même attitude ?

Posons clairement le problème des nanotechnologies. J'ai essayé par deux fois de participer au débat organisé par la Commission nationale du débat public et j'ai beaucoup regretté qu'il se termine en « eau de boudin ». J'ai beaucoup lu sur ces technologies : elles représentent un progrès pour l'humanité en matière de santé. Cependant, quand des systèmes informatiques seront disséminés par millions, soit autant de Mini brothers invisibles, l'on regrettera le bon vieux temps de Big Brother. La miniaturisation implique l'invisibilité et, par là, l'irréversibilité. Il est légitime que le Parlement y réfléchisse avant, même si nous ne sommes pas seuls au monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

Daniel Raoul avait fait un rapport sur l'impact des nanotechnologies dans le cadre de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

Une foultitude de textes nous ont confrontés à la même situation : il y a ceux qui sont convaincus et ceux qui n'y croient pas. C'est ainsi qu'après avoir adopté un système avec l'Hadopi, on peut lire ce matin dans la presse que Free fait de la résistance. Au-delà de ce constat, le maître-mot, c'est l'invisibilité. Pour avoir passé deux jours chez Google aux États-Unis, j'ai pu mesurer ce tsunami d'informations. Il y a un côté positif, mais il y a aussi un prix à payer : c'est la fin de la confidentialité et de la vie privée. Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Des pays parmi les plus importants n'ont pas de réglementation. Ne connaîtra-t-on pas une situation comparable à ce que l'on voit pour le surendettement ? Il suffit en effet d'utiliser internet pour emprunter en Suisse ou au Luxembourg qui, paradoxalement, vous garantissent la confidentialité en attribuant un numéro à votre dossier. Il faudrait que des instances comme le G 8 ou le G 20, ou des organisations internationales se saisissent de cette affaire comme elles l'on fait du développement. Si elles n'élaborent pas de règles, cela ne fonctionnera jamais.

Debut de section - PermalienPhoto de Alex Türk

C'est tout l'intérêt de notre rencontre. Il faut que le Parlement amorce le débat par une résolution alertant le gouvernement : le G 8 et le G 20 s'en saisiront quand leurs membres porteront cette préoccupation. La CNIL fait ici fonction d'aiguillon.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Nous avons la chance de disposer d'un outil comme la CNIL, dont j'apprécie le rôle au quotidien. J'entends votre proposition de gouvernance mondiale, mais cela ne marchera jamais. Cependant, comme tous les progressistes, je veux aller de l'avant.

On a proposé de se servir du télépéage pour sanctionner les excès de vitesse et un portable permet la géolocalisation. Les Français qui regardent RIS ou Les experts trouvent cela très bien. De fait, on peut élucider beaucoup d'affaires. Quant à la vidéosurveillance, c'est déjà une réalité. Va-t-on courir derrière ? Nous avons un pôle de compétitivité consacré aux nanotechnologies et à la traçabilité, et je sais que la RFID, la puce intelligente, c'est irréversible.

L'idée du projet de résolution est néanmoins essentielle car il importe que le Parlement interpelle le président de la République et le Gouvernement. Si les choses peuvent se régler dans un pays de tradition démocratique comme le nôtre, il n'en serait pas de même en Corée du Nord. A côté des chefs d'État, il doit y avoir les Parlements ainsi que les associations de citoyens, souvent très impliquées.

Soigner plus de gens, cela va dans le bon sens. Peut-on le refuser ? Après tout, Minalogic avait été créé par les pouvoirs publics et, même si le bébé va plus vite que le père, je veux croire en l'intelligence de nos dirigeants.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

Alex Türk nous a fait froid dans le dos. Avec la géolocalisation, toutes les maisons sont en ligne et les citoyens sont inquiets de cette violation de domicile. Cela ne me gêne pas que la police ou les services de renseignement aient certaines informations - après tout, internet a d'abord été utilisé par les militaires -, il est en revanche très inquiétant que l'on aille jusque dans les maisons. Je ne serais donc pas contre une organisation mondiale de l'informatique et des libertés. Comment faire ?

