a tout d'abord rappelé les origines du codéveloppement, et présenté les actions mises en oeuvre à ce titre avant de tirer quelques enseignements pour l'avenir.
Elle a tout d'abord relevé que le co-développement n'était pas exactement une nouveauté. Il était pratiqué depuis les années 1960 par les associations de migrants qui se sont progressivement structurées. Le co-développement en tant que politique publique, objet de la communication, était en revanche plus récent, un peu moins de dix ans si l'on prenait comme point de départ la création d'une mission interministérielle en 1998. Il a été redéfini à plusieurs reprises.
La rapporteure a rappelé que l'idée originelle venait du ministère de l'intérieur et reposait sur le principe que le soutien aux actions menées par les migrants dans leur pays d'origine pouvait faciliter leur intégration dans notre pays. Cette idée était toujours présente aujourd'hui, mais de façon plus secondaire.
a indiqué que le co-développement était ensuite apparu comme une forme particulière de coopération non gouvernementale et avait été soutenu par le ministère de la coopération au même titre que les ONG ou la coopération décentralisée, via des cofinancements.
Plus récemment, le co-développement a été redéfini comme la valorisation de l'action des migrants en faveur de leur pays d'origine, quelle qu'en soit la forme : valorisation de l'épargne au service d'investissements productifs, transfert de compétences, apport d'expériences sociales et culturelles. L'accent est mis sur la mobilité et la circulation entre deux espaces, le pays d'accueil et le pays d'origine. Elle a noté que l'accompagnement du retour des migrants dans leur pays d'origine était rangé sous ce vocable de codéveloppement, et qu'en volume de crédits budgétaires, il en constituait même la substance.
a rappelé que Mme Brigitte Girardin, alors ministre de la coopération, avait énoncé, devant la Commission, les trois axes de la politique de co-développement : le développement local, singulièrement celui des régions d'origine des migrants, la mobilité des personnes et la mobilité de l'épargne des migrants.
Elle a précisé sur ce dernier point que le gouvernement cherchait à renforcer l'information des migrants et par là même la concurrence, sur les différentes offres de transferts disponibles sur le marché. Le coût des transferts est peu transparent et il peut être très élevé (15-20 %) sur les petits montants. En outre, une part très importante empruntait des canaux informels, ce qui est peu fiable pour le migrant et peu souhaitable dans un contexte où l'on souhaite assurer la transparence des circuits financiers, éviter le blanchiment et le financement du terrorisme. L'Agence française de développement a été chargée de développer un site Internet permettant de comparer les offres, sur le modèle du site réalisé par le ministère britannique du développement international. Parallèlement, des réflexions sont menées sur des modes de transferts innovants, sur la mobilisation de l'épargne des migrants avec la création d'un compte épargne co-développement et sur les moyens d'orienter cette épargne, massivement destinée à la consommation (95 %) vers le secteur productif.
Evoquant la mobilité des personnes, le rapporteur a indiqué qu'il était proposé à des migrants qualifiés de transmettre leurs compétences lors de missions de courte durée. S'ajoutaient à cette possibilité des dispositions de la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration créant des titres de séjour spécifiques aux étudiants étrangers en première expérience professionnelle, aux saisonniers, ainsi qu'aux professionnels ayant des « compétences et talents » particuliers, dont ils font profiter la France pendant une durée maximale de 6 ans avant de retourner dans leur pays d'origine.
Pour la partie « développement local », le rapporteur a noté que le co-développement avait fait l'objet de réalisations concrètes plus importantes au Maroc et au Mali.
a souligné que, de façon assez classique, des co-financements avaient été apportés à des associations de migrants pour la réalisation de projets locaux (dispensaires, écoles, hydraulique, électrification...). Ils s'associaient parfois, de façon très intéressante, aux initiatives de la coopération décentralisée. Au Mali, dans la région très enclavée de Yélimané, un projet associe des migrants, la coopération française, la ville de Montreuil et le Viet Nam dans un programme de développement agricole de 10 millions d'euros portant notamment sur la culture du riz.
