Intervention de Josselin de Rohan

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 juin 2010 : 1ère réunion
Table ronde sur l'europe de la défense et la place de l'industrie française de défense avec les représentants du conseil des industries de défense

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président :

Je suis très heureux d'accueillir M. Jean-Paul Herteman, président du CIDEF et du GIFAS, le conseil des industries de défense, qui regroupe les industries aérospatiales autour du GIFAS, les constructions navales autour du GICAN et les industries de matériel de défense terrestre autour du GICAT.

M. Jean-Paul Herteman est accompagné par l'amiral François Dupont, qui a surveillé la construction et a été le commandant du SNLE « le Triomphant » et qui a été également le directeur de l'IHEDN représentant le GICAN. Il est accompagné de MM. Christian Mons, président du GICAT et président de Panhard, Guy Rupied, délégué général du GIFAS, Jean-François Lafore, délégué général du GICAT et Mme Agnès Ferragu-Palomeros, directeur des affaires institutionnelles du GIFAS, et enfin M. Guillaume Muesser, secrétaire du CIDEF.

J'ai initialement voulu cette table ronde afin d'évoquer la coopération européenne en matière industrielle et d'armement. C'était avant d'apprendre la réduction des dépenses budgétaires dont nous allons débattre au Sénat le 8 juillet prochain dans le cadre du débat d'orientation budgétaire.

Cette table ronde prend donc, dans ce contexte, une actualité particulière. La crise économique va se traduire par d'importantes coupes dans les dépenses publiques et il serait naïf de penser que le ministère de la défense sera épargné. Nous recevions du reste une délégation de sénateurs de la République italienne la semaine dernière. La réduction de l'effort de défense est une réalité qui s'impose aussi à eux, comme elle s'impose à nos amis britanniques et à tous les pays membres de l'Union européenne.

La question n'est donc pas de savoir si la défense paiera. Elle est de savoir combien et sur quels postes de dépenses ?

Cela peut paraître injuste si on prend en compte les efforts déjà fournis par le budget global de la défense et si on s'attend à ce que chaque budget contribue à proportion de sa part dans le budget de la nation. Le budget des équipements militaires, le programme 146 est un terrible objet de tentation budgétaire, puisqu'il est à la fois le plus important en volume, de l'ordre de dix-huit milliards l'an dernier, soit dit en passant un record que nous ne sommes pas près de battre, et le plus facile à réduire, en tout cas davantage que les baisses de traitement ou les diminutions d'effectifs, qui, dans le domaine de la défense, ont été d'une ampleur inégalée : 54.000 hommes sur cinq ans entre 2008 et 2012. J'ajoute, qu'en général, les réductions de commandes aux producteurs d'armes émeuvent moins l'opinion publique que la diminution des effectifs d'enseignants. Mais cela n'est pas une raison pour baisser les bras et accepter n'importe quel arbitrage budgétaire car, au-delà de la question de la défense, il en va de l'avenir de la recherche française, dans les domaines les plus stratégiques, puisqu'il s'agit toujours, par définition, d'une recherche de rupture qui va nourrir les innovations de demain, et donc les emplois qualifiés d'après-demain.

Dans ce contexte, les industriels de l'armement doivent sans doute réfléchir, si possible de façon collective, aux solutions qu'ils devront mettre en oeuvre avec l'Etat, chacun étant tenté, dans ce type de situation difficile, d'essayer de détourner l'attention sur son voisin et d'éviter, pour soi-même, les effets mortifères de la régulation.

L'expérience a montré que certaines coupes dans les programmes, en fin de compte, coûtaient plus cher au contribuable qu'elles ne rapportaient. Je pense en particulier aux frégates FREMM, dont le coût unitaire a bondi du fait de la réduction du programme de 18 à 11. Que faire ?

Tout le monde s'accorde pour dire que les restructurations et la coopération européenne sont les deux seules voies intelligentes pour faire des économies.

En matière de restructuration, je pense en particulier au domaine des blindés et aux programmes VBMR (véhicule blindé multi-rôle) et EBRC (engin de reconnaissance roue-canons), qui mettront aux prises les deux, voire les trois constructeurs français que sont NEXTER, Renault Trucks et Panhard. Il me semble évident que celui d'entre eux qui ne remportera pas les deux programmes aura beaucoup de mal à survivre. Le moment ne serait-il donc pas venu de restructurer nos industriels nationaux et, si oui, comment le faire : en les regroupant entre eux, ou en les mariant chacun à un Européen ? Je sais que mes collègues Daniel Reiner et Jacques Gautier ont particulièrement étudié cette question et feront sans doute bénéficier la commission de leurs réflexions.

En matière d'Europe de la défense, nous avons parfois le sentiment d'être dans une impasse. Mais c'est parfois quand les choses sont au plus mal, que renaît l'espoir. Au fond, cette crise est peut être la meilleure chance jamais donnée à la défense européenne. Si tel était le cas, alors se poserait la question de savoir avec qui pourrait se construire cette défense, qu'on ne fera pas, cela est sûr à 27.

On pense beaucoup, en ce moment, aux Britanniques, puisque nos deux armées sont voisines, les efforts de défense comparables et les industries complémentaires. En outre les membres du gouvernement actuel semblent très désireux d'accroître la coopération bilatérale avec notre pays et nous faisaient déjà des appels du pied avant même d'être aux affaires, comme peut en témoigner le sénateur Reiner avec qui j'étais à Londres au mois de février dernier. Néanmoins, il y a loin de la coupe aux lèvres et particulièrement quand il s'agit d'Albion.

Quant aux Allemands d'aujourd'hui, il nous faut bien nous rendre à l'évidence : ils sont résolument différents de ceux d'hier et leur opinion publique semble ne plus tolérer que leur gouvernement s'engage dans une politique volontariste de défense et d'équipement militaire. Nous ne referons plus le Transall ensemble, nous ne referons plus le Milan ensemble, nous ne referons plus le Tigre ensemble.

Alors la question se pose sans doute d'une coopération renforcée avec les pays latins. Les Italiens sont notre premier partenaire industriel. Je pense en particulier à l'industrie navale, avec les frégates Horizon et FREMM, à l'espace où notre coopération a été, et demeure, une véritable success story. Les satellites SICRAL et Athena-Fidus s'inscrivent dans la ligne du programme de coopération à technologies duales franco-italien ORFEO (COSMO-SKYMED et PLEIADES) et HELIOS II B. Cet axe de notre coopération s'inscrit, de surcroît, dans la priorité donnée par notre Livre blanc à la fonction « connaissance et anticipation ». Je pense enfin à la défense antimissiles balistiques, avec les programmes SAMP-T et les missiles Aster 15 et 30 dont les derniers essais en mer, tant français qu'italiens, ont été un succès. Sans doute pourrait-on joindre, dans cette préfiguration d'une alliance latine, les Espagnols, avec lesquels nous avons beaucoup en commun dans le domaine aéronautique, au sein d'Airbus Military, même si cela est plus difficile et parfois douloureux, Amiral Dupont, dans le domaine des sous-marins.

Je serais donc très désireux d'avoir votre sentiment sur ces trois questions : la diminution des budgets de défense, les restructurations industrielles et l'Europe de la défense.

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