Comment un citoyen peut-il se défendre face à Google ? Voilà la question que pose l'exemple cité par Bruno Retailleau. La CNIL ne pourrait-elle pas intervenir ? Le droit à l'image, cela existe ! Ne peut-on taxer Google à ce titre ?

Les maires reçoivent tous les ans du conseil général une demande de participation au Fonds de solidarité pour le logement des personnes en difficulté. Je refuserai tant que je n'aurai pas le nom des personnes concernées et nous sommes plusieurs dans ce cas. A travers nos CCAS (centre communal d'action sociale), nous connaissons les personnes en difficultés dans nos communes. Or le conseil général nous oppose la loi Informatique et libertés. Ne peut-on revoir cette disposition en faveur des maires qui sont soumis à un strict devoir de confidentialité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Houpert

Les fichiers sont inquiétants surtout pour ceux qui ont quelque chose à se reprocher. Je m'interroge surtout sur leur exploitation commerciale. Avec les spam, internet ne devient-il pas un nouveau champ de bataille pour le terrorisme ? Des cellules y réfléchissent-elles ?

La télémédecine se développe. Les données sont protégées. Peut-on néanmoins les capter ? Je crois que la Chine a réussi à bloquer l'accès à internet. Comment le faire éventuellement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Je ne peux que constater avec un pessimisme lucide le déferlement des nouvelles technologies et les dégâts qu'il provoque. Certains respectent la règle, d'autres la contournent. Autant je suis favorable à une règlementation très précise à l'échelle européenne, autant je constate qu'on met l'accent sur l'offre et jamais sur la demande. Et pourtant on sait le faire pour inciter à l'achat d'une voiture à travers des publicités qui passent juste avant 20 heures ! Mon esprit cartésien ne peut accepter une telle fatalité. Avec la tradition philosophique et intellectuelle qui est la sienne, notre pays a les moyens d'une action éducative : le libre arbitre peut s'exercer pour accepter ou non les risques inhérents à ces techniques. Le Parlement joue tout son rôle quand il traite des sujets relatifs à l'éthique. Il serait même noble de ne pas se laisser emporter par cette avalanche. Il est trop facile de disserter sur l'irréversibilité quand le principal mobile de tout cela est le profit des sociétés. Oui, nous avons intérêt à réfléchir : un pays cartésien peut résister.

Debut de section - PermalienPhoto de Alex Türk

Je partage votre pessimisme, je suis même angoissé quand je me demande s'il est encore temps. Il est de notre responsabilité d'agir. Le télépéage, la carte bleue procèdent d'usages consentis. On peut ainsi distinguer d'une part ce qui est fait avec notre consentement ou non, et d'autre part ce qui est visible ou non. La question du consentement m'amène à évoquer la jeunesse. J'ai rencontré des CM1 et des CM2 d'une commune du Nord. 80 % d'entre eux sont sur Facebook , qui est pourtant interdit aux moins de 13 ans... On parle de couvre-feu, mais les enfants courent parfois bien des risques face à leur écran, dans leur chambre. Voilà une cible en termes d'éducation. Nous avons décidé de consacrer 500 000 euros, sur un budget de 14 millions pour des actions tournées vers les chefs d'établissement et les professeurs de géographie, d'éducation civique, les professeurs principaux, afin de les inciter à transmettre des notions-clefs sur l'usage d'internet et des réseaux sociaux aux enfants.

Le raisonnement selon lequel je n'ai rien à craindre si je n'ai rien à me reprocher est dangereux. C'est la notion d'intimité qui est en cause. A mes étudiants qui me disent que cela ne les gêne pas d'être vus avec leur copine légitime, j'explique qu'ils ont droit à la même intimité quelle que soit la personne avec laquelle ils sont. Je revendique le droit de ne pas être vu ni entendu. Ne mélangeons pas intimité et innocence. Les professeurs sont souvent mal à l'aise voire désarmés pour expliquer cela parce que leurs élèves maîtrisent souvent mieux les techniques qu'eux. Il faut les soutenir pour qu'ils fassent passer le message de la protection de l'intimité et du libre-arbitre.

