Intervention de Jacques Bichot

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 16 février 2010 : 1ère réunion
Rendez-vous 2010 pour les retraites — Audition de M. Jacques Bichot professeur des universités en économie à l'université jean moulin lyon 3

Jacques Bichot :

a tout d'abord observé que la soutenabilité du système français de retraites est plutôt bien assurée sur le plan démographique. Le vieillissement de la population n'est pas en lui-même un problème, dès lors que l'espérance de vie en bonne santé croît parallèlement à l'espérance de vie elle-même. Le système s'équilibrerait assez aisément si cet allongement de l'espérance de vie en bonne santé s'accompagnait parallèlement d'un allongement proportionnel de la durée d'activité.

Même si la France doit faire face à l'arrivée à l'âge de la retraite des générations nombreuses de l'après-guerre, sa natalité actuelle est l'une des plus dynamiques d'Europe, ce qui constitue un atout pour la soutenabilité de son régime d'assurance vieillesse.

En revanche, le système français souffre d'être un patchwork hétéroclite de régimes. Là où la plupart des pays voisins ont réussi à unir l'ensemble de leurs régimes ou au moins à ne plus distinguer qu'entre le régime des salariés du secteur privé et celui des fonctionnaires, la France ne progresse qu'à pas très lents dans la simplification de son régime de retraite. Par ailleurs, le système français, comme tous les systèmes par répartition, est construit sur une opposition complète entre le droit positif et la réalité économique. Du point de vue économique, la retraite par répartition n'est jamais qu'une capitalisation humaine : conformément à ce qu'on peut appeler le théorème de Sauvy, « les enfants d'aujourd'hui sont les retraites de demain ». Il n'y a aucune raison économique de baser les droits à la retraite sur les cotisations vieillesse, ces dernières étant en quelque sorte le dividende que payent les actifs à leurs aînés. C'est un échange entre générations successives ignoré par notre système, ce qui constitue une difficulté pour sa viabilité.

La France pourrait tirer des leçons utiles de certains systèmes étrangers. Ainsi, comme elle, les Etats-Unis ont un système par annuités ; celui-ci présente la caractéristique d'être extrêmement redistributif, puisqu'il offre un rendement très élevé aux personnes disposant des revenus les plus bas. Un salarié modeste peut espérer un taux de remplacement de 70 % lors de la liquidation de sa pension. Le système comporte deux autres tranches, pour lesquelles les taux de rendement sont de plus en plus faibles. Les Etats-Unis sont l'un des rares pays à avoir instauré un système de retraite à la carte avec neutralité actuarielle dans le cadre d'un régime par annuités. L'élément essentiel de ce système est l'absence de mélange entre le nombre d'annuités acquises et l'âge de départ en retraite.

En France, le grand changement apporté par la réforme de 1982 n'a pas été la possibilité de prendre sa retraite à soixante ans, ce mouvement ayant débuté bien plus tôt, mais l'instauration de la décote, qui a modifié les règles en profondeur. Alors que le système de retraite constituait jusqu'alors une fonction à variables séparées, il s'est transformé en une fonction à variables non séparées. Dans un tel modèle, il est particulièrement difficile de contrôler les effets des variations des paramètres, ce qui explique que les réformes entreprises pèsent davantage sur certaines catégories de personnes que sur d'autres sans que cela ait été souhaité au départ.

L'Allemagne, grâce à son système par points, connaît moins de difficultés financières que la France malgré une démographie catastrophique. Il est en effet possible d'ajuster l'équilibre économique du système en modifiant la valeur de service du point.

L'Italie ne constitue certainement pas un exemple à suivre, dans la mesure où l'entrée en vigueur très progressive de la réforme de son système a imposé des ajustements paramétriques très douloureux pendant la période transitoire. En outre, la coexistence de l'ancien et du nouveau système rend le calcul des droits particulièrement complexe.

L'exemple suédois est à la mode, alors même que la transformation du système n'a pas été aussi profonde qu'on le dit parfois. Dès avant la création des comptes notionnels, le régime de retraite suédois comportait une partie contributive et s'apparentait à un système de retraite à la carte avec neutralité actuarielle. La réforme a été facilitée par l'existence d'importantes réserves financières représentant sept années de pensions. Ces réserves équivalent encore aujourd'hui à cinq années de pensions. Toutefois, le système de comptes notionnels, qui est en réalité un système par points, présente un risque de confusion dès lors qu'il est parfois considéré comme un livret d'épargne alors qu'il s'en différencie substantiellement dans son mode de fonctionnement.

Abordant les principes directeurs qui devront inspirer la réforme des retraites, M. Jacques Bichot a estimé que l'unification du système est un objectif important. Alors que le premier article du code de la sécurité sociale pose le principe de la solidarité nationale, la multiplicité des régimes le contredit directement. La réforme devrait par ailleurs permettre de passer à un régime par points, plus lisible et ne conduisant pas à prendre des engagements qui ne peuvent être tenus : pour maintenir l'équilibre du système, il suffit de contrôler la valeur de service du point, sans avoir à revenir sur les conditions dans lesquelles les cotisants ont acquis des droits.

Naturellement, une réforme d'ensemble ne devra pas être rétroactive et la conversion des droits en points ne saurait conduire à la perte des droits acquis avant la réforme. En cas de changement de système, il conviendra de procéder à une liquidation des droits selon les règles anciennes puis à la conversion de la rente en points.

La réforme devrait en outre permettre d'introduire la retraite à la carte avec neutralité actuarielle. Dès lors que les assurés sociaux s'organisent en fonction de leurs intérêts et de ceux de leurs proches, il faut faire en sorte qu'ils aient avantage à prolonger leur activité. La réforme de 1982 a été néfaste parce qu'elle a supprimé la possibilité d'atteindre un taux de remplacement de 100 % en travaillant plus longtemps. Le taux de remplacement a été figé à 50 % au maximum, ce qui revenait à dire aux salariés qu'ils n'avaient aucun intérêt à travailler au-delà de soixante ans. Il est essentiel pour l'avenir que les assurés sociaux trouvent avantage à rester en activité plus longtemps. Une telle évolution aura rapidement des conséquences sur le comportement des employeurs en ce qui concerne l'emploi des seniors.

Une réforme d'ensemble du système nécessite d'être préparée dans de bonnes conditions. A titre d'exemple, il s'est écoulé sept ans entre le vote de la loi posant le principe de la réforme du régime de retraite suédois en 1994 et sa mise en oeuvre en 2001, d'importantes lois techniques de mise en oeuvre ayant été prises entre ces deux dates. La réforme du système français nécessitera sans doute autant de temps, compte tenu de la complexité de son architecture. Le dernier rapport du conseil d'orientation des retraites (Cor) montre qu'une transition assez rapide en cas de changement de système est préférable à une évolution étalée sur très longue période.

En ce qui concerne la prise en compte de la pénibilité des emplois, il convient de distinguer les situations anciennes, pour lesquelles la solidarité nationale est seule à pouvoir intervenir, et les situations actuelles, pour lesquelles la pénibilité doit être prise en compte dans le coût du travail et non assurée par la collectivité. Cette prise en charge pourrait prendre notamment la forme de fonds de pension abondés par les employeurs qui permettraient aux salariés ayant exercé des emplois pénibles de partir plus tôt en retraite en bénéficiant d'une rente issue du fonds de pension avant que le régime général prenne le relais.

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