Elle a indiqué qu'une part limitée des crédits était par ailleurs destinée aux initiatives menées par les jeunes issus de l'immigration, en particulier dans le domaine culturel (concerts, expositions...). Ce volet, qui porte sur les échanges entre les deux espaces, rappelle la conception originelle du co-développement, selon laquelle le travail sur l'identité peut faciliter l'insertion dans le pays d'accueil.
Enfin, a ajouté la rapporteure, le dernier aspect du développement local présentait deux aspects, tous deux destinés non pas aux associations mais aux individus.
Le premier aspect est relatif à l'investissement à distance des migrants.
Au Maroc, un programme de construction de gîtes ruraux et de soutien aux entreprises innovantes, géré par l'Agence française de développement, est financé pour un tiers par le migrant, un tiers par la Commission européenne et pour le dernier tiers par un fonds d'amorçage marocain.
Au Mali, un dispositif s'appuyant sur les transferts des migrants prévoit l'octroi de prêts bancaires aux entrepreneurs.
a précisé que le second aspect impliquait, à la différence de tous les autres, le retour du migrant dans le pays d'origine et consistait en sa réinsertion économique. Elle a décrit le mécanisme selon lequel le ministère de la cohésion sociale finance, via l'Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM), une aide au démarrage de micro-projet à hauteur de 7 000 euros, le ministère des Affaires étrangères assurant, quant à lui, la rémunération de l'opérateur chargé d'accompagner le migrant et, le cas échéant, une étude de faisabilité du projet, dans la limite de 1 300 euros. Au total, le dispositif coûtait donc 8 300 euros cumulables avec l'aide au retour volontaire proposée aux étrangers invités à quitter le territoire français. Elle a indiqué que lors d'une visite de terrain au Mali la délégation avait ainsi visité une école privée, l'atelier d'un tailleur ou encore une petite entreprise de textiles « bio ».
Elle a précisé que ces différents aspects du co-développement pouvaient être insérés dans un accord dit de « gestion concertée des flux migratoires » à l'exemple de celui signé l'hiver dernier avec le Sénégal. Cet accord prévoit, en contrepartie de la lutte contre l'immigration illégale et de la réadmission des clandestins, une circulation facilitée et des actions de co-développement.
Dressant un premier bilan des différents dispositifs, elle a relevé que pour certains, toute évaluation était prématurée, car ils n'avaient encore reçu aucune application concrète, ce qui était le cas du site Internet de comparaison du coût des transferts, de la carte de séjour « compétences et talents », du livre d'épargne co-développement ou encore de l'accord de gestion concertée des flux migratoires avec le Sénégal.
D'autres, quoique lancés, ne sont pas encore opérationnels. Ainsi, les gîtes ruraux du Maroc, sur le point d'être achevés, ne sont pas encore commercialisés.
Pour les autres dispositifs, la rapporteure a estimé que le bilan était contrasté.
Elle a tout d'abord considéré que les dispositifs de soutien à l'investissement à distance, pourtant prometteurs, étaient clairement un échec : seules, trois entreprises innovantes ont été créées au Maroc en quatre ans, deux autres seraient en passe d'être lancées. Quatre bénéficiaires de prêts ont été recensés au Mali, et sur ces quatre bénéficiaires, trois sont défaillants et n'honorent pas leurs remboursements.
Elle a estimé que le bilan de l'aide à la réinsertion était plus positif. 300 projets de réinsertion économique ont été financés en trois ans. 80 % des migrants se sont réinsérés socialement et les trois quarts des entreprises fonctionnaient encore au bout de deux ans, permettant la création d'environ mille emplois.
Quant au développement local, 22 projets avaient été co-financés dans la région de Kayes, principale région d'émigration du Mali, pour un montant de 625 000 euros.
a souligné que d'autres projets de co-développement avaient été lancés dans d'autres pays d'Afrique, le dispositif ayant été élargi en 2006 mais que pour l'essentiel, les réalisations se concentraient au Mali et au Maroc.
La rapporteure a ensuite formulé plusieurs observations.
Tout d'abord, elle a souligné le caractère expérimental de la politique de co-développement, considérant qu'il s'agissait d'un prototype de politique publique qui n'avait pas l'ampleur que l'on pouvait de prime abord imaginer.
Les crédits budgétaires mobilisés restent très limités : 14 millions d'euros sur la période 2003-2006, montant porté à 22 millions d'euros pour 2006-2008.