Nous avons trois réponses à apporter. La première est d'ordre technique. Les ingénieurs nous expliquent en effet que si on s'en donnait les moyens, on pourrait juguler les effets néfastes de la technique. C'est une affaire de financement, mais ceux qui le peuvent ne le veulent pas. La solution juridique passe par l'élargissement de la conception européenne à d'autres pays. La solution pédagogique, enfin, concerne les jeunes, qui vivront toute leur vie avec internet, et surtout les 12-13 ans, ceux qui sont le plus en danger. Or il est plus facile d'évoquer un fichier de police avec le ministère de l'intérieur que de parler de cela avec le ministère de l'éducation. C'est parce que notre préoccupation n'est pas partagée que nous avons opéré le choix budgétaire que j'ai dit.

La CNIL aide des citoyens mais au coup par coup et nous n'aurions pas la malhonnêteté de garantir un résultat pour tous. Il faut réintroduire cela dans la logique du consentement. L'internaute n'est pas un ami mais un consommateur. S'il veut rompre son abonnement, il doit pouvoir repartir avec ses données, comme cela se fait pour le téléphone portable. S'agissant du fonds de solidarité, la réponse ne vient pas de la CNIL, elle tient à la loi. Je suis souvent interpellé sur l'utilisation de fichiers par des maires, qui peut leur faire encourir des sanctions pénales. Ainsi, on n'a pas le droit d'utiliser les listings des maternités pour envoyer des félicitations : c'est un détournement de fichier. Les maires prennent aujourd'hui des risques pour aider leurs administrés. Alors, je me tourne vers le législateur pour qu'il modifie la loi s'il la trouve mal faite. Il en va de même pour les spam. Sans solution pour moi, ils engorgent les réseaux. L'immense majorité vient de l'étranger.

Dans le domaine médical, nous suivons attentivement l'évolution du DMP (dossier médical personnel). Ces données sont sensibles et nous avons un service qui se consacre à leur suivi. Nous sommes favorables au vote à l'Assemblée nationale de la proposition de loi Détraigne-Escoffier qui crée une obligation de notification à la CNIL des failles de sécurité. Lorsque des données ont été perdues, il est normal d'informer la CNIL et les intéressés. Imaginez que le bulletin de santé de millions de personnes se retrouve sur internet !

Un mot de l'action sur la demande : c'est le raisonnement que l'on tient vis-à-vis de l'éducation nationale. Nous avons également tiré notre guide à l'insertion des collectivités locales à 40 000 exemplaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Mayet

Je vous remercie de vos propos. La perte de données, cela a toujours existé. Je suis filmé quand je vais du Sénat à l'hôtel, mais cela ne me dérange pas ; je suis même content que l'on puisse suivre ma voiture, même si je suis avec quelqu'un avec qui je ne souhaite pas être vu, parce que mon assurance la retrouvera en cas de vol. La biométrie, elle, évite des erreurs judiciaires. Cet avantage a une contrepartie. J'ai horreur de Facebook, je vis avec.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Botrel

J'ai été très intéressé par votre présentation qui mériterait une diffusion plus large, de manière à faire évoluer les mentalités. Le principal de collège de ma commune m'expliquait que les élèves sont agressifs dès le matin, parce qu'ils ont passé une partie de la nuit à s'insulter sur internet. Facebook n'est pas dans nos traditions mais rentre dans les usages. Je n'accepte pas le risque pour les libertés individuelles, nous devons nous prémunir : un pays démocratique comme le nôtre ne peut se satisfaire de cette situation. Une réponse mondiale est une vue de l'esprit, nous devons commencer à la formuler chez nous. L'Espagne et l'Allemagne se sont déjà saisies, ce qui prouve que des initiatives nationales sont possibles. Pouvez-vous nous indiquer quelles réponses elles apportent ?

Debut de section - PermalienPhoto de Paul Raoult

Une proposition de loi sur les fichiers des maires est nécessaire car on les met dans l'insécurité. Les CAF refusent de communiquer des informations indispensables à l'établissement des tarifs sociaux mais la gendarmerie sait nous demander ou habite tel ou tel individu.

Mon téléphone est écouté depuis plusieurs années et ces informations et les SMS sont ensuite diffusées par lettres anonymes, de même que tout ce qui se passe en mairie. On peut ainsi capter vos communications grâce à des sonars achetés en Belgique. Où cela s'arrêtera-t-il ? C'est angoissant...Ça suffit ! Les gendarmes semblent peu intéressés et démunis. En dépit d'un dépôt de plainte, le système ne vous protège pas contre ce qui devient de l'espionnage. On parle dans la presse d'écoutes téléphoniques mais comment contrôler ceux qui font cela et comment protéger le citoyen ?

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Sittler

Cela est très important. J'ai moi-même effectué un stage à la gendarmerie et je suis atterrée quand je vois des photographies de famille sur internet. Je le dis aux jeunes mères, les pédophiles mettront le temps qu'il faut, mais ils sauront retrouver les enfants. Informez les principaux des collèges.

Debut de section - PermalienPhoto de Alex Türk

Cela fait partie du travail que nous menons sur les risques spécifiques aux jeunes. Il faut que les enseignants soient capables d'expliquer la cybercriminalité.

La CNIL n'a pas compétence sur le respect de l'anonymat, qui relève de la commission des interceptions. Nous sommes compétents pour les données de trafic : qui appelle, quand et d'où. En exerçant cette compétence, nous entendons parler des matériels que vous avez cités. Pour vérifier une ligne, il faut des moyens techniques, et cela se développe.

Sur la réponse mondiale, il faut se mettre d'accord au sein de l'Union européenne ; l'Allemagne et l'Espagne ont choisi un projet de résolution. La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale va prendre contact avec eux. Si plusieurs pays demandent à l'Union d'agir, cela fera bouger les autres. Nous sommes dans l'actualité, ne perdons pas de temps.

Oui, il y a toujours eu des pertes de données, mais tout le monde n'était pas au courant. Le problème a changé de nature et il est devenu extrêmement grave quand elles ont pu se retrouver sur internet.

La CNIL ne conteste en aucune manière les nanotechnologies en tant que telles, elle s'inquiète de certaines utilisations. Si j'utilise un marteau pour accrocher un cadre, je m'en sers bien ; ce n'est plus le cas si je m'en sers pour assommer ma belle-mère. De même, il peut être utile de suivre une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer. Il s'agit de déterminer les usages que l'on juge bon. Ces technologies appellent une réflexion parce que leur invisibilité créera leur irréversibilité.

Le même raisonnement vaut pour la biométrie. La CNIL rendra sûrement un avis favorable sur le contrôle de l'accès à un laboratoire qui produit des matières dangereuses, mais pas à une cantine de collège, parce que ce n'est pas justifié. Pourquoi ne pas utiliser plutôt le contour de la main, que l'on ne récupère pas à l'insu des intéressés. Il est préférable d'utiliser les technologies les moins intrusives (400 établissements sont concernés) et, pour l'accès à la cantine, un contrôle humain n'est-il pas préférable ? Il y a cinq ans, nous avions 54 demandes de dispositif biométrique, nous en sommes à 4 000 ; 25 millions de Français sont sur Facebook. Le danger tient à ce que tout vient en même temps et que ce déferlement envahit tous les compartiments de la vie en société. Voilà pourquoi il faut être vigilant et travailler sur le droit à l'anonymat. Baudelaire revendiquait deux droits fondamentaux, celui de s'en aller et celui de se contredire soit, en termes poétiques, la liberté d'aller et de venir, et la liberté d'expression. Préservons cela pour pouvoir continuer à évoluer et à s'exprimer sans être suivi à la trace. Si nous ne le faisions pas, pourquoi se serait-on battu depuis 1789 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

A l'issue de cette intéressante audition, je m'engage à intervenir auprès de mes collègues présidents de commission et du président du Sénat pour un débat en séance publique. Le ministre de l'Éducation pourrait être convié à y assister.