Les actions de codéveloppement sont sans commune mesure avec la politique d'aide bilatérale au développement et avec les flux migratoires.
Bien que faisant intervenir trois ministères (Affaires étrangères, Intérieur, Affaires sociales), et dans la nouvelle configuration gouvernementale un quatrième, le ministère de l'immigration, elle ne concerne à plein temps qu'un nombre très limité de personnes : un ambassadeur au co-développement assisté d'une équipe restreinte et d'assistants techniques sur place.
Se pose, dès lors, la question de la possibilité du changement d'échelle de cette politique de co-développement pour laquelle les obstacles et les difficultés sont nombreux.
Tout d'abord, elle a noté que si le volume des transferts des migrants était important globalement, les transferts individuels représentaient une capacité d'investissement limitée (évaluée, avec difficultés, à environ 2.000 euros par an et par migrant pour le Maroc). En second lieu, il s'agit de flux privés, dont l'emploi relève de décisions individuelles. Enfin, ces transferts constituent en général un transfert de revenus indispensable pour satisfaire des besoins de consommation courante dans des régions où les opportunités d'investissement sont par ailleurs limitées.
La rapporteure a observé que l'élargissement du champ géographique d'intervention du co-développement nécessitait l'existence de communautés structurées, comme le sont les communautés marocaines et maliennes, au sein desquelles de nombreuses associations ont pour objet le développement du pays d'origine. C'est moins vrai pour des communautés, plus récentes, plus réduites et plus atomisées.
Elle a considéré que la montée en puissance du codéveloppement ne pouvait se résumer à l'augmentation des crédits budgétaires qui y sont alloués.
a estimé que si l'on poussait à l'extrême la logique de l'aide au retour, sa faisabilité financière n'était pas assurée et qu'elle conduirait à privilégier les personnes « passées par la case France », ce qui n'était pas l'objectif de cette politique.
Elle a souligné que, plus que les crédits, c'étaient les projets à soutenir qui faisaient défaut. De surcroît, l'aide financière n'est pas suffisante pour faire du retour un succès : l'accompagnement du migrant dans son projet est déterminant alors que les bailleurs ne sont pas en mesure de l'assurer et que les ONG compétentes ne sont pas nombreuses.
Elle a insisté sur le fait que le passage du micro-projet où le migrant est son propre employeur, à un niveau macroéconomique, où la création d'emplois pourrait avoir des effets significatifs sur la migration restait à réaliser et qu'il se révélait très difficile, car l'ensemble de l'environnement économique était en cause : le co-développement rejoignait ici le développement.
a relevé qu'un autre changement d'échelle envisagé consistait dans l'implication de l'Union européenne.
Elle a indiqué que la délégation avait pu constater à Bruxelles que le co-développement, d'inspiration française, rencontrait un écho favorable. La Commission était disposée à y consacrer des moyens financiers, elle le faisait déjà au Maroc. Elle développait parallèlement un cadre intellectuel fécond, celui de la migration circulaire, qui vise à favoriser la circulation des personnes, notamment dans le cadre de la migration de travail.
a considéré que le cadre réglementaire développé par la Commission était plus convaincant que ses développements opérationnels. Elle a souligné le besoin de pratiques harmonisées en matière d'immigration, par exemple sur la question de la biométrie en matière de visas, et d'un dialogue apaisé avec nos partenaires africains sur la question des migrations, ce que le cadre européen facilite certainement.
Sur le terrain, en revanche, a souligné la rapporteure, les intérêts des Européens diffèrent, en fonction des communautés présentes sur leur sol et elles sont très différentes d'un pays à l'autre. En application de l'approche globale des migrations qui associe la lutte contre l'immigration clandestine à l'encouragement de la circulation des personnes, la Commission conduit un projet emblématique à Bamako avec le soutien de la France et, de façon plus mesurée, de l'Espagne. Ce projet de Centre d'information et de gestion des migrations (CIGEM) a pour objet de favoriser la recherche sur les migrations, d'accompagner les migrants de retour, mais aussi d'informer les candidats à l'émigration sur les risques liés à la migration illégale et sur les opportunités d'emplois dans le pays, dans la sous-région et dans d'éventuels pays d'accueil. Mme Catherine Tasca, rapporteure, a indiqué que ce projet avait paru précipité à la délégation et marqué par une ambiguïté originelle dommageable. Il s'élève à 10 millions d'euros sur trois ans, dont six millions seulement pour des projets concrets, soit à peine plus du double de ce que la France consacre sur trois ans au codéveloppement (2,5 millions d'euros). Mais surtout, il laisse à penser qu'il pourrait s'agir d'une agence d'émigration, sentiment renforcé par la future cohabitation avec le projet de « maison des Maliens de l'extérieur ». Or, il est peu vraisemblable que la France ait des propositions concrètes à faire en matière d'emplois. Enfin l'implication de nos partenaires européens a paru mesurée aux rapporteurs, ce qui risque fort de faire mettre la France en première ligne une fois encore dans ce dossier.
a observé que si le codéveloppement était une politique expérimentale, dont le changement d'échelle semblait malaisé, il ouvrait certaines perspectives pour la politique de développement dont elle se distingue.
Tout d'abord, le dialogue avec les pays d'origine sur la migration est indispensable. Elle a insisté sur le fait que du point de vue des pays d'origine, qu'elle soit clandestine ou non, la migration était positive par les transferts financiers qu'elle permet mais aussi par la soupape sociale qu'elle représente. L'émigration est un enjeu du débat politique intérieur, une exigence des populations à l'égard des autorités. Par conséquent, un constat partagé est un préalable à la recherche de solutions concertées. Les accords de gestion concertée des flux migratoires peuvent être un bon outil, mais ils doivent être équilibrés.
Ce dialogue doit être franc et exigeant, les difficultés économiques n'étant pas seules responsables des migrations. L'absence totale de perspectives de mobilité sociale, la corruption quotidienne ou un environnement des affaires incertain sont autant de leviers sur lesquels les Etats, avec l'appui des bailleurs, doivent agir. Un engagement résolu en matière de « gouvernance » est indispensable.
a souligné que l'aide bilatérale française n'était plus à la hauteur des besoins d'un dialogue équilibré. La France a cédé la première place de bailleur bilatéral du Mali pour occuper le 4e rang. Dans un pays « prioritaire » elle n'intervient qu'à hauteur de 50 millions d'euros.
Sous l'angle de la question migratoire, d'autres secteurs de la politique de développement doivent faire l'objet d'une attention particulière : l'éducation et la formation professionnelle, sinistrées dans les deux pays de la mission mais déterminants, l'accès à l'emploi et le développement du secteur productif, le développement du système bancaire et l'accès au crédit. Sans progrès dans ces domaines, il est illusoire d'espérer un ralentissement de l'immigration.
La question migratoire, a estimé la rapporteure, devait donner l'occasion d'envisager la politique de développement non pas seulement sous l'angle des moyens qui y sont consacrés, mais aussi sous l'angle des résultats. Un partage plus clair entre le ministère des affaires étrangères, chargé de définir la stratégie de développement, et l'AFD, chargée de l'appliquer, est également souhaitable.
En conclusion, Mme Catherine Tasca, rapporteure, a souligné que le co-développement, politique encore largement expérimentale, n'était pas encore à la hauteur des enjeux, tant du développement que de la maîtrise des flux migratoires.
Elle présente l'avantage de rechercher une cohérence dans nos politiques publiques et de montrer que la maîtrise des flux migratoires ne se joue pas seulement aux frontières, mais bien dans des écarts de condition qui rendent les mouvements de population irrépressibles.
Les objectifs du co-développement gagneraient à être clarifiés : s'il s'agit d'accompagner le retour des migrants, il a sa place au nouveau ministère de l'immigration, dont l'évaluation du rôle est, à ce stade, prématurée, et a vocation à rester relativement limité. S'il s'agit d'une politique plus globale, elle interroge en profondeur notre politique de développement, ses instruments et ses priorités, donc le ministère des Affaires étrangères, et doit faire intervenir plus fortement l'AFD.
a rappelé que l'horizon temporel des politiques de développement n'était pas celui de la maîtrise des flux migratoires ; il n'interdisait pas la poursuite d'objectifs communs, dans l'intérêt de notre pays et de ceux avec qui la France partage souvent une langue et une histoire.